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Full text of "Revue des deux mondes"

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REVUE 


DES 


DEUX  MONDES. 


QUATRIÈME  SÉRIE. 

I 


TOU  m.—  ï^  lUILLBT  1836, 


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IMPaiMERIE  DE  H.  FOUHNIEE  ET  G*» 
AVI  Ds  tioni»  14^  m. 


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REVUE 


DES 


DEUX  MONDES. 


TOME  SEPTIÈME. 


QUATRIÈMB   S^RIB. 


I  PARIS, 

I 

AU  BUREAU  DE  LA  REVUE  DES  DEUX  MONDES , 

RDE  SES  BEAUX-ARTS,  10. 


1836. 


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9Mi 


LES  EXHIBITIONS 

DE   PEINTURE 


ET 


DE  SCULPTURE 

A  LONDRES  EN  1856. 


I. 

Vn  critiqae  consciencieux,  mais  pressé,  qui  viendrait  à  Londres 
du  continent  avec  mission  d'examiner  à  la  hftte  la  peinture  et  la 
sculpture  anglaises  de  la  saison,  courrait  le  risque  de  ne  rapporter 
i  ses  commettans  que  des  notions  fort  incomplètes. 

A  moins,  en  effet,  qu'il  n'arrive  bien  informé  d'avance  et  sufB- 
samment  introduit,  peut-être  se  contentera-t41  de  suivre  la  foule 
qui  se  presse  à  Somersel-House.  Cependant,  tandis  que  l'exhibi- 
tion principale  de  l'Académie  a  les  deux  battans  de  sa  porte  ouverts, 
en  des  lieux  de  la  ville  différens,  trois  autres  exhibitions  impor- 
tantes, mais  moins  populaires,  convient  simultanément  le  public  à 
les  visiter.  On  ne  se  ferait  donc  qu'une  idée  très  imparfaite  tou- 
chant Fœuvre  annuelle  de  l'art  en  Angleterre  (et,  une  fois  pour 


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O      .,•.•.,-;    , 

.•..--.---        • 

toutes,  qu'il  soit  bien  entendu  que  Yart  signifie  uniquement  ici  Tart 
de  peindre  et  de  sculpter] ,  si  Ton  n'avait  pas  étudié  les  quatre 
collections. 

Mais  il  ne  sera  pas  inutile  de  dire  comment  et  pourquoi  elles  sont 
ainsi  séparées. 

Nous  n'avons  ^  la  volonté  ni  le  loisir  de  ^^osmrer  T  Académie 
royale.  Fondée  en  1768,  et  composée  de  quarante  académiciens, 
sans  compter  les  associés,  use- 1- elle  ou  abuse- 1- elle,  depuis 
soixante  ans,  des  privUéges  de  sa  charte,  toujours  est^l  qu'elle 
emplit  kaQDuellQment  Somerget-Home  des  peintures  et  dee  sculp- 
tures de  ses  membres  et  de  leurs  élèves,  au  détriment  des  concur- 
rens  étrangers  qu'il  lui  platt  d'exclure. 

Eût-elle  voulu  libéralement  exercer  son  autorité,  la  chose  n'eût 
pas  été  facile.  Son  local  resserré  ne  lui  permet  pas  d'exposer  à  la 
fois  pl)is  de  rniUe  à  douze  eests  owrages* 

Or,  devenus  dans  l'art  mie  vraie  puissance,  les  peintres  d'aqua- 
relle estiment,  en  1804,  que  l'Académie  ne  leur  fait  point,  à  ses 
solennités,  une  place  suffisante.  Us  marcheront  seuls  désormais. 
Unissant  leurs  forces,  ils  établissent  la  société  qui  convoque  Lon- 
dres, cette  année,  à  sa  trente-deuxième  exhibition. 

Cet  exemple  d'indépendance ,  que  le  succès  couronne ,  n'est  pas 
pour  rester  sans  imitateurs.  Divers  artistes  éminens  se  sont  lassés . 
enfin  de  solliciter  vainement  les  fauteuils  et  les  médailles  d'or  de 
l'Académie.  Une  société  nouvelle  est  fondée,  qui  accueillera  les 
toiles  et  les  marbres  quels  qu'il»  soient,  repoussés  ou  non  de 
Somerset'House.  Cette  association  des  artistes  britanniques  se 
recommande  aujourd'hui  par  sa  treizième  exhibition,  covposée  de 
pr^s  de  mille  ouvrages. 

n  n'y  a  rien  qui  gâte  com«ie  la  fortune.  Oublieux  de  leur  com- 
mencement, les  petMres  d'aquareUe,  associés  en  1804,  s'étaient 
inseasiblement  meatrés  plus  exclusifs  et  jaloux  dea  débutans  que 
ne  l'avaient  été  jamab  les  académiciens  eux-mêmes.  Heureusemeiit 
la  ressource  des  associations  est  inépwsable.  Les  méconlens  se 
réunissent;  ils  invoquent  la  protection  puUiiiue;  leur  appel  est 
encouragé,  et  une  nouvelle  société  de  peintres d'aquareUe  affiche 
présentement  dans  la  ville  sa  cinquième  exhiUtion. 

Voilà  donc  quatre  exhibitions  distinctes,  qm  réclament  l'auno** 
tioa  etla  faveur  à  des  titres  inégaux.^  maïs  dont  aucune  n'est  k 


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LÀ  PEINTURS  «r  %A'9CeummS  Efr  ANGLETERRE,  T 

dédaigner.  Si  nous  additionnons  les  chiffres  de  leurs  quatre  livrets, 
Doas  trouvons  qu*elles  produisent,  en  1836,  deux  mille  six  cent 
soixante-treize  ouvrages  de  dessin,  de  sculpture  et  de  peinture  (1). 

Il  serait  plus  simple  et  jusqu*à  un  certain  point  plus  convenable 
^e  tout  cela  fô€  rassemblé ,  oemmeaif  Louvrev  •»  ua  sem\  bâiliiiient 
comiaft.  Toutefois,  je  n*alfimerat  fMmt  q»e kt dfroioa  n*aU  pas 
ftsavMitages.  Sm»  ^vte  VémaMtêo.  naîtra  parfont  dv  ccmiact 
'wmiéad,  des  ctwnpm  ;  mam  um  concuvrenee  décidée  et  presque 
hostile  nexcite-t-ettB  pas^ mieux  le  pvogrè»  de  Vartt 

E&  ce  qui  regarde^la  eemmoéilé  du  euriei^x  et  de  T^mateiir,  la 
Mgère  peioe*  de  vtsilief  qvatre  expontictts  dïfférenles,  est  bîea 
OMifeasée,  y  imagine,  par  le  sodagemenC  de  n'en  avoir  poifit  sur 
hsbns^nne  seule  générale,  qui  vovs  écrase  et  vous  fait  stnpide. 

k  reproclieraia  plmèt  à  ces  «xkibitions  anglaisée  de  ne  point  être 
gratuites.  Le  tort  est  parFéoimaMa*  au»  moins  à  celles  qpii  ne  se  sup- 
perteat  qaî'k  lears  propres  frais.  Mats  qiM  rAcadéaaie  royale, 
logée  spltiidideraenl  aux  fraés  du  publie,  le  frappe  encore  d'un 
impdtà  la  porte,  e'esif  un  abus  inexcusable.  Ce  shelKng  exigé  n'est 
pas  me  forte  somme  ;  it  ne  pèse  guère  au  riche  désœuvré  qui  vient 
«oe  fois  ;  il  grève  rhooMne  de  goât  pauvre,  q«i  vient  chaque  jour; 
il eichit absolument  le  peuple,  qui  n'échangera  jamais  contre  son 
dlier  Je  droit  d'entrer.  Et  il  y  a  là  une  double  faute  :  cotte  consigne 
iwai»  au  seuil  dasanctaaive  est  illibérale  ;  en  outre,  l'artiste  n'est 
passaasy  perdre  d'aliles  leçons.  Je  veux  bien  que  l'avis  du  cor«- 
émmm  ne  vaille  rien  a»-dessus  de  la  jambe  ;  mais  n'est-il  pas 
conpéten  t  -aundessons? 

Vous  ièles  donc  avertts^  que  nous  n'avons  pas  moins  de  qnatre 
exhibit'refie  à  voir.  La  besogne  est  rade  ;  c'est  pourquoi  nous  les 
tiaiKerseroBs  rapidement  l'une  après  l'autre,  nous  bornant  à  ob- 
atrver  le  caraetère  général  et  les  <Bfivres  sadlantes  de  chacune. 
Moue  eaeaierons  eneoite  d'apprécier  la  valeur  de  rensemble. 

ftj  Wà^imn  ekiq  «antl  de  pi«»  que  TeipesMon  de  Paris ,  cette  année. 


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UTUB  DBS  DEI2X  MOIOIES. 


n. 


Montons  d*abord  au  troisième  étage  de  Somerset-House,  et 
faisons  le  tour  de  ses  trois  salons.  Si  nous  ne  voyons  pas  aussi 
impartialement  que  nous  le  souhaitons  »  ce  sera  peut-être  un  peu  la 
faute  du  mois  de  mai,  qui  ne  se  presse  pas  d'ouvrir  la  petite  ses- 
sion de  soleil  qu'il  accorde  d'ordinaire  à  Londres. 

Au  premier  aspect ,  ce  qui  h-appe  surtout ,  c'est  l'excessive  quan- 
tité des  portraiu  de  toute  taille.  Sauf  une  ou  deux  exceptions,  tou- 
tes les  grandes  toiles  sont  des  portraits.  C'est  une  foule  éblouissante 
de  pairs  et  de  pairesses,  de  juges,  de  shériffs,  d'aldermen,  de 
lords-maires,  d'amiraux,  de  généraux,  de  maréchaux,  qui  se 
pressent  et  se  coudoient,  traînant  à  lenvi  les  robes  de  satin  et  de 
velours,  les  manteaux  de  pourpre  et  d'écarlate.  Je  voudrais  avoir 
à  louer  davantage  daps  cette  cohue  de  hauts  dignitaires,  d'autant 
plus  que  le  meilleur  nombre  s'est  fait  peindre  par  des  académiciens. 
Mais,  hélas  I  des  sept  portraits  qu'expose  sir  Martin  Shee,  président 
actuel  de  l'Académie,  en  est-il  un  qui  témoigne  autre  chose  qu'un 
savoir-faire  matériel  et  vulgaire?  Je  ne  connais  point  M.  Chantrey, 
mais  je  doute  fort  que  cet  admirable  sculpteur  ait  littéralement 
répaisse  expression  de  marguillier  que  lui  attribue  son  collègue. 
Sir  Martin  Shee  a  succédé  à  sir  Thomas  Lawrence,  msâs  ne  l'a 
guère  remplacé.  U  a  deux  cordes  à  son  arc  :  il  s'adonne  à  la  poésie 
didactique  en  même  temps  qu'à  la  peinture  à  l'huile,  et  se  croit 
pour  cela,  dit-on,  une  moitié  de  Michel- Ange.  Il  s'en  faut  du  tout. 

C'est  un  échec  académique  plus  solennel  que  le  portrait  de  lord 
Ly  ndhurst,  par  M.  Phillips.Vainement  cherchez-vous  la  physionomie 
rusée,  méchante,  colère,  méphistophélique  de  ce  pair  sans  con- 
science, qui  se  venge  des  whigs,  coûte  que  coûte,  dût-il  se  perdre 
lui  et  les  tories  de  la  chambre  haute,  aveugles  instrumens  entre  ses 
mains.  Au  lieu  de  cet  homme  d'état  rongé  de  mauvaises  passions 
éloquentes,  vous  avez  une  vieille  figure  grimacière,  avec  la  perru- 
que, le  sac  et  la  robe  d'un  chancelier.  Mais  ces  détails  de  costume, 
dites-vous,  sont  très  adroitement  rendus.  Et  qu'ûnporte?  N'étaitrce 
pas  le  factieux  politique  qu'il  fallait  donner,  plutôt  que  sa  togeT 

J'adresserab  bien  des  reproches  analogues  à  M.  Briggs,  à 


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LÀ  PETirrURE  ET  LA  SCULPTURE  EN  ANGLETERRE.  9 

M.  Pickersgilly  à  M.  Reinagle,  si  je  prenais  un  à  un  leurs  nombreux 
portraits.  Ce  n'est  pas  la  peine.  Au  moins  une  sorte  de  lueur  poé- 
tique éclaire  les  traits  rêveurs  de  miss  Beresford  et  de  miss  Wood» 
peintes  Tune  et  Fautre  par  sir  William  Beechey.  Le  lord  Montagu 
de  M.  Wilkie  rayonne  de  coloris  sinon  d'expression. 

Le  tort  de  messieurs  les  académiciens  peintres  de  portra'ts 
semble  uniforme  et  systématique.  Us  ont  un  procédé  et  le  plus 
grossier  de  tous.  Hs  peignent  soigneusement  les  habits  et  les  corps; 
ils  négligent  l'esprit  et  le  caractère.  Ce  n*est  pas  à  des  professeurs 
qu*il  sied  de  conseiHer  Tétude  des  maîtres.  L* Académie  estime  sans 
doute  que  le  Titien  a  été  indiscret,  qu*il  a  montré  trop  à  nu  les 
âmes;  mais  Van-Dyck  y  a  mis  plus  de  ménagement.  C'était  aussi  un 
peintre  fashionaUe,  un  peintre  de  cour,  et  pourtant  il  a  laissé  au- 
tre chose  que  des  fourreaux  de  satin  et  des  pourpoints  de  velours. 

En  fait  de  portraits,  les  élèves,  les  débutans,  les  étrangers,  pa- 
raissent avoir  décidément  le  pas ,  cette  année ,  sur  les  académi- 
deos. 

Je  m*arrète  tout  ému,  devant  une  douce  figure  élégante  et  gra- 
cieuse. Comment  1  cette  femme  fut  autrefois  Ada,  la  fille  tant 
aimée  de  lord  Byron  I  c'est  à  elle  que  le  poète  disait  : 

Slcep  on,  my  child;  the  slumber  brief 
Too  soonshall  meit  away  to  grief, 
Toosoon  the  dawa  ofwoshail  break 
And  bring  rills  bedew  tbat  cheek; 
Too  $ooQ  sball  sadness  quench  tbosB  eycs, 
Tbat  breast  be  agonised  with  sigbs  ! 

Aujourd'hui,  c'est  lady  Kong,  une  grande  damel  l'Age  des  dou- 
leurs lui  est  venu ,  et  elle  est  restée  l'enfant  paisible  et  souriant 
qu'efle  était  au  berceau.  Remercions  mistress  Carpenter,  son  pin- 
ceau a  été  bien  inspiré.  Ada  est  heureuse.  N'eût  été  cette  toile 
'Vivante,  nous  n'aurions  pas  osé  croire  que  les  craintes  paternelles 
«'étaient  trompées. 

Je  n'ai  que  des  éloges  à  domier  au  duc  de  Wellington  en  pied, 
de  M.  Simpson.  Voilà  bien  le  soldat  énergique,  raide,  opiniâtre  ; 
Toîlà  bien  le  favori  de  la  fortune.  L'artiste  a  dégagé  et  saisi  le  bon 
c*té  de  son  modèle.  Peut-être  l'a-t-il  beaucoup  idéalisé  et  grandi  ; 


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ID  RBVCE  «ES  9MM%  HONBBS. 

je  œ  (Éoi'cii  jiamB  pas.  fit  pmat»  rn^ett  pout  le  ebef  «imMe  d*me  op- 
position impopidaire  qui  émm  est  représeMié:  c'est  le  général 
prédestiné «t  trkmpbHit ;  or  jimugine^iiie  Sa tiraee pertak la  tète 
d'un  autre  tir  à  WateHoo  qn'è  la  cbambre  des  krds. 

Le  maréchal  Beresford ,  du  même  peintre,  se  distingue  par  une 
vigueur  d'exécutîcm  semHaHe  et  une  particiriarité  de  costumey 
digne  d*étre  signalée.  Debout  sur  le  chamf»  de  bataffle,  un  canon é 
sa  droite,  ce  noble  lord,  avec  Thabit  de  combat  du  général,  a  la  co- 
lotte,  les  bas  de  soie,  et  les  escarpins  de  bal.  Je  ne  rendrai  pas 
M.  Simpson  responsable  de  cette  étrange  toilette.  Apparemment, 
l'îllustre  pair,  en  se  faisant  peindre,  aura  été  possédé  d'une  double 
vanité.  11  aura  voulu  paraître  sous  Ttiabit  le  plus  guerrier  pos- 
sible, tout  en  montrant  sa  belle  jambe  à  son  meilleur  avantage. 
Cette  fantaisie  suffirait  pour  immortaliser  le  maréchal  Beresford, 
quand  même  il  n'aurait  pas  Hvré  cette  singulière  bataSle  d'iJbu- 
hera,  qui  n'eut  tii  vainqueur  ni  vaincu. 

Un  dernier  portrait,  qui  n'est  pas  à  négliger,  c'est  celui  de 
lord  Brougliara.  Ici  Tex-chancelier  whig  n'a  pas  été,  comme 
lord  Lyndhurst ,  mal  à  propos  affublé  de  son  ci-devant  costume 
ofOciel.  Il  est  en  noir,  dans  son  cabinet,  les  jambes  croisées,  an 
livre  fermé  à  la  main.  Il  est  au  repos  ;  il  est  calme,  aussi  calme  que 
peut  l'être  lord  Brougham  ;  car  toute  l'ardente  inquiétude  de  cet 
indomptable  esprit  s'agite  dans  la  convulsion  de  ses  traits  et  de 
son  regard.  Prenez  garde,  imprudens  tories,  que  son  absence  ras- 
sure; prenez  garde,  whigs  ingrats  qui  l'avez  renié.  Cette  puissante 
peinture  de  M.  Morton  vous  avertit  que  le  redoutable  orateur  est 
plein  de  vie  encore.  Prenez  garde,  il  va  se  lever  et  parler. 

D  y  a  un  certain  nombre  de  larges  toiles  qu'on  devrait  à  la  ri- 
gueur ranger  parmi  les  portraits,  mais  qui  veulent  évidemment  é tr^ 
classées  à  part. 

Tel  est  preiriéreroent  le  MacreaAy  de  M.  MacKse,  dans  10- 
première,  seèile  dn  qnatrièMe  acte  de  Mackelk,  Cepeadant  celt^ 
apparition  échevelée  n'est  pas  Macready  ;  ce  n'est  pas  Mad3etl^ 
davantage.  On  dirait  plutôt  l^nntks  Cuntèmes-roîs  que  vont  évo^ 
quer  tes  sorcières.  Mais  ces  sordères  eHes-raéines,  -aocrovpiee  aii^ 
tour  du  chaudron,  n'ont  rien  des  veti-d  «isier/c  de  Sbakspeare.  Ce  n^ 
60Bt  pas  les  êtres  atBasffueax  q«  fienbleprâftt  dee  feounes^ 


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LÀ  PBINTU1UB  SV  LA  flOOLPtOtiBi  EN^  ANGLETERRE.  1t 

nfétnart  lems  btrkes.  Ainsi  faitiste  it-a  rendu  ni  Taclteiir  ni  le 
poète.  Qu!»^^4oiic  pritondn?  De  quelle  fomilte  est  son  ouvrage? 

Voici  de  hifpdntiireiaoad6niiqiie,  phis  difOcile  encore  à  earac- 
tériser.  De  jolis  eiiAiiis  couchés  sur  là  soie  et  sur  rédredon^  paraii 
des  cbieQsdo  tonte ^andem*;  de  jeunes  lords  enpromenade  arec 
leurs  gens  ei;  feur  bécaiL  Partom,  au  milfeu  du  parc  on  dans  te 
aùtm,  partont  la  nature  animale  et  la.  nature  humaine  sur  un  même 
pied  d'intimité.  M.  Landseer  ne  laisse  jamais  aller  seules  ses  créa- 
ture» raisonnables;  il  feut  inévitablement  qu'il  leur  donne  une  es- 
corte de  quadrupèdes^  Je  ne  contesterai  jamais  la  fantaisie  d'un 
artiste  supérieur.  Certes  tous  ces  doguessont  d'admirables  bétes. 
Us  sautent,  ils  courent,  ils  lèchent,  ils  aboient.  You^  avancez  la 
nain  afin  de  les  caresser,  ou  vous  la  retirez  de  peur  qu'ils  ne  mor- 
dent. M.  Landseer  a  bien  le  droit  de  leur  attribuer  le  principal 
v61b.  Je  voudrais  seulement  qu'ils  l'eussent  plus  décidément.  Je 
Tondrais  qu'à  voir  les  tableaux  de  cet  excellent  artiste,  on  ne  fftt 
pas  contraint  à  se  demander  lequel  des  deux,  de  Thomme  ou  du 
dnett,.y  est  Taecessoire. 

Deux  autres  académiciens  distingués  excellent  pareillement  à 
peindre  la  vie  animale.  Comme  ils  en  renferment  la  représentation 
dans  des  cadres  plus  étroits,  peut-être  leurs  compositions  convien- 
nent-elles mieux.^  Je  dois  citer  l* Aigle  blessé  de  M.  Ward.  L'oiseau 
royal  reconnaît  que  ses  propres  plumes  ont  conduit  à  son  cœur  la 
flèche  qui  le  perce.  Il  se  raidit  contre  la  mort,  et  jette  au  soleil  un 
dernier  regard.  C'est  là  une  illustration  de  huit  beaux  vers  de 
lord  Byron.  Cette  petite  toile  est  elle-même  une  noble  strophe 
auee. 

M.  Abraham  Cooper  pousse  ses  meutes  en  plaine ,  et  met  le  cerf 
aux  aÉK)is.  il  nous  mène  au  chenil,  au  haras  et  à  Técurie.  Il  donne 
aussi  parfois,  à  ses  chevaux,  de  hardis  cavaliers,  et  les  envoie  bra^ 
vement  l'un  portant  l'autre  à  la  mêlée.  Sa  Bataille  d'Uastings  est 
use  jolie  page  de  chevalerie. 

D  faut  que  je  m'approche  beaucoup  d'ime  autre  bataille  plus 
moderne,  si  je  veux  distinguer  l'engagement  des  troupes  anglaises 
el  françaises,  et  le  général  sir  John  Moore  étendu  mourant.  Ce  ta- 
UeavdeM.  George  Jones  vaut  la  peine  qu'on  lexamine.  Ses  armées 
fiSpmieanes  sont  charmantes.  Pourtant  ce  bijou  historique  a  failli 
WÊLèàofç^.  Eûtrce  été  marfaute?  Pourquoi,  tandis  que  les  portraits 


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12  RBTDB  DES  DBDX  IKHOIBS. 

s'étalent  partout  et  se  pavanent  si  démesurés ,  les  batailles  se  ré- 
duisent-elles aux  proportions  d*un  devant  de  cheminée? 

Les  portraits,  quand  cesseront-ils  de  nous  poursuivre?  N*est-ce 
pas  encore  un  double  portrait  que  cette  soi-disant  Entrevue  de 
Pie  VII  et  de  Napoléon  à  FontainebleauY  De  signification  politique, 
ce  nuageux  ouvrage  n*en  a  aucune.  Mais  comme  il  traduit  infidè- 
lement la  grande  figure  de  Tempereur!  Napoléon  a-t-O  été  jamais 
cet  adolescent  bouffi  et  vaporeux? 

Est-ce  un  système  chez  M.  Wilkie  que  de  rajeunir  et  de  gonfler 
ses  héros.  Ce  gros  général  écrivant  à  Louis  XVIII  la  veille  de  War 
terloo,  a-t-il  rien  en  lui  du  duc  de  Wellington?  Sa  Grâce  n*était 
déjà  plus  un  jeune  homme  il  y  a  vingt  ans;  mais  je  m*assure  qu*à 
vingt  ans  même  elle  n'avait  pas  davantage  cet.air  bien  portant  et 
sentimental. 

Dans  Tinsignifiante  esquisse  qui  montre  une  jeune  fille  que  le 
poinçon  d*or  enrichit  douloureusement  de  ses  premiers  pendans  d'o- 
reille, je  ne  reconnais  guère  Tauteur  ingénieux  du  Aféné/rierarcti^/e. 

L'Intérieur  d'une  chaumière  irlandaise  suffit  cependant  à  soutenir 
cette  année  le  renom  de  M.  Wilkie.  Cest  une  page  énergique  d'his- 
toire contemporaine.  Un  jeune  paysan,  poussé  par  le  besoin  au 
vol  et  au  meurtre,  est  rentré  dans  sa  hutte  les  mains  teintes  de 
sang.  Sans  doute,  afin  de  s'étourdir,  il  aura  vidé  la  fiole  de  whis- 
key  pendue  aujnur,  car  il  s'est  jeté  à  terre  et  caresse  insoucieuse- 
ment  son  enfant  nu.  Mais  sa  femme  et  sa  sœur  ne  partagent  point 
cette  effrayante  tranquillité.  Les  soldats  viennent;  on  les  entend; 
elles  écoutent,  penchées  à  la  porte,  pâles  et  transies.  Cette  scène 
est  fortement  dramatique.  Elle  raconte  et  résume  pathétiquement 
les  intolérables  misères  de  tout  un  grand  peuple  opprimé. 

On  n'a  pas  le  courage  de  relever  particulièrement  les  fautes  de 
cette  œuvre  touchante,  mais  elles  suggèrent  quelques  remarques 
{générales  sur  le  talent  de  M.  Wilkie.  Quiconque  ne  le  connaîtrait 
que  par  ses  peintures  d'autrefois  n'aurait  de  lui  nulle  idée  correae. 
Il  n'est  plus,  en  effet,  le  môme  qui  écrivait  si  soigneusement  de  pe- 
tits drames  de  la  vie  rustique  et  ouvrière;  il  n'est  plus  celui  que 
Tadmiration  de  ses  compatriotes  couronnait  du  double  génie  d'Uo- 
{jarth  et  de  Teniers  :  il  est  bien  davantage,  au  dire  des  admirateurs. 
A  dater  de  son  retour  d'Espagne,  c'est  un  homme  renouvelé.  Il  a 
pris  le  large  volj  i|  Ç9t  entré  en  pleine  poésie.  De  fait,  la  trans-» 


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LA  FBniTimB  BT  LA  SCCLPTUM  Slf  ANGLETERRE.  13 

fonnatioii  lui  a-t-elle  aussi  glorieusement  réuss-  qu*à  Rembrandt, 
que  nous  voyons  substituer  à  son  premier  faire ,  si  fini,  cette  se- 
conde manière,  négligente  des  détails,  qui  ne  demande  ses  sublimes 
effets  qu*à  la  distribution  idéale  de  Tombre  et  de  la  clarté?  Nous 
sommes  loin  de  le  croire.  L*artiste  a  gagné  quelque  chose  en  variété; 
il  a  perdu  beaucoup  en  finesse  et  en  perfection.  Il  n*est  pas  jusqu'à 
son  séduisant  coloris,  siTprincipale  originalité,  qui  ne  se  soit  terni 
et  enveloppé  d*un  voile  grisâtre,  d*un  brouillard  à  peine  péné- 
trable.  Pour  ce  qu'il  a  rapporté  du  dehors,  vraiment  M.  Wilkie 
eût  mieux  feit  de  ne  jamais  sortir  de  son  pays. 

M.  Eastlake  semble  avoir  profité  plus  franchement  de  ses  excur- 
sions sous  le  ciel  méridional.  Sa  nature  italienne  n*a  presque  plus 
rien  d^anglais.  On  ne  saurait  dire,  par  exemple,  que  cet  artiste  soit 
doué  de  fécondité.  Il  se  borne  à  exposer  une  réduction  de  sa  toile 
principale  de  l'an  passé.  Nous  ne  nous  plaignons  pas  de  revoir  un 
sujet  qui  nous  avait  plu  ;  mais  pourquoi  la  copie  reproduit-elle  toutes 
les  taches  de  l'original?  Ces  pèlerins  qui  se  prosternent  à  l'aspect 
de  la  ville  éternelle  sont  toujours  plus  exténués  que  dévots  et  con- 
trits. Ils  sont  moins  ravis  d'approcher  de  la  source  céleste  où  s'a- 
breuvent les  âmes,  quede  la  terrestre  fontainequi  désaltère  les  corps. 

n  serait  impardonnable  de  ne  pas  recommander  les  compositions 
mythologiques  de  M.  Etty.  L'art  actuel  ne  veut  pas  tant  de  mal 
qu'on  dit  à  cette  douce  poésie  de  la  foble.  Les  esprits  grossiers 
ont  prostitué  long-temps  et  avili  ses  grâces  :  honorons  les  esprits 
délicats  qui  tentent  présentement  de  la  réhabiliter.  M.  Etty  est  du 
petit  nombre  de  ceux  qui  mèneront  à  bon  port  cette  restauration. 
Il  a  rendu  à  Vénus  la  magie  de  sa  ceinture,  et  à  l'aveugle-dieu  l'in- 
faillibilité de  ses  flèches.  Ajoutons  que  ce  rénovateur  n'a  pas  eu  le 
mauvais  goût  de  ressusciter  les  Psychés  colossales  du  siècle  der- 
nier; c'est  l'ame  antique,  ailée,  transparente,  et  pourtant,  palpable 
qu'il  a  ranimée.  Et  puis  il  a  eu  la  discrétion  d'encadrer  étroite- 
ment ses  élégantes  scènes  de  paganisme.  On  les  dirait  autant  d'idylles 
d'André  Chénier. 

Voici  bien  des  années  que  le  vieux  M.  Westall  ne  se  lasse  point 
de  renouveler  les  éditions  de  ses  folles  à  genoux  sur  la  grève,  re- 
gardant les  flots  soulevés,  et  de  ses  petites  filles,  debout,  pieds  nus, 
au  seuil  d'une  chaumière.  Il  rapporte  aujourd'hui  les  mêmes  éter- 
nels échantillous.  Je  l'avoue,  enjolivées  par  un  burin  coquet,  ces 


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14  lUITVK  fiC»  MIOi  HttffOVa. 

sortdsdeohoses sMt  «(préaUet  dteis^  u»  Ivnre  d'étrew»»  relié  en 
S0Î8  et  doré  sur  traadie;  mais  qqeUe  eréaiure  caisoiuiabW  8*cst 
prise  jaMsifl  à  sonhailer  do  Toir  les  vigneites*  d*uii  keepsaks  par  le 
verre  grossîBsaBt  d'un  télescopa?  Or  c*est  jmtement  cet  effet  d*il- 
lustralioiis  d'âdmanaeb'  déniesiuréroent  grossiee  que  vous  font  à 
r<mC  na  les  larges  petftiiuree  de  SL  Westatt.  Ne  vdlàH-îl  pas  du 
geniH  bîtn  gi^^tefaque? 

M.  Hvhready  et  AL  LesHe  m'out  envoyé  que  deux  esquisses,  mais 
chacune  est  un  petit  chefkl*e&uvre.  Amusons^ious  d'abord  ée  celui 
de  M.  MuIready.Une  belle  poire  mûre  a  été  trouvée  par  un  jeune 
paysan*  -—  Part  à  noi  seuil  —  Part  à  nous  deux,  crie  son  eama- 
radew  —  Peu  s*en  est  falhi  que  la  quereUe  ne  se  déddàt  selon  la 
raison-  dn  plus  fort,  liais  un  compromis  intervient  :  le  trouveur 
gardera  sa  poire,  qiiaod  le  réclamant  aura  mordu  ime  bouchée. 
Uexécution  du  pacte  est  le  momeot  représentée  Le  possesseur  n*a 
pas  eo  riknprudenee  de  se  dessaisir  du  frtiit  en  litige;  il  le  tient  vi- 
goureûsenieBi  empoigné,  tandis  que  le  prétendant  ouvre  une  bou- 
che capable  d*englMrtir  touC  ensemble  et  la  poire  et  les  dix  doigts 
qui  la  défendent.  Le  triomphe  de  cette  charmante  comédie  rustique, 
c*est  qu'il  est  impossible  de  dire  laquelle  des  deux  physionomies 
aux  prises  montre  le  plu»  d'avidité  gourmande. 

ÎJAulolicr.8  de  M.  Leelie  n'a  pas  moins  de  finesse  et  de  verve 
divertissantes,  âiakspeatre  a  été  rendu  ici  avec  autant  de  fidélité  que 
de  bonheur,  ce  q«i  est  rare.  La  scène  choisie  est  l'une  des  plus  pi- 
quantes de  Wimer's  Taie.  Le  malin  pUkpockti  transformé  en  colpor- 
teur éteile  sa  ftinsse  marchandise  devant  les  fiHettes  ébahies.  Comme 
Tadroit  fripon  a  bien  Toeil  et  la  main  a«  guet,  tout  en  amusant  son 
crédule  aodifoîre,  toot  en  dtsaint  :  —  Voici  une  autre  ballade  d*un 
poisson  qui  a  paru  sur  là  e6te  mercredi,  le  quatre-vingtième  jour 
d'avril,  àqnarante  railles  brasses  de  hauteur  au^lessus  du  niveau 
de  la  mer,  d'oà  il  «hanta  la  susdite  ballade  contre  la  dureté  de 
cœur  des  jeunes  filles  I  —  Nulle  part  le  pinceau  n'avait  si  spirituel- 
lement traduit  la  gaieté  de  Shakspeare,  ce  caprice,  léger,  mo- 
queur, inatteadti,  —  déficieux  sourire  que  le  divin  poète  fait  sou- 
dain éclore  sur  les  lèvres  de  sa  muse ,  tout-à-l*heure  sublime  de 
tristesse ,  échevelée  et  en  pleurs. 

Laisse-t-on  un  moment  les  académiciens ,  on  a  peu  de  chose  à 
dire  ici  des  autres  artistes.  Je  vous  avais  avertis.  Qu'elle  ait  tort 


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LA  PEINTURE  ET  LA   80fnLf>Tim£  fiN  AT(GLETERRE.  JS 

(m  matm ,  r:A«adëfme  selUSî  surtout  -à  elto»inême  les  honneurs  de 
8er«des.  O  qu'elle  ttceueine  tl*écrançer  ii^est  d'ordinaire  ni  bien 
nombreux  ni  bien  hors  de  ligne. 

Fanm  les  ourrages  non  académiques  >  fl  oonyient  cependant  de 
Boomer  les  Condouieri  de  M.  Hefbert,  qui  vaudraient  davan- 
tage si  la  vigueur  et  Taudace  de  quelques-unes  de  leurs  figures  n'é- 
tuent  pas  trop  nettement  empruntées  deVan-Dyck  ; — les  tragédies 
et  les  élégies  romaines  de  M.  Uwins,  dont  la  poésie  réelle  est  sou- 
vent gâtée  par  Vexagération  mélodramatique,  et  enfin  V Arrivée  à 
[école  et  la  Sortie  de  cUuse  de  M.  Webster,  deux  aimables  croquis 
(f  écoliers  espiègles  et  d*enfans  mutins  que  ne  désavouerait  pas 
Charlet. 

Rentrons  en  pleine  académie.  Abordons  ses  paysagistes,  sa 
^ioire  la  plas  incontestable  et  aussi  bien  celle  de  la  présente  exhi- 
bition de  Somersel'House. 

Tai  regret  que  M.  Stanfield  ait  laissé  sa  barque  dériver  si 
loin  cette  année,  et  qu'il  ait  perdu  de  vue  la  côte  que  nul  ne  savait 
mieux  reconnaître  et  peindre.  Sa  mêlée  navale  contentera,  j'espère, 
le  &ntor  united  service  club ,  qui  Ta  commandée  ;  je  doute  qu'elle 
satisfasse  Yartiste  lui-même.  Quoi!  ce  groupe  si  calme  de  gros  na- 
vires paisiblement  désemparés  et  démfttés,  c  est  la  triple  armée  de 
Trafalgarî  Le  livret  me  dit  bien  :  à  votre  gauche,  vous  avez  le 
vice-amiral  ColKngwood  sur  le  Souverain  Roijai  avec  sa  prise,  la 
Santa  Anna.  A  votre  droite ,  sont  le  Bucentaure  et  la  Santissima  Tri- 
nkiady  criblés  sous  le  feu  du  Neptune  et  du  Lcviathan.  Au  centre, 
c'est  la  Fïcroîre,  abord  de  laquelle  lord  Nelson  vient  de  mourir. 
C'est  au  mieux.  Je  sais  à  merveille  Tordre  du  combat.  Mais  où  est 
Tame,  où  est  la  pensée,  où  est  l'horreur  de  cette  terrible  action? 
Quoi!  sous  tant  de  vaisseaux  déchirés,  sous  tant  de  débris  en 
flamme  et  croulans,  sous  cette  ruine  immense,  rien  que  de  belles 
vagues  paisibles  et  transparentes  I  Pas  un  flot  frémissant  et  irrité! 
Oh!  cette  mer  n'a  pas  le  sentiment  de  la  grande  bataille  qu'elle 
porte!  EQene  serait  ni  phis  calme  ni  plus  indifférente,  menant  vers 
le  port  une  flotte  joyeuse  et  pavoisée.  Je  ne  prétends  pas  que  cet 
essai  soit  concluant  contre  M.  Stanfield  ;  pourtant  qu'il  y  regarde 
désonnais  à  deux  fois  avant  de  reporter  la  guerre  sur  le  capricieux 
élément.  Ces  combats  de  mer  veulent  une  autre  chaleur  d'ame, 
une  autre  force  de  bras,  un  pmceau  trempé  en  d'autres  couleurs 


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16  REVUE  DES  DEUX  XONBES. 

que  ne  le  demandent  le  golfe  riant  où  glissent  les  vofles  pacifiques, 
et  la  falaise  pittoresque  >  tantôt  souriante  et  splendide  au  soleH,  taih 
tôt  éplorée  et  en  deuil  sous  l'orage. 

La  critique  anglaise  y  quand  elle  daigne  critiquer  Fart ,  a  parfois 
des  blâmes  et  des  éloges  singuliers.  Voici  comme  elle  traitait,  Tautre. 
jour,  la  nature  indienne  toute  $péciale  de  M.  Daniell. 

cf  Nous  aimons  Tétrangeté  des  sujets  de  cet  artiste,  disait  un 
indulgent  aristarque;  elle  attire  malgré  qu'on  en  ait;  elle  procure 
des  contrastes  piquans  et  une  agréable  variété  dans  Texhibition.  » 

Au  contraire,  le  journaliste  mécontent,  s*écriait  : 

c(  Où  avez-vous  pris,  M.  Daniell,  les  serpens  démesurés  que  vous 
dévidez?  Rapportez-vous  un  certificat  de  leur  longueur?  Nous  ne 
savons  pas  de  famille  d  arbres  orientaux  qu*on  puisse  dire  pa- 
rente même  éloignée  des  vôtres,  ni  de  pagode  le  mcnns  du  monde 
affiliée  à  votre  architecture,  d 

n  y  a  de  part  et  d'autre  une. sorte  de  vérité  dans  cette  (double 
critique  d'humoristes. 

La  bizarrerie  des  effets  vous  arrête  et  vous  retient  devant  ces 
compositions  provoquantes  de  M.  Daniell,  mais  vous  ne  les  exa- 
minez guère  que  comme  la  fantasque  combinaison  des  figures  d'un 
casse-téte.  C'est  que  l'ardente  atmosphère  de  Tlnde  n'est  point 
là  ;  c'est  que  cette  froide  peinture  vous  transporte  mal  dans  le  cli- 
mat étouffant  qui  a  nourri  le  choléra.  Alors  vous  devenez  défiant 
et  injuste.  Vous  contestez  sans  droit  de  la  localité  que  vous  ne  con- 
naissez pas.  Vous  pousseriez  presque  la  mauvaise  humeur  jusqu'à 
préférer  aux  estimables  et  curieux  tableaux  de  M.  Daniell ,  les  pi- 
quans, mais  impossibles  caprices  d'un  paravent  de  laque. 

Ce  nous  est  toute  joie  présentement  d'en  être  venus  à  ces  quatre 
illustres  artistes  qui  ne  nous  laissent  plus  d'embarras  que  celui  de 
les  louer  dignement.  Ce  n'est  pas  entre  de  pareils  hommes  qu'il 
convient  d'assigner  des  rangs.  Rechercher  et  marquer  les  diffé- 
rences de  leurs  talens  est  l'unique  tâche  imposée  ici. 

M.  Callcott  se  plait  surtout  à  baigner  de  ruisseaux,  de  larges 
rivières,  les  rives  fleuries  de  ses  campagnes,  les  quais  brillans  et 
animés  de  ses  villes.  Jamais  son  ciel  n'est  tout-à-fait  pur;  toujours 
vous  le  voyez  un  peu  nuageux;  l'horizon  est  humide,  limpide  et  ar- 
genté. Il  semble  qu'il  ait  toujours  plu  la  veille  sur  les  paysages  de 
ce  peintre,  tant  Tair  y  est  frais,  vivifiant,  embaumé. 


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LA  PEINTURE  BT  LA  SCULPTURE  EN  ANGLETERRE.      17 

M.  ColKns  DOQs  conduira  plus  rarement  au  bord  des  eaux;  ou 
si\  nous. mène  près  d*un  étang,  le  flot  est  si  tiède,  qu  il  ne  nous  ra- 
fraîchit pas;  nous  voudrions  nous  baigner.  Il  y  a  une  chaleur  d'été 
et  une  force  de  soleil  jusque  sous  ses  plus  épais  feuillages  qui  ou- 
yrent  les  pores,  et  dilt^tent  tout  votre  être,  qui  vous  emplissent  de 
toute  la  vie  feconde  de  juillet  et  d*août. 

Mais  quelle  est  cette  tombe  au  fond  d*une  double  rangée  de  peu- 
pliers maigres  et  couronnés?  Des  gouttes  brillantes  scintillent  aux 
feuilles  maladives  qui  tremblent.  Une  biche  craintive  traverse 
Favenue  et  se  dérobe.  D*où  vient  que  cette  composition  si  simple 
TOUS  remue  si  profondément?  Ce  n*est  certes  pas  parce  que,  sur  la 
pierre  du  monument,  vous  lisez  le  nom  célèbre  de  sir  Joshua  Rey- 
nolds. Tout  le  secret  de  votre  impression  est  entre  votre  ame  et 
celle  du  peintre.  Cest  que  M.  Constable  est  maître  parmi  les  maî- 
tres du  domaine  idéal.  Aussi,  n'est-il  pas  intelligible  à  tous,  ni 
même  aux  élus  à  toute  heure.  Vous-même  qui  pleurez  maintenant, 
vousn*avez  pas  toujours  vu  la  nature  telle  que  cette  toile  passion- 
née vous  la  montre;  mais  vous  Tavez  aperçue  ainsi  soit  un  matin, 
soit  un  soir,  quand  vous  alliez  aux  champs,  le  cœur  palpitant  et 
gonflé,  regardant  vaguement  à  travers  vos  pleurs,  sans  savoir, 
sans  vous  demander  s'ils  étaient  de  joie  ou  de  soufFrance. 

Votre  regard  recule  ébloui.  Voici  une  ville  d'or  et  d'argent  dans 
une  nuit  d'azur,  une  ville  en  fête,  une  ville  inondée  de  masques, 
embrasée  de  feux  d'artifice,  confuse,  folle,  enivrée,  pleine  de 
flambeaux  sur  la  rivière  et  dans  les  rues;  —  et  puis,  là -bas  c'est 
une  autre  vile,  rayonnante,  enflammée  aussi,  mais  d'une  autre 
flamme,  de  la  flamme  du  ciel  :  c'est  Rome,  la  ville  éternelle,  tout 
allumée  sous  les  rayons  d'un  soleil  en  feu  qui  se  couche  ;  —  plus 
loin,  c'est  un  coin  du  monde  inconnu,  que  la  seconde  vue  seule  de 
M.  Turner  a  découvert.  Une  montagne  à  votre  droite  a  pour  dia- 
dème de  sublimes  palais  radieux ,  qui  semblent  une  cité  du  ciel  ; 
Uen  loin  au-dessous  serpentent,  dans  la  plaine,  des  ruisseaux 
d  opale  liquide,  et  se  dressent  les  collines  tapissées  d'émeraudes, 
jonchées  de  rubis,,  de  turquoises,  de  topazes,  d'améthistes,  où  les 
chèvres  et  les  génisses  blanches  passent,  en  se  jouant,  la  tête  à  tra- 
vers les  touffes  de  ces  fleurs  étincelantes.  Une  lumière  impossible 
à  soutenir  submerge  toute  cette  fantastique  perspective.  —  Com- 
bien d'hommes  ont  vu  ces  choses  ailleurs  que  sur  les  toiles  de 

TOME  VII.  .  ^ 


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18  ftCVUE  SCS  »CVX  HCmDBS. 

M.  Tumer?  dkes-^roufl,  surpris  et  incrédrie. — Veits  avez  r^isott  : 
bÎMi  peu  toi  tut  vues;  et  o&ax  «pii  les  Toient,  ce^sonc  les  iwpfarée 
OH  les  naïades,  les  artistes  duoisis,  les  poètes. 

il  ne  fiMt  pas  s'itomwr  qoe  des  étrangers  ii*adinetteat  pas 
doublée  tocKe  {a  puissanee  et  tome  Torigiiialité  de  ce  ténéraire 
génie.  A  peine  est-il  bien  reccNma  ehez  les  siens.  D  n*a  même  là 
qa'iin  nombre  fort  Unité  de  Téritables  admirateurs.  Au  moins 
ceax-là  «mt^  dévoués  et  fanatiques.  On  émett»t  derast  Yma 
d'evx  le  doute  qne  le  ciel  eût  jamais  eu  la  ooulear  janne  d*ocre  que 
M.  Tvmer  iai«vait  damnée  dans  Ymn  de  ee»  plus  féeriques  paysa- 
ges:— ^Tant  ptsponr  le  ciel,  s*éeria  le  croyant;  sHl  a*a  pas  pris  en- 
core cette  couleur, il.a  eu  grand  tort,  et  il  la  prendra  certamenest 
quelque  joor. 

Redescendons  vite  au  second  étage  ;  les  petits  ca ires  et  les  petits 
portraits  ne  nous  retiendront  guère,  nalgré  leur  respectable 
quantité. 

J*e^iine  fort,  imds  Toilà  tout,  les  aombreiises  aqnarelles*por- 
traits  de  M.  Ghalon,  Tacadémicien. 

Deni:  copies  sxr  émail,  de  M.  Bone,  diaprés  Van-Dyek,  sont 
d'iiabiles  et  faenrouses  reproductions  de  lenrs  glorieux  modèles. 

n  y  aurait  beaucoup  à  louer  de  détails,  dans  la  foule  serrée  des 
nniatnres,  beaucoup  de  soin,  de  déiteatesse,  de  sayoir-4aire  et 
de  fini.  B  conviendrait  de  recommander  prindpalemeot  M.  Bar- 
day,  M.  Denning,  M.  Roberston,  M.  Ross,  M.  Booth,  M.  Rocbard 
et  AL  Newton.  Paormi  tous  les  petits  chefs-d'œuvre  de  grâce  exté- 
rieure et  d'exécution  matérielle  qu'ont  exposés  ces  artistes  divers, 
je  confesse  toutefois  avoir  cherché  vainement  im  visage  qui  me 
nontrÀt  son  ame  et  m*y  laissât  lire,  comme  la  moins  achevée  des 
figures  de  M"^  de  Mirbel. 

Nous  sommes  au  rez-de-chaussée ,  où  nous  attendaient  les  sculp- 
tures, et  dans  une  obscurité  presque  complète,  grâce  à  la  proxî- 
nité  du  sol  et  aux  ténèbres  qoe  continue  de  nous  faire  le  mois  de 
mai.  N'mporte;  la  blancheur  des  marbres  percera  bienlAtceito 
wât  malencontreuse. 

C  eât  été  un  beau  sujet,  placé  à  la  porte  de  la  salle  où  nous  en- 
trons, que  la  Sculpture  pleurant  le  repos  de  M.  Chantrey.  M.  Cha»- 
trey  ne  se  lasse  pas  de  son  inaction;  il  n'a  rien  produit  encore 
cette  année*  Ce  n'est  pas  Ykg^  pourtant  qui  lui  a  engounfi  la  i 


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LA  PEINTURE  BV  LA  SGULtTUSB  BM  ANGLETERRE.  19 

etefi  a  bk  tomber  to  cbeair.Seiaîthce  xfm,  eouromiè  d»  laurier 
académique ,  satisfait  de  <e  qa  3  »  obteunds  gloir»  méritée ,  H  juge 
son  œuvre  accomplie,  et  ne  plus  rien  devoir  au  présent  ni  à  1  ave- 
nir? n  se  U'omperait  faialement  albra^  ShakBpeaore  ne  \m  a-trit  pas 
dit  quel  grand  calomntat^r  est  le  Temps,  et  comme  il  obscurcit 
promptement  les  noms- les  plus  iUusttes,  qui  ne  se  rappellent  pas 
eux-mêmes  à  leurs  contemporains  par  une  action  de  ehaque  jour? 

M.  Baily  est  le  seul  des  académiciens  sculpteurs  qui  ne  se  soit 
point  profondément  endormi  dans  son  CauteuiL  Malheureusement, 
tout  ce  qu'il  a  produit  est  lois  d*ôtre  parfait.  Sa  Mijmphe  asëoupie, 
son  morceau  pr'ncipal,  me  choque  surtout  et  me  mécontente.  Est- 
ce  lA  nno  nymphe  d*abord?  Cette  fille  bouffie,  aux  membres  ro- 
bustes, a-t-elle  été  jamais  de  ces  légères  et  sveltes  beautés  qui  sui- 
yaient  Diane  à  la  chasse  et  devançaient  les  biches  à  la  course?  £t 
puis,  à  ne  la  prendre  que  pour  une  très  réeUe  et  saisissable  mor- 
telle d'aujourd'hui,  cette  femme  ne  dort  pas;  jamais  vous  ne  la 
verrez  s'éveiller.  £lle  est  ensevelie  dans  son  1 1  de  marbre;  elle  est 
morte. 

Au  méini&VÉvêffue  de  Limerick^  du  même  artiste,  ofiïre-C*tt  une 
belle  attitude  pensive  et  un  fidèle  ressouvenir  de  eeile  profonde 
expression  recueillie  qui  rendait  si  frappanl»^  la  physionomie  du 
savant  prélat. 

Cesi  une  ingrate  et  nutile  besogne  que  à»  critiquer  de  laborieux 
efforts  auxquels  le  succès  n  a  point  répondu.  Je  passe  devant  nom- 
bre de  figures  et  de  groupes  mythologiques  sass  signification,  sans 
caractère ,  et  je  m'approche  de  la  feule  des  bustes. 

Je  regrette  d'abord  de  trouver  parmi  eux,  les  dépaesant  à 
peine  de  la  tète,  une  petite  statue  de  lord  John  Russell,  drapée  en 
sénateur  romain.  Lord  John  liUissell  sculpté  de  cette  taille  et  sous 
ce  costume,  voilà  une  idée  doublement  malheureuse I  £ût-il  voulu 
grossir  sacoliectioode  caricalfures anglaises,  M.  Dantan  ne  s  y  fût 
pas  pris  autrement.  Rien  de  moins  noble,  rien  de  moins  grandiose, 
que  1  air  et  les  attitudes  du  noble  lord,  et  par  conséquent  rien  de 
moins  propre  à  la  toge  antique.  En  outre,  la  stature  de  ce  ministre 
est  si  exiguë,,  si  chétive;  lavez-vous  vu  une  fo  s,  vous  avez  gardé 
de  sa  personne  un  si  imperceptible  souvenir,  que  vous  avez  bonne 
eavie  de  le  croire  représenté  ici  de  grandeur  naturelle.  Il  se  peut 
que  le  célèbre  fils  du  duc  de  Bedford  ait  eu  la  faiblesse  de  se  com- 

2. 


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20  RBVUB  DES  DBOX  MONDBS. 

mander  ainsi  lui-même,  afin  d*avoir  place  plus  aisément  sur  les 
cheminées;  sinon,  c'est  M.  Francis  lutméme  qui  Ta  rendu  méchain- 
ment  bien  ridicule. 

M.  Francis  a  fait  meilleure  justice  à  lord  Melbourne.  H  Ta  saisi 
où  il  le  fallait  saisir,  eii  un  de  ses  magnifiques  mouvemens  de  colère 
éloquente;  il  a  bien  irrité  s  jn  marbre,  il  lui  a  bien  dressé  la  tête,  gon- 
flé les  artères,  ouvert  la  narine,  enflammé  Tœil.  Oui,  c*est  là  le  chef 
du  cabinet  whig  à  la  chambre  des  pairs,  lorsque  provoqué,  poussé 
à  bout  par  Timprudente  opposition  des  tories ,  il  s*élance  enfin  , 
éclate  et  les  foudroie  de  sa  tonnante  parole. 

la  tôte  colossale  de  Charles  Kemble  est  une  étude  pleine  de  sin- 
cérité  :  de  grands  traits  inertes,  des  muscles,  de  la  force ,  nulle 
expression,  pas  un  souffle  d*ame,  pas  une  lueur  au  front  1  C'est 
celai  Mais  le  buste  était  facile.  Ce  comédien  était  déjà  de  marbre 
avant  d*étre  sculpté. 

Deux  petits  bas-reliefs  sollicitent  de  nous  un  dernier  regard  à 
la  sortie  de  la  salle. 

L'un  prétend  figurer  la  chute  de  trois  mauvais  anges.  J'en  de- 
mande pardon  à  M.  Archer,  mais  jamais  ces  trois  grimaciers  con- 
vulsionnaires  qu'il  précipite,  n'ont  eu  d'auréole  au  front,  dans  le 
ciel.  Si  c'était  de  la  lucarne  d*une  maison  de  fous  furieux  qu'il  les 
fit  tomber,  à  la  bonne  heure. 

L'ange  gardien  d'une  clochette  bleue,  légère  sylphide  qui  se  ba- 
lance, blottie  au  fond  de  la  fleur  dont  elle  est  lame,  caractérise 
bien  le  jeune  talent  délicat  et  gracieux  de  M.  R.  Westmacott,  et 
nous  laisse  quitter  Somerset-Uouse  un  sourire,  satisfait  sur  les 
lèvres. 

m. 

C'est  l'association  des  artistes  anglais  que  nous  visitons,  ce  matin, 
Suffulk  Street.  Ici  nous  avons  toute  notre  exhibition  de  plain-pied,  en 
un  seul  vaste  appartement  de  cinq  pièces.  Nul  comfort  n'a  été  mé- 
nagé. De  joyeuses  cheminées  oii  brillent  d'excellens  feux  de  char- 
bon de  terre,  nous  réjouissent  la  vue  dès  l'entrée,  car  le  mois  de 
mai  continue  d*étre  aussi  glacé  qu'il  est  sombre. 

Je  vous  ai  dit  que  cette  exhibition  était  l'exhibition  libérale  et 
hospitalière,  le  palais  public  et  commun  élevé  contre  le  palais 


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LA  PEINTURE  ET  LA  SCULPTURE  Elf  ANGLETERRE.      2f 

exdusif  et  privilégié  de  Somerset-Houêe.  Conséqueifkinent  se  sont 
étabKes  en  ces  salles,  et  ont  pris  possession  du  terrain,  trou* 
vant  les  deux  battans  ouverts,  des  légions  de  peintures  qu*on  eût 
sagement  consignées  à  la  porte,  partout  où  la  police  de  Fart  aurak 
eu  on  (actionnaire.  Mais  ce  ne  sera  pas  moi  qui  condamnerai  jamaîa 
Tabus  même  de  la  liberté.  Seulement  je  profiterai  de  mon  droit 
d'abréger  notre  visite  et  de  ne  vous  présenter  que  le  nombre  fort 
restreint  des  artistes  dignes  de  Tintroduction. 

Et  d*abord  détournons  avec  soin  le  regard  de  quatre  ou  cinq 
immenses  toiles  effroyables,  et  de  je  ne  sais  combien  de  portraits 
en  pied,  qui  ont  accaparé  une  bonne  partie  du  salon  principal.  Les 
portraits,  je  vous  en  avertis,  ne  sont  pas  en  moindre  force  à  ce 
bout  du  Sirand  qu'à  Fautre.  Prenez  garde  surtout  aux  iheriffs  et 
à  leurs  robes  rouges.  Ne  laissez  pas  imprudemment  errer  votre 
œil  de  leur  côté. 

Allons  droit  vers  le  patron  de  céans,  M.  Haydon,  le  robuste  et 
courageux  Atlas  qu'  porte  presque  à  lui  seul  toute  Tassociation  $ur 
ses  épaules,  bien  qu*il  n*en  soit  pas  lui-même  membre  officiel. 
M.  Haydon  est  le  grand  antagoniste  de  TAcadémie  royale  qu'il 
bat  en  brèche  incessamment  dans  ses  lectures  publiques  ;  il  Taccuse 
d'avoir  dégradé  Fart  :  elle  a ,  déclare-t-il  (  et  c'est  le  crime  irré- 
missible ),  elle  a  intronisé  le  portrait  et  le  paysage,  et  chassé  l'his* 
toiredu  temple.  En  homme  consistant,  M.  Haydon  soutient  son 
dire  de  son  pinceau;  il  peint  de  l'histoire  tant  qu'il  peut. 

Or,  void,  de  sa  foçon,  un  sujet  historique,  ou  plutôt  religieux  : 
le  Christ  reuw  ciantle  fils  de  la  veuve, 

L*école  anglaise  a  sobrement  exploité  le  pieux  domame  de  l'Écri- 
ture. Lai  jBison  en  est  simple.  Le  protestantisme  fermant  son  église 
aux  peintures  sacrées,  quel  sanctuaire  les  accueillerait?  Toutefois 
le  défunt  président  West  a  tenté  la  représentation  de  quelques 
scènes  du  Nouveau-Testament  ;  mais,  quoiqu'il  les  ait  tenues  lui- 
même  de  son  vivant  pour  chefs-d'œuvre,  elles  sont  demeurées 
aossi  chefs-d'œuvre  que  ses  autres  ouvrages  profanes. 

Son  précédesseur  au  fauteuil  le  plus  justement  célèbre,  sîr  Jos- 
hna  Reynolds,  eut  un  jour  la  mauvaise  pensée  de  créer  aussi  sa 
Saitue  Famille.  On  la  peut  voir  maintenant  dans  la  Galerie  natlonaU 
de  Londres;  et  Dieu  sa't,  à  la  honte  ineffable  de  l'illustre  baro-^ 
net,  cfuelrôle  joue  là  ce  croupe  hébété  de  flçures anglaises ^rqiiv 


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J 


s  ESne  MB8  DIUX  MoraiEs. 

1^  de  grog^,  en  la  c«iii]^agiiie  des  fsunîiies  yradmenl  gtintes  d'Aw- 

dvé  del  Sarto  et  du  TiJ^en  t 

M.  HaydoD,  ce  terrible  poorfettdear  d'académiciens,  a-t-^Iinievi 
interprélé  FËcriture  que  ces  deux  présidens  d'Académie?  A 
peine,  hélas  1  Son  Christ  n'a  rien  du  Christ.  Ce  n*est  pas  le  Sauveur 
qui  rappelle  une  ame;  c'est  un  homme  vulgaire  qui  regarde  stupi^ 
dément  se  ranimer  un  corps.  La  face  convulsive  du  ils  n*est  pas 
celle  d'un  mort  réveillé  se  levant  du  tombeau,  mais  bien  d'ua 
vivant  désespéré  qui  veut  y  descendre.  Pourtant,  malgré  son  atti- 
tude pénible  et  mal  précipitée,  elle  est  belle  cette  mère  tenant  en»- 
brassé  so»  enfont,  rassurée  d^,  calme  et  souriante.  Elle  ne  craint 
plus,  elle  se  confie  ;  car  ce  cœur,  hier  insensible  sous  sa  main , 
revit  à  présent,  la  repousse  et  palpite.  Certes  le  sien  lui  bat  aussi  et 
£luMidemeiit  la  poitriae,  à  Tartiste  qm  a  senti  cette  sublime  joie 
maternelle,  et  Fa  exprimée  avec  ce  bonheur.  Quelle  pitié  qu'une 
pareiUe  puissance  d'ame  s'étouffe  elle^m^me  sous  tant  d'énormes 
défauts  et  soit  si  souvent  insuffisante  à  les  racheter  1 
.  Le  respect  de  au  méril»  fourvoyé  me  fait  éviter  uneautre  large 
toile  historique  de  M;  Uaydon,  où  je  blâmerais  tout  inhumainement, 
jusqu'à  un  bout  de  cM  du  Tinteret,  que  j'admire  fort  chez  le  maf- 
tte  auqnel  il  est  dérobé,  mais  qo*il  n  est  plus  permis  d'approuver 
ailleurs* 

Deux  esquisses,  cPune  dimeosian  fort  restreinte,  nous  vont  mon^ 
trer  une  nouvelle  face  du  talent  de  M.  Haydon. 
.  La  première  est  empruntée  du  grand  préteur  des  peintres  an- 
glais, de  Shakspeare.  C'est  après  la  fameuse  aventure  de  Gadsh  11, 
daas  la  preMère  partie  de  Ifenrt  tV.  Le  prince  a  bien  son  air  per- 
fsitemeni  raalideux,  moqueur  et  méprisant.  Mais  c'est  le  gros 
diavalisr  surtool  q«ïl  faut  adtairer  : 

a  D*ye  thiok  I  dîd  oot  know  ye.  Hall  ?  » 

Et,  en  aventurant  son  insidieuse  question,  il, traverse  du  regard 
Henry  tout  entier.  L'expression  complexe  de  sa  physionomie  est 
incomparable;  la  curiosité,  l'inquiétude,  l'effronterie,  l'astuce, 
Findifférence,  rien  ne  manque;  chaque  passion  a  son  muscle  mis 
en  mouvement.  Oh  I  voilà  le  vrai  Falstaff ,  l'unique  que  nous  ayons 
f  encontre  parmi  les  milliers  d'usurpateurs  de  son  nom.  Le  peintre  a 


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LÀ  PEINTURE  ET  t.A  SOCIU»TinSE  Elf  ANGLETERRE.  SS 

«Nopris  que  cet  immertel  Mros  de  trois  drames  immortels  était 
Mt  antre  chose  qu'im  ignoble  bonffim  empêtré  de  graisse  et 
rameau  ventre. 

Joim  Bull  à  déjeuner,  John  Bull  inondé  d'embonpoint,  goutteux, 
inpotent,  John  BuU  entouré  de  monoeaux  de  rotM-beef  ei  de  jara- 
bon,  qui  s*écrie  mélancoliquement  :  —  Nois  êomme^  une  nation  rut-* 
ûe!  —  ce  John  BuH-là  est  une  âéiiciefise  personnification  de  Yé- 
goisme  britannique,  — plaisanterie  d'autant  plus  exquise  qu'elle  est 
grave  et  triste  comme  le  peuple  qu'elle  in  lividualise. 

Possesseur  de  si  éminentes  qualités,  de  qualités  si  voisines  dm 
génie,  malheureusement  M.  Haydon  ies  obscurdt  par  trop  de  fautes 
inexcusables.  C*est  un  hasard  qu'il  prenne  la  peine  ou  le  temps  de 
composer  ;  il  est  plus  rare  encore  qu  il  veuille  dessiner  et  peindre. 
Ses  cBuvres  ne  sont  guère  que  des  ébauches  d'une  exécution  hâtive 
ei  grossière.  Mais  ces  torts,  la  plupart  volontaires,  ne  sonirils  pas 
doublement  inconséquens  et  makulroits  chez  un  homme  qui  pré- 
tend fonder  une  école,  restaurer  lart soi^iisant  détrôné,  enfin  dé- 
molir une  académie  très  digne  encore  et  très  capable  de  défendre 
son  rempart? 

M.  Huristone  n'^^st  pas  uniquement  «m  peintre  de  portraits  con« 
sciencieux  et  habile;  ses  baronets,  ses  hoiiorables  ladies,  ses 
membres  du  parlement  sont  bien  Anglais  jusqù*au  bout  des  doigts. 
D  a  fait  pleine  justice  à  Tauguste  gravité  de  ses  fiers  compa* 
triotes.  Du  reste  il  ne  s'est  point  abstenu  daller  chercher  ailleurs 
la  vraie  beauté,  Texpression  naïve  et  la  poésie.  Sa  Paijsunne  de 
FroAcati  et  ses  Jemea  muleliers  des  Abrazzex  vous  invitent  de  l'air, 
du  sour're,  de  la  parole,  et  vous  emmènent  tout  d'abord  sous  leur 
ciel  béni. 

Rien  de  séduisant  comme  le  coloris  des  tableaux  de  M.  Huri- 
stone. Néanmoins  je  n*ose  Fapprouver  absolument.  J'ai  peur  qu*il 
ne  soit  une  certaine  combinaison  d'emprunts  déguisés.  On  dirait 
un  coloris  de  coalition  ;  notre  artiste  n'aurait-il  pas,  par  exemple, 
ion  du  sur  sa  palette  et  m^lé  quelques-uns  des  tons  vaporeux  de  sir 
Joshua  Reynolds  et  de  Murillo? 

n  y  a  de  l'air,  du  soleil,  de  Tanimation;  il  y  a  de  l'Italie  dans  la 
plupart  des  paysagrs  italiens  de  M.  Linton,  quoiqu'il  faille  leur 
reprocher  un  peu  de  confusion  et  l'abus  des  teintes  dorées.  Je 
■l'aflligeée  me  pocvoir  accorder  aucun  de  ces  éloges  restrictifs 


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24  REVUE  DBS  DEUX  MONDES. 

à  rimmense  toile  sur  laquelle  M.  Lînton  avait  fondé  sans  doute 
Fespoir  principal  de  son  année.  Servile  imitation  d*un  style  interdit 
surtout  aux  imitateurs,  sa  Jérusalem  sous  les  ténèbre.^  pendant  la  mise 
en  croix  rappelle  uniquement  Tabsence  de  M.  Martin.  Où  se  dé- 
robe-t-il,  ce  grand  poète  biblique  qui  s'est  trompé  d'instrument  et 
a  pris  un  pinceau  au  lieu  d'une  harpe?  Exclu  si  durement  des  bon- 
neurâ  académiques,  qu'il  briguait,  ne  se  console-t-il  pas  de  cette 
injure?  N'a-t-il  plus  seulement  le  courage  de^protester  Su f folk- 
Street  contre  les  préventions  de  Sonierset-Honsc?  Ou  bien  serait- 
ce  qu'il  a  épuisé  sa  puissante ,  mais  stérile  antithèse  de  lumière  et 
d'obscurité,  d'architecture  colossale  et  d'imperceptibles  humains? 
Serait-ce  qu'il  ne  lui  reste  rien  à  dire? 

M.  Davis  est  l'Abraham  Cooper  de  l'association  des  artistes  bri- 
tanniques. Ses  portraits  de  chevaux  sont  frappans,  affirment  tous 
ceux  qui  connaissent  les  modèles.  On  admire  fort  aussi  l'ardeur  et 
là  fougue  de  ses  courses.  Ses  chasses  ne  sont  pas  moins  populaires. 
La  foule  ébahie  se  presse  autour  de  ses  rubans  encadrés  où  les  es- 
cadrons de  cavaliers  et  la  longue  traînée  des  chiens  sillonent  la 
plaine,  haletans,  ventre  à  terre.  Pour  moi,  je  reconnais  volontiers 
la  valeur  de  ces  chaudes  peintures  des  joies  nationales  anglaises  ; 
mais  je  me  confesse  incapable  de  me  pâmer  long-temps  devant  elles. 

Je  n'ai  pas  cité  les  vastes  intérieurs  d'églises  espagnoles  que 
M.  Roberts  a  produits  à  Somerset-Uoitsc;  je  ne  crois  point  de- 
voir citer  davantage  les  vastes  intérieurs  d'églises  françaises  qu'il 
expose  à  Suffolk  -  Siree!.  Ce  dessinateur  n'est  à  son  aise  et  ne 
triomphe  que  dans  le  petit.  Ses  illustrations  des  keepmkcs  de  Gre- 
nade et  d'An  jalousie  sont  de  jolies  vignettes.  Elles  traduisent 
d'ailleurs  l'Espagne  comme  on  a  traduit  jusqu'à  présent  Don  Qui- 
chotte. 

El  quand  je  parle  ainsi  dédaigneusement  du  petit,  observez  que 
je  ne  traite  point  de  petite  toute  œuvre  d'une  dimension  étroite  et 
réduite.  Eussé-je  cette  impertinence,  en  la  salle  même  où  nous 
sommes,  les  délicieux  paysages-miniatures  de  M.  Creswick  me 
donneraient  un  démenti  bien  formel  et  fondé. 

Des  sculptures  de  Suffolk-Street,  nous  aurons  la  générosité  de 
n'en  point  parler,  ou  du  moins  d*en  très  peu  parler. 

Sur  trente  bustes  environ ,  à  peine  cinq  ou  six  accusen^ils  ua 


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Uk  PEIirrURB  BT  LA  SCULPTURE  Elf  ANGLETERRE.  26 

certain  savoir-faire  et  quelque  facilité  de  ciseau;  aucun  ne  nous 
montre  de  physionomie  vivante  et  qu'éclaire  un  rayon  d*anie. 

,Ce  qui  vaut  mieux  que  tout  le  reste,  c*est  un  petit  nombre  d'es- 
quisses en  glaise  et  en  cire,  et  de  bas-reliefis  ébauchés.  Sérieuse- 
ment repris  et  développés  dans  le  marbre,  ces  essais  se  pourraient 
transformer  un  jour  en  œuvres  véritables;  jusqu'à  présent  il  n*est 
permis  de  les  considérer  que  comme  des  indications  heureuses» 


IV. 

Si  nous  consultions  uniquement  la  somme  de  .mérite  que  produit 
cette  année  la  société  des  peintres  d*aquarelle,  nous  nous  arrête- 
rions longuement  dans  la  jolie  salle  fashionable  de  PallrMalU 
East;  mais  nous  n*y  avons  à  étudier  qu*un  seul  genre  de  peinture* 
Nous  irons  donc  encore  plus  vite  à  travers  cette  brillante  exhibi- 
tion. 

Parmi  les  féconds  artbtes  associés  qui  Tenrichissent  péridioque- 
ment,  M.  G)pley  Fielding  est  sans  contredit  le  plus  fécond  et  Tuii 
aussi  des  plus  méritans.  Prendre  une  à  une  toutes  ses  aquarelles, 
ce  serait  impossible.  Il  n'en  expose  guère  cette  fois  que  quarante; 
mais  c*est  de  sa  part  discrétion  inaccoutumée  :  d'ordinaire  il  va 
au-delà  des  cinquante.  Et  qu*on  ne  lui  reproche  pas  la  monotonie 
des  sujets  :  il  se  varie  et  se  renouvelle  incessamment.  Vous  ne  le 
voyez  pas,  il  est  vrai,  s'éloigner  beaucoup  de  ses  Iles  britanniques; 
mais  quelle  falaise  de  leurs  cAtes,  quelle  de  leurs  montagnes  ou  de 
leurs  plaines,  quel  lac  perdu  de  rEcosse,.quel  antique  manoir  an- 
glais enseveli  sous  son  parc  ombreux,  quel  recoin  du  pays  ne 
fouiOe-t-il  pas  et  laisse-t-il  inexploré?  Ce  n*est  pas  même  pourtant 
l'exigence  de  son  art  qui  le  pousse  à  parcourir  ainsi  les  trois 
royaumes.  Vous  renfermeriez  dans  le  seul  comté  de  Hiddlesex 
qu'il  ne  serait  pas  plus  empêché  de  fournir  à  Pail-Mall  son  conti»- 
gent  annuel.  De  fait,  quand  on  po'ssède  ce  sentiment  de  la  nature 
qu'il  a  si  profond  et  intense,  en  quel  lieu  pauvre  et  stérile  n'est-elle 
point  sufisante?  Donnez-lui  ce  matin  pour  prison  de  sa  journée 
quelque  pelouse  chauve  et  maladive,  qui  n'ait  pas  une  cabane,  pas 
on  arbre,  pas  une  fleur,  pourvu  qu'il  garde  la  vue  libre,  pourvu 
qa'fl  puisse  suivre  le  soleil  de  son  aurore  à  son  coucher,  traversant 


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iM  ^el  fmr  ou  sonbre;  demain,  s'il  lui  platt»  il  toos 

quatre  pages  Bierveilleaae»»  où  trÛMMplMBnMi.IepfiftaeBps^fiM^ 

raiilOBMOy  rhiver,  —  les  ^pialre  saisons  do  jour. 

,   IL  Gopley  Fieldiiig,  ee  graml  aocafareur  des  paimeaiiai  de 

P^U^nuM^  ne  s'y  est  cependant  pas  établi  lesetd  paysagisto.  Qiioi^ 

9i*il  soit  incoDtesublemeal  le  premier,  phtsieuKs  après  M  scnmt 

très  dignes  d'é4re  nonmés. 

Je  mentionnerai  seulement  la  fraternité  singulière  de  deux  ar- 
tistes très  capables  de  voler  chacun  de  leurs  propres  ailes ,  mais 
qui  préfèrent  souvent  associer  leurs  mérites  distincts  :  je  veux 
parler  de  M.  Tayler,  que  vous  voyez  menant  ses  troupeaux  et  ses 
kergers  par  les  diamps  et  les  pâturages  de  M.  Bàrret. 

M.  Prout  semble  avoir  bériié  de  quekfues-oaes  des  toodies 
du  pinceau  de  BoningtiMi.  Ses  vieilles  r«e»  et  ses  intérieurs  nous 
arradicot  de  la  solitude  des  chanps,  et  nous  repiongent  dans  h 
foule  des  bameanr  et  des  viUes. 

John  Bull,  cet  infatigable  touriste,  qui  c^nna'l  si  parfaitement 
les  moindres  peuplades  des  quatre  parties  du  monde,  ne  sait  rien 
et  rif lande,  sa  s<£«r,  si  ce  n*esl  q«'elle  awurt  de  faim  à  la  porté 
de  l'An^eterrec  M.  Evans  svpplée  aujourd'hui,  par  sa  pemcore', 
à  cette  ignorance.  Il  montre  la  nobWsse  affable  de  ces  Iriaih 
dais  que  le  terisme  transfemoit  en  savrages,  la  grâce  touchante, 
la  a«a.ve  beauté  de  lears  feMmes;  ec>  aSn  que  John  BuB,  qui  est 
eonuneTboottSyne  domte  poûv,  ille mène  partout  dans leors cités, 
dans. leurs  villages,  dans  lears  marchés,  dans  leurs  cabanes»  Il  ne 
cnobe  pan  levff  misère,^  loin  de  là;  nais  il  la  représente  digne  et 
flére  dofatenrson  droit,  ioba  Bull  profilera  sans  doute  de  Pin- 
nlrnction»  Elte  fortiiera  la  bonne  întenlîoa  qn  il  a  présentement  de 
iûre  justice  k  sa  seetir,  et  de  Ini  jeter  qu^qnes  nnettes  de  sa  tabld 
nplendtde. 

Bu  reste,  les  scènee  irlandaises  de  M.  Evans  portent  av«e  dhn 
nn  oarastère  auquel  il  n'est  pa9  permis  de  se  méprendre.  Tons 
nfaren  pas  vimté  le  beavpays  malheureux  qu^efles  ont  réi^.é,  et 
f  oii»^ètes  eercain  pourtant  de  l'avoir  vu  en  elles.  Combien  ne  pré- 
ftrei<^vo«  pas  Véloge  mmp]B  et  vrai  qu'elles  lui  décernent,  à  h 
frq)erie  poétique  dont  O'Connel}  habiRç  sa  verte  Erin,  an  beat 
ide  toutes  ees  harangues,  étemellenwit  les  mémee? 

Un  antre  nrtisie,  pkis  bviHant,  non  pas  snpérienr,  se  necofli' 


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LA  PEINTURE  fiT  hk  SCULPTeUS .  Sfl  MCGLETERRE.  WF 

muÈÛe  haÊÊ%mKntHi  YeHu  d'im  titre  pareil  à  celw  éé  M.  Era»; 
Ha  su  découvrir  également  une  mine  vierge  e€  en  dégager  auas'tèt 
]e  fikm  d*or.  Le  bonheur  de  H.  Lewis  a  été  grand.  Il  est  le  pr»- 
nier  de  tous  les  peintres  qni  ait  compris  les  mœurs  du  peuple  es* 
pagnol  el  su  extraire  leur  poésie. 

Void  déjà  plusieurs^années  que  H.Lewis  expkMie  abondanneni 
ce  riche  terrain  qu*il  s'est  appn^é.  Jusqu'à  présent,  il  s'était 
borné  à  nous  conduire  par  les  rues  defiéville  ei  de  Grenade,  daas 
leurs  couvens  et  dans  leurs  églises  ;  cette  fois  il  varie  son  spectacle» 
Nous  somvues  introduits  à  lan^bithéAtre;  nous  allons  voir  les 
taureaux  courir. 

Les  deux  coursesqu'expose  M.  Lewis  ne  sont  point  des  morceaux 
achevés,  mais  elles  offrent  un  nombre  infini  d'admirables  détaQs. 
Le  tatxe  de  costume  ées  urervs  amassés  aux  barrières,  leur  ex* 
pression»  leur  air,  leurs  attitudes,  l'empressement  et  la  cobue  aux 
portes,  tout  cela  est  dit  merveilleusement  et  d'uae  saisissante  vé* 
riié.  A  pénétrer  plus  avant  «dans  l'arène,  nous  sommes  moins  sa- 
tisfaits. L'action  est  surchargée  de  trop  d'incidens.  Or,  la  tragédie 
de  la  place  des  taureaux  est  la  plus  simple  de  toutes,  en  mémo 
temps  que  la  plus  terrible.  Jamais  l'intérêt  ne  s'y  divise;  jamais 
deux  points  divers  qui  l'attirent  et  se  le  disputent.  Un  seul,  un 
point  unique  absorbe  et  retient  rivées  les  dix  mille  âmes  humaines 
entassées  là,  regardant,  palpitantes,  la  vie  d'une  de  leurs  scsurs, 
pendue  à  unlU.  Nous  ferons  à  notre  artiste  une  autre  chicane  : 
curieux  et  sagace  obs^vateur  comme  il  est  des  choses  et  des  figu* 
res  locales,  nous  trouvons  qu'il  n'a  pas  suffisamment  étudié  tous 
ses  personnages.  Ces  pauvres  chevaux  des  courses,  tout  invalides 
et squelettesqn ils  paraissent,  ne  sont  pas  de  purs  rossiuantes;  ils- 
témoignent  Jusqu'à  la  fin  de  leur  sang  andidou.  Mous  les  voyons, 
anx  trois  quarts  éventrés,  courir  encore  bravement  à  la  charge, 
etis  tète  haute,  olfrir  fe  poitrail  au  coup  mortel.  Le  peintre  n'a 
pas  traité  beaucoup  plus  fidèlement  ses  taureaux;  il  a  fait  de  très 
Ttyectafales  taureaux  ordinaires ,. non  pas  des  taureaux  espagnols, 
ce  qui  est  tout  autre  «iiose.  Ces  torts,  véniels  pour  nous,  senaient 
inémissibles  aux  yeux  d'un  ofunonodo  véritable.  C'«at  qu'au  cirque 
Ii>cbevjd  et  le  taitfeau  ne  sont  p#int  de  singles  comparses.  L'ac-* 
tcar  principal  est  le  taureau  peut-être. 
Hais  où  H.  Lewis  triomphe  surtout,  •  c'est  dans  son  troisièma 


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2B  AETUB  BBS  DEUX  MONDES. 

tableau  y  qui  montre  Textérieur  d*une  taverne  de  Grenade  un  jour 
de  course.  Et  ne  blâmez  pas  le  choix  de  ce  troisième  sujet ,  si  ana- 
logue aux  autres.  L*art  peut  puiser  sans  crainte  à  toute  source  où 
bouillonne  une  forte  passion  populaire;  l'onde  fécondante  y  est 
inépuisable.  Ici  rien  qui  ne  «oit  irréprochable  et  excellent.  Le 
désordre  est  l'action  ;  la  confusion ,  le  mouvement.  La  foule  aedane 
et  bat  des  mains  aux  toreros  qui  passent.  Pour  elle,  le  spectacle  a 
commencé  déjà.  Deux  picadors  à  cheval  vident  le  dernier  verre  de 
manumitla,  le  coup  de  l'ètrier.  Ils  s'étourdissent,  ils  boivent  Toii- 
bli  du  danger.  Un  matador,  plus  raffiné,  s'enivre  de  pure  galan- 
terie, n  part,  deux  adorables  majas  aux  bras;  Tune,  sa  maîtresse, 
vivra  ce  soir,  s'il  est  vivant.  A  la  porte  du  cabaret  s*est  arrêté  on 
calcHn,  qu'emplit  largement  la  rotondité  d'un  dominicain.  Le  boa 
père  vient  confesser  les  monrans.  On  lui  apporte  en  bouteflle  le 
courage  dont  aura  besoin  son  pieux  ministère.  Cependant  on  frère 
quêteur  va  fort  activement  de  groupe  en  groupe;  l'habile  homme 
n'ignore  pas  que  l'émotion  et  la  joie  font  la  charité  plus  abondante. 
Enfin,  partout  c'est  loriginalité  des  scènes,  la  naïve  barbarie  des 
mœurs,  la  rudesse  des  contrastes,  épiées  Aprement  et  prises  sur  le 
fait;  c'est  toute  cette  neuve  poésie  du  terroir  ramassée  à  pleines 
mains  et  mise  ardemment  en  œuvre.  Une  page  semblable  en  conte 
plus  à  elle  seule  de  l'Andalousie,  que  tous  les  milliers  de  voyages 
accumulés  depuis  vingt  ans  par  les  touristes. 

Un  ouvrage  de  M.  Cattermole  conunande  une  double  attention, 
et  par  son  importance  etpar  la  juste  célébrité  de  l'artiste.  Autant 
M.  Copley-Fielding  est  en  avant  des  paysagistes  de  Patl-Mall,  autant 
M.  Cattermole  précède  les  peintres  du  style  gothique.  Examiaer 
l'œuvre  de  ce  dernier,  c'est  choisir  le  meilleur  échantillon  pour  juger 
le  moyen-âge  de  l'exhibition. 

M.  Cattermole  avait  exposé,  l'an  passé,  une  cellule  d*abbé,  selon'- 
nous  admirée  fort  au-delà  de  ses  mérites.  Certes,  c'était  une  bril- 
lante fantaisie.  Toutes  les  richesses  y  ruisselaient  dans  les  flots 
d'un  éblouissant  coloris.  Hais  ce  n'était  pas  là  vraiment  qu'il  fallait 
vider  la  corne  d'abondance.  Ce  n'était  pas  là  le  lien  de  tant  de  gwr- 
landes,  de  tant  de  fruits,  de  fleurs,  et  de  cassolettes.  Le  luxe  des 
nioines  n  a  jamais  été  si  délicat.  Bref,  à  notre  avis,  Tartiste  avait 
peint  un  rêve,  non  point  restitué  une  scène  des  vieux  temps.  Il  n'a- 
vait point  paré  la  vérité;  il  l'avait  travestie  et  fardée. 


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LA  PEINTURE  ET  LA  SCCLPTCmE  EN  ANGLETEMlfl.  29 

Cette  fois,  M.  Catlermoie  8*en  prend  à  on  sujet  tout  sanglant  et 
terrible.  Cest  le  meurtre  de  l'évéque  de  Liège,  la  grande  scène  du 
roBMin  de  Walter  Scott  qu*il  représente.  Beaucoup  de  parties  de 
cette  vaste  composition  sont  di^s  d'un  haut  éloge.  Le  contraste 
surtout  est  magnifique  entre  la  vèfiérable  et  paisible  figure  de  la 
Ticthne  sous  le  sabre  du  bourreau  et  la  hideuse  convulsion  des 
.  traits  de  Fassassin.  Rarement  on  avait  mieux  mis  le  crime  et  la 
rertu  fece  à  foce.  Toutefois,  si  la  verve  abonde  dans  Vexécution, 
l'énergie  déborde  peut-être.  Le  peintre  semble  manquer  un  peu 
démesure  et  de  discrétion.  J'ai  peur  qu*il  n*ait  ici  abusé  de  i'hor- 
ribte,  comme,  dans  la  cellule  de  Tabbé,  il  avait  fait  des  lys  et  des 
roses.  Je  sais  quelle  méchante  et  sauvage  compagnie  était  celle  du 
SangHerdes  Ardetmes,  mais  je  ne  crois  pas  qu*il  n'eât  de  convives  à 
sa  table  que  les  bétes  fauves  qui  hurlent  à  Tépouvantablé  festin  où 
nous  convie  l'artiste. 

Une  dernière  observation  qui  s'adresse,  non  pas  seulement  à 
M.  Cattennole,  quoiqu'il  la  provoque  principalement,  mais  à  plu- 
sieurs autres  notables  peintres  de  Pall-ilall  et  même  légèrement 
à  M.  Lewis. 

Une  idée  téméraire  préoccupe  évidemment  ces  artistes  estima- 
bles. Os  jugent  l'aquarelle  omnipotente  et  capable  de  rivaliser  en 
tout  point  avec  la  peinture  à  l'huile.  Bien  mieux,  hommes  consé- 
qnens  qu'ils  sont,  ils  essaient  de  fortifier  leur  dire  par  leurs  œu- 
vres; nous  ne  sommes  point  accoutumés  à  décourager  les  tenta- 
tives difficiles  et  hardies;  pourtant  nous  confessons  n'avoir  en 
celle-là  qu'une  médiocre  confiance.  Il  se  conçoit  qu'en  dé  certaines 
occasions  l'aquarelle  emprunte  le  secours  d'une  force  et  d'une 
énergie  de  moyens  qui  ne  sont  pas  de  son  essence  ;  —  il  ne  se  con- 
çoit point  qu'elle  se  veuille  faire  absolument  énergique  et  forte 
eontre  sa  nature.  Du  reste,  elle  peut,  ail  lui  plah,  étaler  un  pa- 
pier égal  en  dimension  aux  plus  larges  toiles  ;  elle  peut  le  noircir  à 
son  aise  et  le  charger  de  gomme;  mais  je  tremble  cpi'elle  n'ait  le 
sert  de  la  grenouille  envieuse  du  bœuf.  A  cet  effort  immodéré,  sans 
acquérir  la  puissance  de  sa  rivale,  ne  perdra-t-elle  pas  la  légèreté, 
la  morbidesse,  la  transparence,  ses  qualités  principales  et  essen- 
tiettes? 

A  quoi  bon  d'aiHeurs  dépenser  son  talent  en  usurpations  ha- 
sudeuses?  A  quoi  bon  cette  rage  de  déplacer  les  limites  sagement 


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SOr  ftEVDE  DES  SBDX  IIONDBS. 

posées  des  :g6are8?  Qui  vous  o^BtrfittBt  de  tous  enfermer  dans  la 
salle  étroite  de  Pall-Mall?  Si  la  gloire  de  Qiaitde  et  du  Titien  vous 
empêche  de  dormir,  que  ne  trempez-^ous  votre  pinceau  aux  mêmes 
couleurs  éternelles  oà  ils  trempaient  le  leur?  Dût  Sontënef-JfonBe 
TOUS  fermer  ses  portes ,  ignoroE^^irout  iwmme  vous  sériée  bien- 
yeoMs  et  fêtés  cfaes  vos  frères,  les  associés  'ltt>fes  de  StiffcÊk- 
Strm? 


Nous  avons  redescendu  le  SirmuL  ibtrons  à  Ea^eier-^Oatl^  ai 
s'est  établie  la  nouvelle  «ociété  des  peintres  d'aquar^e.  Cette  der- 
nière visite,  si  cottr4e  qu  eUc/Soit,  nous  sera  méritoire;  car  ce  que 
nous  avons  vu  d*exhîhitiofis  étdil  bieiiipour  nous  satisfaire,  et  ce 
n*est  pas  la  meilleure  qui  nous  reste  à  voir. 

Mais  nods  avons  prorois  d^élre  écpuilaUea;  nous  avons  proMÎs 
de  tout  montrer,  de  ne  soustraire  «aucune  ides  pièces  utiles  aux 
juges.  Achevons  donc  paisiblement  not^e  besogne  de  n^f^r- 
teur. 

Ce  qui  recommande  surtout  la  société  aeuvelie,  c'est  sa  ten- 
dance marquée  vers  ramélioration.  Ainsi  sa  présente  exUbMoo, 
qui  est  seulement  la  cinquième,  est  de  beaucoup  supérieure  aux 
précédentes.  L*année  dernière  encore^  la  saUe^tait  à  peine  ienable 
dix  minutes,  tant  le  méchant  et  le  médiocre  y  deannaient;  cette 
année,  avec  du  loisir,  on  y  peut  passer  une  heure  agréable. 

Voilà  les  bénéfices  que  produit  reeprit.'d'aasocii^on  appKqué  à 
Tart  L'association  est  donùemeat  fécotade*  fin  assurant  les  progrès 
individuels,  eUe  favorise  le  progrès  général. 

M,  peuu  d'ouvrages  frappent  par  Thabifeté  de  rordoanaaoe ,  le 
fini,  la  perfection  du  tiavail.  Presque  tout  est  à  réutd'élia«ciie; 
mais»  sous  la  rude  éoorce  de  bien  4es  «ssais  taforaMs,  firémit  une 
sève  qui  j^llira  «n  jour  «n  4e  IttsmaM  feuillages. 

Dans  le  tfès  petitneinbre  des  choses  <y4«Maent  achevées»  il  oon^ 
Tien&de  citer  les  bijoux  de  M.  BoiviâRg.  Ce  sontle  (dais  souvent 
des  V4ies  de  la  Tamise  en  hiver.  C*«8tle  gnmd  fleuve  oèglisscttl 
les  barques  et  les  navires  voilés  de  brume.  Le  ciel  de  Londres  «tl 
là  chargé  de  iOHtes  ses  «v^ieups.  Cest^wsaràBMmt  le  fcrooilâcKi  de 
la  nMke»  hàmimc^ ifm  ïêxikm^4ir0O9émojm ée  mettre so» 


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LA  PEiimiRE  Ksr  %k  acBLramB  Jin  Angleterre.  31 

Terre  et  d'encadrer.  Ces  jolies  miniatures  sont  toutes,  jeraYOue, 
on  peu  tristes;  mais  est-ce  la  faute  de  M.  Downing,  si  le  soleil  est 
six  mois  de  Tannée  sans  vouloir  luire  pour  la  capitale  de  TAngle- 
terreî 

Le«  Matines  et kspcjaagt sde^M.  Slic^rdnevMiqwneiM  de  relief 
.  ni  de  viet.  Mais  Tiiiexpérienoe  s'j  traHit  évideiHe.  On  reconimh;  que 
fepeiiiue-tâceaiie  et  ebevche  eacoret  B  n*est  pas  le  mttlllr&é&  sa 
com^Hi^Mi.  il  caressé  et  prodigtie  las  dètaifa  oulfe  mesiire.  Ses 
fàatmresrom  fatiguenè  et  TO«d  ébiomsie«l.  Cent  cpifelUis  n*«ttt 
aocttoisefllre.  H  oublie  d'y  marquer  le  poiat  rUmlk 

TtLWMtea,  krdermerqM»iiouBa(jfonvA  nommer,  possède  «ae 
imagiiiitkHi  vÎTe  et  feriHe  ;  c*^t  domaiage  ifaer  le  pinceau  loi  rémie 
aucancet  réafot  in  kieofnpiètieflMnt  sa  pensée.  Qoelq«es-un»di9  sas 
trop  nambreux  ouvrages  doivent  être  cepeadaoc  ans  à  part ,  ak  la 
Terre  al  fcmginaiité  raobèleac  preaqoe  rkKoareaion  et  la  négl- 
geace, 

1/Emkmm'km  de  ia  reine  ÊlUakità  à  Greenwick  e60  une^  dHMde 
etbr91anleiHastratioii>de  la  célèbre  seèneda  romande  i9mlw(ir(fc. 

Dy  ade  ta  grandeav,  il  y  a  dbe  forîeac  dan» cette peiiilore dû 
■eus  YaT«is  ks  siataes  cotoasales  de  ThAbes,  aa  roiMeu  de  Tiaewda- 
tion  du  Nil,  paisiblement  assisessot  leurs  sièges  d^fÇfwAîr^  ra- 
gardaaf^  sourianles,  le  iaave  débordé  qui  aïonfi»  à  peine nouQ- 
fer  leurs  pieds. 

Une  autre  cempeaitiotii  mains  aérieuae  caraccériaeiaieai  peut-* 
être  resprit  d^iniireiitiea  de  iartîstev 

Deaaylphes  et  des  syipkidea  ona  seasmeiM  fcnit  le  jovr  éaas 
leurs  calices  de  roses.  Éveillés  à  la'broae,  Tcrilà  qu  ii^eauuaanosnt 
deeoatir  la^idia^  saaCHaftifetoutfi&deflettr»e»toaflésdefleurs. 
MttA,  frande  avaninael  jvrmie  toge  feuille  d^bortessia  a  reih 
piendi  teut  à  coup  un  aev  tuiaaait.  Auasiièli  les  anias  s^enlaeMt. 
Dae  rende  se  faraae  aatovr  deiloBeatetaNiiBttSD.  L^orehesl^e  aiéoie 
neaMAqvetapas  k  ce  baiiiaapfwisé.  L*iaa  des  srylpbea  a  ptîs  lai 
pétale  4t  thevrafeuHe  n  l'émbeacbe  camme  «ne  f  remp8tte>  taoAs 
qii*un  autre  touche  des  fils  d'une  toile  d'araignée,  ainsi  que  d'aae 
harpe»  Ealeade^Tettale  bruît  deepas  de  ladâMeeeleB  aceords  de 
bi  BMiskiaer  rraiaieot  ilry  a  là  un  sootta  de^poéskifbiicastiqpBe  teat 
shahapearien.  Cette.  Mie  ctas  (tm^  ée  bL  Warvon  ne  désheaMe- 
iak.paa  lea  Mies  finlaisîea  de  la  rené  Ibrt^et  d^sa  eeVi. 


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32  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 


VI. 


Nous  avons  promené  le  curieux  à  travers  les  quatre  exliibiti(Hi8  ou 
nous  nous  étions  engagé  de  le  conduire.  Nous  lui  avons  été  le  plos 
exact  et  le  plus  Adèle  cicérone  que  nous  avons  pu.  Si  nous  n*avonspas 
tout  montré,  au  moins  espérons-nous  n'avoir  rien  omis  qui  dût  être 
particulièrement  admiré.  Nous  n'avons  négligé  aucun  nom  recom- 
mandé hautement  par  son  mérite  ou  son  illustration.  Face  à  face 
avec  les  célébrités ,  nous  nous  sommes  appliqué  à  découvrir  le 
caractère  habituel  et  général  de  leurs  talens,  plutôt  qu'à  détailler 
leur  œuvre  du  jour.  Ainsi  avons-nous  essayé,  non  pas  tant  d'asseoir 
notre  propre  apprédation  sur  une  large  base,  que  do  mettre  cha- 
cun en  état  de  prononcer  de  soi-même,  en  parfaite  connaissance. 

A  cet  effet,  quelques  observations,  déjà  indiquées,  veulent  ètce 
rappelées  et  rapprochées,  afin  d*éclairer  davantage  la  matière. 

On  a  vu  qu'en  Angleterre  même,  d'honorables  antagonistes  de 
l'Académie  déploraient  amèrement  et  flétrissaient  l'abandon  des 
hautes  régions  de  l'art.  Mais  cet  abandon  très  réel  provient  de  cau- 
ses qui  l'expliquent  et  l'excusent. 

11  est  incontestable  que  l'artiste  ne  saurait  travailler  uniquement 
pour  la  gloire.  Il  faut  qu'il  travaille  d'abord  pour  vivre.  La  dure 
nécessité  lui  prescrit  donc  de  faire,  avant  tout,  des  tableaux  capa- 
bles de  plaire  à  ceux  qui  achètent.  Michel-Ange  lui-m^me  n'aurait 
jamais  peint  la  chapelle  Sixtitie,  pour  l'unique  plaisir  d'y  emprein- 
dre gratuitement  son  immortalité. 

Chez  nos  voisins,  la  difficulté  d'aborder  les  sujets  religieux  se- 
rait double.  L'église  protestante  les  a  arrachés  de  ses  murs  comme 
images  profanes.  Ainsi  non-seulement  il  ne  s'agit  pas  de  les  lui  ven- 
dre, mais  l'enthousiaste  M.  Haydon  eût-il  la  fantaisie  de  se  hisser 
jusqu'au  dôme  de  Saint-Paul,  afin  de  le  décorer  bénévolement,  il 
courrait  le  risque  d'être  jelé  hors  du  temple  et  poursuivi  en  sacri- 
ïége* 

D'autre  part,  le  gouvernement  ne  commande  aucune  sorte  de 
tableaux.  L'honorable  chambre  des  communes  n'a  jamais  estimé 
que  le  moindre  (artking  du  budget  dût  être  employé  à  l'encpurage- 
meiit  de  la  peinture  historique  ou  non  historique.  Parce  qu'un  club 


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LA  PKnrnmB  bt  la  scijlptuhe  en  Angleterre.  35 

s'estpris  du  désir  d'avoir  en  soa  salon  une  bataille  navale ,  c*e8t 
U  pure  exception,  nuHement  coutume. 

Or,  à  quel  patronage  Tart  a-t-nl  ététx^ntraint  d'avoir  recours?  Au 
patronagequis'estoflert.  Au  patronage  des  lords,  au  patronage 
des  riches;  mais  quelles  peintures  demandaient  les  riches  et  les 
lords?  Kén  entendu  ce  n'était  pas  la  grande  hbtoire  ;  ce  n*était  ni  la 
grande  histoire  religieuse,  ni  la  grande  histoire  profane  ;  c'étaient 
de  grands  portraits  en  ped ,  pour  les  plus  grands  panneaux  de 
leurs  appartemeiû;  et,  pour  les  coins,  de  l'histoire  en  miniature  » 
des  chasses,  du  paysage  et  de  l'aquarelle. 

Ces  considérations  pesées,  dont  Fimportance  est  gravcy  quand  on 
veut  impartialement  juger  la  situation  de  l'art  eu.  Angleterre,  il 
s'agit  surtout  d'examiner,  si,  dans  les  bornes  encore  larges  et  ho- 
norables où  l'a  enfermé  la  force  majeure,  U  est  suffisamment  fé- 
cond et  prospère,  s'il  compte  assez  de  noms  excellens  qui  Tauto- 
risent  et  le  recommandent.  Là  dessus,  notre  avis  est  affirmatif  et 
nous  pensons  l'avoir  établi  de  façon  à  ce  que  plus  d'un  autre  s'y 
range. 

M^s  au  milieu  de  tant  de  prospérité  et  d'excellence,  s*écrie- 
t-on,  y  a-t-il  une  école  anglaise?  Y  a-t-il  une  école  anglaise  plus 
qu'il  n*y  a  une  école  française? 

Oui,  répondrons-nous  encore,  quoique  moins  absolument.  H  n'y 
a  point  d'école  anglaise  si  vous  exigez  le  caractère  rigoureusement 
tranché  des  vieilles  écoles  flamande,  italienne  et  espagnole.  H  y 
a  une  école  anglaise  plus  qu'il  n'y  a  une  école  française,  en  ce  sens 
que  Fart  anglais  s  est  inspiré  davantage  et  plus  exclusivement  du 
sol  natal,  de  la  nature  indigène,  du  ciel  du  pays  ;  en  ce  sens  qu*il  a 
traité  (dus  de  sujets  purement  nationaux  et  presque  inintelligibles 
au  dehors. 

Mais  Fart  anglais  est-il  l'égal  de  l'art  français?  lui  est41  supé- 
rieur? 

Nous  serions  fort  empêchés  de  répondre  formellement  à  cette 
dernière  question. 

Toute  comparaison  est  délicate  et  téméraire  entre  les  gloires 
analogues  de  deux  peuples  rivaux,  lorsque,  des  deux  parts,  les 
titres  sont  authentiques,  nombreux,  fortement  appuyés. 

Le  rapprochement  conviendrait  mieux,  si  la  balance  penchait  à 
ce  point  d'un  c6té,  qu'il  ne  fût  guère  possible  de  garder  un  doute 

TOUS   VK.  5 


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M  WBLnmm 

«vr  la  piUmimm\.Vcm»semfam  twtfim,  pmtuBmflé^  êb  àkdun 
notre  opinion,  touchant  la  diiduli  Hliiii  Kairn  des  déwt  payt»  ^at 
Aoos  nfhéeîteriMs.  pas  à  dm:  l&ietiMHfi  UMéDatweflnnçaise ar- 
me; kl  noiurelle-ittériilvre  aaghiMJsfea  ti« 

Tel  n'est  potek  cas  €ft ce  qa»lMfteravt;Eir.FffUKe«aMtiie^ 
ment  9  «rrire,  Aeet  arrrré;:  nnie  entiAàglMeneA  eefc^nrifé  aatâ 
et  ne  témoigne  Halenpresaeaient  d» 'partg*. Stahmaal»  paat*te« 
a-44t  ehes  les  une  en  élèratiott  ce  foe  dnelea^acvea  il  Tegtg^ent 
krfpHir.  Okei  lés  français^  l'aifaye'^  boMJimnwntde  eèro,  dretset 
vers  le  ciel  une  superbe*  mm.  Cher  leurs  ftinins^  aea  htaM « 
branehés  se  sontt  desaédiées^  nnieilcMirre  k  pfadn»  fépai»  et 
Tastes  rameaux. 

Uuixm,  le  lOJuiA  1838. 

Loai>F8BUi«» 


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titÊÊmÊÊàm 


IL  NE  FAUT 

JURER  DE  RIEN, 


PROVERBE. 


PERSONNAGES. 

TAN  BUCK,  négociant.  Un  AvBBmGiSTB. 

TALnmn  TAN  BUCK ,  son  nereù.  Vu  Gabçon . 

Uh  Abbé.  La  BABomB  dbPUoitw. 

I}r  XAiTEB  Di  DAHU.  GÉGILB,  sa^o. 

(La  scène  est  à  Paris.) 


ACTE  PREMIER. 

SCÈNE  PREMIÈRE. 
La  chambre  4e  T«)entin« 

YALENTIN  assis.  —  Entre  VAN  BUCK. 

VAN  BDCK. 

HoDsieur  mon  neveu,  je  vous  souhaite  le  bonjour* 

VALSNXIN. 

Jlomîeiir  mon  oncle,  votre  serviteur. 

TâN  BCCK. 

Restez  assis;  f  ai  à  vous  pKter. 

3. 


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3S.  REVUE  IMB8  BBUX  MOHM». 

VÂLBNTIN. 

A8sey;ez-you8;  j*ai  donc  à  vous  entendre.  Veuillez  vous  mettre  dans  b 
bergère,  et  poser  là  vot^re  chapeau. 

VAN  BOCK,  t^asseyaDt. 
Monsieur  mon  neveu,  la  plus  longue  patience  et  la  pins  robuste  obsti- 
nation doivent,  l'une  et  l'autre,  finir  tôt  ou  tard.  Ce  qu'on  tolère  devieol 
intolérable,  incorrigible  ce  qu'on  ne  corrige  pas;  et  qai  vingt  fois  a  jeté 
la  perche  à  un  fou  qui  veut  se  noyer,  peut  être  forcé  un  jour  on  l'autre 
de  l'abandonner  ou  de  périr  avec  lui. 

VALBNTIN. 

Oh!  oh!  voilà  qui  est  débuter,  et  vous  avez  là  des  métaphores  qui  se 
sont  levées  de  grand  matin. 

VAN  BOCK. 

Monsieur,  veuillez  garder  le  silence,  et  ne  pas  vous  permettre  de  me 
plaisanter.  C'est  vainement  que  les  plus  sages  conseils,  depuis  trois  ans, 
tentent  de  mordre  sur  vous.  Une  insouciance  ou  une  fureur  aveugle,  des 
résolutions  sans  effet ,  mille  prétextes  inventés  à  plaisir,  une  maudite 
condescendance,  tout  ce  que  j'ai  pu  ou  puis  faire  encore  (mais,  par  ma 

barbe  !  je  ne  ferai  plus  rien  !  ) Où  me  menez-vous  à  votre  suite  ?  Tous 

êtes  aussi  entêté.... 

VALENTIN. 

Mon  oncle  Yan  Buck,  vous  êtes  en  colère. 

VAN  BOCK. 

Non,  monsieur,  n'interrompez  pas.yous  êtes  aussi  obstiné  que  je  me  suis, 
pour  mon  malheur,  montré  crédule  et  patient.  Est-il  croyable,  je  vous  le 
demande,  qu'un  jeune  homme  de  vingt-cinq  ans  passe  son  temps  comme 
vous  le  faites?  De  quoi  servent  mes  remontrances,  et  quand  prendrez- 
vous  un  état?  Vous  êtes  pauvre,  puisqu'au  bout  du  compte  vous  n'avez  de 
fortune  que  la  mienne;  mais,  finalement,  je  ne  suis  pas  moribond,  et  je 
digère  encore  vertement.  Que  comptez- vous  faire  d'ici  à  ma  mort? 

VALBNTIN. 

Mon  oncle  Yan  Buck,  vous  êtes  en  colère,  et  vous  allez  vous  oublier. 

VAN  BUCK. 

Non ,  monsieur,  je  sais  ce  que  je  fais  ;  si  je  suis  le  seul  de  la  famille  gai 
se  soit  mis  dans  le  commerce,  c'est  grâce  à  moi,  ne  Toùbliez  pas,  que  les 
débris  d'une  fortune  détruite  ont  pu  encore  se  relever.  Il  vou$  sied  biea  de 
sourire  quand  je  parle;  si  je  n'avais  pas  vendu  du  guingan  à  kuftn, 
vous  seriez  maintenant  à  l'hèpiUil,  avec  votre  robe  de  chambre  à  fleurs. 
Mais,  Dieu  merci,  vos  chiennes  de  bouilloUesw ...  I 


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u.  us  FAtJT  nmn  bb  BtKH.  37^ 

Mon  oncle  Van  Bock,  voilà  le  trivial;  vous  changez  de  ton;  vous  vous 
oubliez;  voas  aviez  mieux  commencé  qne  cela. 

VAN  BUŒ. 

Sacrebleu  !  tu  te  moqnes  de  moi.  Je  ne  suis  bon  apparemment  qa'i 
payer  tes  lettres  de  change  ?  J'en  ai  reçu  une  ce  matin  :  soixante  louis  { Te 
raHks-tu  des  gens?  il  t^  sied  bien  de  faire  le  fasbionable  (que  le  diable 
soit  des  mots  anglais!)  quand  tu  ne  peux  pas  payer  ton  tailleur!  C'est 
antre  chose  de  descendre  d'un  beau  cheval  pour  retrouver  au  fond  d'un 
hôtel  une  bonne  famille  opulente,  ou  de  sauter  à  bas  d'un  carrosse  de 
louage  pour  grimper  deux  ou  trois  étages.  Avec  tes  gilets  de  satin,  tu 
•demandes»  en  rentrant  du  bal,  ta  ciiandelle  à  ton  portier,  et  il  regimbe 
quand  il  n'a  pas  eu  ses  étrennes.  Dieu  sait  si  tu  les  lui  donnes  tous  les  ans! 
Lancé  dans  un  monde  plus  riche  que  toi ,  tu  puises  chez  tes  amis  le  dé- 
dain de  toi-même;  tu  portes  ta  barbe  en  pointe  çt  tes  cheveux  sur  les 
épaules,  comme  si  tu  n'avais  pas  seulement  de  qiioi  acheter  un  ruban 
pour  te  faire  une  queue.  Tu  écrivailies  dana  les  gazettes,  tu  es  capable 
de  te  fajre  saint-simonien  quand  tu  n'auras  plus  ni  sou  ni. maille,  et  cela 
viendra,  je  t'en  réponds.  Va,  va,  un  écrivain  public  est  plus  estimable 
qne  toi.  Je  finirai  par  te  couper  les  vivres,  et  tu  mourras  dans  ua 
grenier. 

VALBNTIN. 

Mon  bon  oncle  Van  Buck,  je  vous  respectent  je  vous  aime.  Faites-moi 
la  grâce  de  m'écouter.  Vous  avez  payé  ce  matin  une  lettre  de  change  à 
mon  intention.  Qnand  vous  êtes  venu ,  j'étais  à  la  fenêtre,  et  je  vous  ai  vu> 
arrifer;  vous  méditiez  un  sermon  juste  aussi  long  qu'il  y  a  d'ici  chez 
vous.  Épargnez,  de  grâce,  vos  paroles.  Ce  que  vous  pensez,  je  le  sais;  oe 
que  TOUS  dites,  vous  ne  le  pensez  pas  toujours;  ce  que  vous  faites,  je  vous 
en  remercie.  Que  j'aie  des  dettes  et  qne  je  ne  sois  bon  à  rien,  cela  se 
peut;  qu'y  voulez -vons  faire?  Yoos  avez  soixante  mille  livres  de 
rente.... 

VAW  BUCK. 

Cinquante. 

VALBNTIN. 

Soixante,  mon  oncle;  vous  n'avez  pas  d'enfans,  et  vous  êtes  plein  de 
bonté  pour  moi.  Si  j'en  profite,  où  est  le  mal  ?  Avec  soixante  bonnes  mille 
livrfs  de  renie.... 

VAN  BI7CK. 

Cinquante ,  daqnante  ;  pu  un  denier  de  plus. 

VALENTIN. 

Soixante;  vous  me  l'avez  dit  vous-même. 


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%  '  XVniB   BBS  BCVXVOnDBS^ 

VâN  BCCfc. 

Jamais.  Où  as^to  pris  e«la? 

Mettons  cinquante.  Vous  êtes  jeune ,  gaillard  encore,  et  bon  viTant. 
€royez-vons  que  otia  me  Câdie ,  et  que  j*aie  soif  de  votre  bien?  Yoos  ne 
Bie  faites  pas  tant  d'injure ,  et  vous  savez  que  &es  mauvaises  tètes  n'ont 
pas  toujours  les  plus  mauvais  cœurs.  Vous  me  querellez  de  ma  to^  de 
chambre  :  vous  en  avez  porté  bien  d'autres.  Ma  barbe  en  peiato  ne  vevt 
pas  dire  que  je  sois  tm  saint- siraonien  :  je  respede  trop  rkéritage.  Vous 
vous  plaignez  de -mes  gilets;  voulez-«vous  qu'on  sorte  en  efaemise?  Vous 
me  dites  que  je  suis  pauvre ,  et  4iue  m«s  amis  ne  le  sont  pas;  lant  niieax 
pour  eux ,  ce  n'est  pas  ma  faute.  Vous  imaginez  qu'ils  me  gâtent  et  que 
leur  exemple  me  rend  dédaigneux  :  je  ne  le  suis  que  de  ce  qui  m'ennaie, 
et  puisque  vous  payez  mes  dettes ,  vous  voyez  bien  que  je  n'emprunte  pas. 
Vous  me  reprochez  d'aller  en  fiacre  :  c'est  que  je  n'ai  pas  de  voiture.  Je 
prends,  dites-vous,  en  rentrant,  ma  chandelle  chez  mon  portier  :  c*«st 
pour  ne  pas  monter  sans  lumière  ;  à  quoi  bon  se  casser  le  cou  ?  Voos  vo«- 
driez  me  voir  un  état  :  faites-moi  nommer  premier  mfiH«tre,  et  voos 
verrez  comme  je  ferai  mon  chemin.  Mais  quand  je  serai  surnuméraire 
dans  l'entresol  d'un  avoué ,  je  vous  demande  ce  que  j'y  apprendrai ,  sinon 
que  tout  est  vanité.  Vous  dites  que  je  joue  à  la  bouillotte  :  c'est  que  j'y 
gagne  quand  j'ai  brelan;  mais  soyez  sûr  que  je  n'y  perds  pas  plus  tot  que 
je  me  repens  de  ma  sottise.  Ce  serait ,  dites-vous ,  autre  chose,  si  je  des- 
cendais d'qn  beau  cheval,  pour  entrer  dans  un  bon  hôtel  :  je  le  crois  bien; 
'  vous  en  parlez  à  votre  aise.  Vuus  ajoutez  que  vous  êtes  fier,  quoique  vous 
ayez  vendu  du  guiogan;  et  plût  à  Dieu  que  j'en  vendisse!  ce  serait  la 
preuve  que  je  pourrais  en  adieter.  Pour  ma  noblesse,  elle  m'est  aussi 
chère  qu'elle  peut  voos  Fètre  à  vous-même  ;  mais  c'est  pourquoi  je  ne 
m'attèle  pas,  ni  plus  que  moi  les  chevaux  de  pur  sang.  Tenez ,  mon  onde, 
ou  je  me  trompe ,  ou  vous  n'avez  pas  déjeuné.  Vous  êtes  resté  le  cœur  i 
jetin  sur  cette  maudite  lettre  de  change  ;  avalons-la  de  compagnie,  je  vais 
demander  le  chocolat.  (il  sonne.  On  sert  à  déjeuner.} 

VAN  BUCK. 

Quel  déjeuner  !  Le  diable  m'emporte  !  tu  vis  comme  un  prince. 

VALBNTfN. 

Eh!  que  voulez- vous?  quand  on  meurt  de  faim,  il  faut  bien  lAoher 
de  se  distraire.  (  lU  s*auablent  ) 

VAN  B0CK. 

Je  suis  sûr  que,  parce  que  je  «e  mm  là ,  tu  te  figures  que  je  te  par- 
donne. 


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IL  MV  FAUT  HTBEft  BV  Rin^  99 

T:àLKffflr. 

Moi?  pas  da  tout.  Ce  qui  me  ciiagrine,  lorsque  vous  êtes  irrilé,  e'est 
qu'ii  vous  échappe  malgré  vous  ctes  expressions  d*arrière-boutique.  Oui, 
sans  le  savoic,  vous  vous  écartez  de  cette  fleur  de  politesse  qui  vous  dis- 
tiogue  particulièrement;  mais  quand  ve*  n*est  pas  devant  témoins,  vous 
comprenezjque  je  ne  vais  pas  le  dire. 

VA!f  BVOL: 

C'est  bon  y  c'est  bon ,  il  ne  m'échappe  rien.  Mais  brisons  là,  et  parions 
d'autre  chose  ;  tu  devriôs  bien  te  marier. 

VALBlimi 

Seigneur,  snon  Dieu!  qu'est-joe  q«e  vovs  dites? 

VAN  BUCK. 

Doone-moi  à  boire.  Je  dis  que  tu  prends  de  l'âfe,  et  que ti»  devrait  tt 

marier. 

TALESXSf^ 

Mais,  mon  oncle,  qu'est-ce  que  je  vous  ai  fait? 

YA5  BUCK. 

To  m'as  fait  des  lettres  dé  change.  Mais  quand  tu  ne  m^aurais  rien 
fait ,  qu'a  donc  le  mariage  de  si  effroyable?  Voyons,  parlons  sérieusement. 
Tu  serais,  parbleu,  bien  à  plaindre  qtieDd  on  te  mettrait  ce  soir  dans  les 
bras  une  jolie  fille  bien  élevée ,  avec  cinquante  mille  écus  sur  ta  table  peur 
t'égayer  demain  matin  au  réveiL  Voyez  un  peu  le  grahd  malheur,  et 
comme  il  y  a  de  qjuoi  faire  l'ombrageux!  Tu  as  des  dettes,  je  te  les 
paierais;  une  fois  marié ,  tu  te  rangeras.  Mademoiselle  de  Mantes  a  tout 
ce  qu'il  faut».... 

VALENTIN. 

Mademoiselle  de  Mantes!  Vous  plaisantez? 

VAN  BUCKw. 

Puisque  son  nom  m'est  échappé,  je  œ  plaisante  pas.  C'est  d'elle  qu'il 
s'agit,  et  si  tu  veux... 

VA&B9TI2I. 

£t  si  eQe  veut  CTeat  comme  dit  la  chasBon  : 

Je  sais  bien  qull  ne  Uendrait  qm*à  mol 
De  répovser,  si  elle  voalailL 

VAN  BOCK. 

Non;  c'est  de  toi  que  cela  dépend.  Tu  es  agréé  ;  tu  lui  plais. 

vALBurnr. 
Je  oe  Pat  jeraais  vue  de  ma  vie^ 

VAN  BecK« 
Qela  ne  ly i  neo;  je  le  dis  que  tu  liù  plais. 


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iO  BBTUB  DBS  DEUX  MOIIBBS* 

TALBlVTllf, 

£d  vérité? 

yA5  BUCK. 

.  Je  f  en  doime  ma  parole. 

TALBIITIN. 

Eh  bien  donc!  elle  me  déplaît. 

VAN  BUCK. 

,  Pourquoi? 

YÀLENTIM. 

■» 

Par  la  même  raison  que  je  lui  plais. 

TAN  BDGK* 

Gela  n*a  pas  le  sens  commun ,  de  dire  que  les  gent  nous  déplaisent  ^ 
quand  nous  ne  les  connaissons  pas. 

TALBtmN. 

Comme  de  dire  qu'ils  nous  plaisent.  Je  vous  en  prie,  ne  parlons  plus  de 
cela. 

VAN  BUCK. 

Mais  y  mon  ami,  en  y  réfléchissant  (donne-moi  à  boire),  il  faut  (aire 
une  fin. 

TALBNTIN. 

Assurément,  il  faut  mourir  une  fois  dans  sa  vie. 

TAN  BUCK. 

Tentends  qu*il  faut  prendre  un  parti ,  et  se  caser.  Que  deviendras-to? 
Je  t*en  avertis,  un  jour  ou  Tautre,  je  te  laisserai  là  malgré  moi.  Je  n'en- 
tends pas  que  tu  me  ruines,  et  si  tu  veux  être  mon  héritier,  encore  faut4l 
que  tu  puisses  m*attendre.  Ton  mariage  me  coûterait,  c'est  vrai,  mais 
une  fois  pour  toutes,  et  moins  en  somme  que  tes  folies.  Enfin,  j'aime 
mieux  me  débarrasser  de  toi;  pense  à  cela  :  veux-tu  une  jolie  femme, 
tes  dettes  payées,  et  vivre  en  repos? 

VALBNTIN. 

Puisque  vous  j  tenes,  mon  ooele,  et  que  vous  parlez  sérieusemeol, 
sérieusement  je  vais  vous  répondre;  prenez  du  pété,  et  écoutez-moi. 

VAN  BUCK. 

Voyons,  quel  est  ton  sentiment? 

TALBNTIN. 

Sans  vouloir  remonter  bien  haut,  ni  vous  lasser  par  trop  de  préam- 
boles,  je  commencerai  par  l'antiquité.  Est-il  besoin  de  vous  rappeler  la 
■lanière  dont  fût  traité  un  homme  qui  ne  favait  mérité  en  rien,  qui 
t4Nite  sa  vie  fut  d'humeur  douce,  jusqu'à  reprendre,  même  après  sa 


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IL  !fE  FAUT  JUtBR  Dl  RIEN.  41 

(aale,  ccHc  qui  l'avait  si  oatrageiuement  trompé?  Frère  d*ailleun  d'an 
puMBant  nûmarque ,  et  coarooné  bien  mal  à  propos. ... 

TAN  BUGK. 

De  qui  diantre  me  parles-tu  ? 
De  MénélaSy  mon  onde. 

TAIf  BUCK. 

Que  le  diable  t'emporte  et  moi  avec  !  Je  sub  bien  sot  de  t'écouter. 

YALENTIN. 

Pourquoi  ?  H  me  semble  tout  simple.... 

VAIf  BUOL. 

Maudit  gamin  !  cervelle  fêlée  !  il  n'y  a  pas  moyen  de  te  faire  dire  un  mot 
qoi  ait  le  sens  commun.  (Il  se  lève.)  Allons!  finissons!  en  voilà  assez.  Au** 
jourd^hul  la  jeimesse  ne  respecte  rien. 

TALBtmif. 

Mon  oncle  Van  Buck ,  vous  allez  vous  mettre  en  colère. 

TAN  BUCK. 

Non,  monsieur;  mais,  en  vérité,  c'est  une  chose  inconcevable.  Ima« 
gine-t-oD  qu'on  homme  de  mon  âge  serve  de  jouet  à  un  bambin  ?  Me  prends* 
tu  pour  ton  camarade,  et  faudra-t-il  te  répéter i... 

.VALBNTIir. 

Comment  !  mon  oncle ,  est-il  possible  que  vous  n'ayez  jamais  lu  Ho- 
mère? 

VAN  BUGK  y  se  raésejant. 
Eh  bien!  quand  je  l'aurais  lu? 

VALBNnN. 

Vous  me  parlez  de  mariage;  il  est  tout  simple  que  je  vous  cite  le 
ptos  grand  mari  de  l'antiquité. 

TAN  BUCK. 

Je  me  soucie  bien  de  tes  proverbes.  Veux-tu  répondre  sérieusement? 

TALBNTIN. 

Soii;  trinquons  à  ccBur  ouvert;  je  ne  serai  compris  de  vous  que  si  vous 
voulez  bien  ne  pas  m -interrompre.  Je  ne  vous  ai  pas  cité  Ménélas  pour 
^re  parade  de  ma  science ,  mais  pour  ne  pas  nommer  beaucoup  d'hon-  ' 
o^tes  gens;  faut-il  m'ezpliquer  sans  réserve?  - 

TAN  BUCK. 

Oui ,  sur-le-champ  ,^ou  je  m'en  vais.    • 

TALBNTIN. 

Savais  seize  ans,  et  je  sortais  du  collège ,  quand  une  belle  dame,  de 


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43  jtfws  Aift  MHHL  jraims. 

notre  coiiaaMMiM»«ie  dklî^gva  pour -la  fwenièretféift.  A  cet  âge-ii, 
peut-oa  savoir  ce  qui  est  innocent  oa  criminel  ?  féLàiê  oa^oir  cheg  «t 
maltresse,,  au  coin  du  fea,  son  mari  en  tiers.  Le  mari  se  lève  et  dit  qa'9 
Ta  sortir.  A  ce  mot»  mi  regard  rapide,  échangé  entre  ma  belle  et  moi,  ne 
bit  bondir  le  cœar  de  joie.  Nous  allions  être  seuls!  Je  me  retourne,  et 
vois  le  pauvre  homme  mettant  ses  gants.  Ils  étaient  en  daim  de  couleir 
yerdAtre,  trop  larges ,  et  décousus  au  pouce.  Tandis  qu^fl  j  enfonçait  ses 
mains,  debout  au  milieu  de  la  chambre,  un  imperceptible  sourire  pam 
sur  le  coin  des  lèvres  de  la  femme ,  et  dessina  comme  une  ombre  légère 
les  deux  fossettes  de  ses  joues.  L'oeil  d^m  amant  voit  seul  de  tels  sourires, 
car  on  les  sent  plus  qu*on  ne  les  Toit.  Celui-ci  m'alla  jusqu'à  Famé,  et  je 
Favalai  comme  un  sorbet.  Mais, ^r  une  bizarrerie  étrange,  le  souvenir 
de  ce  monest  de  déUœs  te  lia  invhioibleinent  dans  ma  leie  à  cdui-de 
ëenlk.greiKftHmin  fongesse  débsttant  dans  ^es  gwds  verdètres;  et  je 
ne  sais  ce  que  ces  mains,  dans  leur  4ipératkm  eonfittue ,  ardent  de  tr^ 
et  de  piteux,  mais  je  n'y  ai  jamais  fMosé  -depuis  sans  que  le  féminin  soa- 
rire  ne  vint  me  ^alooiller  le  coin  des  lèvres,  et  j'ai  juré  que  jamais 
femme  au  monde  ne  me  ganterait  de  ces  gants-là. 

HÂX  BOCK» 

C'ea^à^lwe  ftt*«B  franc  libertin,  lu  doutes  4e  la  viertn^dea  femnei, 

et  que  tu  as  peur  que  lea  «uarea^ie  le  rendent  le  mal  que  lu  leur  as 

ftit.  

TJUXirnH. 

Tous  rarex^dhif  d  peur  du -diable,  et  je  ne  Tenx  pas  ette  ganté. 

vtAïf  aras. 
Bah  !  c'est  une  idée  de  jeune  homme. 


Gomme  il  vous  {^aâra,  c'eitJa  mienne;  dans  mie  trentaine  d'années, 
si  j'y  suis ,  ce  sera  une  idée  de  Tieillard ,  car  je  ne  me  marierai  jamais. 

TAK  BOCK. 

Prétenda-tu  quelootea  les  fenuDes  soient  &nflses  »  ei  qoe  1008  les  niaris 
soient  trompés? 

WàMMStm. 

le  ne  prélmids  rien,  et  jevTen  sais  rien,  le  prétenis,  quand  je  vais 
isM  la  r»e,iiefis«ie  jetersons  le»  rwies  des  Toimres;  quand  je  dine, 
ne  pas  «wingei  de  nerian;  <|0iBd  fai  soif ,  m  pas  boire  dans  im  verre 
caaaé,  et,  qnand  je  vois  une  tanne,  «e  pas  rifiasser;  et  encore  je 
ne  sois  pas  sûr  de  n'être  ni  écrasi,  ni  ^étranglé,  ni  brèdie-dent,  ni... 

VAX  BCOK. 

Fi  donc!  mademoiselle  de  BhMss  est  sage  et  bien  élevée;  c'est  une 


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TMurrnjr.. 
A  Dîeo  ne  plaiê^  qiM  j'eadiae  du  mal!  elle  est  sao»  doute  la  ineilleore 
4iâ  inoDde.  Elle  eA  bien  élevée  »  dîles-vous?  Quelle  éducatloo  a-t«elle 
reçue?  La  cenduit-oa au  bal»  au  spectaeU,  aux  courtes  de  chevaux? 
^rt-elle  seule  en  fiacre,  le  matiu,  à  midi,  pour  revenir  à  six  heures? 
A-t-elle  une  femme  de  chambre  adroite,  un  escalier  dérobé?  A-t-elIe  vu 
Is  Tour  de  T(€$lê,  et  lii-eUe  les  romans  de  M.  de  Bahsac?  La  mène-t-on» 
après  un  bon  dtner,  les  soirs  d'été,  quand  le  vent  est  au  sud,  voir  lutter 
aux  Champs-Elysées  dix  ou  douze  gaillards  nus,  aux  épaules  carrées? 
A-t-eRe  pour  mattre  un  beau  valseur,  grave  et  frisé ,  au  jarret  prussien, 
qui  lui  serre  les  doigts  quand  elle  a  bu  du  punch?  Reçoit-elle  des  visites 
^en  téte-Méte,  l'après-midi ,  sur  un  sopha  élastique,  sous  le  demi-jour 
d'un  rideau  rose?  A-t-elle  à  sa  porte  un  verrou  doré,  qu'on  pousse  du 
petit  doigt  en  tournant  la  tète,  et  sur  lequel  retombe  mollement  une 
tapisserie  sourde  et  muette  ?  Met-elle  son  gant  dans  son  verre  lorsqu'on 
commence  à  passer  le  Champagne?  Fait-elle  semblant  d'aller  au  bal  de 
l'Opéra,  pour  s'éclipser  un  quart  d'heare,  courir  chez  Musard,  et  re- 
venir bâiller?  Lui  a-t-on  appris ,  quand  Eobini  chante,  à  ne  montrer  que 
le  blanc  de  ses  yeux,  comme  une  colombe  amoureuse?  Passe-t-elle  l'été 
k  la  campsgne  chez  une  amie  pleine  d'expérience»  q«i  en  répond  à  sa  la- 
mille  ,  et  qui,  le  soir,  la  laisse  au  piano  ,  pour  se  promener  sous  les  char- 
milles, eu  chuchotant  avec  un  hussard?  Ya^^t-elle  aux  eaux?  A-t-elle 
des  migraines? 

TATC  BUCK. 

Jour  de  Dieu!  qu*est^ce  que  tu  dis. là  ! 

YALENTIN.  "^'' 

Cest  que  si  elle  ne  sait  rien  de  tout  cela,  on  ne  lui  a  pas  appris  grand*- 
chose;  car,  dès qu*dle sera  femme,  elle  le  saura,  et  alors  qui  peut  rien 
prévoir? 

VAIIBgCK. 

Tu  as  de  singulières  idées  sur  l'éducatioD  des  femmes.  Youdrais-tu  pas 
qu'on  les  suivit  ? 

YALiimiir.  ) 

-  Non;  mais  je  voudrais  qu'une  jeune  fiUe  l&t  ime  herbe  dans  un  bois, 
et  non  une  plante  dans  une  caisse.  Allons,  mon  rade,  venez  aux  Tuileries, 
et  ne  parlons  plus  de  tout  cela. 

TAN  BUCK* 

Tu  refuses  mademoiselle  de  Mantes? 

TALEKTIN. 

Pas  plus  qu'une  autre ,  mais  ni  plus  ni  moins. 


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;A%  .RBTOB  M8  HBUX  MOIIDBS. 

TAN  BOCK. 

To  me  feras  damner;  ta  es  incorrigible.  J'avais  les  plas  bellf 
rances;  ceUe  fille-là  sera  très  riche  un  jour;  tu  me  mineras,  et 
au  diable  ;  voilà  tout  ce  qui  arrivera.  Qu'est-ce  que  c'est  ?  Qu'est 
tu  veux? 

VALENTIN. 

Vous  donner  votre  canne  et  votre  chapeau ,  pour  prendre  l'air 
vous  convient. 

TAN  BCCK. 

Je  me  soucie  bien  de  prendre  l'air!  Je  te  déshérite,  si  tu  refas 
marier. 

VALENTIN. 

Vous  me  déshéritez ,  mon  oncle  ? 

VAN  BUCK. 

Oui,  par  le  ciel!  j'en  fais  serment!  Je  serai  aussi  obstiné  que 
nous  verrons  qui  des  deux  cédera. 

VALBNTIN. 

Vous  me  déshéritez  par  écrit,  ou  seulement  de  vive  voix  ? 

VAN  BUCK. 

Par  écrit,  insolent  que  tu  es! 

VALENTIN. 

Et  à  qui  laisserez-vous  votre  bien  ?  Vous  fonderez  donc  un  prix  d 
ou  un  concours  de  grammaire  latine? 

VAN  BUCK. 

Plutôt  que  de  me  laisser  ruiner  ()ar  toi,  je  me  ruinerai  tout  s( 
moD  plaisir. 

VALENTIN. 

Il  n'y  a  plus  de  loterie  ni  de  jeu;  vous  ne  pourrez  jamais  tout 

TAN  BUCK. 

Je  quitterai  Paris;  je  retournerai  à  Anvers;  je  me  marierai  moi- 
s'il  le  faut ,  et  je  te  ferai  six  cousins  germains. 

VALENTIN. 

El  moi,  je  m'en  irai  à  Alger  ;  je  me  ferai  trompette  de  dragons, 
serai  une  Ethiopienne,  et  je  vous  ferai  viogt-quatre  petits  neveu 
comme  de  l'encre,  et  bétes  comme  des  pots. 

VAN  BUCK. 

Jour  de  ma  vie  !  si  je  prends  ma  canne..... 

VALENTIN. 

Tout  beau,  mon  Qncle!  prenez  garde,  en  frappant^  decass4 
l)4iQa  de  vieillesse^ 


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IL  MB  fJLZT  lURBR  VB  RIBlf.      .  '45 

▼AN  Binai  (Vmhnumni). 
Ab  !  malheoreoi  !  tu  abuses  de  moi  ! 

VALBNTlIt. 

éooutex-moi;  le  mariage  me  répugne;  mais  pour  vous,  mon  bon  on- 
de» je  me  déciderai  à  tout.  Quelque  bizarre  que  puisse  vous  sembler  ce 
qoe  je  vais  vous  proposer  »  promettez- moi  d'y  souscrire  sans  réserve ,  et, 
de  mon  côté,  j'engage  ma  parole. 

TA5  BUCK. 

De  quoi  s*agit-il ?  Dépéche-toi. 

VALBNTIir. 

Promettez  d'abord  »  je  parlerai  ensuite. 

VA5  BUCK» 

Je  ne  le  puis  pas  sans  rien  savoir. 

TALENTUI. 

n  le  faut,  mon  oncle  ;  c'est  indispensable. 

TAN   BUCK. 

Eh  bien  !  soit,  je  te  le  promets. 

VALBNTIff. 

Si  vous  voulez  que  j'épouse  mademoiselle  de  Mantes ,  il  n'y  a  pour  cela 
qu'un  moyen,  c'est  de  me  donn^^r  la  certitude  qu'elle  ne  me  mettra  jamais 
aux  mains  la  paire  de  gants  dont  nous  parlions. 

TAN  BUCK. 

Et  que  veux-tu  que  j'en  sache  ? 

TALS19T1N. 

U  y  a  pour  cela  des  probabilités  qu'on  peut  calculer  aisément.  Con- 
venez-vous que  si  j'avais  l'assurance  qu'on  peut  la  séduire  en  huit  jours, 
j'aurais  grand  tort  de  l'épouser  ? 

TAI«  BUCK. 

Certainement.  Quelle  apparence ?... 

TALB9IT1N. 

Je  ne  vous  demande  pas  un  plus  long  délai.  La  baronne  ne  m'a  jamais 
vu ,  non  plus  que  la  fille;  vous  allez  faire  atteler,  et  vous  irez  leur  faire 
visite.  Vous  leur  direz  qu'à  votre  grand  regret,  votre  neveu  reste  garçon; 
j'arriverai  au  château  une  heure  après  vous,  et  vous  aurez  soin  de  ne  pas 
me  reconnaître;  voilà  tout  ce  que  je  voqs, demande,  le  reste  ne  regarde 
que  moi. 

VAN  BUCK. 

Mtis  tu  m'effraies.  Qu'est-ce  que  tu  veux  faire  ?  A  quel  titre  te  pré- 
senter? 


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▼4LEMWI* 

C'est  mon  affaire;  ne  me  reconnaifisea  pa»^  vM  tonA  ce  tel  ja tous 
charge.  Je  passerai  huit  jours  au  château  ;  j'ai  besoin  d'air,  et  cela  me 
fera  du.  bien»  Vous  y  resterez  si  vous  voulez. 

VAJg  BOCK. 

Drriena-ta  fou?  et  que  prétends- tu  faire?  Séduire  une  jeme  fille ea 
huit  jours  ?  Faire  le  galant  sous  un  nom  supposé?  La  belle  trouvaille!  H 
n'y  a  pas  de  conte  de  fées  où  ces  niaiseries  ne  soient  rebattues.  Me  prends- 
tu  pour  un  oncle  du  Gymnase? 

VALENTIN. 

Il  est  deux  heures ,  allons-nous  -en  chez  vous.         (Us  sortent.) 

SCÈNE  IL 

Au  château. 

LA  BARONNE,  CÉCILE,  UN  ABBÉ,  UN  MAITRE  DE  DANSE. 

(La  baronne ,  asslBe ,  caase  avec  Tabbé  en  ûiianl  de  la  tapiaserie*  Cécile  prend 
aa  leçon  de  danse.) 

LA  BARONN£. 

C'est  une  chose  assez  singulière  que  je  ne  trouve  pas  mon  peloton 
bleu.  ^ 

L'ABBé. 

Vous  le  teniez  il  y  a  un  quart  d'heure  ;  il  aura  roulé  quelque  part. 

LE  BlAtTRE  DB  DANSB. 

Si  mademoiselle  veut  faire  encore  la  poule,  nous  nous  reposerons  après 
cela. 

CBGILB. 

Je  veux  apprendre  la  valse  à  deux  temps. 

LE  MAITRE  DE  DANSE. 

Madame  la  baronne  s'y  oppose.  Ayez  la  bonté  de  tourner  la  tête,  et  de 
me  faire  des  oppositions. 

L^ABBé. 

Que  pensez- vous,  madame,  du  dernier  sermon?  ne  Tavez-vous pas 
entendu? 

LA  BABONIIE. 

C'est  vert  et  rose ,  sur  fond  noir ,  pareil  au  petit  meuble  d'en  haut. 

L'ABBë» 

Plalt-il  ? 


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LA  BttSMNE. 

Ah  !  pardon ,  je  n*y  étais  pas. 

L'jUBBB. 

Xai  cm  TOHS  y  aperce  voir . 

LA  BABONNE. 

Où  donc? 

L*ABBé. 

A  Saint-Roch ,  dimanche  dernier. 

LA  BA-BOHNE. 

Mm  oui,  très  bien.  Tout  le  monde  pleurait  ;  le  baron  ne  feisait  que  se 
moucher.  Je  m'en  suis  allée  à  la  moitié ,  parce  que  ma  voisine  a?aît  des 
odean,  et  que  Je  suis  dans  ce  moment^i  entre  les  bras  des  liomœopathes» 

LE  BIAITRE  DE  DANSE. 

Hademoiseney  f  ai  beau  vous  le  dire,  vous  ne  faites  pas  d'oppositions. 
Détooroez  donc  légèrement  la  tête,  et  arrondissez-moi  les  bras. 

CÉCILE. 

Mais,  monsieiiry  quand  on  veut  ne  pas  tomber,  il  faut  bien  regarder 

devant  soi. 

LE  MAITRE  DE  DANSE. 

Fi  donc!  C'est  une  chose  horrible.  Tenez,  voyez;  y  a-t-il  rien  déplus 
simple?  Regardez-moi  ;  est-ce  que  je  tombe? Tous  allez  à  droite,  vous 
regardez  à  gauche  ;  tous  allez  à  gauche ,  tous  regardez  à  droite;  il  n'y  a 

ricD  de  pins  naturel. 

ÏLA  BABOlfHE. 

Cest  une  chose  inconcevable  que  je  ne  trouve  pas  mon  peloton  bleu. 

céciLE. 
Maman ,  pourquoi  ne  voulez-vous  donc  pas  que  j'apprenne  la  valse  à 
deoxiÊinps? 

LA  BARONNE. 

Parce  que  c'est  iudécent.  Avez-vous  lu  Joeelyn  ? 

l'abbé. 
^U  madame,  il  y  a  de  beaux  vers;  mais  le  fond,  je  vous  l'aTouerai... 

LA  BARONNE. 

Le  foDd  est  noir;  tout  le  petit  meuble  l'est;  vous  verrez  cela  sur  du 
palissandre. 

•OëcILE. 

^,  maman,  miss  Clary  valse  bien,  et  mesdMn^iseUesëelltimbaut 

aussi.   * 

LA  BicBONNE. 

^  Clary  est  Anglaise ,  mademoiselle.  Je  suis  sûre ,  ïé!bbé^  qve  vm» 
▼«»èies  assis  dessus. 


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!  sur  màm  Ckry  ! 

LÀ  B1S099B. 

Eli!c*estiiioopeloCoOyle  ToiUu  Noo ,  c*est  do  rcNige;oà  est-âpasé? 

L*ABB<. 

Je  troQTe  la  scène  de  Tévèque  fort  belle;  il  y  a  certaineiDenl  du  gé- 
nie ,  beaucoup  de  talent ,  et  de  la  facilité. 

CÉGILB. 

Mais,  maman,  de  ce  qu'on  est  Anglaise ,  pourquoi  eit-oe  déoeat  de 
▼aber? 

I.A.  BAAORlfB. 

n  y  a  aussi  un  roman  que  j'ai  lu  »  qu'on  m*a  enroyé  de  cliex  M oogie. 
Je  ne  sais  plus  le  nom ,  ni  de  qui  c'était.  L*aTez-Yous  lu  ?  Cesi  a»ez  bien 
écrit. 

L*ABBé. 

Oui  y  madame.  H  semble  qu'on  ouvre  la  grille.  Attendez-Tons  quelque 
visite? 

LA  BÂBON5E. 

Ah  !  c'est  vrai  ;  Cécile ,  écoutez. 

LB  HAITBB  DB  DANSE. 

Madame  la  baronne  veut  vous  parler,  mademoiselle. 

l'abbé. 
Je  ne  vois  pas  entrer  de  voiture;  ce  sont  des  chevaux  qui  vont  sortir. 

ctoLBy  s'approcbaot. 
Vous  m'avez  appelée ,  maman  ? 

LA  BABONNE. 

Non.  Ah!  oui.  Il  va  venir  quelqu'un;  baissez-vous  donc  que  je  vous 
parle  à  l'oreille.  Cest  un  parti.  Etes-vous  coiffée? 

CÉGILB. 

Un  parti  ? 

LA  BABOIfNB. 

Oui  y  très  convenable.  —  Yingt-cioq  à  trente  ans,  ou  plus  jeune;  non» 
je  n'en  sais  rien;  très  bien;  allez  danser. 

céciLB. 
Biais,  maman ,  je  toulais  vous  dire... 

LA  BABONNB. 

Cest  incroyable  où  est  allé  ce  peloton.  Je  n'en  ai  qu'un  de  bleu,  et  il 
faut  qu'il  s'envole. 

(Entre  Van  Bock.) 


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a  IIB  FAUT  JURER  DE  RWf.  4t 

TAN  BOCK, 

ibdaiiie  la  Baronne ,  je  vous  souhaite  le  bonjour.  Mon  neveu  n-a  pu 
Tenir  avec  moi;  il  m'a  chargé  de  tous  présenter  ses  regrets ,  ei d'eicuser 
son  manque  de  parole. 

LA  BAROlfNB. 

Ah,  bab!  vraiment?  il  ne  vient  pas?  Voilà  ma  fille  qui  prend  sa  le- 
{oo;  permettez-vous  qu'elle  continue?  Je  Tai  fait  descendre ,  parce  que 
€*est  trop  petit  chez  elle. 

TAN  BUCK. 

Tespère  bien  ne  déranger  personne.  Si  mon  écervelé  de  neveu... 

LA  BARONNE. 

Vous  ne  voulez  pu  boire  quelque  chose?  Asseyez-vous  donc.  Com* 
ment  allez-vous? 

TAN  BUCK. 

Mon  neveu ,  madame ,  est  bien  DIché... 

.     LA  BARONNE. 

Écoutez  donc  que  je  vous  dise.  L'abbé,  vous  nous  restez,  pas  vrai? 
Eh  bien  !  Cécile,  qu'est-ce  qui  t'arrive  ? 

LB  MAITRE  DE  DANSE. 

Mademoiselle  est  lasse,  madame. 

LA  BARONNE. 

Chansons!  si  elle  était  au  bal  »  et  qu'il  fût  quatre  heures  du  matin, 
elle  ne  serait  pas  lasse ,  c'est  clair  comme  le  jour.  Dites-moi  donc ,  vous  : 
(bit  i  Yen  Back)  est-ce  que  c'est  manqué  ? 

TAN  BUCK. 

J'en  ai  peur;  et  s'il  faut  tout  dire... 

LA  BARONNE. 

Ah,  bah  !  il  refuse  ?  Eh  bien  I  c'est  joli. 

VAN  BDCK. 

Mon  dieu,  madame,  n'allez  pas  croire  qu'il  y  ait  là  de  ma  faate  en 
rien.  Je  vous  jure  bien  par  l'ame  de  mon  père... 

LA  BARONNE. 

Enfin  il  refuse ,  pas  vrai  ?  C'est  manqué  ? 

TÀN   BUCK. 

Mais ,  madame ,  si  je  pouvais ,  sans  mentir... . 

LA  BARONNE. 

(On  entend  an  grtnd  tamalte  an  dehoo.) 
Qu'est-ce  que  c'est?  regardez  donc ,  l'abbé. 

TOHSTU.  4 


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IMâDM,  c'fSttHke  iratere  yenée  demlla  porte  ie4ftâlBM.4M«p- 
pone  îd  ttn  jemeàonoie  fui  teoiUe  privé  detenikBttit. 

L4  BARONNE. 

Ah  !  mon  Diea,  un  mort  qai  m*àntf  e  !  Qu*oû  arrange  vite  la  chambre 
verte.  Tenez ,  Yan  Buck ,  donnez-moi  le  bras.  (  Ils  ratait.  ) 


ACTE  DEUXIÈME. 


SCÈNE  PAËMIE&E. 

Une  allfe  «nu  atte  dunnille. 
Entrent  VAN  BUCK  et  VALËNTIN,  qui  a  le  bras  en  écharpe. 


VàM 

Est-il  possible,  malhenreux  garçon^ ^qoeia  te«Qi8réeUeittnit4éaii  le 
bras? 

VALENTlN. 

Il  n*y  a  rien  de  plus  possible;  c'est  même  probable,  et,  qui  pis  est, 

assez  douloureusement  réel. 

VAN  voaL. 

Je  ne  sais  lequel ,  dans  cette  afiaire,  e&t  le  plus  à  blâmer  de  nous  deux. 

Vit-on  jamais  pareille  extravagance  ! 

VAtENXlN. 

Il  fallait  bien  trouver  un  prétexte  pour  m'introduire  convenablement. 
Quelle  raison  voulez-vous  qu'on  ait  de  se  présenter  ainsi  incognito  à  une 
famille  respectable? J'avais  donné  un  louis  à  mon  postillon  en  lui  deman- 
dant sa  parole  de  me  verser  devant  le  château.  C'est  un  honnête  homme, 
il  n'y  a  rien  à  lui  dire ,  et  son  argent  est  parfaitement  gagné  ;  il  a  mis  sa 
roue  dans  le  fossé  avec  une  conetanee  hérûîque.  Je  me  sois  démis  le  bras, 
c'est  ma  faute  ;  mais  j'ai  versé,  et  je  ne  «e  plains  pas.  An  contraire ,  f  en 
suis  bien  aise  ;  cela  donne  aux  choses  mi  air  de  vérité  qui  intéresse  en  ma 
faveur. 

VAN  BUCK. 

Que  vas-tu  faire?  et  quel  est  iea  ilenein  ? 

VÎMLBNTIN. 

Je  ne  viens  pas  du  tout  idiKnir  épewer  ]MtileBiQiaeUedeMiiiM,«aii) 


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QmqoeBent  pour  tous  pnmverqiiejfai|MktorldeFé|MHiser..M0Dplaaeit 
lailv  ma  toturie  pointée  ;  et ,  josquHci  >  tout  va  à  jmerreUle^  Voua  avet  tenu 
votre  promesse  comoie  Ré^ua  ou  HçnumL  Voua,  ne  m'avez  pas  appelé 
mao  ueveu,  c'est  le  principal  et  le  plus  difficile  ;  me  voilà  reçu»  hébergé, 
cooché  dans  une  bell^  chambre  verte,  de  la  fleur  d'oraage  sur  ma  table, 
et  des  rideaux  blancs  à  moo  lit.  C'est  une  justice  à  rendre  à  votre  ba- 
ronne, elle  m'a  aussi  bien  recueilli  que  mon  postillon  m'a  versé.  Mainte- 
nant, il  s'agit  desavoirs!  tout  le  reste  ira  à  l'avenant.  Je  compte  d'abord 
faire  ma  déclaration ,  secondement' écrire  un  billet 

vàn  buck. 
Cest  inutile,  je  ue  souffrirai  pas  que  cette  mauvaise  plaisanterie  s'a- 
chève. 

VALBUTIN. 

YùQB  dédire  !  comme  vous  voudrez;  je  me  dédia  aussi  snr-ie-champ^ 

VAN  BDClt. 

liais,  moD  neveu 

VALBWTIIf. 

Dites  un  mol ,  je  reprends  la  poste  et  retourne  à  Paris  ;  plus  de  parole, 
plus  de  mariage;  vous  me  déshériterez  si  vous  voulez. 

TAIf  BUCK. 

C'est  un  guêpier  incompréhensible,,  et  il  est  inoui  que  je  sois  fourré  lé. 
Mais  eufio ,  voyons ,  eiplique-toi  ! 

VALBÎfnif. 

Songez,  non  oncle,  à  notre  traité.  Vous  m'avez  dit  et  accordé  que,  s'il 
étiût  prouvé  que  ma  future  devait  me  ganter  de  certains  gants,  je  serais 
nn  (bu  d'en  faire  ma  femme.  Par  conséquent,  l'épreuve  étant  admise, 
vous  trouverez  bon,  juste  et  convenable  qu'elle  soit  aussi  complète  que 
possible.  Ce  que  je  dirait  sera  bien  dit;  ce  que  j'essaierai,  bien  essayé, 
et  ce  que  je  pourrai  faire,  bien  fait;  vous  ne  me  chercherez  pas  chicane, 
et  j'ai  carte  blanche  en  tous  cas. 

VAK  BDCK. 

Mais,,  monsieur,  il  y  a  pourtant  de  certaines  bornes,  de  certaines  cho- 
ses—Je vous  prie  de  remarquer  que  si  vous  allez  vous  prévaloir  —  Mi- 
séricorde I  comme  tu  y  vas! 

VALENTUf. 

Si  notre  future  est  telle  que  vous  la  croyez  et  que  vous  me  l'avez  re- 
présentée, il  n'y  a  pas  le  moindre  danger,  et  elle  ne  peut  que  s*en  trouver 
plus  digne.  Figurez-vous  que  ja  scûale  premier  venu  ;  je  suis  amoureux  de 
andemoiselle  de  Mantes,  vertueuse  éfouse  de  Valentin  VanBudt  ;  songez 
4Rwne,la  jeune^e  da  jour  est  ^treprenante  et  hardie l  qœ  ne  fait-on 


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52  '  BETOB  nt  mm  MOWMt. 

paSy  d'ailleun,  quand  on  aime?  QoeUes  escafodet,  quelles  lettres  de  quatre 
pages  y  quels  torreus  de  larmes,  quels  conaets  de  dragées  !  Deranl  quoi 
recule  un  amant?  De  quoi  peut- on  lui  demander  compte?  Quel  mil 
fait-il  y  et  de  quoi  s'offenser  ?  il  aime,  6  mon  oncle  Van  Buck  !  Rappelei- 
vous  le  temps  où  tous  aimiez. 

TAN  BUCK. 

De  tout  temps  j'ai  été  décent ,  et  j'espère  que  vous  le  serez,  sinon  je  dis 
tout  à  la  baronne. 

VAI^ENTIM. 

Je  ne  compte  rien  faire  qui  puisse  choquer  personne.  Je  compte  d'abord 
faire  ma  déclaration;  secondement,  écrire  plusieurs  billets;  troisième- 
ment, gagner  la  fille  de  chambre;  quatrièmement,  rôder  dans  les  petits 
coins;  cinquièmement ,  prendre  l'empreinte  des  serrures  stcc  de  ladre 
à  cacheter;  sixièmement,  faire  une  échelle  de  cordes,  et  couper  les  Titres 
aTCC  ma  bague;  septièmement,  me  mettre  à  genou  par  terre  en  rèct* 
tant  /a  Nouvene  Hélotte:  et  huitièmement,  si  je  ne  réussis  pas,  mutiler 
noyer  dans  la  pièce  d'eau  ;  mais  je  tous  jure  d'ôtre  décent,  et  de  ne  pas 
dire  un  seul  gros  mot ,  ni  rien  qui  blesse  les  couTcnances. 

VAN  BUCK. 

Tu  es  un  roué  et  un  impudent  ;  je  ne  souffrirai  rien  de  pareil. 

VALBNTIN. 

Mais  pensez  donc  que  tout  ce  que  je  tous  dis  là ,  dans  quatre  ans  d'ici 
un  autre  le  fera,  si  j'épouse  mademoiselle  de  Mantes;  et  comment  Toulez- 
Tous  que  je  sache  de  quelle  résistance  elle  est  capable,  si  je  ne  l'ai  d'abord 
essayé  moi-même?  Un  autre  tentera  bien  plus  encore,  et  aura  dcTsat 
lui  un  bien  autre  délai;  en  ne  demandant  que  huit  jours,  j'ai  lait  un  acte 
de  grande  humilité. 

TAN  BUCK. 

Cest  un  piège  que  tu  m'as  tendu  ;  jamais  je  n'ai  préTU  cela. 

YALENTIN, 

Et  que  pensiez-TOus  donc  préToir,  quand  tous  stcz  accepté  la  ga- 
geure? 

TAN  BUCK. 

Mais,  mon  ami, je  pensais,  je  croyais— je  croyais  que  tu  allais 
faire  ta  cour...  mais  poliment...  à  cette  jeune  personne ,  comme  par 
exemple,  de  lui...  de  lui  dire...  On  si  par  hasard...  et  encore  je  n'en  sais 
rien...  Mais  que  diable  I  tu  es  effrayant. 

TAI^KTIN. 

Tenez!  Toilà  la  blanche  Cécile  qui  nous  arriTe  à  petits  pas.  Entendex- 
Tous  craquer  le  bols  sec?  La  mère  tapisse  aTCC  son  abbé.  Vite,  fourrea- 


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IL  NB  FAUT  maBR  DE  RIEH.  53^ 

fOQS  dans  la  charmille.  Voua  serez  témoin  de  la  première  eacarmpuche , 
a  Toos  m'en  direz  votre  avis. 

VAN  BOCK. 

To  r^poaseras  si  elle  te  reçoit  mal  ?        (H  se  cadie  dans  la  channille.) 

VALENTIM. 

Laissez-moi  faire,  et  ne  bougez  pas.  Je  suis  ravi  de  vous  avoir  pour 
specuteur,  et  Fennemi  détourne  Tallée.  Puisque  vous  m*avez  appelé  fou» 
je  veux  vous  montrer  qu'en  fait  d'extravagances,  les  plus  fortes  sont  les 
meilleores.  Vous  allez  voir,  avec  un  peu  d'adresse,  ce  que  rapportent  les 
blessures  honorables  reçues  pour  plaire  à  la  beauté.  Considérez  cette  dé- 
marcbe  pensive,  et  faites- moi  la  grâce  de  me  dire  si  ce  bras  estropié  ne 
inesiedpa&  Eh  !  que  voulez-vous  ?  C'est  qu*on  est  pâle;  il  n'y  a  au  monde 
que  cela: 

Un  jeune  malade  à  pas  lents 

Surtout,  pas  de  bruit;  voici  l'instant  critique;  respectez  la  foi  desser-^ 

Bwns.  Je  vais  m'asseoir  au  pied  d'un  arbre,  comme  un  pasteur  des  temps 

passés. 

(  Entre  Cécile  un  livre  a  la  main.  *) 

VALBNTIJÎ. 

I>éjà  levée ,  mademoiselle ,  et  seule  à  cette  heure  dans  le  bois? 

CÉCILE. 

C'est  vous,  monsieur?  je  ne  vous  réconnaissais  pas.  Comment  se  porte' 
votre  foulure? 

YALEMIN,  àpart. 

^  Foulure  !  Voilà  un  vilain  mot.  (  Haut;)  Cest  trop  de  grâce  que  vous  mo 
foites,  et  il  y  a  de  certaines  blessures  qu'on  ne  sent  jamais  qu'à  demi.  ^ 

CÉCILE, 

Vous  a-t-on  servi  à  déjeuner  ? 

VALENTIN. 

Vous  êtes  trop  bonne;  de  toutes  les  vertus  de  votre  sexe,  l'hospitalité 
est  la  moins  commune,  et  on  ne  la  trouve  nulle  part  aussi  douce,  aussi 
précieuse  que  chez  vous;  et  si  l'intérêt  qu'on  m'y  témoigne... 

CECILE. 

Je  vais  dire  qu'on  vous  monte  un  bouillon.  (Elle  sort.  ) 

VAN  BOCK,  rentniDt. 
Turépooseras!  tu  l'épouseras!  Avoue  qu'elle  a  été  parfaite.  Quelle 
naïveté!  quelle  pudeur  divine!  On  ne  peut  pas  faire  un  meilleur  choix» 

YALBNTIN. 

^n  moaieot,  mon  oncle,  un  moment;  vous  allez  bien  vite  en  besogno^ 


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Pourquoi  pas?  H  n'eu  faut  pas  plus;  tu.voîsclaireaieDi  à  qui  tuas  af-^ 
faire,  et  ce  sera  toujours  de  môme.  Que  tu  seras  heureux  arec  cette 
fenune^là  !  Allons  tout  dire  à  la  baronne;  je  n^e  charge  de  l'apaiser. 

VALEMTIN. 

Bouillon!  Gomment  une  jeune  fille  peut-elle  prononcer  ce  motpU?EIIe 
me  déplaît;  elle  est  laide  et  sotte.  Adieu ,  mon  oncle ,  je  retourne  à 
Paris. 

VAN  BUCK. 

Plaisantez-Yous?  où  est  votre  parole?  Est-ce  ainsi  qu'on  se  joue  de 
moi?  Que  signifient  ces  yeux  baissés,  et  cette  contenance  défaite?  Est-ce 
à  dire  que  vous  me  prenez  pour  un  libertin  de  votre  espèce  »  et  que  vous 
vous  servez  de  ma  folle  complaisance ,  comme  d'un  manteau  pour  vos  mé- 
chans  desseins?  N'est-ce  donc  vraiment  qu'une  séduction  que  vous  ve» 
nez  tenter  ici  sous  le  masque  de  cette  épreuve!  Jour  de  Dieu!  ^  je  le 
erofaîsl... 

VAUINTIN» 

Elle  me  déplaît ,  ce  n'est  pas  ma  faute ,  et  je  n'en  ai  pas  répondu^ 

VAN  BUCK. 

En  quoi  peut-elle  vous  déplaire?  Bile  est  jolie ,  ou  je  ne  m'y  connais 
pas.  Elle  a  le»  yeui  kmgS'et  bien  fendus,  des efaeveux  superbe,  une  taflle 
passable.  Elle  est  parfaitement  bieaâeTée;  elle  sait  l'anglais  et  l'italien  ; 
elle  aura  treme  mille  livret  d»  rente ,  et  enaUendaat  une  très  beUe  det. 
Quel  reproche  pouvez-vous  lui  faire ,  et  pour  quelle  raison  n'en  voulez- 
vous  pas  ? 

VAIiBBflN. 

Il  n'y  a  jamais  de  raison  à  donner  pourquoi  les  gens  plaisent  ou  dé- 
plaisent. Il  est  certain  qu'elle  me  déplaît,  elle ,  sa  foulure  et  son  bouillon. 

VAN  BDCK. 

C'est  votre  amour-propre  qui  souffre.  Si  je  n'avais  pas  été  là ,  vous  se- 
riez venu  me  faire  cent  contes  sur  votre  premier  entretien ,  et  vous  tar- 
guer de  belles  espérances.  Vous  vous  étiez  imaginé  faire  sa  conquête  en 
un  clin  d'œil ,  et  c'est  là  o(l  le^  bât  vous  blesse.  Elle  vous  plaisait  hier  au 
soir,  quand  vous  ne  Paviez  encore  qu'entrevue,  et  qu'elle  s'empressait 
avec  sa  mère  à  vous  soigner  de  votre  sot  accident.  Maintenant,  vous  la 
trouvez  laide ,  parce  qu'elle  a  fait  à  peine  attention,  à  vous.  Je  vous  con- 
nais mieux  que  vous  ne  pensez ,  et  je  ne  céderai  pas  si  vite.  Je  vous  dé- 
lénds  de  vous  en  aier. 

vAMNTnr. 

Comme  vous  voudrez  ;  je  ne  veux  p^  d'elle;  je  vous  répète  que  je  la 
trouve  laide ,  et  elle  a  un  air  niais  qsà  est  révoltant.  Ses  yeux  sopt  grands» 


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IL  HB  FMJT  flMlBa  fIB 

c'est  Trai»  mais  ils  ne  veulent  wkn  dire;  ses  cheveux  sont  beaux ,  mais 
die  a  le  front  plat  ;  quant  à  la  taille ,  c'estpeut-^étre  ce  qu'dkra^leiiâtfiiXy 
qooique  vous  ne  la  trouviez  que  passable.  Je  la  félicite  desavoir  Fitalien, 
elle  y  a  peiK-élre  plus  d*eaprit  qu'en  français;  pour  ce  ^ui  est  de  sa  ^t, 
qu'elle  la  garde  ;  je  n'en  veux  pas  plus  que  de  son  bouillon. 

VAH  BUCC 

A-t-on  idée  d'une  pareille  tête ,  et  peut-on  s'attendre  à  rien  de  sem- 
blable? Va ,  va  y  ce  que  je  te  disais  hier  n'est  que  la  pure  vérité.  Tu  n'es 
capable  que  de  rêver  des  balivernes,  et  je  ne  veux  plus  m^occuper  de 
toi.  Épouse  une  blanchisseuse  si  tu  veux.  Puisque  tu  refuses  ta  for- 
tune, lorsque  tu  l'as  entre  les  mains,  que  le  liasard  dédde  da reste; 
cberche-le  au  fond  de  tes  cornets.  Dîea  m'est  témoin  que  taa  patlepce  a 
été  telle  depuis  trais  ans  que  nul  autre  peut-être  à  ma  place. .. 

VALENTIN. 

Est-ce  que  je  me  trompe?  Regardez  donc,  mon  onde.  Il  me  semble 
90'eUe  revient  par  ici.  Oui ,  je  l'aperçois  entre  les  arbres;  elle  va  repas- 
ser dans  le  taillis. 

TAN  BUCK. 

Où  donc?  quoi?  qu'est-ce  que  tu  dis? 

YALBKTIN. 

Ke  voyez-vous  pas  une  robe  blanche  derrière  ces  touffes  de  lilas?  Je 
ne  me  trompe  pas;  c'est  bien  eHe.  Vite,  mon  oncle,  rentrez  dans  la 
àÊtniSk ,  ^o'oB  se  bmis  souprenne  pas  «oseflaèle. 

VAN   BOCK. 

A  qooi  bon  y  puisqu'elle  te  déplaît  7 

VALBNTIN. 

n  n'importe ,  je  veux  l'aborder,  pour  q«e  vous  ne  puissiez  pas  dire  que 
je  Pai  jugée  trop  légèrement. 

VAN  BUCK. 

To  l'épouseras  si  elle  persévère?  (U  se  cache  de  nouveau.) 

YALBNTIN. 

Chut  !  pas  de  bruit;  la  voici  qui  arrive. 

CÉClLm  y  entrant. 
Monsieur,  ma  mère  na'a  chargée  de  yow  demanëer  «  vws  eompttes 
partir  aujourd'hui. 

VALBNTJN. 

Oui,  mademoiselle^  c'est  mon  intention»  et  j'ai 4emaDdé  des  chevaux^ 

CÉCILE. 

Cest  qu'on  fait  un  whist  au  salon, «t  «que  ma  mère  vous  serait  bien 
obligée  si  vous  vouliez  faire  le  quatrième. 


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S6  EEVUB  DES  BEUX  MONDES. 

VALBNTfH. 

.  J'en  sois  fAché ,  mais  je  ne  sais  pas  jouer« 

céaLE. 
Et  si  TOUS  vouliez  rester  à  dîner,  nous  avons  un  faisan  truffé. 

VALBNTIN. 

Je  vous  remercie  ;  je  n'en  mange  pas. 

CÉCILE. 

Après  dlneri  il  nous  vient  du  monde,  et  nous  danserons  la  mazourke. 

VALENTIIC. 

£x£usez-moi ,  je  ne  danse  jamais. 

C^ILE. 

C'est  bien  dommage.  Adieu  y  monsieur.  (Elle  sort.) 

VAN  BUCK  y  rentrant. 

Ali  ça!  voyons,  l'épouseras-tu ?  Qu'est-ce  que  tout  cela  signifie?  Tu 
dis  que  tu  as  demandé  des  chevaux;  est-ce  que  c'est  vrai?  ou  si  tu  te 
moques  de  moi  ? 

VALEMIJî. 

Vous  aviez  raison ,  elle  est  agréable  ;  je  la  trouve  mieux  que  la  pre- 
mière fois;  elle  a  un  petit  signe  au  coin  de  la  bouche  que  je  n'avais  pas 
remarqué. 

VAK  BUCK. 

Où  vas-tu?  Qu'est-ce  qui  t'arrive?  Veux- tu  me  répondre  sérieuse- 
ment? 

VALBNTIN. 

Je  ne  vais  nulle  part ,  je  me  promène  avec  vous.  Est-ce  que  vous  la 
trouvez  mal  faite  ? 

VAN  BUCK. 

Moi?  Dieu  m'en  garde  !  je  la  trouve  complète  en  tout. 

VALBNTIN. 

Il  me  semble  qu*il  est  bien  matin  pour  jouer  au  whist;  y  jouez-voos, 
mon  oncle  ?  Vous  devriez  rentrer  au  château . 

VAN  BCCK. 

Certainement ,  je  devrais  y  rentrer  ;  j'attends  que  vous  daigniez  me 
répondre.  Restez-vous  ici,  oui  ou  non?  * 

VALBNTIN. 

Si  je  reste,  c'est  pour  notre  gageure;  je  n'en  voudrais  pas  avoir  le  dé- 
menti; mais  ne  comptez  sur  rien  jusqu'à  tantôt;  mon  bras  malade  me  met 
au  supplice. 

VAN  BUCK. 

Rentrons;  tu  te  reposeras. 


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IL  MB  FAUT  lUJtn  DB  AUDI.  97 

VALBNTIH. 

Oui»  j'ai  eavie  de  prendre  ce  boailkm  qui  est  là-haol;  il  faut  que  j*é- 
erbe  ;  je  vous  reverrai  à  dloer. 

VAN  BUCK. 

Ecrire!  J'espèfe  que  cen*est  pas  à  elle  que  tu  écrii^, 

VALBNTI5. 

Si  je  lui  écris ,  c'est  pour  notre  gageure.  Vous  savez  que  c'est  convenu^ 

VAN  BUCK. 

Je  m'y  oppose  formellement ,  à  moins  que  tu  me  montres  ta  lettre. 

VALBNTIN. 

Tant  que  vous  voudrez  ;  je  vous  dis  et  je  vous  répète  qu'elle  me  plaît 
médiocrement. 

VAN  BUCK. 

Quelle  nécessité  de  lui  écrire?  Pourquoi  ne  lui  as-tu  pas  fait  tout  à 
riieure  ta  déclaration  de  vive  voix ,  comme  tu  te  l'étais  promis? 

VALBNTIN. 

Pourquoi? 

VAN  BUCK. 

Sans  doule;  qu*estrce  qui  t'en  empêchait?  Tu  avais  le  plus  beau  cou» 
rage  du  monde. 

VALBNTIN. 

G*est  que  mon  brag  me  faisait  souffrir.  Tenez ,  la  vdlà  qui  repasse  une 
Iroisième  fois  ;  la  voyez-vous  là  bas,  dans  l'allée? 

VAN  BUCK. 

Elle  tourne  autour  de  la  plate-bande  i  et  la  charmille  est  circulaire.  Il 
n*j  a  rien  là  que  de  très  convenable. 

VALENTIN. 

Ah!  coquette  fille  !  c'est  autour  du  feu  qu'elle  tourne ,  comme  un  pa- 
pillon ébloui.  Je  veux  jeter  cette  pièce  à  pile  ou  face,  pour  savoir  si  je 
Taimerai. 

VAN  BUCK. 

Tâche  donc  qu'elle  t'aime  auparavant;  le  reste  est  le  moins  difficile. 

VALBNTIN. 

Soit;  regardons-la  bien  tous  les  deux.  Elle  va  passer  entre  ces  deux 
toofles  d'arbres.  Si  eUe  tourne  la  tète  de  notre  côté ,  je  l'aime ,  sinon ,  je 
m'en  vais  à  Paris. 

.  VAN  BUCK. 

Gageons  qu'elle  ne  se  retourne  pas. 

VALBNTIN. 

Oh!  que  si;  ne  la  perdons  pas  de  vue. 


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Yàm  BOCK. 

Ttt  at>  rtMoa».  ^.  iftm ,  p«  cycof»  ;  elle  pawtl  iji»  aHeiitif  nwL 

VALBNTlIf. 

Je  suis  sûr  qu'elle  va  se  retourner. 

VAN  BUCK. 

Non  ;  elle  avance  ;  la  touffe  d*arbres  approche.  Je  suis  convainca  qn'eLft  ^ 
n'en  fera  rien. 

VALENTIN. 

ElhS'  doit  pmirtaAl  nous  voir;  rien  ne  nous  cache;  je  voos  dis  qa*dlft  ^^ 
retournera. 

VAN  BUCK. 

Elle  a  passé  9  tu  as  perdu. 

VALENTIN. 

Je  vais  lui  écrire ,  ou  que  le  ciel  m'écrase  I H  faut  que  je  sache  h  qimoi 
m'en  tenir.  C'est  incroyable  qu'une  petite  fille  traite  les  gens  aussi  lég^â— 
rement.  Pure  hypocrisie  !  pur  manège  !  Je  vais  lui  dépécher  un  billet  ^so^ 
règle;  je  lui  dirai  que  je  meurs  d'amour  pour  elle,  que  je  mé  suiscas^^ 
le  bras  pour  la  voir,  que  si  elle  me  repousse,  je  me  brûle  la  cervelle ,  ^^ 
que  si  elle  veut  de  moi  Je  l'enlève  demain  malin.  Yenez^  rentrons,  je  vecv.^^- 
écrire  devant  vous. 

VAM  BUCK. 

Toufc  beau  9  mon  neveu ,  quelle  mouche  vous  pique  ?  Vous  nous  fer^^^ 
quelque  mauvais  tour  iei. 

VALENTIN. 

Croyez-vous  donc  que  deux  mots- en  l'air  puissent  signifier  quelqc:^^ 
chose  ?  Que  lui  ai-jc  dit  que  d'indifiérent ,  et  que  m'a-t-elle  dit  ell*^^'^ 
même?  Il  est  tout  simple  qu'elle  ne  se  retourne  pas.  Elle  ne  sait  rien ,  ^^^^ 
je  n'ai  rien  su  lui  dire.  Je  ne  suis  qu'un  sot,  si  vous  voulez;  il  est  possibB-^^ 
que  je  me  pique  d'orgueil  et  que  mon  amour-propre  soit  enjeu.  Belle  c^*^-* 
laide,  peu  m'importe;  je  veux  voir  clair  dans  son  acné.  Il  y  a  là-dessoi:^^ 
quelque  ruse,  quelque  parti  pris  que  nous  ignorons;  laissez-moi  fair^  ^ 
tout  s'éclaircira. 

VAN  BUCK. 

Le  diable  m'emporte ,  tu  parles  en- amoureux.  Est-ce  que  tu  le  serais  ^^ 
|mr  hasard? 

VALENTIN. 

Non  ;  je  vous  ai  dit  qu'elle  me  déplati.  Faut-il  vous  rebeHre  cent  fois  ï^^ 
même  chose  ?  dépêchons -nous ,  rentrons  au  château. 

VAN  BUCK. 

Je  vous  ai  dit  que  je  ne  veux  pas  de  lettre,  et  surtout  de  celle  dont  vou^ 
parlez. 


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IL  im  miwt  mMk  oie  Ȏn.  W 

VALBNTISr, 

VeMt  UNijoiiFS,  nous  DOM  dédderoBs.  {^  sorttnt) 

SCÈPŒ  IL 

Le  Salon. 
lA  BAROr^^nS  et  L*ABBÉ ,  deraot  tioe  table  de  jeu  préparée. 

LA  BARONNE. 

Tous  direz  ce  que  vous  voudrez ,  c*est  désolant  de  jouer  avec  un  mort. 
"^"^  déteste  la  campagne  à  cause  de  cela. 

L*ABB]â. 

Mais  où  est  donc  M.  Yan  Buck?  est-ce  qu*il  n*est  pas  encore  descendu? 

LA  BARONNE. 

Je  l'ai  VD  tout  à  l'heure  dans  le  parc  avec  ce  monsieur  de  la  chaise , 
^i^ni,  par  parenthèse,  n'est  guère  poli  de  ne  pas  vouloir  nous  rester  à 


\ 


L*;^BÉ. 

S'il  a  des  affaires  pressées. . . 

LA  BARONNE. 

Bah!  des  affaires,  tout  le  monde  en  a.  La  belle  excuse!  Si  on  ne  pen- 
aiit  jamais  qu'aux  affaires,  on  ne«erait  jamais  à  rien.  Tenez,  Tabbé^ 
DOOBS  au  piquet;  je  me  sens  d'une  humeur  massacrante. 

l'aBBÉ  ,  mêlant  les  cartes. 
Il  est  certain  que  les  jeunes  gens  du  jour  ne  se  piquent  pas  d'être  polis» 

LA  BARONNE. 

Polis  !  je  crois  bien.  Est-ce  qu'ils  s'on  doutent?  Et  qu'est-ce  que  c'est 
s  ifètre  poli?  Mon  cocher  est  poli.  De  mon  temps ,  l'abbé ,  on  était  ga- 

l'abbë. 
C'était  le  bon ,  madame  la  baronne,  et  plût  au  ciel  que  j'y  fusse  se  ! 

la  BARONNE. 

J^anrais  voulu  voir  que  mon  frère,  qui  était  à  Monsieur,  tombât  de 
^^n*08se  à  la  porte  d'un  château ,  et  qu'on  l'y  eût  gardé  à  coucher.  Il 
^^t^it  plutôt  perdu  sa  fortune  que  de  refuser  de  faire  oin  quatrième. 
^^ez ,  ne  parlons  plus  de  ces  choses-là.  C'est  à  vous  de  prendre  ;  vous 

^*«ià  kâiaez  pas? 

l'abbé. 
Je  n'ai  pas  un  as;  voilà  M.  Van  Buck.  (Entre Taa  Buck.) 

hJL  BARONNE. 

b;  èt^Arèiwtis  de  parler. 


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40  RBTUE  BB8  BECX  MOmES. 

VAN  BUCKy  bas  i  b  btronoe. 
Madame,  j'ai  deoi  mots  à  vous  dire  qai  soni  de  la  dermère  importaiice. 

Là  BAROBINB. 

Eh  bien!  après  le  marqué. 

VàBBÉ. 

€inq  cartes ,  valant  quarante  et  cinq. 

L4  BARONNE. 

Gela  ne  vaut  pas.  (  Jl  Ytn  Buck.)  Qu'est-ce  donc  ? 

VAN  BUCK. 

Je  vous  supplie  de  m'accorder  un  moment;  je  ne  puis  parler  devant  nn 
tiers  9  et  ce  que  J*ai  à  vous  dire  ne  souffre  aucun  retard. 

hk  BARONNE  M  lève. 

Vous  me  faites  peur;  de  quoi  s*agit-il  ? 

VAN  BCCK. 

Madame ,  c*est  une  grave  affaire ,  et  vous  allez  peut-être  vous  fâcher 
contre  moi.  La  nécessité  me  force  de  manquer  à  une  promesse  que  mon 
imprudence  m'a  fait  accorder.  Le  jeune  homme  à  qui  vous  avez  donné 
l'hospitalité  cette  nuit,  est  mon  neveu. 

LA  BARONNE. 

Ah  !  bah  !  quelle  idée  ! 

VAN  BUCK. 

Il  désirait  approcher  de  vous  sans  être  connu;  je  n'ai  pas  cru  mal  faire 
en  me  prêtant  à  une  fantaisie  quii  en  pareil  cas ,  n*est  pas  nouvelle. 

LA  BARONNE. 

Ah  !  mon  Dieu  !  j'en  ai  vu  bien  d'autres! 

VAN  BUCK. 

Mais  je  dois  vous  avertir  qu'à  l'heure  qu'il  est,  il  vient  d'écrire  à  mademoi- 
selle de  Mantes,  et  dans  les  termes  les  moins  retenus.  Ni  mes  menaces, 
ni  mes  prières,  n'ont  pu  le  dissuader  de  sa  folie  ;  et  un  de  vos  gens,  je  le 
dis  à  regret,  s'est  chargé  de  remettre  le  billet  à  son  adresse.  Il  s'agit 
d'une  déclaration  d'amour ,  et,  je  dois  ajouter,  des  plus  extravagantes. 

I  LA  BARONNE. 

Vraiment!  eh  bien!  ce  n'est  pas  si  mal.  Il  a  de  la  tête,  votre  petit 
bonhomme. 

VAN  BUCK. 

Jour  de  Dieu  !  je  vous  en  réponds  !  ce  n'est  pas  d'hier  que  j'en  sais  quel- 
que ehoie.  Enfin ,  madame,  c'est  à  vous  d'aviser  aux  moyens  de  détonroer 
les  suites  de  cette  affaire.  Vous  êtes  chez  vous;  et,  quant  à  moi,  je  vous 
avouerai  que  je  suffoque,  et  que  les  jambes  vont  me  manquer.  Ouf! 

(  Il  tombe  dans  «ne  chalM.  ) 


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IL  NE  FAUT  JUftEE  DE  RIBIC..  Gt 

LA  lARONRE. 

Ab  !  del  !  qu'est-ce  que  tous  avez  dooc  ?  \  ons  êtes  pAle  comme  un  liiiEe  ! 
Vue!  racontez -moi  tout  ce  qui  s'est  passé,  et  faites-moi  confidence  en- 
tière, 

VAN  BUCK. 

Je  vous  ai  tout  dit  ;  je  n'ai  rien  à  ajouter . 

LA  BABONNB. 

Ab!  bah!  ce  n'est  que  ca?  Soyez  donc  sans  crainte;  si  votre  neveu  a 
écrit  à  Cécile,  la  petite  me  montrera  le  billet. 

VAK  BUCK. 

En  êtes- vous  sûre,  baronnet  Cela  est  dangereux. 

LA  BARONNE. 

Belle  question!  Où  en  serions-nous  si  une  fiUe  ne  montrait  pas  à  sa 
mère  une  lettre  qu'on  lui  écrit  ?     , 

VAN  BUCK. 

Hum  !  je  n'en  mettrais  pas  ma  main  au  feu. 

LA  BARONNE. 

Qu'est-ce  à  dire,  monsieur  YanBuck?  Savez-vous  à  qui  vous  parlez? 
Dans  quel  monde  avez- vous  vécu  pour  élever  un  pareil  doute?  Je  ne  sais  pas 
trop  comme  on  fait  aujourd'hui ,  ni  de  quel  train  va  votre  bourgeoisie  ; 
mais,  vertu  de  ma  vie,  en  voilà  assez;  j'aperçois  justement  ma  fille,  et 
vous  verrez  qu*elle  m'apporte  sa  lettre.  Venez ,  l'abbé,  continuons. 
(  Elle  se  remet  au  jeu.  —  Entre  Cécile,  qui  va  i  la  fenêtre,  prend  son 
oof  rtge  et  s'asseoit  à  Técart.) 

l'abbb. 
Qoarante-cinq  ne  valent  pas  ? 

LA  BARONNE. 

Kon,  vous  n'avez  rien;  quatorze  d'as,  six  et  quinze,  c'est  quatre- 
vingt  quinze.  A  vous  déjouer.  ^' 

L'ABBé. 

Trèfle.  Je  crois  que  je  suis  capot. 

VAN  BUCK,  bas  i  la  baronne. 
Je  ne  vois  pas  que  mademoiselle  Cécile  vous  fasse  encore  de  confidence. 

LA  BARONNE,  bas  à  Van  Bock. 
Tous  ne  savez  ce  que  vous  dites;  c'est  l'abbé  qui  la  gêne  ;  je  suis  sûre 
d'elle  comme  de  moi.  Je  fais  rqiic  seulement.  Cent  dix-sept  de  reste.  A 
voosàCnre. 

UN  DOMESTIQUE,  entrant. 
M.  Tabbé,  on  vous  demande;  c'est  le  sacristain  et  le  bedeau  du  vil- 


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6b  idÉtiifE  i^BS  iifiifx  vokdes. 

Qa'est-ee  tftfWs  me  Yeafent  ?  je  suis  occupé. 

LA  BARONNE. 

Donnez  vos  cartes  à  Van  Buck;  il  jouera  ce  conp-ci  pour  vous. 
(  L'abbé  sort.  Van  Buck  pread  M  ^ilaoe.  ) 

LA  BARONNB. 

Cest  Yons  qui  faites»  et  j'ai  coupé.  Vous  êtes  marqué  selon  toute  ap- 
parence.  Qu'est-ce  que  vous  avez  donc  dans  les  doigts  ? 

VAN  BUCK  9  bas. 
Je  vous  confesse  que  je  ne  suis  pas  tranquille  ;  votre  fille  ne  dit  mot,  et 
je  ne  vois  pas  mon  neveu. 

LA  BARONNE. 

Je  vous  dis  que  j*en  réponds;  c'est  vous  qui  la  gênez;  je  la  vois  d'ici 
qui  me  fait  des  signes. 

VAN  BUCK. 

Vous  croyez?  moi,  je  ne  vois  rien. 

LA  BARONNE. 

Cécile 9  venez  donc  un  peu  ici  ;  vous  vous  tenez  à  une  lieue.  (  Cécile  ip- 
prodie  aoD  ftoteuil.  )  Est-ce  que  vous  n'avez  rien  à  me  dire,  ma  chère? 

CÉCILE. 

Moi?  non,  maman. 

LA  BARONNE. 

Ah!  bah  !  Je  n'ai  que  quatre  cartes,  Yan  Buck.  Le  point  est  à  vous;  j'ai 
trois  valets. 

VAN  BUCK. 

Youlez-vous  que  je  vous  laisse  seules  ? 

LA  BARONNE. 

Non;  restez  donc^  ça  ne  fait  rien.  Cécile,  tu  peux  parler  devant 
monsieur. 

CÉCILE. 

Moi ,  maman  ?  Je  n'ai  rien  de  secret  à  dire. 

LA  BARONNF.. 

Vous  n'avez  pas  à  me  parier? 

CÉCILE. 

lion»  aainsn. 

LA  BASOUMB. 

Cest  inconcevable;  qu'est-ce  que  vous  venez  donc  me  C9tâBr,  Ym 
Buck? 

VAN  BUCK. 

Madame ,  j'ai  dit  la  vérité. 


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Ça  ne  se  peut  pas  :  Cécile  n'a  rien  à  me  c^n^  U  ^tkàâSuÊ  qq*«H&a'a 

rienreçQ. 

VAVBUCK,  M  levant 
Eh!  mMble»,]^  l'ai  vu  de  mes  yeux. 

LA  BAROimSy  se  letaal  aussi. 
Ml  flie^  qaTeitrce  que  cela  signifie  ?  leyez-vous  droke^  et  rt gaidae* 

:    moi.  Qu'est-c^  que  vous  avair  dams  vos  poches? 

CÉCfLV,  pleurant. 
MaiSi  Baman,  ce  n'es^pas  ma  faiite;  c'est  œ  nonrnup  qaîn^a  écrit. 

LA  BARONNE. 

'       Voyons  cela.  (Cécile  donne  la  lettre.  )  Je  suis  curieuse  de  lire  de  son  style, 

i    à  ce  monsieur,  comme  vous  l'appelez.  (Elle  lit.) 

t  Mademoiselle,  je  meurs  d*amour  pour  vous.  Je  vous  ar  vue  ITiiver 
passé,  et,  vous  sachant  à  la  campagne,  j*ai  résolu  de  vous  revoir  on  de 
mourir.  Xai  donné  un  louis  à  mon  postillon...  i> 

Ne  voudrait-il  pas  qu'on  le  lui  rende?  Nous  avons  bien  affaire  de  le 
«mirj 

ta  mon  postillon,  pour  me  verser  devant  votre  porte.  Se'wmnw  t%w^ 
contrée  deux  fois  ce  matin,  et  je  n'ai  rien  pu  vous  dire,  tant  votre  pré- 
sence m'a  troublé.  Cependant,  la  crainte  de  vous  perdre,  et  l'obligation 
acquitter  le  château...  » 

J*aime  beaucoup  ça.  Qu'est-ce  qui  le  priait  de  partir?  C'est  lui  qui  me 
refuse  de  rester  à  dloer.  ' 

>  me  déterminent  à  vous  demander  de  m'accorder  un  rendez-vous.  Je 
*ï«que  je  n'ai  aucun  titre  à  votre  confiance...  d 

La  belle  remarque,  et  faite  à  propos, 
'mais  l'amour  peut  tout  excuser;  ce  soir,  à  neuf  heures,  pendant  ie 
^^  je  serai  caché  dans  le  bois;,  tout  L&jBionde  ici  me  croira  parti,  car  je 
Mrtirai  d«  château  en  voiture  avatfii  diner^  mai»  seeleBieat  pour  faire 
quatre  pas  et  descendre,  d 

Quatre  pas!  quatre  pas!  l'avenue  est  longue;  dirait-on  pas  qu'il  n'y  a 
iv'é  enjamber? 
*  et  descendre.  Si  dans  la  s^ée  voa  pouvez  vous  échapper,  je  vous 

Kleadt;  8lMn>  ia  me  brûle  la  cervelle.  » 
Bien. 

f  la  cervelle.  Je  ne  crois  pas  que  votre  mère...  x> 
AW  que  votre  mère?  voyons  un  peu  cela. 

fasse  grande  attention  à  vous.  Elle-a  une  tête  de  gir....  i» 

Jf  oosieur  Yan  Buck,  qu'estrce  que  cela  signifie? 


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6i  HBTUS  DBS  DKOX  MOH]»«. 

VAN  BUCX. 

Je  n*ai  pas  entendu ,  madame. 

LA  BAAOKNE. 

Lisez  vous-même,  et  faites-moi  le  plaisir  de  dire  à  votre  nevea  qa'O 
sorte  de  ma  maison  tout  à  l'heure ,  et  qu*il  n'y  meUe  jamais  les  piédt. 

y AN  BDCK. 

Il  y  a  girouette:  c'est  positif;  je  ne  m'en  étais  pas  aperçn.  H  m'avait 
cependant  lu  sa  lettre  avant  que  de  la  cacheter. 

.  LA  B4R0N1IB. 

Il  vous  avait  lu  cette  lettre ,  et  vous  l'aves  laissé  la  donner  à  mes  goa! 
Allez»  vous  êtes  un  vieux  sot ,  et  je  ne  vous  reverrai  de  ma  vie. 

(  Elle  sort.  On  entend  le  brait  d*ime  foitora.) 

VAN  BDCE. 
Qu'est-ce  que  c'est?  mon  neveu  qui  part  sans  mol  ?  Eh!  comment  ywit-il 
que  je  m'en  aille?  J'ai  renvoyé  mes  chevaux.  Il  faut  que  je  coure  après 
lui.  (  Il  tort  en  coarant.) 

CBCILB  9  seule. 
Cest  singulier;  pourquoi  m'écrit-il ,  quand  tout  le  monde  veut  Uen 
qu'il  m'épouse? 


ACTE  TROISIÈME. 


SCÈNE  PREMIÈRE. 


Entrent  VAN  BUGK  et  VALENTIN»  qui  frappe  à  une  auberge. 

VALBinruf. 
Bolà  !  hé  !  y  a-t-il  quelqu'un  ici  capable  de  me  faire  une  oommisaion? 

CNGABÇCm  9  sortant. 
Oui,  monsieur,  si  ce  n'est  pas  trop  loin;  car  vous  voyez  q^^^  ploot  à 
verse. 

VAN  BUCK. 

Je  m'y  oppose  de  toute  mon  autorité ,  et  au  nom  des  lois  du  royaiuoe. 

▼ALBNTIN. 

Connaissez-vous  le  château  de  Mantes,  id  près? 


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a.  NE  FAUT  JURER  DE  RIEN.  65 

LB  dARÇON. 

Qoe  oai,  monsieur,  nous  y  allons  tous  les  jours.  C'est  à  main  gauche  ; 
OD  Je  Toit  d'ici. 

TAN  RÛCK. 

Ifoo  ami  y  je  tous  défends  d*y  aller,  si  vous  avez  quelque  notion  du  bien 
et  du  mal. 

VALBNTIN. 

Il  y  a  deux  louis  k  gagner  pour  vous.  Voilà  une  lettre  pour  M"*  de 
Jbntes,  que  vous  remettrez  à  sa  femme  de  chambre,  et  non  à  d'autres, 
et  en  secret.  Dépéchez-vous  et  revenez. 

LE  GARÇOlf. 

Oh  !  monsieur,  n'ayez  pas  peur. 

VAN  BUCK. 

Voilà  quatre  louis  si  vous  refusez. 

LE  GARÇON. 

Oh!  moDseignenr,.!!  n'y  a  pas  de  danger. 

VALBNTIN. 

En  voilà  dix;  et  si  vous  n'y  allez  pas,  je  vous  casse  ma  canne  sur  le  dos. 

LE  GARÇON. 

Oh  !  mon  prince,  soyez  tranquille  ;  je  serai  bientôt  revenu.    (H  sort.) 

VALBNTIN. 

Maintenant ,  mon  oncle,  mettons-nous  à  l'abri  ;  et  si  vous  m'en  croyez  , 
bavons  un  verre  de  bière.  Cette  course  à  pied  doit  vous  avoir  fatigué. 

(lU  8*aMeoient  sur  un  banc.) 

VAN  BOCK. 

Sois-en  certain ,  je  ne  te  quitterai  pas  ;  j'en  jure  par  l'ame  de  feu  mon 
frère  et  par  la  lumière  du  soleil .  Tant  que  mes  pieds  pourront  me  porter, 
tant  qoe  ma  tète  sera  sur  mes  épaules,  je  m'opposerai  à  cette  action  in- 
fâme et  à  ses  horribles  conséquences. 

VALBNTIN. 

Soyez-en  sûr,  je  n'en  démordrai  pas;  j'en  jure  par  ma  juste  colère  et 
|Mr  la  nuit  qui  me  protégera.  Tant  que  j'aurai  du  papier  et  de  l'encre,  et 
qu'il  me  restera  un  louis  dans  ma  poche ,  je  poursuivrai  et  achèverai  mon 
dessein,  quelque  chose  qui  puisse  en  arriver. 

VAN  BUCK. 

ITas-tn  donc  plus  ni  foi  ni  vergogne,  et  se  peut-il  que  tu  sois  mon 
sang?  Quoi!  ni  le  respect  pour  l'innocence,  ni  le  sentiment  du  conve- 
nable, ni  la  certitude  de  me  donner  la  fièvre,  rien  n'est  capable  de  te 
toucher! 

VALBNTIN. 

If  Rvez-vous  donc  ni  orgueil  ni  hpnte,  et  se  peut-il  que  vous  soyez  mon 

TOMBVIU  S 


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m  '  . «BTI7BriI>ISiaBUX  »JM!M»^  > 

oncle?  Quoi!  ni  l'insulte  que  Tour  «itiis^fail  9  nlla  manière  dont  on  nous 
ehuse,  ni  les  iijtfres  qu'on  fwsia  dîtià  motreidxarbti^  rittun'eatcapièie 
de  vous  donner  du  cœur  I    . 

Encore  ^r  tu  éUrsamoareuT^  si  je'pouTais-crotreqne'taitd'cxtfaTB- 
gances  partent  d'un  motif  qui  eût  quelque  chose  d'humain  !  Mats  noirj'ta 
n'es  qu'un  Lovelace,  tu  ne  respires  que  trahisons ,  et  la  plus  exécrable 
vengeance  est  ta  seule  soif  et  ton  seul  amour. 

VALENTIN. 

Encore  si  je  vous  voyais  pester  !  si  je  pouvais  me  dire  qu'au  fond  de 
l'ame  vous  envoyez  cette  baronne  et  son  monde  à  tous  les  d tables I  Mais 
non,  vous  ne  craignez  que  la  pluie ,  vous  ne  pensez  qu'au  mauvais  temps 
qu'il  fait  y  et  le  soin  de  vos  bas  chtiiés  est  votre  seule  peur  et  votre  seul 
tourment. 

TJM  BUCK. 

Ah  !  qu'on  a  bien  raison  4e  4tre  qu^«Mio>  ppemière  lavle  mèDe  è  «a 
précipice  I  Qui  m'eût  pu  prédire^ce  nulis,  lorsque  le  barbier  m'a  rasé, 
et  4^e  j'ai  nris  mon  habit  aeof ,  que  j&serais  'ce*  soir*  dans  une  ^raoçe  » 
crotté  et  trempé  jusqu'aux  os!  Quoi!  c'est  moi!  Dieu  juste!  à  mon  âge  ! 
II  faut  que  je  quitte  ma  chaise  de  posie  oCi  aous  étions  si  bien  infitaftés, 
il  faut  que  je  coure  à  la  suite  d'un  fou ,. à  travers  champs,  en  rase  cam- 
pagne !  Il  faut  4ue  je  me  traîne  à  ses  talons ,  comme  un  confident  .de  tra- 
gédie, et  Je  résultat  de  tast  de  sueurs  sera  ie  déshonneur  de  moaiu>m  I 

VALBNTIN. 

C'est  au  contraire  par  la  retraite  que  nous  pourrions  nous  désho- 
Borer,  et  noa  par  uue  glorieuse  campagne  dont  nous  ne  sortirons  ^ue 
vainqueurs.  Rougissez,  mon  oncle  Vas  Buck,  mais  que  ce  soit  d'une 
noble  indignatioBsVous  me  traitez  de  Lovelace;  oui,  par  ie  ciel!  ce  nom 
me  convient.  Comme  à  lui,  on  me  ferme  une  porte  surmontée  de  fières 
armoiries;  comme  lui,  une  famille  odieuse  croit  m'abattre  par  uu 
affront;  comme  lui,  comme  l'épervier,  j'erre  et  je  tournoie  aux  envi- 
rons; mais,  comme  lui,  je  saisirai  ma  proie,  et  comme  Clarisse,  la  sublime 
bégueule,  ma  bien-aimée  m'appartiendra. 

VAN  BUCK. 

Âh!  ciel!  que  ne  suis-je  à  Anvers,  assis  devant  mon  comptoir,  sur 
mon  fauteuil  de  cuir,  et  dépliant  mon  taffetas!  Que  mon  frère  n*esi-îl 
mort  garçon,  au  lieu  de  se  marier  ù  quarante  ans  passés!  Ou  plutôt  que  ne 
suis-]e  mort  moi-même,  le  premier  jour  que  la  baronne  de  Manies  m'a 
invité  à  déjeuner  I 

VAUUITUC. 

î^ie^ regrettez  ^pie  lemenacnt  où,  par  une  fatale  faiblesae,  vous  avez 


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IL  IIB  FAUT  JURER  DE  RIEN.  87 

i^éléà  cette  femine  le  secret  de  BOlre> traité.  Cest  vous  qui  avez  causé 
bmal;  cessez  d6'iii'iajuf4«*r9  moi  qai  le  réparerai.  Dout^z^^voo»  que  cette 
petite  fillev  qui  caicbe  si  bien  les  billets  doux  dans  les  poches  de  <8oq  la- 
hiier,  ne  fût Teoaeau  readefr^vous  donné.?  Oui^  à^coup^sÉreile  y«erait 
Tenue;  donc  elle  viendra  encore  mieux  cette  fois.  Par  mon  patron!  je 
me  fais  une  fête  de  la  voir  descendre  en  peignoir,  en  cornette  et  en  pe- 
tits soolterB,  de  cette  grande  caserne  de  brique»  rooillées  !  Je  ne  l'aime 
pas»  mais  je  l*aimerais,  que  la  vengeance  serait  la  pins  forte ,  et  tnerait 
l'amour  dan^  mon  cœur.  Je  jure  qu*eile  âera  ma  maîtresse,  mais  qu'elle 
ne  sera  jamais  ma  femme;  il  n'y  a  maintenant  ni  épreuve,  ni  promesse, 
ni  alternative;  je  veux  qu'on  se  souvienne  à  jama\^  dans  cette  famille  du 
jour  où  l'on  m'en  a  chassé. 

L'AtlBERGiSTE,  sortaot  de  la  maison. 
Messieurs,  le  soleil  commence  à  baisser;  est-ce  que  vous  ne  me  . 
ferez  pas  l'honneur  de  diner  chez  moi  ? 

VALEXTIN. 

Si  fait;  apportez-nous  la  carte,  et  faites-nous  allumer  du  feu.  Dès 
que  votre  garçon  sera  revenu ,  vous  lui  direz  qu'il  me  donne  réponse. 
Allons,  mon  oncle,  un  peu  de  fermeté  ;  venez  et  commandez  le  diner. 

VAN  BUGK. 

Ils  auront  du  vin  détestable;  je  connais  le  pays;  c*est  un  vinaigre 

affreux.. 

l'aubergiste. 

Pardonnez-moi;  nous  avons  du  Champagne,  du  chambertin,  et  tout 
ce  que  vous  pouvez  désirer. 

VAX  BUGK. 

En  vérité?  dans  un  treu  pareil  ?  o'est  inpossible  ;  yous]  nous  «n  im- 
posez. 

l'aubergiste. 

C'est  ici  que  descendent  les  messageries,  et  vous  verrez  si  nous 
manquons  de  rien. 

VAN   BOOK. 

Ailons!  tâefaons  donc  de  dtner;  je  sensqve  ma  mort  est  proûbiine, 
et  qae  dans  pea  je  ne  dînerai  pAus.  (  lU  sortent^ } 

SCÈNE  IL 

A«  château.  Un  mIob. 
Entrent  LA  BARONNE  et  UABBÉ, 

LA  BARONNE. 

Dieu  soit  loué,  ma  fille  est  enfermée.  Je  crois  que  j*en  ferai  une  ma- 
ladie. 

5, 


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68  EEYUE  DES  DEUX  MONDES. 

L*ABBÉ. 

Madame  I  8*il  in*est  permis  de  voos  domier  an  conseil ,  je  tous  dirai 
que  j'ai  grandement  peor.  Je  crois  avoir  vu  en  traversant  la  cour. «n 
homme  en  blouse ,  et  d'assez  mauvaise  mine,  qui  avait  june. lettre  à  la 
main. 

Là  B4B0NNE. 

Le  verrou  est  mis;  il  n*y  a  rien  à  craindre.  Aidez-moi  un  peu  à  ce 
bal  ;  je  n*ai  pas  la  force  de  m*en  occuper. 

l'abbé. 
Dans  une  circonstance  aussi  grave,  ne  pourriez-vous  retarder  tos 
projets? 

LA  BABONNE. 

Êtes-vous  fou  ?  Vous  verrez  que  j'aurai  fait  venir  tout  le  faubourg 
Saint-Germain  de  Paris,  pour  le  remercier  et  le  mettre  à  la  porte?  Ré- 
fléchissez donc  à  ce  que  vous  dites. 

l'abbé. 
Je  croyais  qu'en  telle  occasion,  on  aurait  pu  sans  blesser  personne...    ' 

LA  BARONNE. 

Et  an  milieu  de  ça,  je  n'ai  pas  de  bougies  !  Voyez  donc  un  peu  si  Dupré 
est  là. 

l'abbé. 
Je  pense  qu'il  s'occupe  des  sirops. 

LA  BARONNE. 

Vous  avez  raison;  ces  maudits  sirops,  voilà  encore  de  quoi  mourir.  Il 
y  a  huit  jours  que  j'ai  écrit  moi-même,  et  ils  ne  sont  arfivès  qn*il  f  a 
une  heure.  Je  vous  demande  si  on  va  boire  ça. 

l'abbé. 
Cet  homme  en  blouse,  madame  la  baronne,  est  quelque  émissaire, 
n'en  doutez  pas.  Il  m'a  semblé  ^  autant  que  je  me  le  rappelle,  qu'une  de 
vos  femmes  causait  avec  lui.  Ce  jeune  homme  d'hier  est  mauvaise  télé , 
et  il  faut  songer  que  la  manière  assez  verte  dont  vous  vous  en  êtes  dé- 
livrée.... 

LA  BARONNE. 

Eah  !  des  Van  Buck  ?  des  marchands  de  toile  ?  qu'est-ce  que  vous  voulez 
donc  que  ça  fosse?  Quand  ils  crieraient ,  est-ce  qu'ils  ont  voix?  Il  faut 
que  je  démeublè  le  petit  salon  ;  jamais  je  n'aurai  de  quoi  asseoir 
jnonde. 

l'abbé. 

Est-ce  dans  sa  chambre  i  madame ,  que  votre  fille  est  enfermée  ? 


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IL  NE  FAUT  JURER  BE  RIEN.  69 

LÀ  BilRONNB. 

I>ix  et  dix  font  vingt  ;  les  Raimbaut  sont  quatre;  vingt,  trente.  Qu'est- 
ce  «lue  TOUS  dites  y  Tabbé  ? 

l'abbé. 

Je  demande  y  madame  la  baronne,  si  c'est  dans  sa  belle  chambre  jaune 
que  mademoiselle  Cécile  est  enfermée  ? 

LA  BARONNE. 

Non  ;  c'est  là ,  dans  la  bibliothèque;  c'est  encore  mieux  ;  je  l'ai  sous  la 
main.  Je  ne  sais  ce  qu'elle  fait ,  ni  si  on  l'habille  •  et  voilà  la  migraine  qui 
me  prend* 

l'abbé. 
Désirez- vous  que  je  l'entretienne? 

,  LA  baronne. 
Je  vous  dis  que  le  verrou  est  mis;  ce  qui  est  fait  est  fait;  nous  n'y  poo» 
Tons  nen. 

l'abbé. 
Je  pense  que  c'était  sa  femme  de  chambre  qui  causaitavecce  lourdaud. 
Veuillez  me  croire  »  je  vous  en  supplie;  il  s'agit  là  de  quelque  anguille 
sons  roche ,  qu'il  importe  de  ne  pas  négliger. 

LA  BARONNE. 

Hécldémenty  il  faut  que  j'aille  à  l'office;  c'est  la  dernière  fois  que  je 
reçois  Ici.  (Elle  sort.) 

l'abbé,  seul. 
n  me  semble  que  j'entends  du  bruit  dans  la  pièce  attenante  à  ce  salon . 
Ne  8erait*ce  point  la  jeune  fille  ?  Hélas  !  ceci  est  inconsidéré  ! 

CÉCILE  y  en  dehors. 
Monsieur  l'abbé ,  voulez-vous  m'ouvrir  ? 

l'abbé. 
Mademoiselle  y  je  ne  le  puis  pas  sans  autorisation  préalable* 

CÉCILE  9  de  même. 

'^        La  clé  est  là,  sons  le  coussin  delà  causeuse  ;  vous  n'avez  qu'à  la  prendre^ 
tl  vous  m'ouvrirez. 

L*ABBÉ  ;  prenant  la  dé. 
Vous  avez  raison ,  mademoiselle,  la  clé  s*y  trouve  effectivement  ;  mais 
je  ne  puis  m'en  servir  d'aucune  façon ,  bien  contrairement  à  mon  vou- 
loir. 

CÉClLEy  de  même. 
Âh  !  mon  Dieu  !  je  me  trouve  mal  ! 
t  l'abbé.  ""    . 

Orand  Dieu!  rappelez  vos  esprits,  le  vais  quérir  madame  la  baronne. 

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79  REVUE  MSS  DEUX  MONDES. 

Est- il  possible  qu'un  accident  funeste  vous  ait  frappées!  subitement?  Aq 
nom  du  ciel  !  mademoiselle,  réponiiez-moi,  que  ressentez- vous? 
CÉCILE  de  même. 
Je  me  trouve  mal  I  je  me  trouve  mal  ! 

l'abbé. 
Je  ne  puis  laisser  expirer  ainsi  une  sr charmante  perBMiie.,.Bi«  f<ii!  j^ 
prends  sur  moi  d'ouvrir  ;  on  en  dira  cequ'oB  voudra.  (II  ouvre  la  porte.) 

CÉCILE. 

Ma  fol,  r^bbé,  je  prends  sur  moi  de  m'en  aller ;'on  en  dira  ce  q»*» 
youdra.  (Elle  «»t  en  coortnt.  ) 

SCÈNE  m. 

Un  peut  bois» 
Entrent  VAN  BUCK  et  VALENTIN. 

VALBNTIN. 

Larlane  se  lève  et  l'orage  passe.  Voyez  ces  perles  sur  les  fouilles  ;  comme 
ce  vent  tiède  les  fait  rouler  I  A  peine  si  le  sable  garde  l'empreinte  de  no» 
pas;  le  gravier  sec  a  déjà  bu  la  pluie. 

VAN  BUCK. 

Pour  une  auberge  de  hasard  »  nous  n'avons  pas  trop  mal  dîné.  J'avais^ 
besoin  de  ce  fagot  jQambant;  mes  vieilles  jambes  sont  ragaillardies.  £b 
bien  !  garçon ,  arrivons-nous  î 

VALEMIN. 

Voici  le  terme  de  notre  promenade  ;  mais  si  vous  m'en  croyez ,  à  pré- 
sent, vous  pousserez  jusqu'à  cette  ferme  dont  les  fenêtres  brillent  là-bas. 
Vous  vous  mettrez  au  coin  du  feu,  et  vous  nous  commanderez  nn  grand 
bol  de  vin  chaud ,  avec  du  sucre  et  delà  cannelle. 

VAN  BUCK. 

Ne  te  feras-tu  pas  trop  attendre?  Combien  de  temps  vas-tu  rester  icii^ 
SoBgedu  moinaà tMitBs  les  psomcsses»  etàôtre  peètMi  mênie  temps 
que  les  chevaux. 

VALENTIN. 

Je  vous  jure  de  n'entreprendre  ni  plus  <  ni  moins  que  ce  dont  nous  mbh 
mes  convenus.  Voyez,  mon  oncle,  comme  je  vous  cède,  et  comonQ,  .en 
tout,  je  fais  vos  volontés.  Au  fait ,  dîner  porte  conseil,  et  je  sens  bien  que^ 
la  colère  est  quelquefois  mauvais  ami.  Capitulation  de  part  et  d'autre. 
Vous  me  permettez  un  quart-d'heure  d'amourette,  et  je  renonce^  toute- 
espèce  de  vengeance.  La  petite  retournera  chez  elle,  nous  à  Paris,  et  tout 
Bera  dit.  Quant  à  la  détestée  baronne»  je  lui  pardonne  en  l'oubliant. 


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IL  wmwkm>  99Km^  »  mbk.  VI 


.\ 


¥iMf 

Cest  à  merTeille  !  Et  n'aie  pas  de.craiate^qu&  tu  manques  de  femme 
Pour  cela.  Il  n*e$t  pas  dit  qu'une  vi«i&i&>lûiUef£Bffa(ilort  à  d*honnétes  gens , 
c^ui  ont  amassé  un  bien  considérable^  el' qui  iie«90iit  point  mal  tournés. 
'Vrai  l}ieu  !  il  fait  beau  clair  de  lune;  cela  me  rappelle  mon  jeune  temps.  - 

VALBNTIH, 

Ce  billet  doux  que  je  viens  de  recevoir,  n'est  pas  si  niais,  savez-vous? 
œtte  petite  fille  a  de  l'esprit,  et 'même  t|aelque  chose  de  mieux;  oui,  il  y 
^  ^a  cosor'dans  ces  trois  lignes  ;  je  ne  sais  quoi  de  tendre  etide  hardi ,  de 
^mr^oai  et  de  brareen  même  temps  ;  le  rendez- vous  qu'elle  m'assigne 
^esty  dtt  reste,  comme  son  billet.  Regardezcebosquet,  ce  ciel,  ce  coin  de 
verdure  dans  un  lieu  si  sauvage.  Ah!  que  le  cœur  est  un  grand-mattre! 
On  n'invente  rien  de  ce  qu'il  trouve,  et -c'est  lui  seul  qui  choisit  tout. 

VAN  BOCK. 

Je  me  souviens  qu'étant  à  La  Ha  je ,  j*eus  une  équipée  de  ce  genre* 
C'était,  ma  foi,  un  beau  brin  de  fille;  elle  avait  cinq  pieds  et  quelques 
pouces,  et  une  vraie  moisson  d'tafipaSkQiieUes^  Vénus  que  ces  Flamandes! 
On  ne  sait  ce  que  c'est  qu'une  fontflietàtiMréseatçiâans  toutes  vos  beautés 
pa.risiennes,  il  y  a  moitié  chair  et'meitté'CotOB. 

VALENTUi. 

Il  me  semble  que  j'aperçois  desiaenr»  q^i'Cffreot  là-bas  dans  la  forêt. 
4^  ci*est-ce  que  cela  voudrait  dire  ?  Nous  traifiierait«on-à  l'heure  qu'il  est? 

^est  MM  deute  le  bal  >qu*Mi  prépare  ;  il  y  a  fétecesoir  au  ohàteaai 

VALENTIN. 

Séparons-nous  pour  plus  de  sûreté;  dans  une  demi- heure,  à  la 
fex-me. 

TAN  BDGK. 

C6iiidii;.bmmeehaQee,  garçon;  tu  .me  coTiteras^onH^Mre^  etiioii»ea 
f&<~^ns  quelque  chanson;  c'était  notre  ancienne  manière;  pas  de  fredàkie 
qca  i  ne  fit  un  couplet .  (Il  chante.) 

Ehf  vraiment,  oui,  mademoiselle, 
Eh  I  vraiment  oui,  nous  serons  trois. 

(^^Icatin  sort.  On  voit  des  hommes  quitrartenttles  torches,  rèder  à  travers  la  fbHSt.  En« 
trent  laimromieet  i\kM)é.) 

LA  BARONNE. 

CTcst  clair  comme  le  jour;  elle  esr folié.  C'est  un  vertige  qui  lui  a 

l'abbé. 
£Ue  me  crie  :  «  Je^me^trouve  mal;»  vous  conoeverma  position. 


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72  aBTUE  ras  racx  iioiii>£fr* 

VAN  BUCKy  chantant. 

Il  est  donc  bien  Tnd, 
Cliannante  Colcflte» 
11  est  donc  bien  vrai 
Que  pour  voire  fête»  , 
Colin  Toni  a  fUt... 
Présent  d*nn  bouqnet. 

LA  BARONNE» 

Et  justement  9  dans  ce  moment-là ,  je  vois  arriveir  une  voilure.  Je  n'a 
eu  que  le  temps  d'appeler  Dupré.  Dupré  n'y  était  pas.  On  entre,  œ 
descend.  C'étaient  la  marquise  de  Yalangoujard  et  le  baron  deVille- 
bouzia. 

l'abbé. 

Quand  j'ai  entendu  ce  premier  cri,  j'ai  hésité;  mais  que  voulez-vou^ 
faire?  Je  la  voyais  là,  sans  connaissance,  étendue  à  terre;  elle  criait  à  tn& 
tête,  et  j'avais  la  clé  dans  ma  main. 

VAN  BOCK,  dianlant. 
Qnand  il  tous  l*o!Mt, 
Charmanie  branette. 
Quand  il  vous  l*offrit, 
PeUle  Colette^ 
On  4lt  qm*il  yons  prit... 
JDn  frisson  snbit. 

LA  BABONNB. 

Conçoit-on  ça?  je  vous  le  demande.  Ma  fille  qui  se  sauve  à  trav^ 
champ,  et  trente  voitures  qui,  entrent  ensemble.  Je  ne  survivrai  jamais 
un  pareil  moment. 

l'abbb. 

^ncore  si  j*âvais  eu  le  temps,  je  l'aurais  peut-être  retenue  par  ^ 
schaU,...  ou  du  moins..,,  enfin,  par  mes  prières,  par  mes  justes  obs^ 
vaticms. 

VAN  BCCK. 

Dites  i  présent. 
Charmante  bergère, 
Dites  à  présent 
Qne  yoQs  n*aimez  gnère , 
Qn'nn  amant  constant..* 
Yons  Issee  «n  présent. 

LA  BARONNE. 

Cest  VOUS,  Van  Buck?  Ah!  mon  cher  ami^nous  sommes  perdiL' 
qu'estrce  que  ça  veut  dire  ?  Ma  fille  est  folle,  ^e  court  les  champs  !  Avetf 
vous  idée  d'une  chose  pareille?  J^ai  quarante  personnes  chez  moi;  o^ 


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IL  IfB  FAUT  HJRBR  DE  RIEN.  7S 

^voilà  à  pied  par  le  temps  qu'il  fait.  Vous  ne  Tavez  pas  Tae  dans  le  bois? 
^ile  s'est  san^ée,  c'est  comme  en  rôve;  elle  était  coiffée  et  poudrée  d'un 
oôté,  c'est  sa  fille  de  chambre  qui  me  l'a  dit.  Elle  est  partie  en  souliers 
<ie  satin  blanc;  ellora  reùvereé l'abbé  qui  était  là,  et  lui  a  passé  surle 
oorps.  J'en  rais  mourir  !  Mes  gens  ne  trouvent  rien  ;  et  il  n'y  a  pas  à  dire, 
il  faut  que  je  rentre.  Ce  n'est  pas  votre  neveu ,  par  hasard  »  qui  nous 
jouerait  un  tour  pareil?  Je  vous  ai  brusqué ,  n'en  parlons  plus. Tenez , 
«LÎdez-moi  et  faisons  la  paix.  Vous  êtes  mon  vieil  ami,  pas  vrai?  Je  suis 
mère,  Yan  Buck.  Ah  !  cruelle  fortune!  cruel  hasard I  que  t'ai-je  donc 
fait?  (Elle  se  met  à  pleurer.) 

TAM  BUGE. 

Est-il  possible ,  madame  la  baronne  !  vous ,  seule  à  pieds  !  Vous ,  cher- 
chant votre  fille!  Grand  Dieu!  vous  pleurez!  Ah!  malheureux  que  je 
sois  ! 

L'ABBé. 

Sauriez-vous  quelque  chose,  monsieur?  De  grâce,  prêtez-nous  vos 
lumières. 

VAW  BUCK. 

Venez ,  baronne  ;  prenez  mon  bras,  et  Dieu  veuille  que  nous  les  trou- 
vions! Je  vous  dirai  tout;  soyez  saus  craintç.  Mon  neveu  est  homme 
d'honneur,  et  tout  peut  encore  se  réparer. 

LA  BAROHNE. 

Ah?  bah  !  C'était  un  reodéz-vous  ?  Yoyez-vous  la  petite  masque  !  A  qui 
se  fier  désormais?  '  (Us  sorteat.) 

SCÈNE  IV. 

Une  clairière  dans  le  bois. 
Entrent  CÉCILE  ET  VALENTIN. 

YALENTIN. 

Qui  est  là  ?  Cécile ,  est-ce  vous  ? 

CÉCILE. 

C'est  moi.  Que  veulent  dire  ces  torches  et  ces  clartés  dans  la  forêt? 

VALENTIN. 

Je  ne  sais;  qu'importe?  Ce  n'est  pas  pour  nous. 

CâCILB. 

Venez  là,  où  la  lune  éclaire;  la,  où.vous  voyez  ce  rocher. 

VALENTIN. 

Non ,  venez  là  où  il  fait  sombre  ;  là,  sous  l'ombre  de  ces  bouleaux.  Il  est 
pbssible^qu'on  vous  cherêhe ,  et  il  faut  échapper  aux  yeux . 


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Tk*  .MVVB  .Nift-4MRrXr 


iC6iiiivvê«drae^cluL9n«iteflllfi;«ù4o  i«at^ Je'te^vttffrai.IVe'infOtrpaB 
cetttpnwii»  t«BMiiiitgr*«t«»«*^^WI^"^^  i  wwi  en 

*  n'ai  pts'pu  ir«iir'pkr«'Tile;Y^a-t*Hièûp-tctnpi  qne  tous  nfat- 
MMiéz? 

VlLUBItriN. 

Depais  <|ii^laJ«nB  -esidâns  le  ciel;  regarde  cette  lettre  trempée  d*< 
larmes;  c'est  le  billet  que  tu  m-'as^éarit. 

CECILE. 

Moteur  !  GTeselé  vent  et  laptuietiuî  ont  pleuré  sur  cepapfer. 

TÀLBlfTIN. 

Non  y  ma  Gécile>  c'est  la  joie  et  l'amour^  c'est  le  bonheur  et  le  désir. 
Qui  finquiète?  Pourquoi  ces  regards?  que  cherches-tu  autour  de  toi? 

GéCILB. 

C'^t  4nogiiMec;, jft  ae  me.  rwQimais.>faa;  M^^al  «oli^  «^^ 
le  voir  ici. 

YALENTIN. 

Mon  oncle  est  gris  de  chambertin  ;  ta  mère  est  loin  et  tout  est  tranquille. 
Ce  lieu  est  celui  que  tu  as  choisi,  et  xjae  ta  lettre  m'indiquait. 

CÉCILE. 

,    Votre  oncle  est  gris?  Pourquoi,  ce  matin,  se  cachait-il  dans  la  char- 
mille? 

▼JLBVfUI. 

Ce  matin?  où  donc?  que  ^oox'-tit  dire?.  Je  me  promenais  seul  dans  le 

jardin. 

cteu. 

Ce  matin,  quand  je  vous  ai  parlé,  votre  oncle  était  derrière  un  arbre. 

Est-ce  que  vous  ne  le  saviez  pas?  Je  Tai  vu  en  détournant  l'allée. 

YALENTIN. 

n  faut  que  tu  te  sois  trompée;  je  ne  me  suis  aperçu  de  rien. 

CÉCILE. 

Oh  !  je  l'ai  bien  vu;  il  écartait  les  branches ;.€'était  peut-être  pour  nous 
épier. 

YAmiTRf. 

Quelle  folie!  tù  as  fèitiun<T«V«t  N'to^ parions  phis.  Dosne-^moi  on 
baiser. 

OBCUiBi. 

Oui  y  mon  ami,  el  ée  tout  hwa  oqm«;  asseymHveiialà  p«è8'<leraMk 


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IL   ITE  FAirr  JURER  DE  RIEN.  *?S 

Pourquoi  doDc,  dans  votre  lettre  d'hier^  ayez-yoas  dit  du  mal  dé  ma 
«ère? 

VALENTIN. 

X^rdonne-mor;  Vest  un  moment  de  délire^  et  je  n'étab  pas  maître  dé 

tSÉ€UiE. 

lElIe  m'a  demandé  cette  lettre,  et  je  n'osais  la  lui  mootrar.  Jesro^stfîe 
^Xai  allait  arriver;  mais  qui  est-ce  donc  qui  Favait  avertie?  Elle  n'a  pour- 
^^çt  rien  pu  deviner;  la  lettré  était  là,  dans  ma  poche. 

VAUBNTIN. 

Pafivre  enfant!  On  fa  maltraitée;  c'est  ta  femme  de  charabfeAqui 
^^^nratrahie.  Aquisefier  enjpareilcas?  j 

ctoLK. 
Oh  !  non  ;  ma  femme  de  chambre  est  sûre;  il  n^  avait  que  fiàiredè  lui 
^«nner  de  l'argent.  Mais  en  manquant  de  respect  pour  ma  mère,  vous 
"^«viez  penser  que  vous  en  manquiez  pour  moi. 

VALEriTlN. 

N'en  parlons  plus,  p  uisque  tu  me  pardonnes.  Ne  gâtons  pas  un  si  pré- 
^^îeux  moment.  Oh!  ma  Cécile,  que  tu  es  belle,  et  quel  bonheur  repose 
^n  toi  !  Par  quels  sermens,  par  quels  trésors  puis-je  payer  tes  douces  ca- 
x^esses?  Ah!  la  vie  n'y  suffirait  pas/ Viens  sur  mon  cœur;  que  le  tien  le 
:^ente  battre,  et  que  ce  beau  ciel  les  emporte  à  Dieu  !  ^ 

céaLE. 

Oui,  Yalentin,  mon  cœur  est  sincère.  Sentez  m«5 cheveux,  comme  ils 
-sont  doux;  j'ai  de  l'iris  de  ce  côté-là,  mais  je  n'ai  pas  pris  le  temps  d'en 
snettre  de  l'autre.  Pourquoi  donc,  pour  venir  chez  nous,  avez^vous  caché 
'^otrenom? 

VALEMTIN. 

Je  ne  puis  le  dire;  c'est  un  caprice  ,  une  gageure  que  j?a vais  faite. 

CÉCILE. 

Une  gageure  !  Avec  qui  donc? 

VALENTIN. 

Je  n'en  sais  plus  rien.  Qu'importent  ces  folies? 

CÉaLE. 

Avec  votre  onde ,  peut-être  :  n'es^-ce  pas? 

VALENTIN. 

1Ç»0ui.  Je  t'aimais,  et  je  voulais  te  connaître,  et  que  personne  ne  fût 
^^ntre  nous. 

CÉCILE. 

Vous  avez  raison.  A  votre  place,  j'aurais  voulu  faire  comme  vous. 

VALENTIN. 

pourquoi  es-tu  si  curieuse,  et  à  quoi  bon  toutes  ces  questions?  Ne 


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76  -  EBYUB  DBS  DEUX  MORDES. 

m'aimes-tu  pas,  ma  belle  Cédie?  Réponds-moi  oui,  et  que  toat  soit 
oublié. 

CÉCILE. 

Oui  9  cher,  oui ,  Cécile  vous  aime^  et  elle  voudrait  être  plus  digue  d'être 
aimée;  mais  c'est  assez  qu'elle  le  soit  pour  vous.  Mettez  vos  deux  mains 
daos  les  mieuues.  Pourquoi  donc  m'avez-vous  refusé  tantôt  quand  je  vous 
ai  prié  à  dîner? 

TALBNTIir. 

Je  voulais  partir  :  j'avais  affaire  ce  soir. 

.    CÉaLB. 

Pas  grande  affaire ,  ni  bien  loin ,  il  me  semble;  car  vous  êtes  descendu 
au  bout  de  l'avenue. 

YALBNTIN. 

Tu  m'as  vu  !  Gomment  le  sais-tu  ? 

CÉCILE. 

Ob  I  je  guettais.  Pourquoi  m'avez-vous  dit  que  vous  ne  dansiez  pas  la 
mazourke?  je  vous  l'ai  vu  danser  l'autre  hiver. 

VALENTIN. 

Où  donc  ?  Je  ne  m'en  souviens  pas. 

CÉCILE. 

Chez  madame  de  Gesvres,  au  bal  déguisé.  Comment  ne  vousen  soa- 
venez-vous  pas?  Vous  me  disiez  dans  votre  lettre  d'hier  que  vous  m'a^ 
viez  vue  cet  hiver;  c'était  là. 

VALENTIN. 

Tu  as  raison;  je  m'en  souviens.  Regarde  comme  cette  nuit  est  pure  ! 
Comme  ce  vent  soulève  sur  tes  épaules  cette  gaze  avare  qui  les  entoure  ! 
Prête  l'oreille  ;  c'est  la  voix  de  la  nuit;  c'est  le  chant  de  Toiseau  qui  invite 
an  bonheur.  Derrière  cette  roche  élevée ,  nul  regard  ne  peut  nous  dé- 
couvrir. Tout  dort,  excepté  ce  qui  s'aime.  Laisse  ma  main  écarter  ce 
voile,  et  mes  deux  bras  le  remplacer. 

CÉCILE. 

Oui  y  mon  ami.  Puissé-je  vous  sembler  belle  !  Mais  ne  m'ôtez  pas  votre 
main;  je  sens  que  mon  cœur  est  dans  la  mienne ,  et  qu'il  va  au  vôtre  par 
là.  Pourquoi  donc  vouliez- vous  partir,  et  faire  semblant  d'aller  à  Paris? 

VALENTIN. 

Il  le  fallait;  c'était  pour  mon  oncle.  Osais-je,  d'ailleurs,  prévoir  que 
tu  viendrais  à  ce  rendez-vous?  Oh  !  que  je  tremblais  en  écrivant  cetto 
lettre,  et  que  j*ai  souffert  en  t'attendant! 

CÉaLE. 

Pourquoi  ne  serais-je  pas  venue,  puisque  je  sais  que  vous  m'épouserez? 


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IL  RB  PAOT  ICim  DB  UBM.  17   . 

(^MmiftMlèra  «t  fût  qiMlquM  pèi.)  Qu'avez- VOUS  donc?  qui  vous  cha- 
gmt?  V«M«  Y<»arti»M)lr  près  de  moi. 

TALBNTUf. 

Ce  n*esl  rien;  j*aî  cm,  ««  j*ai  cru  entendre,  —  j*ai  cru  voir  quelqu'un 
de  ce  côté. 

CÉCILB. 

Nous  sommes  seuls;  soyez  sans  crainte.  Venez  donc.  Faut-il  melerer? 
Ai-je  dit  quelque  chose  qui  vous  ait  blessé?  Votre  visage  n'est  plus  le 
même.  Est-ce  parce  que  j'ai  gardé  mon  schati ,  quoique  vous  vouliez  que 
je  rotasse  ?  C'est  qu'il  fait  froid  ;  je  suis  en  toilette  de  bal.  Regardez  donc 
mes  souliers  de  satin.  Qu'est-ce  que  cette  pauvre  Henriette  va  penser? 
Mais  qu'avez-vous?  Vous  ne  répondez  pas;  vous  êtes  triste.  Qu'ai-je 
donc  pu  vous  dire?  C'est  par  ma  faute,  je  le  vois. 

YlLBNTIir.  ^ 

Non,  je  vous  le  jure,  vous  vous  trompez;  c'est  une  pensée  involon- 
taire qui  vient  de  me  traverser  l'esprit. 

céciLB. 
Vous  me  disiez  a  tu , j»  tout  à  l'heure,  et  même,  je  crois,  un  peu  légè- 
rement. Quelle  est  donc  cette  mauvaise  pensée  qui  vous  a  frappé  tout  à 
coup?  Vous  ai-je  déplu?  Je  serais  bien  à  plaindre.  Il  me  semble  pour- 
tant que  je  n'ai  rien  dit  de  mal.  Mais  si  vous  aimez  mieux  marcher,  je  ne 
veux  pas  rester  assise.  (  Elle  le  lève.  )  Donnez-moi  le  bras,  et  promenons- 
nous.  Savez-vous  une  chose?  Ce  matin,  je  vous  avais  fait  monter  dans 
votre  chambre,  un  bon  bouillon  qu'Henriette  avait  fait.  Quand  je  vous  ai 
rencontré,  je  vous  l'ai  dit  ;  j'ai  cru  que  voiis  ne  vouliez  pas  le  prendre,  et 
qne  cela  TOUS  déplaisait.  J'ai  repassé  trois  fois  dans  l'allée;  m'avez- vous 
vue?  Alors  vous  êtes  monté.  Je  suis  allée  me  mettre  devant  le  parterre,  et 
je  vous  ai  vu  par  votre  croisée;  vous  teniez  la  tasse  à  deux  mains,  et 
vous  avez  bu  tout  d*un  trait.  Est-ce  vrai  ?  l'avez- vous  trouvé  bon  ? 

VALBNTIN. 

Oui ,  chère  enfant  !  le  meilleur  du  monde ,  bon  comme  ton  cœur  et 
comme  toi. 

céciLB. 

Ah!  quand  nous  serons  mari  et, femme,  je  vous  soignerai  mieux 
que  cela.  Mais  dites-moi,  qu'est-ce  que  cela  veut  dire  de  s'aller  jeter  dans 
un  fossé  ?  risquer  de  se  tuer,  et  pourquoi  faire  ?  Vous  saviez  bien  être 
re^u  chez  nous.  Que  vous  ayez  voulu  arriver  tout  seul,  je  le  comprends; 
mais  à  quoi  bon  le  reste  ?  Est-ce  t|ue  vous  aimez  les  romans  ? 

VALBftTIN. 

Quelquefois;  allons  donc  nous  rasseoir.  (lU  se  rasseoient.) 


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78  WBWVE  BSS  DBQX  JlOmSSi 

Je  TOUS  avoue  qa*ils  De  me  plaiseDt  guère;  ceux  que  j*ai  las  ne  si- 
gDifieat  rieD.  U  me  semble  que  ce  ne  sont  que  des  mensonges,  et  que 
tout  s'y  invente  à  plaisir.  On  n'y  parle  que  de  séductions,  de  ruses,  d'in- 
trigues, de  mille  choses  impossibles.  Il  n'y  a  que  les  sites  qui  m  en  plai- 
sent; j'en  aime  les  paysages  et  non  les  tableaux.  Tenez,  par  exemple,  ce 
soir»  -quand  j'ai  reçu  votre  lettre  et  que  j'ai  vu  qu'il  s'agissait  d'un  ren- 
dez-vous dans  le  bois ,  c'est  vrai  que  j'ai  cédé  à  une  envie  d'y  venir,  qui 
tient  bien  un  peu  du  roman.  Mais  c'est  que  j'y  ai  trouvé  aussi  un  peu  de 
réel  à  mon  avantage.  Si  ma  mère  le  sait,  et  elle  le  saura,  vous  comprenez 
qu'il  faut  qu'on  nous  marie.  Que  votre  oncle  soit  brouilé  ou  non  avec 
elle  y  il  faudra  bien  se  raccommoder.  J'étais  honteuse  d'être  enfermée; 
et,  au  fait,  pourquoi  l'ai-je  été?  L'abbé  est  venu,  j'ai  fait  la  morte;  il 
m'a  ouvert,  et  je  me  suis  sauvée;  voilà  ma  ruse;  je  vous  la  donne  pour 
ce  qu'elle  vaut.  •  ^ 

VALENTiPr,  à  part. 

Suis- je  un  renard  pris  à  son  piège ,  ou  un-  fou  qui  revient  à  la 

raison? 

cécLB. 

£h  bien!  vous  ne  me  répondez  pas.  Est-ce  que  cette  tristesse  va 

durer  toujours  P 

VALENTIN. 

Vous  me  paraissez  savante  ponr  votre  âge,  et  en  même  temps,.au8si 
étourdie  que  moi ,  qui  le  soiscoRraie  le  premier  coup  de  matines. 

céciLB. 
Pour  étourdie,  j'en  dois  convenir  ici  ;  mais ,  mon  ami ,  c'est  que  je  vous 
aime.  Vous  le  dirai^je?  je  savais  que  vous  m'aimiez,  et  ce  n'est  pas  d'hier 
que  je  m'en  doutais.  Je  ne  vous  ai  vu  que  trois  fois  à  ce  bal,  mais  j'ai  du 
cœur,  et  je  m'en  souviens.  Vous  avez  valsé  avec  mademoiselle  de  Gesvres, 
et  en  passant  contre  la  porte ,  son  épingle  à  TitalieUne  a  rencontré  le  pan- 
neau, et  ses  cheveux  se  sont  dèrooiés  sur  elle.  Vous  en  sou  venez- vous 
maintenant  ?  Ingrat  !  Le  premier  mot  de  votre  lettre  disait  que  vous  vous 
en  souveniez.  Aussi  comme  le  cœur  m'a  battu  !  Tenez  ;  croyez-moi ,  c'est 
là  ce  qui  prouve  qu'on  aime ,  et  t^'est  pour  cela  que  je  suis  ici. 

VALENTIN ,  à  pari. 

Ou  j'ai  sous  le  bras  le  plus  rusé  démon  que  l'enfer  ait  jamais  vomi,  ou 
la  voix  qui  me  parle  est  celle  d'un  ange,  et  elle  m'ouvre  le  chemin  des 
cieux. 

CÉCILE. 

Pour  savante^  c'est  une  autre  affaire  ;  mais  je  veux  répondre,  puisque 
vous  ne  dites  rien.  Voyons ,  savez-vous  ce  que  c'est  que  cela,? 


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^Lmnr. 
Qi9»?  cent  él«ilo'à«<kiDHe  (k^tx»%rhra? 

CÉCILE* 

NoD)  celle-là  qui  se  moDtre  à  peine ,  et  qui  brille  comme  une  larme. 
Tous  arez  lu  madame  de  Staël  ? 

CÉCILE. 

Oait  et  le  mot  de  larme  me  plait^  je  ne  sais  pourquoi,  comme  les  étoiles. 
Un  beau  ciel  pur  me  donne  envie  de  pleurer. 

VALEJiTlN. 

.  Et  i  moi  envie  de  t*atmer,  de  te.  le  dire^  et  de  vivre  popr  toi.  Cécile, 
ttis-tu  à. qui  tu  parles ,  et  quel  est  l'homme  qui  ose  t'embrasser? 

CÉCILE. 

Dites-moi  donc  le  nom  de  maa  étoile.  Vous  n*en  êtes  pas  quitte  à  si 
bon  marché, 

VÀLEimil. 

Eh'  bien  !  c'est  Ténus»  Fastre  de  Tamour;  la'plss  beHe  perle  de  l'Océaa 
desmHts. 

GÉCILB» 

Non  pas;  c*en  est  une  plus  chatte  ^«t^  bien  plus  digne  de  respect;  vou» 
apprendrez  à  Faimer  un  jour»  quand  vous  vivrez  dans  les  n>étalries,  et 
que  vous  aurez  des  pauvres  à  vous;  admirez-la ,  et  gardez- vous  de  sou- 
rire ;  c'est  Gérés ,  déesse  du  pain. 

VALENTIN. 

Tendre  enfant  !  je  devine  ton  cœur  ;  tu  fais  la  charité ,  n'est-ce  pas  ? 

CÉCILE. 

C*eslma  mère  qui  me  Ta  appris;  il  n'y  a  pas  de  meilleure  femme  an 
monde. 

TALENTIN. 

Vraimeût  ?  je  ne  l'aurais  pas  cru . 

CÉQLE. 

Ah  !  mon  ami ,  ni  vous ,  ni  bien  d'ïiutres,  vous  ne  vous  doutez  de  ce 
qu'elle  vaut.  Qui  a  vu  ma  mère  un'  quart  d'heure,  croit  la  juger  sur 
quelques  mots  au  hasard:  Elle  passe  le  jour  à  jouer  aux  cartes,  et4e  soir 
â  faire  du  tapis;  elle  ne  quitterait  pas  son  piquet  pour  un  prince;  mats 
qoe  Dupré  vienne,  et  qu'il  lui  parle  bas,  vous  la  verrez  se  lever  de  table, 
si  (fest  un  mendiant  qui  attend.  Que  de  fois  nous  sommes  allées  ensemble, 
en  robe  de  soie,  comme  je  suis  là,  courir  les  sentiers  de  la  vallée,  por- 
tant la  soupe  et  le  bouîllî,  des  souliers,  du  linge,  à  de|)auvres'geos ! 
Qoe  de  fois  j'ai  vu,  à  l'église,  las  y^ax  des  malheureux  s'humecter  de 
|ieuf»l»tBqoe'BMWiière  lar  regardait  l 'Altez ,  elie  a>4bt>U  cHétfe^âète  ,.et 
je  l'ai  été  d'elle  quelquefois*  > 


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80  BETUB  DBS  DEUX  MONDES. 

VALENTlIf. 

Tu  regardes  toujours  ta  larme  céleste ,  et  moi  aussi,  mais  dans  tes 
yeux  bleus. 

CECILE. 

Que  le  ciel  est  grand!  que  ce  monde  est  heureux!  que  la  nature  est 
calme  et  bienfaisante  ! 

VALENTIN. 

« 

Veux-tu  aussi  que  je  te  fasse  de  la  science  et  que  je  te  parle  astronomie? 
Dis-moi,  dans  cette  poussière  de  mondes,  y  en  a-t-il  un  qui  ne  sache  sa 
route,  qui  n'ait  reçu  sa  mission  avec  la  vie,  et  qui  ne  doive  mourir  en 
Faccomplissantî  Pourquoi  ce  ciel  immense  n'est-il  pas  immobile?  Dis- 
moi  *  s'il  y  a  jamais  eu  un  moment  où  tout  fut  créé ,  en  vertu  de  quelle 
force  ont-ils  commencé  à  se  mouvoir,  ces  mondes  qui  ne  s'arrêteront  ja- 
mais? 

CÉCILE. 

Par  l'étemelle  pensée, 

VALBNTIN. 

Par  l'éternel  amour.  La  main  qui  les  suspend  dans  l'espace  n'a  écrit 
qu'un  mot  en  lettres  de  feu.  Ils  vivent  parce  qu'ils  se  cherchent,  et  les 
soleils  tomberaient  en  poussière ,  si  l'un  d'entr'eux  cessait  d'aimer. 

CÉCILE. 

Ah!  toute  la  vie  est  là. 

VALENTIN. 

Oui ,  toute  la  vie  —  depuis  l'Oôéan  qui  se  soulève  sous  les  p&les  bai- 
sers de  Diane ,  jusqu'au  scarabée  qui  s'endort  jaloux  dans  sa  fleur  chérie. 
Demande  aux  forêts  et  aux  pierres  ce  qu'elles  diraient  si  elles  pouvaient 
parler?  Elles  ont  l'amour  dans  le  cœur  et  ne  peuvent  l'exprimer.  Je 
t'aime!  voilà  ce  que  je  sais,  ma  chère;  voilà  ce  que  cette  fleur  te  dira, 
elle  qui  choisit  dans  le  sein  de  la  terre  les  sucs  qui  doivent  la  nourrir  ;  elle 
qui  écarte  et  repousse  les  élémens  impurs  qui  pourraient  ternir  sa  fraî- 
cheur !  Elle  sait  qu'il  faut  qu'elle  soit  belle  au  jour,  et  qu'elle  meure  dans 
sa  robe  de  noce  devant  le  soleil  qui  Ta  créée.  J'en  sais  moins  qu'elle  en 
astronomie  ;  donne-moi  ta  main ,  tu  en  sais  plus  en  amour. 

CÉCILE. 

Tespère,  du  moins,  que  ma  robe  de  noce  ne  sera  pas  mortellement 
belle.  Il  me  semble  qu'on  rôde  autour  de  nous. 

VALENTIN. 

Non ,  tout  se  tait.  N'as-tu  pas  peur?  Es-tu  venue  ici  sans  trembler  ? 

CÉCILE. 

Pourquoi?  De  quoi  aurais-je  peur?  Est-ce  de  vous  ou  delà  nuit? 

TALENTIN. 

Pourquoi  pas  de  moi?  qui  te  rassure?  Je  suis  jeune,  tu  es  belle,  et 
nous  sommes  seuls. 


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IL  NE  TAUT  JURER  NC  HHEK.  81 

ctoLB. 

£h  bien!  qael  mal  y  a-t-il  à  cela? 

VALENTm. 

C'est  vrai,  il  n'y  a  aucun  mal;  écoute-moi ,  et  laisse-moi  me  mettre  à 
-genonz. 

CÉCILE. 

Qn*avez-Tous  donc?  vous  frissoDuez, 

talentIn. 

Je  frissonne  de  crainte  et  de  joie,  car  je  vais  t'oovrir  le  fond  de  mon , 
oœnr.  Je  suis  on  fou  de  la  plus  méchante  espèce,  quoique,  daAs  ce  que 
je  vais  favouer,  il  n'y  ait  qu'à  hausser  les  épaules.  Je  n'ai  fait  que  jouer, 
lH>ire  et  fumer  depuis  que  j'ai  mes  dents  de  sagesse.  Tu  m'as  dit  que  les 
romans  te  choquent;  j'en  ai  beaucoup  lu,  et  des  plus  mauvais.  Il  y  en  a 
on  qu'on  nomme  Clarisse  Harlowe;  je  te  le  donnerai  à  lire  quand  tu  seras 
ma  femme.  Lé  héros  aime  une  belle  fille  Comme  toi ,  ma  chère,  et  il  veut 
l'épouser;  mais  auparavant  il  veut  l'éprouver.  Il  l'enlève  et  l'emmène  à 
Londres,  après  quoi  comme  elle  résiste,  Bedfort  arrive....  c'est-à-dire, 
Tomlioson,  un  capitaine....  je  veux  direMorden...  non,  je  me  trompe... 
Enfin,  pour  abréger....  Lovelace  est  un  sot,  et  moi  aussi ,  d'avoir  voulu 

suivre  son  exemple Dieu  soit  louél  tu  ne  m'as  pas  compris je 

t'aime,  je  t'épouse,  il  n'y  a  de  vrai  au  monde  que  de  déraisonner  d'a- 
mour. 

(Entrent  Tan  Bvek,  la  baronne,  Tabbé,  et  pivsieara  domestiques  qnï  les  éclairent.  ) 

LA  BARONNE. 

Je  ne  croîs  pas  on  mot  de  ce  que  vous  dites.  U  est  trop  jeune  pour  une 
Doirceur  pareille. 

VAN  BUCK. 

Hélas!  madame,  c'est  la  vérité. 

LA  BARONNE. 

Séduire  ma  fill^!  tromper  un  enfant!  déshonorer  une  famille  entière  ! 
Chansons  !  Je  vous  dis  que  c'est  une  sornette;  on  ne  fait  plus  de  ces  choses- 
là.  Tenez,  les  voilà  qui  s'embrassent.  Bonsoir,  mon  gendre;  où  diable 

TOUS  £oarrez-vous  ? 

l'abbé. 

Il  est  fâcheux  que  nos  recherches  soient  couronnées  d'un  si  tardif  suc- 
cès; toute  la  compagoie  va  être  partie. 

VAN  BUCK. 

Ah  ça  !  mon  neveu ,  j'espère  bien  qu'avec  votre  sotte  gageure.... 

VALENTIN. 

Mon  oncle,  Une  faut  jurer  de  rien,  et  encore  moins  défier  personne. 

Alfbed  de  Musset. 
TOME  vn.  6 


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LES 

RÉPUBLIQUES 

MEXICA3TŒS.* 


PcfwisqiielqBeS'aitfièes/les'T^BWk^  enrproieà 

âes  dissensions  intérieures,  iieoeMeiiide  lutter  péniblement,  tan- 
lèf  omitre  raristocratie  enrahissante  dn  pay^,  tamèt  contre  les 
prétentions  du  parti  des  moines,  et  tantôt  contre  l ambition  des 
chefe  mflitaires,  sans  avoir  pu,  jusqii*à  présent,  arriver  à  on  état 
de  gouvernement  stable.  Ces  affranchis  d*un  jour,  ces  esdaves 
émancipés,  en  passant,  tout  à  coup  du.  jovgabrutissanl  des^Espi- 
gBols  à  une  eatière  indépendance,  o*onl  su  retirer  de  la  libené 
eonpiise  cpit  une  hideuse  anarchie;  ^ux  vices  contractés  par  Fha- 
bitude  d*un  long  esclavage  ils  ont  joint  ceux  qui  naissent  d*une 
licence  effrénée.  Aussi,  comme  ces  malades  affaiblis  par  une  lon- 
gue diète,  que  Tusage  immodéré  des  alimens  replonge  bientôt  dans 
un  état  pire  que  le  premier,  sont-ils  tombés  dans  une  démoralisa- 
tion si  générale  et  si  profonde,  qu^eile  parait  désormais  sans 

(I)  Ce  travail  est  le  résultat  conicieneieQx.des  observations  d^n  haanne  qmk,  pmt  sa 
position  au  Mexique,  et  ses  relations  avec  les  principales  autorités  do  pays,  s'est  trouvé  ' 
plus  que  personne  à  même  d'étudier  les  institutions ,  la  religion ,  les  mœurs  et  la  civiU-» 
sation  du  pevple  mexicain.  (if.  du  D.) 


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LSS  bApUBUQUES  JKXICAIirES.  ^  6B 

Ans  remède,  et  doit  mé»itablemeBt  les  oondiiire  à  JafMsrte^^delBnr 

Deax  partis  bien  tranchés^se  disputent  la  prépondéBanœ^daD»  le 
gouvernement,  le  parti  des  ariiloorates  et  oeiui  des  libéraux,  ou 
pour  parler  plus  juste,  le  parti  des  gens  en  plaœ,  qui  veulent. oon- 
jerverce  qu'ils  ont,  et  le  parti  des  gens  qui  n*ont  rien,  et  quiveu- 
lent  avoir;  car  ce  n*est  que  pour  les  emplois  rétribués  qu'on  secKvwe 
€t  qu'on  se  bat.  L^agriculiure,  TiftdJLisIrie,  les  arts  de  toute  espèce 
^Qt  entièrement  négligés,  une  foule  d*ambitieux  tournent  leurs 
prétentions  vers  les  ei&plois  lucratifs ,  et  veulent,  servir  la  patrie  en 
quelque  .sorte  «idgré  eUe.  Aussi  em-ee  im  eiiipres&ement,Aiii  pa- 
triotisme, qui  pourraient  enfanter  ii^es  luerveiles,  ai  ûnf)Ottvâit  les 
preodre  au  sérieux  I  c*est  un  assaut  d'intrigues  et  de  cabales  pami 
les  citoyens  qui  se  disputent  les  places!  Il  s'en  présente  des  milliens 
qoi  consentiraient  à  étce  présidens,  dès  milHets  qui  se  dévouent  auK 
grades  de  généraux,  de  colonels,  etc.  Il  en  est  de  même  pour  les 
emplois  civils.  Mais  oomme  la  patrie  n'a  pas  besoin  de  tant  de  gens 
de  bonne  volonté,  tous  ceux  dont  elle  ne  peut  accepter  les  servioes, 
n'oDt  d^autre  ressource  que  de  chercher  à' renverser  les  éfcis.  ffien- 
tôtles  mécontens  se  réunissent,,  et  mus  par  les  «mêmes  motifs,  ani- 
més des  mêmes  espérances,  ils  prennent  les  aitnes,  ou,,  pour  nous 
servir  de  l'expression  consacrée  danale  pays,  ils  se /n-ononcertt,  les 
luis  au  nom  de  la  sainte  tâit^fon  ^  les  autre»  pourrlacfé/iemetia  la 
iibeiU;  tous,  d* un  accord  unanime,  déclarent  leurs  adversaires 
druiacrntes  OU  sans^culoOes,  tratires,  infâmes  hngands^Aé»  mMùmt 
Siuban  de  la  nation^  et  soudain  entrent  en  campagne.  Ilieurde  plus 
ordinaire,  de  plus  sinaple  et  de  plus  facile  qu'une  révolution  ^mili- 
taire a^u  Mexique.  D  est  bien  rare  qu'il  se  passe  un  intervaHade 
cinq  à  sixmois  sansquton  voieappasaitreledpapaaudelaréifollie; 
et  comme  la  plupart  de  ces  révidutionsqu^on  pottitrait.appeler  pk- 
nodiques>  tournent  toujours  à  bien^  pour  ceux  qui  les  enteepren- 
Aent,  comme  les  chef»  savent  toujours  habilement  en  profiter  panr 
lear  propre  compte,  chacun  veut  en  essayer,  depuis  legénéraljus- 
qu'au  caporal.  Ceci  est  rigoureusement  vraie 

Or,  voici  comment  se  fait  une  révolution  militaire  :  un  sergent, 
par  exemple,  se  trouve  en  garnison  dans  un  village  avec  vingt 
hommes  ;  ce  nombre  est  plus  que  suffisant  pour  Texécution  de  ses 
lesseins;  un  beau  matin,  Jl  lui  prend  un^accès  de  patriotisme, il 

"  k6. 


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ik  '  RETOB  DES  DEUX  MONBBS. 

Yeut  servir  son  idolatradapairia^  en  qualité  de  colonel  ou  de  géné- 
ral. Le  dimanche»  après  la  messe  »  il  réunit  dans  un  cabaret  ses 
Tingt  soudards  :  là,  après  cpielques  libations,  il  prend  un  um 
solennel  y  se  pose  en  héros ,  et  leur  déclare  :  «  que  le  gouverne- 
ment a  violé  tel  ou  tel  aiticle  de  la  constitution;  que  la  liberté  est 
menacée,  ou  que  la  sainte  religion  est  attaquée;  qa*à  eux  est  ré- 
servé rhonneur  de  défendre  les  glorieuses  prérogatives  de  la  na- 
tion, et  qu*il  les  guidera  dans  cette  noble  entreprise.  »  Ceux-ci  ap- 
plaudissent r<  rateur  en  criant  :  viva!  que  vlva!  Le  verre  à  la  main, 
ils  lui  jurent  fldéKté,  et  le  proclament  colonel  ou  général.  On 
convoque  el  mug  ilwitre  ajuntamientOf  la  très  illustre  municipalité, 
qui  se  compose  ordinairement  de  trois  ou  quatre  rancherot  (f) 
ou  vaquerai^  qu*on  fait  entrer  sans  peine  dans  le  complot.  Oo  t 
presque  toujours  sous  la  main  quelque  licencié,  homme  de  plume, 
espèce  de  magister  qui  est  chargé  de  rédiger  en  style  intelligible, 
le  plan,  c*est-i«dire  renoncé  des  motifs  de  la  rébellion  et  son  but; 
puis,  séance  tenante,  on  adresse  au  peuple  une  proclamation  qu 
commence  à  peu  près  en  ces  termes  :  or  Peuples  de  l'univers  dn- 
Itsél  soyez  témoins  de  la  justice  de  notre  cause  I  Nos  plaintes  ont 
retenti  jusqu'à  vous;  les  droits  du  peuple  souverain  sont  foulés  aux 
pieds,  notre  sainte  liberté  attaquée;  vous  verrez  conmie  les  vail- 
lans  enfens  deMontézuma  savent  se  soustraire  à  Fesclavage,  etc..  • 
Le  peuple  souverain  qui  lit  ces  belles  choses,  s* écrie  :  Carajo!  es 
verdad!  Vamos,  c€ara)o!  c'est  la  vérité,  marchons!  Chacun  alors  ceint 
sa  manchette  (2)  et  monte  à  cheval.  S*il  se  trouve  dans  les  environs 
quelque  chef  de  voleurs,  il  ne  manque  pas  de  venir,  avec  sa  bande, 
offrir  ses  services,  qui  sont  toujours  acceptés;  on  en  feit  un  capî- 
taioe,  ce  qui  lui  donne  Tavantage  de  piller  impunément  au  nom 
de  la  patrie.  On  marche  sur  les  villages  voisins  qu'on  soulève, 
on  ouvre  les  prisons,  et  les  brigands  et  les  assassins  sont  associés 
aux  champions  de  la  mnte  cause.  La  renommée  annonce  le  pro* 
nauicionienio,  de  tous  côtés  arrivent  en  grand  nombre  les  mè- 
contons  et  les  gens  sans  emploi;  alors  les  prononcét^  au  nombre 
de  cinq  à  six  cents,  prennent  le  nom  d'armée  libérairice,  répara- 

(1)  Ranekerot,  campagnard!.  Vagueras,  vachers. 

(^  C^est  une  longue  épée  sur  laquelle  sont  gravés  ces  mots  pompeux  :  f(o  me  taquei 
sin  razon,'no  me  envaines  tin  honora  ne  me  tire  pas  sans  raison ,  ne  me  renfaine  pi& 
MOI  honneur. 


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LES  RiPUBLIQDJSS  MEXIOLUIES.  85 

triée,  on  de  là  foi.  Dès  que  le  succès  deTient  probable ,  les  gens 
do  parti  contraire  changent  de  bannière;  s*il  y  a  dans  le. camp 
ennemi  quelque  chef  qui  fasse  mine  de  vouloir  tenir  bon  pour 
Tordre  de  choses  existant  »  on  cherche  à  le  gagner  à  prix  d*argent, 
et  il  est  bien  rare  que  quelques  milliers  de  piastres  ne  triomphent 
pas  de  sa  résistance.  Cest  avec  de  tels  élémens  que  Yannie 
mardie  de  succès  en  succès;  on  triomphe,  et  notre  sergent ^ 
devenu  réellement  colonel  on  général ,  est  proclamé  sauveur  de  la 
liberté  y  héros  immortel,  citoyen  bene,meriio  de  la  pairia  en  grado 
keroieq.  Voilà,  dans  toute  Texactitude  des  £aits,  ce  que  c*est  qu'une 
révolution  au  Mexique;  voilà  par  quels  moyens  un  danseur  de 
corde  (I),  quelquefois  un  voleur  de. grand  chemin  (2)  sont  arrivés 
aux  premières;  dignités  de  la  république.  Chacun  peut  goAter  de 
h  présidence  ou  du  généralat,  et  d  autant  plus  facilement  que  ceux 
qui  doivent  à  quelque  mouvement  populaire  le  posté  éminent  qu*ils 
occupent,  sont  bientèt  renversés  par  un  nouveau  bouleversement 
qui  laisse  le  champ  libre  à  d'autres.  Et  comment  n*en  serait-il 
pas  ainsi,  quand  dix  mille  concurrens  se  disputent  la  même  place? 
Aussi  devient-elle  Tobjet  des  plus  honteuses  manœuvres.  Pour 
y  arriver,  tous  les  moyens  sont  mis  en  jeu,  la  séduction,  l'argent,  " 
la  prostitution,  les  intrigues  les  plus  dégoûtantes,  les  plus  infâmes 
traJiisons,  le  poignard  m^me;  ceux  qui  savent  le  mieux  en  tirer 
parti  passent  pour  muchachoé  vivos,  des  garçons  de  talent,  et  la 
nation  n*est  nullement  effrayée  de  voir  parmi  ses  excèleniisimos 
$ekore$  géneralex,  des  hommes  qui,  chez  nous,  traîneraient  le  boulet 
dans  un  bagne  ;  le  succès  justifie  U>ut. 

On  sent  que  la  conséquence  d'un  tel  état  de  choses  doit  être 
une  corruption  générale. dans  toutes  les  classes  de  la  société.  En 
effet,  c*est  un  débordement  de  vices  effroyables;  le  vol  et  Tassas- 
rinai  se  commettent  impunément,  npn-seulement  parmi  le  peuple, 
mais  dans  la  gente  decenie;  il  n*est  point  de  ville  où  l'on  ne  voie  se 
promener  dans  les  rues  et  marcher,  tète  levée,  des  misérables  dont 
la  conscience  est  chargée  de  huit  oi|  dix  assassinats.  Et  qu'on  ne 
croie  pas  qu'ils  en  soient  moins  estimés;  il  est  très  ordinaire  d'en- 

(1)  Le  général  M.-.»  Tan  des  généraux  les  plus  renommés  du  Mexique,  dansait  sur  la 
ooftie,  il  y  a  quelques  années,  à  la  Nouvelle-Orléans. 

(S)  Les  généraux  Toisa  et  An§on  sont  connus  de  tout  le  Mexique  pour  avoir  été  cheiii 
(krotcarv 


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V  1UW0B  VES  DBVX  MONDES. 

teodrediFâ  : dcm'Un. tel aiAssaesiné  dix perswaes .  hè  fBUfèe 
caia  ignore  ces  vertus  qui  fout  la  base  de  laiaod^  èumune^iilttlaih 
.des  de  lui  ni  bonne  foi  ^Jii confiance,  ni  délicatesse  dans  les  riappsrte 
-ordiuatfes  de  la  vie.  AUiài,  l'^us  laissée  vos  effetseu  dèp6t/Chez 
une  peiisoUHe  que  v^us  oroyes  sûre  ;  quand  vous  vous  présentei 
pour  réclamer  ce  qui  vous  appartient,  vos  effets  ont  été  vendus.  8b 
homoie  qui^e  prétend  et^que  vous  croyez  votre  ami  vous>empnuite 
pour  unAistant,  ditHl,  votre  montre  ou  quelque  autre  objet  de  prii, 
il  court  le  jouer,  et  qu  il  gagne  ou  qu'il  perde,  vous  n'en  avez  plis 
^e  nouvelles.  Ce  smit  là  des  espiègleries  qu  il  serait  ridicde  de 
trouver  mauvaises.  Étes^ous  négociant,  marchand,  industriel, 6t 
voulez-<votts  daBS'  une  foiré  étaler  vos  marchandises  en  public,  oe 
manquez  pas  de  faice  veiller  vôtre  boutique  par  deux  ou  trois  sol- 
dacs  que  vous  paierez  largement;  autrement,  en  un  clin  d'œS, 
vous  sere&dévalîsé,  car  là  il  n'y  a  ni  police  ni  sergens  de  vifle  pow 
protéger  les  perscmnes  et  les  propriétés.  Gardez-vous  d'avoff 
jamais  de  procë»  arec  personne  :  si  vous  n'êtes  assez  riche  pov 
acheter  les  juges,  vous^  aurez  tort.  Veyagez^vous pour  vosaffii- 
Tes  ou*  votre  plaisir,  ayez  la  précamion  de  vous  munir  d'un  sabre 
bien  affilé,  d'une  paîrc  de^piatelets,  d'un  fusil;  car  vous  allez  avoir 
bientôt affaive aux  hérttSvdé  gcaoïdchemin.  Surtout toiez-voiis es 
i;ardeconlre  le  domestique  qui  vous  accompagne;  dès^u'il  eotfOiK 
vera  Foocasion,  il  vouspiHeta,  et  fera  mieux  encore  s'il  le  peut  Vos 
armes  seules  feront  voice  sAreté. 

Dans' les  rues,  vios  yeux  sont  chaque  jour  frappés  du  hideui 
spectacle  de  cadavres  qu'on  emporte  tout  sanglans ,  car  là  on  se 
donne  un  coup  de  poignard,  comme  un  coup  de  poing  chez  une 
^nitce  nation,  puUiquèmefit ,  en  plein  jour.  Ou^<i  un  homm^ 
tombe'  assassidé'  daais  la  nue ,  la  foule  se  rassemble,  et  en  attea- 
dant  ^u'on  mlève  le  cadavre,  les  amateurs  réunis  en  cerde  décî- 
deat  si  les  coups  ont  été  bien  portés,  et  s'ils  méritent  Tapproba- 
lion  des  eotinaisséurs.  Si,  en  passant,  vous  demandez  la  cause  de 
ce  rassemblement  :  Nada  es,  sen&r,  es  una  muerficida;  ce  n^t 
rien,  seigneur,  c'est.un  petit  meurtre,  vous  répond-on  avec  beaa- 
coùp  de  sang-froid.  Ces  scènes  n'excitent  pas  la  moindre  émo- 
tion parmi  les  spectateurs.  Souvent  m^me  l'assassin  ne  prend  pas 
la  peine  de  se  cacher  ou  de  s'enfuir;  il  se  laisse  tranquillement 
arrêter,  car  il  sait  qu'il  en  sera  quitte  pour  (quelques  jours  de  pri- 


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LES.  UfePUBLIQUBS  MBXKUKMS.  8f  * 

m.  Il£uit(pi.*uir  homme  soit  bîtn  xmfaMfèi,.  qiriH  tk^ammamiàtm 
esâ8sa«naat9pour  que  la  Théflua  wmwaàodiM^àààsràiia^timffvtJ 
ià  60  débarrasser  la  société.  Le  saag  ansÎQiJB^  jdwiiis*4k»  .o«t 
tïptprédeux  pour  qu*oiLle  verse  légàrement  ISêccoBLqiiôprédiiBat 
\Mioa  delà  peine  de  mort  sont  ^aflés  dietciier  lenfs.^rgtnmwi 
inslaiégislatioaeriraiiielle  d«  Mexique >  il  faiiMwoMBrqBg tsm 
loii  o'estfpas  heMreus. 

P^tse*t-eii  qu'un  penple.q»t  s'eetaiaeifttMilfariséaytelîhahttad» 
.'Tas^nat,  puisse  avoir  uoe-gtandah^rrieiir  pour :les  autre»' 
ces  qai  infectent  laisodété?  OeiWm  s^éixMiiienqae  iàuatàoaiBék 
mbée  daas  la  dépravation  la  .pbtS'pmfamitf  Et.ooameaÉ  en 
Tait-îl aa^ement,  dans  un. pays  oàUn'ya;aigoiiy«raaD»ent^  ot- 
i&,iH'frttod*attCuneespàoe,  où'diiaeufto'4^d&  jasticeà^Mendte 
ledeseitfliAnie,  desùretéàefl|)éterqneiri— ffiT-adresse^tiafarce 
^  son  bras?  Il  n'en  faut  paa  douter^  hd^naà  vientLide  oeqaœ  te.pnys. 
lAi  SUIS  cesse  a#té  par  des  rivéhitiQn8.anasi  ftnesles  qu;elte8 
Dtridicaksjileet  mposstMe  que  te^  hommes  tmoinletttionBés^ 
U'en  traerre  dain.la:répiibliqney  pmsscne  opérer  les  Téformes 
hMaires», pro^poser  les  masures  que  cédana.  rîmérét  géttéval, 
que  les  iastîtations. aient t le  temps  dft-s'affMnBiiittt  deseceaso*- 
er.  Mais,  aDur.le  deoMUMloBs,  qnds  avastaips  peuvent  réaulr 
r*  peur  un  pays»  de  révolutios6f«itrepr»esfnr  vm.fÊÛtm&aàÊt9 
^factieux  daosla^eidevue  deisaiisfeûre  mmambittoapersonttelle 
on  honteux  égoïsflie?  Unenatîon  dast*  les  cbtfedoaneaf  Texeorple 
rifluieraliié,  et  ne-  »»croieirtilgyés:aiiBL  pi—iAres  charges^de 
titqpeponrenexirieîterles  pnfits^et sodispater  coonBoune 
rie  les  iianneni»«t  la  puissasce,  est  (U}A  sur  tependnntdesa 
M.  An  reste»  le  pei^  mexîcaio  Im^mém»  aai^eodre  A  aonpaye 
I»rà3eqa*il  mérite:  un  des  koranns  tea  pins  eéiàbres^et  tes  plus 
Iwis  dulfexîqa»,  gouvemenr  d!untdes|xnmpaax'états,  as*> 
rw  que  dans  toute  la  république  on.»  tronveraii  pas  vmgt 
naandeUeo  pourlagonvemerl 

Ksasavmsvu  ooomient.  se  faisait  m»  rémbàlitfi  mSitairanin 
^^àqm,  esijpnasons  raaiatenantia  pfajpsjomnw  des  pvindpans. 
toarsdeces  drames  sang^ans^Les  aoldafesso«t^aullesiqae,eei 
*itfaBt  les  MaflMbda  en  Egypte,  cm  lesi janissaires  à  Gensinsits^' 
(h,  dessérdone^  lesi  nidtreft;xar  teoation  atoigrand  ftBilepmr 
ttialnBnBade'^dnn;iei0ae.Teut|ipmivoeenperletriégede 


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88  RETDE  DES  DBUX  MONDES. 

sidénce,  qae  des  hommes  à  épaulettes  :  c*est  l'année  qui  commande 
et  qui  dispose  de  tout.  Parions  d*abord  des  officiers.  Quand  un  jeune 
homme  de  ceux  qu*on  appelle  decau ,  c*est-à-dire  de  bonne  EamiDe, 
fôt  trop  borné  ou  trop  paresseux  pour  étudier  et  se  faire  liceneiado 
(avocat),  comme  il  croirait  déroger  et  s*avilir  en  cherchant  dans  le 
commerce,  Tagriculture,  les  arts  ou  une  industrie  quelconque,  on 
moyen  de  se  faire  une  existence  honorable,  il  ne  lui  reste  que  Val- 
ternalive  de  se  faire  soldat  ou  moine;  il  feut  qu'il  opte  entre  Tuni- 
forme  et  le  froc;  s'il  se  décide  pour  le  premier,  sa  famille  remue  ciel 
et  terre  pour  lui  faire  obtenir  le  grade  de  sous  lieutenant,  et  il  n'a 
pas  de  .peine  à  se  faire  admettre,  car  pour  peu  qu'il  sache  lire  et 
écrire,  c'est  tout  ce  qu'on  exige  de  lui,  c'est  là  le  seul  examen  qol 
ait  à  subir.  Une  fois  le  jeune  officier  lancé  dans  les  premiers  grades, 
il  est  sûr  de  faire  son  chemin  ;  en  révolutionnant,  en  vendant  sa  noble 
épée  tantAt  à  un  parti,  tantôt  à  un  autre ,  il  parviendra  rapidement 
et  pourra  devenir  général,  président  même.  Cest  ainsi  que  pres- 
que tous  les  officiers  de  l'armée  mexicaine  sont  entrésdans  la  car- 
rière. Gomme  il  n'y  a  au  Mexique  aucune  espèce  d'écoles  mili- 
taires, on  ne  demande  aux  officiers  nîinstruaion,  ni  connaissance 
de  l'art,  ni  aptitude  pour  le  métier;  qu'ils  sachent  dire  aux  soldats: 
portez  armes!  marchez  à  droite,  à  gauche I  c'est  là  l'essentielJ 
Aussi  est-il  bien  certain  que  le  meilleur  général  mexicain  ne  serait 
pas  capable  d'être  un  bon  lieutenant  en  Europe,  et  qu'en  campagne 
il  serait  battu  par  un  sous-officier  de  notre  armée. 

Ces  officiers  n'ont  de  militaire  que  le  nom  ;  ils  n'en  ont  même  pas 
la  tournure.  Ils  portent  Toniforme  plus  mal  cpie  ne  le  ferait  le  plifl 
lourd  paysan  de  la  Bretagne.  D'abord  fls  sont  généralement  petitsi 
grêles,  mal  faits,  sans  poitrine,  courbés  et  disgracieux  dans  toati 
leur  personne.  A  ces  défauts  de  la  nature,  ils  joignent  le  plus  gran^ 
ridicule  et  la  phis  grande  négligence  dans  leur  tenue  :  des  épaulettd 
d'une  grosseur  démesurée  qui, retombent  sur  la  poitrine,  ThaM 
déboutonné,  laissant  à  découvert  la  chemise  et  les  bretelles,  l-l 
chapeau  rond ,  à  larges  bords ,  est  leur  coiffure  ordinaire.  Ils  soâ 
le  plus  souvent  sans  cravate  et  sans  épée  ;  c'est  la  petite  tenue.  Lej 
jours  de  fête,  et  quand  ils  revêtent  le  grand  uniforme ,  ils  portes 
un  haut  et  large  chapeau  à  trois  cornes,  excessivement  élevé,  e 
surmonté  d'une  touffe  de  plumes  tellement  longues,  que  toute  I 
côiffureabien  quatre  pieds,  ce  qui  contraste  merveilleusement ar^ 


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LES  RÉPUBLIQUES  MEXIGAIEMSS.  8d 

leur  taflle,  laquelle  n*excède  pas  quatre  pieds  et  demi.  La  cocarde 
est  de  la  largeur  d'une  assiette  ;  le  ceifituron  qui  supporte  le  sabre, 
a  Irien  six  pouces  de  largeur,  de  sorte  qu*il  couvre  toute  la  pd- 
trine  de  ces  petits  hommes.  Le  col  de  la  chemise ,  dépassant  la  cra- 
vatte  de  plusieurs  pouces,  s'avance  en  pointes  fort  en  avant  du 
menton.  En  regardant  de  près,  on  découvre  sur  leur  petite  figure 
basanée  une  trentaine  de  poils  disséminés  sous  le  nés,  et  qui  for- 
ment moustaches.  Ils  laissent  croître  leurs  cheveux  derrière  la 
tète,  i  la  manière  de  nos  séminaristes.  Leur  uniforme  e^t  chargé 
d'or  prodigué  avec  le  plus  mauvais  goût  ;  rien  de  plus  grotesque- 
ment  bouffon  que  de  les  voir  défiler  dans  leur  embarrassant  équi- 
page, faisant  des  efforts  incroyables  pour  marcher  au  pas. 

Dn  y  a  parmi  les  officiers  ni  tetiue,  ni  discipline,  ni  respect  des 
convenances,  ni  maintien  de  grade  et  de  rang  ;  ainsi,  un  lieuteniant 
s'en  va,  dans  un  cabaret,  frapper  sur  l'épaule  de  son  colonel,  et 
s'enivrer  avec  lui.  Un  de  ces  derniers  avouait  qu'il  n'avait  jamais 
pu  venir  à  bout  de  faire  aller  ses  officiers  à  la  manœuvre.  En 
effet,  leur  état  est  ce  dont  ils  s'occupent  le  moins;  et  comme  leur 
service  se  borne  à  très  peu  de  chose,  ils  passent  leur  temps  dans 
des  maisons  de  jeu  et  de  débauche.  Un  capitaine  joua  un  jour  sa 
solde  qu'il  venait  de  recevoir,  il  la  perdit;  il  joua  ensuite  les  galons 
de  son  pantalon;  la  chance  lui  ayant  été  contraire,  il  joua  et  perdit 
sesépaulettesl  Telles  sont  les  occupations  ordinaires  de  ces  mes- 
sieurs, depuis  le  général  jusqu'au  sergent.  Leur  solde  étant  très 
inexactement  payée,  les  senores  oficialeM  ont  souvent  la  bourse  plate; 
mais  il  est  des  moyens  de  se  tirer  d'affaire  :  ainsi,  le  conmiandant 
déserte  avec  la  caisse  du  régiment,  le  capitaine  avec  l'argent  de  sa 
omipagnie,  le  sergent  avec  le  prêt  de  son  escouade;  il  n'est  pas 
jusqu'à  l'humble  capora}  qui  n'ait  aussi  sa  petite  industrie;  il  fait 
de  légers  emprunts  aux  soldats,  et  quand  ceux-ci  réclament  ce 
(pi'ils  ont  prêté,  il  ne  manque  pas  de  bonnes  ou  mauvaises  raisons 
pour  se  dispenser  de  payer;  s'ils  insistent,  il  les  menace  de  les 
ftire  déchirer  de  coups  de  verges  à  la  première  faute  qu'ils  feront, 
et  ce  moyen  est  toujours  efficace.  Quantaux  généraux,  ils  spéculent 
plus  en  grand,  et  se  vendent  à  quelque  parti  en  armes*  Cest  ainsi 
que,  dans  la  révolution  de  1832,  le  général  Valencia  qui  comman- 
dait an  corps  des  troupes  du  gouvernement,  ayant  fait  au  jeu  des 
pertes  considérables ,  et  se  trouvant  dai»  un  grand  embarras  pé* 


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"ttWB  DBS  DOTX  mnfDBR) 

^y^«6iv«iiditpo«r  20;000}pia9lres9  Iniel  les^mns,  aupartidt 
«géDtealBaDiatsàmaïqvi  araît^levé  Tétendard  Vlè  faréVolte;  Leimr- 
<9i6  Qondta^  oirpona  au  général  vendu  uo  à'KX>inptG  de  lâ^liOOpia»- 
4rw;  le^soir^infate,  iltesjoua  avec  8cs  officiers  et  îes  perdît.  ASon 
Ajfittdédamer  au  général  Santa-Anna,  que  s'il  ne  lui  envoyaitpas 
lie  suite  Ito  9fi90  autres  piastres,  il  allait  repasser  du  côté  di 
-gouvernenieiit.  On  »*em pressa  de  le  satisFai  e,  car  sa  trahison  de- 
'Vaitiporter  wi  coup  mortel  au  président  Bustamente  dont  el  imrn  r- 
^Smtia^Atma  voulait  prendre  la  place.  Nous  tenons  t^s  détails  (te 
ragoBt'mémeohargé'de  négocier  cette  honteuse  transaction. 

Du '05té  «de  la 'bravoure,  les  porteurs  d'épaulettes  mexicains  œ 
sont  guère  plus  reconimandables  que  du  côté  de  la  moralité,  de 
instruction -et  de  la  capac'té.  Quand  Tofficier  mexicain  sort  de  U 
file  pour  «Ber  guerroyer,  et  rétablir  sur  quelque  point  el  im^teno 
irfe  lm4tijtÊ,  il  s'arme  -d^un  sabre ,  ou ,  pour  être  plus  juste ,  il  saitâ- 
«fae-àiun  sdbredont  la  longueur  dèmesXirée  produit  l'effet  le  fJos 
liBarre;  il  porte,  en  outre,  une  lance  dont  le  fer  est  assez  lo!Ç 
pcrar  enftler  trots  hommes  de  suite.  Arrivé  au  lieu  du  combat, 
«chaque  ^liBciercrfe  à  ses  soldats  :  Atleiante,  wuchachos!  en  avant, 
enfans  l'Mais  en  même  temps  ils  ont  grand  soin  de  se  garantir  des 
projectiles  meurtriers,  soit  en  se  couchant  à  plat  rentre,  pour  of- 
frir moins  ^e  surface  aux  balles  ennemies,  soit  en  se  cachant  pra- 
tteroment  derrière  quelque  abri  protecteur.  D'ailleurs,  il  est  de 
règle  générale  que  chaque  ofBcier  emmène  avec  lui  son  bon  cheval, 
moins  pour^*épargner  une  partie  des  fatigues  de  la  campagne,  qœ 
pour  s'aider  h  se  tirer  de  la  bagarre,  si  l'affaire  devient  trop 
chaude.  TOs  sont  les  chefs  de  l'armée  mexicaine,  hs  heroajoi 
iniortales,  dont  les  panégyriques  remplissent  les  colonnes  des 
Journaux  du  pays;  le  j^lus  souvent  les  journaux  d'Europe  se  font 
le6  échos  Kxmiplaisans  de  ces  louanges  ridicules. 

Parties  ohefs>on  peut  juger  des  soldats.  Il  n y  a,  au  Mexique, it 
eonsoription,  m  mode  de  recrutement  déterminé  par  une  loi,  n 
engagemens'volontaires.  On  trouve  bien  des  milliers  de  citoyens 
qui  coirsentenfvolontier^à  servir  la  patrie  en  qualité  de  coioaels  ou 
dé  généraux  ;  mais  personne  ne  se  soucie  d'être  snnple  soldait. 
Quanid' Tannée  de  la  république  a  besoin  de  se  .recruter,  on  ra- 
masse de  force  tous  les  vagabonds  et  gens  sans  aveu  qui  se  rtn- 
contrent;  quelquefois,  si  le  nombre -est  insuffisant,  on  ouvre  les 


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LES   RÉPUBLIQUES  M£XI€ALNES.  91 

fnsonsy  et  les  détenus  vont  grossir  lenombrc  des  recrues.  Ces  re*- 

"cmes  ainsi  amalgamées  sont  enfermées  dans  des  casernes ,  d'où 

^fSles  ne  sortent ,  pendant  un  espace  de  six  mois,  que  pour  bakftr 

les  rues  et  pour  aller  à  rexercice,  qu'on  leur  apprend  àigrands 

%mips  de  bâton.  Cet  apprentissage  terminé,  on  leur  faiteadossdr 

le  fourniment,  et  on  leur  laisse  un  peu  plus  de  liberté;  mais  une 

partie  ne  manque  pas  d*en  profiter  pour  déserter,  et  cela  presque 

toujours  impunément;  car  la  république  n'a  pas  de  giendarmes 

poor  les  mettre  à  la  recherche  des  réfractaires  et  poursuivre  les 

déserteurs.  C'est  probablement  une  des  raisons  pour  lesquelles  un 

légiment  n'est  jamais  au  complet  ;  on  ne  compte  guère  que  troîs^ 

cents  hommes  par  régiment.  £n  somme,  l'armée  mexicaine  est  tràa 

peu  nombreuse  ;  elle  ne  se  compose  que  de  septà  huit  mille  hommes 

ao  plus.  Mais  si  elle  a  peu  de  soldats,  on  ne  compte  pas  moins  de 

Tingt  mille  offic  ers  sur  les  registres  de  l'état ,  tant  en  activité  qu'en 

retraite,  et  tout  ce  luxe  d'étàt-major  est  alimenté  par  la< nation. 

£n  campagne,  les  armées  belligérantes  ne  sont  jamais  nombreu-» 
ses,  car  dès  que  le  soldat  sent  la  poudre,  il  jette  ses  armes  et  dé^ 
serte  en  bien  plus  grand  nombre  encore  et  avec  bien  plus  de  facir 
lité  qu'en  temps  de  paix.  Une  réunion  de  quatre  cents  hommes  en 
armes  forme  une  division.  S'il  y  a  deux  mille  combattons,  c'est  une 
groMlewTiiée  d'opératiqnn.  Or,  dans  cette  grande  armée,  il  se  trouve 
toujours  au  moins  un  millier  de  femmes,  car  le  Mexicain  ne  mardie 
jamais  sans  être  suivi  de  sa  femme.  Après  trois  ou  quatre  mofsd» 
préparatifs,  si  la  collision  devient  inévitable,  la  grande  armée  d'o- 
pérations s*ébranle  et  marche  à  l'ennemi.  Cet  ennemi  n'est  autre 
chose  qu'une  bande  de  révoltés,  car,  jusqu'à  présent,  les  Mexicains 
n*ont  eu  d'autres  ennemis  qu'euxnnèmes.  Si  le  parti  qu'oa  va  att^f 
qoerest  encore  à  une  centane  deiieues,  on  reste  deux  ou  trois 
Bois  en  marche ,  et  quelle  marche  !  ou<  plutôt  quel  désordre  I  Ënfia^ 
QDarrive  en  présence. Là,  aucune  disposition stratégîcpie,  aucune  de 
de  ces  manœuvres  que  conseille  la  prlidenee  el  qiii>  dénotent'  l^babirr 
lecé  d'un  chef.  Du  plus  loia  qu'on  s'aperçoit,  on  se  provoque  de  par 
rolesvt  d^injures.  Vmgan^  cobarUex,  aleahuetes,  cIMûiûs  !  Venes ,  crie- 
t-OB-â  Fennemi,  venezy  lâehes  I  Celui-ci  répond  sur  le»  Biteie  ton, ^  si 
hiea  qu'avant  de  s'atlaquer  les  armes  à  b  meki,  les  eombaltens 
préludait  par  unexscène  de. nos  boutevarts  en  carnaval.  A>larfin^ 
OBeedédde  à^échanger «quelques  cou^  defùsU,  nuis ^>imet die* 


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91  KEVUE  DES  DEUX  MONDES. 

tance  qui  permet  de  le  faire  impunément.  Tels  sont ,  pendant  trois 
<m  quatre  jours,  les  préliminaires  de  la  bataille;  car  cest  à  qui 
n'attaquera  pas  le  premier.  Les  offlcîers,  dont  la  modestie  va  jus- 
qu'à se  comparer  à  nos  généraux  les  plus  renommés,  disent  qu'en 
cela  ils  suivent  l'exemple  de  Napoléon,  qui  n'attaquait  jamais  le 
premier!  Pourtant,  comme  il  faut  en  finir,  on  se  détermine  à  en 
venir  sérieusement  aux  mains.  Le  jour  fixé  pour  l'action,  après 
que  chacun  a  pris  son  chocolat,  on  se  présente  au  combat.  L'af- 
faire commence  ordinairement  par  une  canonnade;  mais  les  bou- 
lets sont  presque  tous  perdus,  les  Mexicains  n'ayant  que  de  très 
mauvais  artilleurs.  Au  premier  coup  de  canon,  comme  on  voit 
de  part  et  d'autre  qu'il  s'agit  de  se  battre  pour  tout  de  bon,  on 
est  devenu  plus  poli  ;  on  cesse  de  s'injurier  ;  on  craint  de  mettre  son 
ennemi  trop  en  colère.  Si  les  coups  de  canon  n'avancent  pas  h 
besogne,  on  en  vient  à  la  fusillade.  Dans  tous  les  cas,  l'action  ne 
dure  pas  long-temps,  car  aussitôt  que  l'un  des  partis  voit  tomber 
sous  ses  yeux  une  trentaine  des  siens,  il  cède  le  terrain.  Quand  on 
est  repoussé,  on  ne  cherche  jamais  à  se  rallier  et  à  rétablir  k 
combat  :  on  se  sauve  à  toutes  jambes  ;  les  officiers  donnent  Texem- 
ple,  et  comme  ils  sont  à  cheval,  la  fuite  leur  devient  plus  focOe. 
Cest  un  désordre,  un  sauve  q^n  peut  général.  A  la  bataille  duGai- 
Unero,  un  officier-général  des  milices  fit,  en  se  sauvant,  cinquante 
lieues  en  un  jour  et  une  nuit.  Il  arriva  tout  hors  d'haleine  à  h 
ville  qu'il  habitait;  mais  la  peur  d'être  atteint  par  l'ennemi  avait 
tellement  fait  perdre  la  tête  au  pauvre  homme,  qu'il  traversa  au 
galop  la  rue  où  il  demeurait,  et  s'en  fut  frapper  à  la  porte  d*ane 
église,  la  prenant  pour  sa  maison.  Les  soldats  qui  n'ont  pas  de 
chevaux  s'échappent  comme  ils  peuvent,  ou  se  laissent  prendre. 
L'ennemi  ne  manque  jamais  d'en  massacrer  un  certain  nombre, 
bien  que  désarmés.  Les  officiers  surtout  montrent  un  acharnement 
incroyable  pour  ces  sortes  d'assassinats,  et  frappent  à  grands 
coups  de  lance  ces  malheureux  prisonniers,  se  vengeant  ainsi» 
après  le  combat,  de  la  peur  qu'ils  ont  eue  avant.  C'est  ainsi  qu'à 
la  bataille  du  Gallin'ero  el  valiente  coronel  Durand  massacra  deux 
cents  prisonniers  désarmés;  c'est  ainsi  qu'on  vit  le  général  Toba 
faire  percer  sous  ses  yeux  à  coups  de  baïonnette  un  pauvre  ofB* 
cier  qu'on  lui  avait  amené  prisonnier.  Ceux  qui  ne  peuvent  exercei 
leur  fureur  sur  des  êtres  vivans,  prennent  le  barbare  divertisse 


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LB8  BiPUBLIQUBS  MBXICAIRSS.  95 

ment  de  plonger  leur  épée  dans  un  cadavre,  afin  de  la  montrer 
avec  orgueO,  d^oAtante  de  sang,  et  foire  croire  qu'ils  ont  bataillé 
comme  desHurat.  Les  exploits  de  ces  braves  guerriers  ne  se  bor- 
nent pas  là.  Après  la  victoire,  on  entre  dans  les  vflles  ou  villages 
ennemis,  les  officiers  donnent  Texemple  du  pillage,  et  Ton  voit  se 
reprôdliire  tous  les  excès  qui  ont  lieu  en  pareilles  circonstances. 
Voilà ,  en  réalité ,  la  physionomie  des  armées  mexicaines ,  et 
le  portrait  Ëdèle  des  chefs  qui  là  commandent.  Mais  il  faut  bien 
se  garder  de  ranger  sur  la  même  ligne  les  anciens  officiers  qui  ont 
fait  la  guerre  de  Tindépendance  ;  ces  derniers  ont  rendu  de  grands 
services  à  leur  patr!e,  ils  ont  combattu  avec  courage  et  long-temps 
contre  les  Espagnols,  ils  ont  véritablement  conquis  la  liberté.  D  y  a 
eu  parmi  ces  officiers  des  hommes  d*un  grand  mérite;' maintenant 
ils  vivent  retirés,  gémissant  en  secret  sur  l'éUt  dabjection  où  est 
tombé  leur  malheureux  pays.  Autant  on  doit  conserver  d*estime 
et  de  vénération  pour  ces  vétérans  de  l'honneur  et  de  la  liberté,, 
autant  on  doit  avoir  de  pitié  pour  ces  nouveaux  parvenus,  qui  ne 
doivent  leurs  grades  et  leurs  dignités  qu'aux  désordres  et  aux  ré- 
Toimion»  dont  ils  ont  été  les  moteurs;  fanfarons  de  bravoure,  qui 
n'ont  jamais  trempé  leur  épée  que  dans  le  sang  de  leurs  concitoyens. 
Cest  dans  cette  dernière  catégorie  qu'il  faut  ranger  le  général 
Santa-Arina,  président  actuel  de  la  république.  En  Europe  on  parle 
beaucoup  de  cet  homme,  on  se  plaît  à  voir  en  lui  un  héros,  un  nou- 
veau Bolivar  :  on  se  trompe  singulièrement  sur  son  compte.  Ce 
n'est  qu'après  dix  révolutions  qu'il  a  pu  arriver  au  rang  suprême;* 
et  ces  révolutions  n*ont  pas  été  le  résultait  de  son  patriotisme  et  de 
son  courage',  mais  le  fruit  de  ses  perfldes  machinations.  Comuie  mi- 
litaire, il  n*a  ni  talens  ni  )>ravoure  ;  il  a  toujours  été  battu,  à  Chyaita, 
par  le  général  Rinçon;  à  Vera-Cruz,  par  Calderon;  à  Coralfabo,  à 
Puebla,  3  eût  été  exterminé,  si  l'ennemi  q^i  l'avait  vaincu  avait  sm 
profiter  de  la  victoire;  il  n'a  échappé  à  un  désastre  complet  que  jmt 
TinhabOeté  de  ses  adversaires.  Nous  disons  qu'U  n'est  arrivé  aa 
rang  suprême  qu'à  fDrce  de  susciter  des  troubles  poétiques;  en 
eflet,  c*est  lui  qui  a,  pour  ainsi  dire,  mis  à  la  mode  ces  intermina^ 
blés  révdutions  qui  désolent  son  pays.  La  première  qu*il  excita  fut 
eofltre  Iturbide,  son  bienfa  teur,  qui  l'avait  tiré  de  la  foule.  D 
imitait  lait  un  grand  nom  et  la  réputation  d'un  habile  capitaine 
par  la  prétendue  défaite  des  Espagnols  à  Tampca;  mais  il  est  à: 


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%  B^VDfi  ]»BS  DEUX 

krOOBiiat86&iite«^de  tant  le  «londe  q«  il  était  lin»*fiiéiiie  battu,  e(h 
yelo|^  de>  toutes  pans,  et^ur  le  point  de  capîtiiler,.  quand  le  gé-  ^ 
serai  Téran  airiva  -à  ^son.  secours.  Cest  alors  seulement  que  1 
Barradas,  qui  avait  ?  la  moitié  de  ses  soldats  malades,  que  la  feid-  j 
]^te  a^ait  :pdvé  de  >ses  vivres 'et  de  ses  approvisionnemenis,  ètq 
qui  de  plus  avait  reçu  de  faux  renseignemens,  fut  obligé  decé^  : 
der.  Aussi  ambitieux  qu'incafMible,  Santa- Anna  a  servi  tous  les  1 
pairtis  pour  arriver  à  son^but.  Les  itberales  Font  feit  président,  mais  ' 
eomante  ils  ne  peuvent  et  ne  veulent  pas  faire  davantage,  il  s'est  1 
donné  aux  aristocrates  et  aux  moines,  dans  l'e^éranee  que  rux«  ; 
eihii  décerneront  le  titre  d'empereur.  Naguère  il  défends  t  lali-  \ 
berté,  maintenant  il  se  proclame  le  restaurateur  de  la  religion,  le  ] 
protecteur  duvdergé^  Les  libéraux  rappelaient  le  Maismexie(i'ui,k 
Mettaient  au-dessus  <k  Washington ,  de  Napoléon  !  Ils  faisaient  de  ^ 
hirles  apologiea  les  phi9  exagérées  et  les  plusridicules  ;  aujourd'hui 
les; jésuites  des  Cordilières  ne  voienl^pliis  en^lui  qu*un  nouveau  Da-  i 
vîd,  susoilé  de  Dieu  pour  la  cottserv^siîon  et  le  salut  de  la  ville 
saînte;  cest  un  Gédéon,  un  Maochabée.  Notre  héros  les  croit 
MH  sur  parole.  En  attendant  qu'on  lui  élève  un  trône  (et  peut-être  : 
plus  tard  un>échafa«d  l  j,  il  s'enivre  à  longs  traits  de  Tencens  qu'on 
hn  prodigue,  et  reçoit  d'un  air  bénin  les  flagorneries  des  moines, 
des  abbés  et  des  abbesses.  CelIcsK^i  l'introduisent  dans  le  barefli 
dvâeîgneur,  où  il  vamaytijferWeséoKéonsavecles  Biles  du  sanctuaire. 
&  est  devenu  bigot,  mais  b'got  de  bonne  foi.  A  une  grande  incapa>>  \ 
dié  militaire  il  joint  la  lâcheté  personnelle;  on  l'a  vu,  pendant  une  j 
bflFtaille,  se  coucher  à  plat  ventrcf  derrière  un  mur.  La  vie  privéede  j 
FiHustre  général  n'est  guère  plus  honoirable  que  sa  vie  poKtiqœ.  \ 
Bnteit  bâtard  d'un  Espagnol,  iln'amense  pasreçulamiiérableédt^  | 
«aton  qu*oadonne  au  Mexique  à  la  (jentt  tlécetUe;  sa  jeunesse,  il  Fa  i 
insdèechaBsdesmaisonsdedèbauchêetde  jeu,  oà  il  lui  est  souvent  j 
arrivÀdeWsinr  josqa'à  ses  premiers  vétemens.  Très  passionné  poof  i 
bs  fennws^t  le  jeu,  et  n'étant  paer iche,  il  a  eu  recours  bien  des  fois,  j 
]iour  Caire  face  4  des  embarras  pécuniaires,  à  certains  expédiens  i 
qn,  d«Bs  une  aalre  nation,  reassentfinfiMlliblenient  envoyé  sfr^ir  i 
mm  les  ^èretxdm  rvu  H  fit  deaxJau<x  pour  des  sommes  ^assez  con^ 
sidéraUesi  Ces.  pet'tes  espiègleries  lui  at^rèreni  quelque»  démêlé» 
avec  la  justice;  mais  comme, aa  Mexique,  la  justice  est  fort  indul- 
apMe,,cela  A*eiit  pas  de  suites  Iftcfaeuses  pour  lui.  T^  ont  été  ta 


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LES?MM»IJQiK8  flEUCUKES.  W 

âiiiiits.  Aii^éÉéialffuréBfdMit.  VioàetdeiniiulBtiii  pcarroot  dfw- 
Mr  laaieflvrfrcie  l^stime  tftfi^a  fivor  son.béveicpM  peraflnnai 
Lorsqu'il  assiégeait  Mexico,  il  y  a  deoiL^aMy  on>AB||ibJsideidK»^ 
lîiiciikmidési^  le  voir  ;  Je  i^éftéffal^le  reçntisvr  .uBA)ilBQii  d^joàdton 
dèooiivBât  loiiie  la.  caf)îiade.^iiprès-  qiiriqves';m«neii8idei  oDorar- 

ressenUe  ici  à  Napoléon /an  «Krenlàit  j>  lai  dcmnda-^iliMïve^ 

BMi.  il  dkaît  après  lei  G0rBbai<  île  iZacatéoas  :  <p  On  parieîfceftu- 

coup  ée  la  faataâfe  (fléoa,  mâs ,  etivéritéy^UeiaBfestpaEià^o»^ 

parer  avec  celle  de  Zacatécas.  a  Or,  disosa  uniBiat'de  cette,  bataille 

de  Zacatécas,  ga^piée  par k^nodenie lKapo&é«ii«  Dertouft lea états 

meiicaiasy  rétat  de  Zacatéeasiétait  leplss  tranipBBe.Dfepatsikmgf 

tempsUa^ait  sa  se;  préserver. de8rr^(dBtiattSi|Bidéchiraat4e»paj8 

voi8iiis.0eeiipé  de  rexpèoitatioR  de  8ea']Biaes.féooaAes,il  Aencnaail 

dans  un  état  /de  prospérité  «foi  défte(à  Sama-^Aima;  il  faUait^qu'il 

Tint  le  bouleverser.  Ceux  de  Zacatéeas  vo«lureui  repensser  uflèiflH 

Juste  agresaiuu;  Hisisilsiuren(tti:aina«  Ban»ceCto.iftou»raMf  journée^ 

«pie  les  Mexkaifist  piaceet  en  prenère  lifpnedaus  leurs  fastes uûB- 

^res,  tl  périt  environ  ceuthonMtSy  dont  les  denxtiersfuroit  OMt* 

uacrés,  car  Santa-ÀRttaiavaît  dunaéordre  qu'onfitmaÎB  basse  sur 

lous  les  officiers.  Tel  est  FhoRBBe!  el  naemro  Nupoieime ,  ceMiBi 

absent  lea Jtfexicains.  fin  Ëttropieeifâvtaiorfa/  Sané*-:inmi,:e/'Macle 

Mejictmt^jeiinvtoioéenw  (épiilièlesipie  les  journaux  mexicaMis  oui 

Répétées îusqu*à>saiiélé)  ne^aerak  pas  loapaUe  de  cunamaadcrrdenx 

cents  bfiroaies  î  Qs'o«ii'x>«lDfe  pas<^ue  s  îl  est  panneuuaux  pvemiè* 

Yes  foncaicMis  de  la  répuUifuey  c'^sCique  dans,  ce  pays  olmcon  peut 

j  arriver>purles  moyens  dont  il  s'est  servi,  iie»Yévolutioua,  rtutr»* 

^ue,  la  fourberie  et  la  trahison.  SantanAama  passai  àidoraiir  les  deux 

^rsdeau  vie.  Jamais,  dans,  soaifilépjeiur,  oaue  Ta- vuiunl  vre  à 

limaÎQ,  jamaîs onnera'vu  chorcber-à 8'in8lnuire«nqMiî>q^e:eu 

Mi;  ildk  inodeatement  qnei la; nature  Fa  «foiié:â*iDn:f;éDÎa  letude 

^itposiftioHS  ao»|uels  Fiétiide,  lanatnietitm.et  la;iestare.}ue'pouiu 

%ent  cioD  ajouUr.  Le  pnscipal  divertiasement  de  son  exceBeacev 

<e  sont  les  oumbata  dejcoqs  ;  JMais  cumme  il  a  Miwhitirff  dm ref aavt 

"de  payer  quand  le  œq  qu'il  fiaitioenubattreosÉnraNNUi^  tes>»feateuft 

us  se  sunctent  pas  d  entrer  eu  liée  avec  luL  li'acvurioa  est  une^de 

ais^ualkés,  mais  line  aivarice  poussée  juspi^àlla^piusdégoàtlUM 

lUoerie.  Quaod  il  est  àlable;aiveo;se8  ottcâers^il  a  défaut  lut 


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96  RETUB  DES  IIEIIX  MORDES. 

une  bouteille  de  vin  dont  il  se  garde  bien  d*ofFrir  à  ses  conyîyes, 
qui  sont  ainsi  réduits  à  boire  de  Veau;  y  est  vrai  que  le  vin  se 
vend  une  piastre  la  bouteille. 

Par  ce  qu'on  vient  de  lire,  on  peut  se  faire  une  idée  exacte  de 
l'état  actuel  de  la  république;  il  nous  reste  à  faire  connaître  la 
position  des  étrangers  au  Mexique.  Peuirétre  qu*après  avoir  exposé 
les  choses  telles  qu'elles  sont,  et  dit  la  vérité  tout  entière,  nous  se- 
rons assez  heureux.pour  faire  revenir  à  des  idées  plus  saines  ceax 
qui  seraient  encore  tentés  d'aller  chercher  fortune  dans  les  nou- 
velles républiques  du  Sud. 

Le  Mexicain ,  en  effet ,  est  plus  à  craindre  pour  les  étrangers  que 
le  vomito  qui  dépeuple  ses  côtes  et  le  nord  de  son  golfe.  La  haine 
de  l'étranger  est  générale  au  Mexique,  et  cette  haine  est  partagée 
par  toutes  les  classes,,  de  sorte  que  tous  ceux  que  les  drconstan- 
ces  ont  déterminés  à  venir  se  fixer  dans  le  pays,  y  sont  à  peu  pris 
traités  comme  l'étaient  les  juifs  en  Europe  au  moyen^àge  :  honnis, 
insultés,  persécutés,  volés  et  assassinés,  sans  que  cela  tire  à  con- 
séquence. S'ils  se  montrent  dans  les  rues,  le  lépreux  mexicam 
leur  Jette,  des  pierres,  et  fait  retentir  à  leurs  oreilles  les  cris  de  : 
Dehon  les  étrùngerg!  à  mort  les  èrangers!  Les  gens  appelés  dicau 
ne  les  lapident  pas,  mais  ils  excitent  la  canaille.  Cette  haine  a 
pour  cause  principale  les  préjugés  religieux.  Les  Espagnols  ont 
fait  croire  autrefois  aux  Mexicains  qu*eux  seuls  étaient  chrétiens, 
que  .toutes  les  autres  nations  étaient  hérétiques,  et  que  par  con- 
séquent il  fallait  les  détester  et  éviter  tout  contact  avec^lles.  Cette 
croyance  subsiste  encore  aujourd'hui  dans  toute  sa  force,  et  les 
étrangers  sont  généralement  regardés  conune  une  race  de  Gains, 
maudite  et  proscrite  à  jamais. 

Un  Mexicain  disait  un  jour  à  un  Français  :  a  Vous  autres  étran- 
gers, vous  n'avez  pour  vous  dans  le  pays  que  les  femmes  et  les 
chiens.  »  Sans  doute,  parce  que  les  femmes  trouvent  les  étrangers 
un  peu  moins  laids  et  moins  disgracieux  que  leurs  créoles  basanés 
et  mal  feits ,  et  que  les  animaux  s'aperçoivent  que  ceux-là  les  trai- 
tent avec  humanité.  Les  prêtres  combattent  autant  qu'Qs  peuvent 
ce  prétendu  faible  qu*ont  les  Qlles  d*braël  pour  les  Amalécites. 
Malgré  cette  malédiction  dont  les  étrangers  sont  l'objet,  on  ren- 
contre déjà  dans  le  pays  bon  nombre  de  jolis  enfans  aux  yeux 
bleus,  aux  blonds  cheveux,  dont  la  présence  témoigne  aseez  que 


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LES  RÉPUBLIQUES  MEXICAmES.  97 

ranathëme  fulminé  contre  la  race  étrangère  n*a  pas  eu  son  plein 
effet.  Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  préférence  des  dames  mexicaines, 
c'est  une  bi^n  faible  compensation  pour  les  vexations  et  les  dan- 
gers réels  auxquels  sont  exposés  les  étrangers  qui  habitent  le  pays. 
La  haine  des  Mexicains  est  telle  qu'on  est  fondé  à  redouter  un 
jour  chez  eux  des  vêpres  siciliennes.  Quelques  catastrophes  ré- 
centes prouvent  que  ces  craintes  ne  sont  pas  chimériques.  En  1833, 
une  famille  française,  établie  dans  une  ferme  auprès  de  Puebla, 
fut  massacrée  tout  entière,  sans  qu'elle  eût  donné  aux  habitans 
le  moindre  sujet  de  plainte ,  le  moindre  motif  de  vengeance.  Ce  fut 
un  moine  qui  ameuta  deux  ou  trois  cents  lépreux,  les  conduisit  à 
la  ferme  de  ces  malheureux  Français,  qui  furent  impitoyablement 
poignardés  au  nombre  de  neuf.  La  maîtresse  de  la  maison  sur- 
tout fiit  traitée  avec  une  barbarie  digne  de  cannibales.  Percée  de 
coups  et  respirant  encore,  elle  fut  attachée  à  la  queue  d'un  che- 
val et  traînée  au  galop;  son  cadavre  fut  insulté  et  souillé  par  les 
assassins.  On  égorgea  jusqu'aux  domestiques  de  la  maison,  qui 
étaient  Mexicains,  les  punissant  ainsi  d'avoir  servi  des  juifs.  A  la 
même  époque  à  peu  près,  un  Anglais,  qu'on  avait  injustement 
onprisonné,  fut  égorgé  dans  sa  prison  par  un  colonel  mexicain, 
et  ce  crime  resta  impuni.  Tout  récemment,  aux  environs  d'Aca- 
pulco,  un  officier  souleva  les  habitans  du  pays  contre  les  étran- 
gers, et  en  massacra  cinq,  aussi  impunément.  Mais  c'est  surtout 
à  la  prise  de  Zacatécas,  par  Santa- Anna ,  que  la  fureur  des  Mexi- 
cains se  montra  dans  toute  sa  lâcheté.  L'exploitation  des  mines 
avait  attiré  à  Zacatécas  un  grand  nombre  d'Européens.  Les  nobles 
soldats  de  l'illustre  général  entrèrent  dans  la  ville  et  se  répan- 
dirent partout  en  criant  :  ilforf  aux  étrangers!  Un  Américain  fut  tué 
dans  sa  maison,  et  toutes  les  personnes  qui  s'y  trouvaient  bles- 
sées et  plus  ou  moins  maltraitées;  une  jeune  Française,  qui  tomba 
au  mflieu  de  cette  bande  d'assassins,  fut  meurtrie  de  coups  de 
crosse,  dépouillée  de  ses  vétemens,  et  traînée  dans  les  rues  par 
les  cheveux,  a  Ouvrons-lui  le  ventre,  disaient  les  forcenés,  nous 
y  trouverons  un  petit  juty que  nous  jetterons  aux  chiens.»  Un  Ita- 
lien fut  blessé  et  sa  maison  pillée;  quatre  Anglais  furent  éga- 
lement blessés,  ainsi  que  plusieurs  dames  anglaises.  Et  tous  ces 
excès  demeurèrent  impunis  I  pas  un  soldat  ne  fut  châtié  I  Et  com^- 
l'eussent-ils  été,  quand  les  chefs  eux-mêmes  donnaient 

TOME  VII,  7 


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98^  RKTUE  DBS  DEUX  MOKMA» 

Texeraple,  et  que  le  général  provocpuiil  à  ces  sang^bAtts  ergiesf 
car^  ayant  su  ({ue  parmi  les  troupes  q^  défeadaiefit  Zacatécas  il" 
se  trouvait  quatre  ou  cinq  officiers  étraBgf»cs^  il  arait  donné  Vor— 
dre  que  Ton  massacrât  taus^les  officiers  prisonnierfi,  aCn  que. 
ceuxrci  ne  pussent  lui  échapper.  Cet  ocdre  barbare  an^it  animé  se&r 
sicaires  contre  le  reste  des  étrang,ers^  qui,  paisiUeraent  établis, 
dan»  la  viMe,  n*avaient  pris  aucune  paitt  ^âj^x  évènemens. 

Àtt  milieu  de  ces  troubles  populaijres  cpii  a^tent  presque  conti- 
nuellement ce  malheureux  pays^  la  vie  des.  Européens  se  trouve  à 
chaqjue  instant  compromise.  Quand  il&  se  rencontrent  sur  le  thé&- 
tr&  de  ces  évènemens  politiques^  il  ne  leur  reste  qu'i  s'enfer- 
mer chez  eux,  et  tandis  que  la  populace  et  une  soldatesque  effré- 
née vocifèrent  des  menaces  contre  eux,  munis  de  fusils^  de  pis- 
toleis,  et  bien  approvisonnés  de  cartouches,  ils  attendent,  dansdes 
ang,oÎ6ses  mortelles,  déterminés  à  vendre  le  plus  chèrement  pos- 
sible leurs  biens  et  leur  vie.  Oui,  les  étrangers,  sont  ^dansée  pays*» 
sans  défense  et  sans  protection  :  les  représentans  de  leurs  goi&- 
vernemens  ne  font  absolument  rien  pour  leur  sùrelé.  Quanii 
un  Européen  a  été  pillé,  volé  ou  assassiné ,  non  par  des  voleurs 
de  grand  chemin,  m*ais  par  des  colonels  on  des  génémnx^  coaia^ 
à  Ziicatécas,  le  ministre  de  la  nation  à  laquelle  il  appartieat 
se  borne  à  fa<re,  de  la  manière  la  plus  polie,  quelques  représent»- 
tions  insignifiantes  au  président  de  la  répuUique,  et  cette  démar- 
che reste  presque  toujours  sans  effet.  Mais  la  faute  n*6n  est-ell0 
pas  à  nos  gouvernemens ,  qui  enivoîent  pcMir  les  représenter  daotf 
ce  pays,,  des  hommes  sans  énergie,  sans. dignité,  des  hommes  d» 
bureau  qui  ne  voient  dans  leurs  fonctions  q^  les  agrémena  qu'elles 
procurent  et  Vargent  qu'elles  rapportent?  Et  ce  n'est  plus  aujouff* 
d'hui  seulement  la  populace  mexicaine  qui  insulte  et  maltraite  lef 
étrangers  :  cette  animosité  est  partagée  par  ceux44  rai^nie  qui  de* 
vraient  s'étudier  à  détruire  les  préjugés  qu'on  nourrit  contre  eux. 
Quelle  peut  être  leur  sécurité,,  quand  les  journaux  du  pay»et  les 
pièces  officielles,  que  puUient  les  dépositaires  de  l'autorité ,  ne  ces- 
sent d'envenimer  les  mauvaises-passionsde  la  populace,  en  leur  pro* 
diguant  la  menace  et  rinjure?  Pense-t-on  quêteur  amour-propre  na> 
tional  n'ait  pas  à  souffrir,  lorsque  dans  ces  assemblées  qu'on  appetts 
pompeusement,  au  Mexique ^  soberano^  ccm^^r^ro^,.  ils  entendent  «n 
stupide  vaquero  se  permettre  d'insulter  la  vqa  Enroftaï  Un  des  frères 


\ 


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LES  RÉPUBLIQUES  MEXICAINES.  99 

tQmmpu  du  sénat  de  Mexico  disait  dernièrement  :  a  Tandis  que 
^  la  r(ja  Europa ,  cadi.ca  y  flaquea  coda  (lia  mas  !  tandis  que  la  mcîUe 
ff  Enr>  pe  tombe  en  éécrépili  de  ei  maigrit  chaque  jour  davanlage ,  Hos 
t  jeniies  républiques  croissent  à  Tombre  de  la  liberté!...  o  Ne  se- 
rait-il pss  temps  de  foire  cesser  toutes  ces  riéicules  fanfaronnades? 
Qoek  égards  doit-on  à  une  nanion  qui  fait  profession  de  mépriser 
tODies  les  autres,  de  les  vouer  à  Finsulie  et  au  poignard?  Croira- 
t-on  qa*après  la  bataWe  <le  Zacatécas,  un  général,  dans  Tivresse  du 
IrioiDpbe,  disait  à  un  étranger  :  tr  Vous  voyez  à  présentée  que  nous 
lavoDs  faire,  et  que  nous  ne  craignons  aucune  nation  du  monde; 
ROQs  alkMs  maintenant  donner  une  bonne  leçon  à  nos  insoloas  voi- 
sins du  norâ  (les  Américains),  et  ensuite  à  rorgueilleuse  Angle- 
terre.—Mais,  reprit  raut<re,ii'étes-TOus  pas  d*avisii*en  faire  autant 
i  l'égard  de  la  Russie  et  de  la  France?  —  Peui-ôtre...  un  peu 
fias  tard;  jusqo^à  présent,  nous^n'avons  pas  trop  à  nous  plaindre 
de  088  deux  puissances!  — -  «Que  ia  France  se  rassure  pourtant  : 
il  faudrait  que  ei  immnrial  Santa-Anua  passât  les  mers  avec  ses 
lépreox  mexicains,  et  la  marina  national  de  la  jeune  république 
consiste  en....  une  goélette  de  six  canons!! 

La  position  des  sujets  européens  au  Mexique  est  plus  précairo 
encore  depuis  que  le  parti  des  moines  a  le  dessus.  On  conçoit, 
en  effet,  que  les  moines  soient  les  plus  grands  ennemis  des 
étrangers,  car  ils  savent  qne  par  leur  contact  avec  ceux-ci, 
i^llei'caîns  ne  peuvent  manquer  de  sortir  de  ^abrutissement 
^^  ils  les  tiennent  plongés;  aussi  ne  •cesseat-tls  de  sotflever 
contre  eux  la  colère  du  peuple,  qui,  dans  son  aveuglement  et  ses 
"ottes préventions,  ne  voit  pas  tout  ce  dont  il  est  redevable  aux 
^ropèens.  €e  sont  les  droits  perçus  sur  les  importations  ét^an- 
C^squi  alimentent  et  soutiennent  stm  igouvernement  ;  s'il  s  est 
^troduit  quelques  améliorations^  de  quelque  genre  que  ce  soit, 
^iansses  institutions,  dans  ses  mœurs  et  jusque  dans  les  commo- 
<lil*s  de  la  vie;  s'il  y  a  dans  la  capitale  quelque  mouvement,  quel- 
<pe  commerce,  quelque  luxe,  c'est  aux  étrangers  qu'il  le  doit. 
Si  le  riche  a  une  habitation  commode,  dos  meubles  somptueux 
6t  de  bon  goût,  s*il  porte  un  habit  de  drap  fln  et  d*une  coupe 
gracieuse,  il  doit  en  remercier  l'industriel  étranger  qui  est  venu 
de  deux  mille  lieues  lui  révéler  des  jouissances  qu'il  ne  connais- 
sait pas.  Si  la  piquante  Mexicaine  porte  à  ses  jambes  de  riches 

7. 


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100  RRTUB  DES  DEUX  MONDES.  ' 

bas  de  soie,  si  ses  jolis  pieds  sont  enfermés  dans  une  chanssu^ 
d*une  forme  élégante,  elle  doit  une  tendre  reconnaissance  à I'oki 
yrier  étranger.  Si  la  mantiUa^  son  Costume  ordinaire,  qui  n*ét^ 
autrefois  qu  un  froc  de  religieuse ,  est  devenue  aujourd'hui  ukii 
mise  des  plus  élégantes,  qui  relève  infiniment  ses  attraits  naturels, 
c*est  parce  qu'une  modiste  française  est  venue  apporter  dans  sa 
confection  les  améliorations  du  bon  goAt,  en  y  adaptant  la  ceuD- 
ture,  les  voiles  de  dentelle,  et  toutes  les  coquetteries  de  la  mode, 
n  n'est  pas  jusqu'au  lépreux  mexicain  qui  ne  doive  à  Tindustrie 
d'un  étranger  le  poignard  avec  lequel  il  assassine.  En  un  mot, 
tout  ce  qui  est  objet  d'art  et  d'industrie,  dans  les  choses  de  luxe 
comme  dans  celles  de  première  nécessité,  provient  de  l'étranger; 
car,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  Tindustrie,  au  Mexique,  est  abso- 
lument nulle.  Si  les  mines  de  ce  pays  se  sont  rouvertes,  et  re- 
commencent à  répandre  leurs  trésors,  c'est  parce  que  des  étran- 
gers sont  venus  y  dépenser  des  mBlions  pour  les  remettre  en 
exploitation.  Enfin,  si  le  Mexicain  veut  faire  quelques  pas  dans  h 
civilisation,  et  sortir  de  Tétat  d'abjection  où  il  est  plongé,  il  ne  le 
peut  qu'en  appelant  à  son  aide  les  lumières  et  les  arts  des  nations 
plus  avancées.  Ne  devrait-il  pas  fiiire  en  sorte  que  l'Européen  qni 
vient  apporter  à  son  pays  le  tribut  de  ses  talens  et  de  son  industrie, 
au  lieu  d'entendre  retentir  autour  de  lui  des  cris  de  rage  et  de 
mort,  y  reçût  un  accueil  amical  et  bienveillant,  et  qu'il  trourit 
sûreté  pour  sa  personne  et  sa  prop  iété?  Le  Mexicain  comprend 
parfaitement  combien  il  est  en  arrière  des  autres  iiations  sous  le 
rapport  de  la  civilisation,  de  Findustrie  et  des  arts;  il  sent  toat  ce 
qui  lui  manque,  et  quel  besoin  il  a  de  l'étranger;  mais  sa  haine  est 
plus  forte  que  sa  conviction.  Le  Mexicain  semble  avoir  déclaré  la 
guerre  à  toutes  les  autres  nations,  il  les  abhorre  toutes,  et  il  neles 
respectera  jamas  qu'auunt  qu*il  les  craindra^ 

Un  YOTAGBUR. 


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ÉCRIVAINS  CRITIQUES 

ET  MORALISTES 

DE  LA  FRANCE. 


IV. 
ILÙ  IBiaiDlIlIlIUË» 


Vers  1687,  année  où  parut  le  livre  des  Caractères,  le  siàde  de 
Louis  XIV  arrivait  à  ce  qu*on  peut  appeler  sa  troisième  période; 
les  grandes  oeuvres  qui  avaient  illustré  son  début  et  sa  plus  bril- 
butte  nx>itié  étaient  accomplies;  les  grands  auteurs  vivaient  encore 
la  plapart,  mais  se  reposaient.  On  peut  distinguer,  en  effet,  comme 
trois  parts  dans  cette  littérature  glorieuse.  La  première,  à  laquelle 
Louis  XIV  ne  fit  que  donner  son  nom  et  que  prêter  plus  ou  moins 
sa  foveur,  lui  vint  toute  formée  de  Tépoque  précédente;  j*y  range 
ks  poètes  et  écrivains  nés  de  1620  à  1626,  ou  même  avant  1630, 
La  Rochefoucauld,  Pascal,  Molière,  La  Fontaine,  M"^de  Sévigné. 
La  maturité  de  ces  écrivains  répond  ou  au  commencement  xm  aux 
pins  belles  années  du  règne  auquel  on  les  rapporte,  mais  elle  se 
PhnIvs^  en  vertu  d'une  force  et  d*une  nourriture  antérieures. 
Vue  seconde  génération  très  dtstincte  et  propre  au  règne  même  de 


N.      f   ■' 


I 

Louis  XIV  est  celle  en  tête  de  laquelle  on  voit  Boîleau  et  Racine,  ' 
et  qui  peut  nommer  encore  Fléchier,  Bourdaloue,  etc.,  etc.,  tous 
écrivains  ou  poètes,  nés  à  dater  de  1632,  et  qui  débutèrent  dans 
le  monde  au  plus  tôt  vers  le  temps  du  mariage  du  jeune  roi.  B)!- 
Içau  et  Racine  avaient  à  peu  près  terminé  leur  œuvre  à  cette  date 
de  1687;  its  étaient  tout  occupés  de  leurs  fonctions  d'historiogra- 
phe. Heureusement,  Racine  allait  être  tiré  de  son  silence  de  dix 
années  par  M*"*  de  Maintenon.  Bossuet  régnait  pleinement  par  son 
gér|ie  ^n<^  miEeu  du  grand  rè^e ,  et  sa  vieillesse  comnicnçaate  en 
devait  long-temps  encore  soutenh'  et  rehausser  la  majesté.  Cétait 
donc  un  admirable  moment  que  cette  fin  d*été  radieuse,  pour  une 
production  nouvelle  de  mûrs  et  brillans  esprits.  La  Bruyère  et 
Fénelon  parurent  et  achevèrent,  par  des  grâces  imprévues,  la 
beauté  d'un  tableau  qui  se  calmait  sensiblement  et  auquel  il  de- 
venait d'autant  plus  difficile  de  rien  ajouter.  L'air  qui  circulait 
dans  les  esprits,  si  Ton  peut  ainsi  dire,  était  alors  d'une  merveil- 
leuse sérénité.  La  chaleur  modérée  de  tant  de  nobles  œuvres, 
l'épuration  continue  qui  s'en  était  suivie ,  la  constance  enfin  des 
astres  et  de  la  saison,  avaient  .amené  l'atmosphère  des  esprits  à  un 
état  tellement  limpide  et  lumineux,  que,  du  prochain  beau  livre 
qui  saurait  naître,  pas  un  mot  immanquablement  ne  serait  perdu, 
pas  une  pensée  ne  resterait  dans  Torabre,  et  que  tout  naîtrait  dans 
son  vrai  jour.  Conjoncture  unique  I  éclaircissement  favorable  en 
môme  temps  que  redoutable  à  toute  pensée  1  car  combien  il  faudra 
fdefiôltieté  et  de  justesse  dans  la  nouveauté  et  la  profondeur!  La 
Bruyère  en  CTÎonipha.  Vers  les  mêmes  années,  ce  qui  devait  nourrir 
àaa  naifisance  et  composer  l'aimable  génie  de  Fénelon  était  égato^ 
«leot  disposé  et  comme  pétri  de  toutes  parts  ;  mais  la  fortune  et  le 
caractère  de  La  Bruyère  ont  quelque  chose  de  plus  singulier. 

On  ne  «ait  râa  ou  presque  rien  de  la  vie  de  La  Br«yère ,  et  cette 
id)8«rité ajoute,  comsieon  l'a  remarqué,  à  Tefifet  de  son  livre,  «t, 
«Kpeut  dipe,  au  bonliettr  piqaattt  de  sa  destinée.  S^iln'yapasoie 
$eiile  ligne  de  soo  livre  unique  qui«  depuis  le  premier  tnsUiitdeli 
]iiiWicatîon,  ne  soât  venue  et  restée  en  lunftière,  il  n'y  a  pas,«n  re- 
yaaohe,  ua  détail  particulier  de  l'auteur  qui  soit  bies  connu.  Taii 
b  rayoa  da  siècle  «est  tombé  juste  sur  diaqiie  p*s®  du  Hwre^  etk 
lésage  de  riieiime  qui  le  tenait  %iwmÊ,  à  la  vais  s'est  dérobé. 

Jhaarfei^Bmyèf^élaiiné  daMiiBi^itlaseiMNicfaei^^ 


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icRi  TAINS  GRmcpres  xr  mokaustbs  français.  MS 

ttSI^dÎMiIlcs  «n;cBl«UsdiMïat  ks  mtrtsetd'Olhrettopreiii^ 
qai  le  Eûi  mMiir  A  diiqiiaiite-de«x  fttts  (169â).  En  adojpcant  oM» 
4ste  de  1644,  La  Bmjère  avnvt  eu  viii^  ans  qoand  pamt  i4miro'>* 
•Mf .3r ;  aiosî  tous  les  frwis  sooœastfa  de  ees  ricbes  aMiées  màrireat 
potr  loi  et  fmteÉA  le  mets  de  sa  jeoneese;  il  essuyait»  sans  se  hâter^ 
bdiaiear  fiéofwde  de  ees  s^leSs.  Nul  towrifeettl,  nuHe  ewie.  Que 
d'aanées  d'étude  on  de  loisir  durant  lesquelles  il  dut  se  borner  k 
lire  avec  dooceur  et  réfleiio»,  attaai  a*  foad  des  choses  et  aiten* 
dMir  n  résulte  d'uae  netè  écnAe^ers  1720,  par  le  père  Boa^fiel 
^  parle  père  Le  Loag ,  daas  des  mémoires  particuliers  qui  se  trou- 
îaiemà  la  btfotiothèqae  de  VOratotre,  que  La  Bruyère  a  été  de  cette 
CMgrégatioii  (1).  Cela  reut-îl  dire  qn'tt  y  fut  simplement  élevé  otf 
fii  y  fia  engagé  qurique  tMaps?  Sa  première  relation  avec  Bos<- 
«et  se  rattaekepevt-étre  à  cette  eireonstance.  Quoi  qu'il  en  soit,  il 
Tenait  d'acheter  une  charge  de  trésorier  de  France  à  Gaen  lors- 
^  Bossuet,  qu'il  eonnaissait  on  ne  sait  d'oà,  t'appela  près  de 
M.  le  tec  po«r  lui  enseigner  rbistoire.  La  Bruyère  passa  le  reste  de 
m  jours  à  l  h6tet  de  Cendé  à  Versailles ,  attaché  au  prince  en  q«a« 
Itè  dbemme  de  lettres  avec  mtBe  écns  de  pension. 

A'Olivet  qui  est  malheurensement  trc^  bref  sur  le  célèbre  aa-« 
tcror,  iMûs  dont  la  parole  a  de  l'ausovité,  nous  dit  en  des  ternei 
txceKens  :  «r  On  me  l'a  dépeint  comme  mi  philosophe ,  qui  ne  soh^ 
«  geait  qa'Â  vivre  tranquille  avec  des  amis  et  des  Kvres,  faisant  un 
t  bon  dmx  des  uns  et  des  antres;  ne  cherchant  ni  ne  fuyant  le 
t  plaisir;  toujoursdfsposé  à  une  joie  modeste,  et  ingénieux  à  la  faire 
«iiakre;poli  dans  ses  manières  et  sage  dans  ses  discours;  crai^ 
«  gnant  toute  sorte  d'ambition,  même  celle  de  montrer  de  l'esprit.  » 
U  témoignage  de  Tacadémicien  se  trouve  eonGriné  d'une  mâmire 
frappante  par  eelui  de  Saint-Simon  qui  insiste,  avecTautorité  d'un 
^^min  non  suspect  d'indulgence,  précisément  sur  ces  mêmes qea-^ 
liés  de  bon  goût  et  de  sagesse  :  cr  Le  public,  dit-il,  perdit  bientM 
«après  (^696]  un  homme  illustre  par  son  esprit,  par  son  style  el 
rpar  ta  connaissance  des  hommes  ;  je  veux  dire  La  Bruyère ,  qui 
«noumt  d*apoptexie  à  Versailles,  après  avoir  surpassé  Théo^ 
«phrasteen  travaillant  d'après  lui  et  avoir  peint  les  hommes  de 
r  notre  temps  dans  ses  nouTeaux  Cëraciires  d*une  manière  in 

#7  Histoire  ManascrilB  de  l*Oratoir« ,  par  Adry,  avi  ArehiTes  chi  EoyMiii^ 


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104  RBTUE  DES  DEUX  MONDES. 

tf  table.  C'était  d*ailleiirs  un  fort  honnête  homme,  de  très  bonne 
a  compagnie ,  simple ,  sans  rien  de  pédant  et  fort  désintéressé.  Je 
a  Tavais  assez  connu  pour  le  regretter  et  les  ouvrages  que  soir 
«  âge  et  sa  santé  pouvaient  faire  espérer  de  lui.  »  Boileau  se  moi- 
trait  un  peu  plus  difGcilc  en  fait  de  ton  et  de  manière  que  le  duc 
de  Saint-Simon,  quand  il  écrivait  à  Racine,  19  mai  1687  :  «  Maximi- 
a  lien  [pnurq'ioi  ce  sobriqiet  de  Marimilien'!)  m*est  venu  voir  à  All- 
er teuil  et  m*a  lu  quelque  chose  de  son  Théophraxte.  Cest  un  fort 
a  honnête  homme  à  qui  il  ne  manquerait  rien  si  la  nature  Tavaît  fiut 
a  aussi  agréable  qu'il  a  envie  de  Têtre.  Du  reste,  il  a  de  Tesprit,  da 
a  savoir  et  du  mérite:  »  Nous  reviendrons  sur  ce  jugement  de  Boi- 
leau :  La  Bruyère  était  déjà  un  peu  à  ses  yeux  un  homme  des  gé- 
nérations nouvelles,  un  de  ceux  en  qui  volontiers  Ton  trouve  que 
l*envie  d*avoir  de  Tesprit  après  nous,  et  autrement  que  nous,  est 
plus  grande  qu*il  ne  faudrait. 

Ce  même  Saint-Simon,  qui  regrettait  La  Bruyère,  et  qui  avait  plos 
d'une  fois  causé  avec  lui,  nous  peint  la  maison  de  fiOndé  et  M.Je 
Duc  en  particulier,  l'élève  du  philosophe,  en  des  traits  qui  réflé- 
'  chissent  sur  l'existence  intérieure  de  celui-ci.  A  propos  de  la  mort 
de  M.  le  Duc,  1710 ,  il  nous  dit  avec  ce  feu  qui  mêle  tout,  et  qui  fut 
tout  voir  à  la  fois  :  a  H  était  d'un  jaune  livide,  l'air  presque  toa- 
a  jours  furieux,  mais  en  tout  temps  si  fier,  si  audacieux,  quoD 
•  <r  avait  peine  à  s'accoutumer  à  lui.  Il  avait  de  l'esprit,  de  la  lecture, 
«r  des  restes  d'une  excellente  éducation  (je  le  crois  bim)^  de  la  poli- 
«  tesse  et  des  grâces  même  quand  il  voulait,  mais  il  voulait  très 
cr  rarement....  Sa  férocité  était  extrême,  et  se  montrait  en  tout. 
«  C'était  une  meule  toujours  en  l'air,  qui  faisait  fuir  devant  elle,  et 
«  dont  ses  amis  n'étaient  jamais  en  sûreté,  tantôt  par  des  insultes 
a  extrêmes,  tantôt  par  des  plaisanteries  cruelles  en  face,  etc.  »  A 
l'année  1697,  il  raconte  comment,  tenant  les  états  de  Bourgogne  i 
Dijon  à  la  place  de  M.  le  Prince  son  père,  M.  le  Duc  y  donna  oft 
grand  exemple  de  l'amitié  des  princes  et  une  bonne  leçon  à  ceax 
qui  la  recherchent.  Ayant  un  soir,  en  effet,  poussé  Santeuil  de  vin  de 
Champagne,  il  trouva  plaisant  de  verser  sa  tabatière  de  tabac  d'Es- 
pagne dans  un  grand  verre  de  vin  et  le  lui  offrit  à  boire;  le  pauvre 
Thèudas  si  naïf,  si  ingénu,  si  bon  convive  et  plein  de  verve  et  de 
bons  mots,  mourut  dans  d'affreux  vomissemens.  Tel  était  le  petit- 
fils  du  grand  Condé  et  l'élève  de  La  Bruyère.  Déjà  le  poète  Sarra- 


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ÉCRIVAINS  CRITIQUES  ET  MORALISTES  FRANÇAIS.  105 

an  était  mort  autrefois  sous  le  bâton  d^un  Conti  dont  il  était  secré- 
taire. A  la  manière  énergique  dont  Saint-Simon  nous  parle  de  cette 
race  des  Condés,  on  voit  comment  par  degrés  en  elle  le  héros  en 
viendra  à  n*étre  plus  que  quelque  chose  tenant  du  chasseur  ou  du 
sanglier.  Du  temps  de  La  Bruyère,  l'esprit  y  conservait  une  grande 
part;  car,  comme  dit  encore  Saint-Simon  de  Santeuil,  cr  M.  le 
c Prince  Tavait  presque  toujours  à  Chantilly  quand  il  y  allait;  M.  le 
t  Duc  le  mettait  de  toutes  ses  parties;  c'était  de  toute  la  maison  de 
«Condé  à  qui  Taimait  le  mieux,  études  assauts  continuels  avec  lui 
t  de  pièces  d*esprit  en  prose  et  en  vers,  et  de  toutes  sortes  d*amu- 
«semens,  de  badinages  et  de  plaisanteries,  d  La  Bruyère  dut  tirer 
on  fruit  inappréciable,  comme  observateur,  d'être  initié  de  près  à 
cette  famille  si  remarquable  alors  par  ce  mélange  d'heureux  dons, 
d'urbanité  brillante,  de  férocité  et  de  débauche.  Toutes  ses  remar- 
ques sur  les  héros  et  les  en  fans  des  dieux  naissent  de  là;  il  y  a  tou- 
jours dissimulé  l'amertume  :  or  Les  Enfans  des  Dieux,  pour  ainsi 
t  dire,  se  tirent  des  règles  de  la  nature  et  en  sont  comme  l'excep- 
«  tion.  Us  n'attendent  presque  rien  du  temps  et  des  années.  Le 
«  mérite  chez  eux  devance  Tàge.  Ds  naissent  instruits,  et  ils  sont 
tr  plus  tôt  dés  hommes  parfaits  que  le  commun  des  hommes  ne  sort 
«  de  l'enfance,  d  Au  chapitre  des  Grands  il  s'est  échappé  à  dire  ce 
c|u'il  avait  du  penser  si  souvent  :  a  L'avantage  des  Grands  sur  les 
«  autres  hommes,  est  immense  par  un  endroit  :  je  leur  cède  leur 
«  bonne  chère,  leurs  riches  ameublemens,  leurs  chiens,  leurs  che- 
«  vaux,  leurs  singes,  leurs  nains,  leurs  fous  et  leurs  flatteurs; 
«  mais  je  leur  envie  le  bonheur  d'avoir  à  leur  service. des  gens  qui 
«  les^égalent  par  le  cœur  et  par  l'esprit,  et  qui  les  passent  quelque- 
«  fois.  JD  Les  réflexions  inévitables,  que  le  scandale  des  mœurs  prin-« 
Qères  lui  inspirait,  n'étaient  pas  perdues,  on  peut  le  croire,  et 
^assortaient  moyennant  détour  :  a  M  y  a  des  misères  sur  la  terre 
t  qui  saisissent  le  cœur  :  il  manque  à  quelques-uns  jusqu'aux  ali- 
«mens;  ils  redoutent  l'hiver;  ils  appréhendent  de  vivre.  L'on 
«  mange  ailleurs  des  fruits  précoces;  l'on  force  la  terre  et  les  sai- 
«  sons,  pour  fjurnir  à  sa  délicatesse.  De  simples  bourgeois,  seule- 
«  ment  à  cause  qu'ils  étaient  riches,  ont  eu  l'audace  d'avaler  en  un 
tseul  morceau  la  nourriture  de  cent  familles.  Tienne  qui  pourra 
«  contre  de  si  grandes  extrémités,  je  me  jette  et  me  réfugie  dansr 
I  la  médiocrité,  d  Les  simples  bourgeois  Viennent  Ik  bien  à  propos 


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1Q6  mETis  DBS  m:m 

^f<fy<»AasBertert|igo€he,nMtt»janarépo>di^p 

■A  fui  éerifte  «a  mît  ta  reotraal  d'iui  4e  ces  soupers  de  4eiM- 

éàamaL,  où  If*  k  Duc  fWKiMni  tf «  tkMmfoyme  SsatenA. 

Li  Bruyère,  qui  «inak  h  lecture  des  aadeiis,  eut  ua  jotr 
ridée  de  traduire  Théophiaste,  et  il  pensa  i  çKsser  à  h  saite  ctà 
iafâveur  de  sa  traduction  <pieiq«e»-«ttes  de  ses  propres  réflexÎMs 
sur  les  msrars  nederues.  Celle  traduction  r'eTlié  phraste  n^était- 
elle  peur  hii  <<pi*un  prétexte  ou  fut-elle  vraiaiefit  Toccasion  d^ier- 
saiaante  et  le  preuii^  dessein  principalt  On  pencherait  plutôt  pôtr 
eetie  suppositkMi  moindre,  eu  royant  la  fome  de  réditioa  Aus 
faupirile  parurent  d*abord  les  Caractères,  et  combien  Tbéophrasie 
y  occupe  «w  f/rêmie  place.  La  Bruyère  était  très  pénétré  de  cette 
idée^  par  laqueUe  il  ouvre  son  premier  cfaaptre,  que  tmaestétH 
tftti^VimvkmltPopHrd^irhMphtëéeiiepimUkaw 
et  fut  pcRsea/.  11  se  déclare  de  Tavis  que  nous  avons  vu  de  uds 
jours  partagé  par  Courier,  lire  et  reUre  sans  cesse  les  aoriens, 
les  traduire  si  Ten  peut,  et  les  iniser  quelquefois  :  «  On  «e  saurat 
a  en  écri^rant  rencantrer  le  pariait,  et ,  s  il  se  peut,  surpasser  les 
«  anciens,  que  pur  leur  imitation.  >>  Aux  anciens,  La  Bruyère 
afOttSs  ies  habiies  d'aOre  ieg  mtÊdariteM  comme  ayant  enlevé  à  leurs 
successeurs  tardîfe  le  raettteur  et  le  phis  beau.  C*est  dans  cette 
disposition  qu*il  commence  à  glaner ^  et  diaqne  épi,  chaque  grain 
qu*il  croit  digne,  il  le  ran^  devant  nous.  La  pensée  du  diflfidte, 
eu  nàr  et  dn  parfait  Tocenpe  visiblement,  et  atteste  avec  graviié, 
dans  chacune  de  ses  paroles,  rbeure  solennelle  du  siècle  où  il 
.  cent.  Ce  n*était  plus  llieure  des  coups  dressai.  Presque  tons  ceax 
spn  avaiem  porté  les  grands^  coups  vivaient.  MoKère  élsât  moit; 
kms-tomps  après  Pascal,  La  Rochefoucauld  avait  disparu;  mais 
tous  les  autves  restaient  là  rangés.  Quels  noms!  quel  auditeire 
Auguste,  consomaié,  déjà  un  peu  sombre  de  front,  et  un  peu  d- 
Jendeux!  Dana  son  discours  à  l'Académie,  La  Bruyère  hn-m^ne 
les  a  énumérés  en  lace;  il  les  avait  passés  en  revue  dans  ses  veilles 
bien  des  fais  auparavasL  Et  ces  Grands,  rapides  connaisseurs  é» 
Tetq^itl  et  ChantiHy,  èouM  dm  marnais  mvrage<i!  et  ce  Itoi,  rdiri 
dans  sou  balustre,  qni  les  domine  teusl  quels  juges,  pour  q»,  sir 
la  fin  du  grand  tournoi,  s^en  viem  aussi  demander  la  ^ire!  Li 
Bruyère  a  tout  prévu,  et  il  ose.  I!  sait  la  mestn^  qu'il  Cane  tenir  et 
te  peînf  eà û  but finpfier.  Modeste  et  sAr,  a savwœ^  {m  un i^ 


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éCRIVAIIfS  ORtKtVBS  BfT  VORAlrSTËS  FRANÇAIS.  iW 

fort  en  rainl  pas  on  mot  d&  peHtiI  dn  premier  eèifp;  MbplaMi^ 
<pii  ne  le  cède  à  aucune  autre  est  gagnée.  Ceux  qftii,  par  une*  cefT-' 
uine  disposition  trop  rare  de  l'esprit  et  du  ccpur,  «ouf  en  èmi, 
comme  iF  dît,  de  se  livrer  au  plaitir  qtte  donne  Ih  perfeeiim  dun  ôa^ 
vrage,  ceux-là  éprouvent  une  émotion,  d'eux  seuls  concevable,  éll^ 
ouvrant  la  petite  édition  m-12,  d'un  seul  vofume,  année  1686,  db 
trois  cent  soixante  pages  en  fort  gros  caractères,  desquelles  Théo-» 
phraste,  arec  le  discours  préliminaire,  occupe  cent  (fuarante^eu^, 
et  en  songeant  que,  sauf  les  perfectionnemens  réels  et  nombreux 
que  reçurent  les  éditions  suivantes,  tout  La  Bruyère  est  déjà  là. 

Plus  tard,  à  partir  de  la  troisième  édition,  La  Bruyère  ajouta 
successivement  et  beaucoup  à  chacun  de  ses  seize  cftapitres.  Dw 
pensées  qu'il  avait  peut-être  gardées  en  portefeuille  dans  sst  pre- 
mière circonspection,  des  ridicules  cpie  son  livre  même  fit  lever 
devant  lui,  des  originaux  qui  d'eux-mêmes  se  livrèrent,  enrirfrireni 
et  accomplirent  de  mille  façons  le  chef-d'œuvre.  La  première  éd!^ 
tion  renferme  surtout  incomparablement  moins  de  portraits  cpw 
les  suivantes.  L'excitation  et  l'irritation  de  la  publicité  les  fit  naître* 
sous  ta  plume  de  l'auteur,  qui  avait  principalement  songé  d'abord^ 
à  des  réflexions  et  remarques  morales,  s*appuyant  même  à  ce  sujcft 
du  titre  de  Proverbe»  donné  au  livre  de  Salomon.  Les'  Caractères 
ont  singulièrement  gagné  aux  additions  :  mais  on  Voit  mieux  qud 
fut  le  dessein  naturel,  l'origine  simple  du  livre  et,  si  j'ose  dîrer, 
son  accident  heureux,  dans  cette  première  et  plus  courte  forme. 

En  le  faisant  naitre  en  1644,  La  Bruyère  avait  quarante-troiis 
ans  en  8*7.  Ses  habitudes  étaient  prises,  sa  vie  réglée;  il  n^y  cfiail^' 
gea  rien.  La  gloire  soudaine  qui  hii  vint  né  l'éblouitpas;  il  yava^t 
songé  de  longue  main ,  l'avait  retournée  en  tous  sens ,  et  savait  fbtt 
bien  qu  il  aurait  pu  ne  point  l'avoir  et  ne  pas  valoir  moins  pour 
cela.  D  avait  dit  dès  sa  première  édition  :  a  Combien  d'homme»ad^ 
<r  mirables  et  qui  avaient  de  très  beaux  génies  sont  morts  satm 
d  qu'on  en  ait  parlé!  Combien  vivent  encore  dont  on  ne  parlé  peint 
a  et  dont  on  ne  parlera  jamais  !  »  Loué,  attaqué,  recherché,  îî  se 
trouva  seulement  peut-être  un  peu  moins  heureux  après  qu'avant 
son  succès,  et  regretta  sans  doute  à  certains  jours  d'avoir  livré  au 
public  une  si  grande  part  de  son  secret.  Les  imitateurs  qui  lui  sur- 
yim^iit  de  tous  côtés,  les  abbés  de  Vîllîers,  les  abbés  de  Mlé^ 
garde  (en  attendant  les  Brillon,  Alléaume  et  autres,  qu'il  ne  Connut 


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166  REVUE  DBS  DEUX  MONDES. 

pas  et  que  les  Hollandais  ne  surent  jamais  bien  distinguer  de  lui), 
ces  auteurs  nés  copiâtes  qui  s'attachent  à  tout  succès  comme  les 
mouches  aux  mets  délicats ,  ces  Trubiets  d*alorSy  durent  par  mo- 
mens  lui  causer  de  Timpatience  :  on  a  cru  que  son  conseil  à  un 
auteur  né  copiste  (chap.  de^  Ouvrages  de  CEsprii)^  qui  ne  se  trouTaft 
pas  dans  les  premières  éditions,  s'adressait  à  cet  honnête  abbé  de 
Yilliers.  Reçu  à  TAcadémie  le  15  juin  1693,  époque  oii  il  y  avait 
déjà  eu  en  France  sept  éditions  des  Caractères,  La  Bruyère  mourut 
subitement  d'apoplexie  en  1696  et  disparut  ainsi  en  pleine  gloire, 
avant  que  les  biographes  et  commentateurs  eussent  avisé  encore 
à  rapprocher,  à  le  saisir  dans  sa  condition  modeste  et  à  noter  ses 
réponses.  On  lit  dans  la  note  manuscrite  de  la  bibliothèque  de  l'Ora- 
toire ,  citée  par  Adry ,  a  que  M"*  la  marquise  de  Belleforière,  de  qui 
«  il  était  fort  l'ami,  pourrait  donner  quelques  mémoires  sur  sa  vie 
a  et  son  caractère,  d  Cette  M""*  de  Belleforière  n'a  rien  dit  et  n'a 
probablement  pas  été  interrogée.  Vieille  en  1720,  date  de  la  note 
manuscrite,  était  elle  une  de  ces  personnes  dont  La  Bruyère,  an 
chapitre  du  Cœur,  devait  avoir  Tidée  présente  quand  il  disait  :  «  D  y 
a  a  quelquefois  dans  le  cours  de  la  vie  de  si  chers  plaisirs  et  de  si 
cr  tendres  engagemens  que  l'on  nous  défend,  qu'il  est  naturel  de 
ii  désirer  du  moins  qu'ils  fussent  permis  :  de  si  grands  charmes  ne 
«  peuvent  être  surpassés  que  par  celui  de  savoir  y  renoncer  par 
«  vertu.  »  Était-elle  celle^à  même  qui  lui  faisait  penser  ce  mot  d'une 
délicatesse  qui  va  à  la  grandeur?  a  L'on  peut  être  touché  de  cer- 
«  taines  beautés  si  parfaites  et  d'un  mérite  si  éclatant,  que  l'on  se 
<c  borne  à  les  voir  et  à  leur  parler  (1).  » 

n  y  a  moyen,  avec  un  peu  de  complaisance,  de  reconstruire  et  de 
rêver  plus  d'une  sorte  de  vie  cachée  pour  La  Bruyère,  d'après 
quelques-unes  de  ses  pensées  qui  recèlent  toute  une  destinée  et,. 
comme  il  semble,  tout  un  roman  enseveli.  A  la  manière  dont  il  parle 
de  l'amitié,  de  ce  goût  qu'elle  a  et  auquel  ne  peuvent  a:teitulre  ceux 
qui  sont  nés  médincres,  on  croirait  qu'il  a  renoncé  pour  elle  à 
l'amour;  et  à  la  façon  dont  il  pose  certaines  questions  ravissantes, 
on  jurerait  qu  il  a  eu  assez  Vexpérience  d'un  grand  amour  pour 
devoir  négliger  l'amitié.  Cette  diversité  de  pensées  accomplies,  des- 

.(1)  CeUe  dame  éUit,  selon  toute  yraisemblaQcc»  Justine-Hélène  de  Bénin,  flile  du  tei- 
goeur  de  Querevain,  mariée  à  Ferdinand,  seigneur  de  Belleforière.  (Voir  lloi«ri.) 


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ÉCRITAINS  CRITIQUES  ET  MORALISTES  FRANÇAIS.  109 

queQes  on  pourrait  tirer  tour  à  tour  plusieurs  manières  d*exis- 
tencecharmantesou  profondes,  et  qu*une  seule  personne  n*a  pu  di- 
rectement former  de  sa  seule  et  propre  expérience,  s'explique  d'un 
mot  :  MoUère,  sans  être  Alceste,  ni  Philinte,  ni  Orgon,  ni  Argan, 
est  successivement  tout  cela;  La  Bruyère,  dans  le  cercle  du  mora- 
liste, a  ce  don  assez  pareil,  d*étre  successivement  chaque  cœur;  il 
est  du  petit  nombre  de  ces  hommes  qui  ont  tout  su. 
-  Molière,  à  l'étudier  de  près,  ne  fait  pas  ce  qu'il  prêche.  H  repré- 
sente lesinconvéniens,  les  passions,  les  rid'cules,  et  dans  sa  vie  il 
y  tombe;  La  Bruyère  jamais.  Les  petites  inconséquences  du  Tar-^ 
tuffe^  il  les  a  saisies,  et  son  Onnplire  est  irréprochable  :  de  même 
pour  sa  conduite,  il  pense  à  tout  et  se  conforme  à  ses  maximes,  à 
son  expérience.  Molière  est  poète,  entraîné,  ir régulier,  mélange  de 
oaïveté  et  de  feu,  et  plus  grand,  plus  aimable  peut-être  par  ses 
contradictions  mêmes  ;  La  Bruyère  est  sage.  Il  ne  se  maria  jamais  : 
«  Un  homme  libre,  avait-il  observé,  et  qui  n'a  p  .int  de  femme,  s'il 
c  a  quelque  esprit,  peut  s'élever  au-dessus  de  sa  fortune,  se  mêler 
a  dans  le  monde  et  aller  de  pair  avec  les  plus  honnêtes  gens.  Cela 
«  est  moins  facile  à  celui  qui  est  engagé;  il  semble  que  le  mariage 
((  mot  tout  le  monde  dans  son  ordre.  »  Ceux  à  qui  ce  calcul  de  célibat 
déplairait  pour  La  Bruyère,  peuvent  supposer  qu'il  aima  en  lieu 
impossible  et  qu'il  resta  fidèle  à  un  souvenir  dans  le  renoncement. 
On  a  remarqué  souvent  combien  la  beauté  humaine.de  son  cœur 
se  déclare  énergiquement  à  travers  la  science  inexorable  de  son 
esprit  :  «  Il  faut  des  saisies  de  terre,  des  enlèvemens  de  meubles, 
«  des  prisons  et  des  supplices,  je  Vavoue;  mais  justice,  lois  et  be- 
0  soins  à  part,  ce  m'est  une  chose  toujours  nouvelle  de  contempler 
0  avec  quelle  férocité  les  hommes  traitent  les  autres  hommes.  » 
Que  de  réformes,  poursuivies  depuis  lors  et  non  encore  menées  à 
fin,  contient  cette  parole I  le  cœur  d'un  Fénelon  y  palpite  sous  un 
accent  plus  contenu.  La  Bruyère  s'étonne,  comme  d*une  chose 
tottjohrs  nouvelle,  de  ce  que  M""*  de  Sévigné  trouvait  tout  simple, 
ou  seulement  un  peu  drôle  :  le  XYiii*"  siècle,  qui  s'étonnera  de  tant 
de  dioses,  s*avance.  Je  ne  fais  que  rappeler  la  page  sublime  sur 
les  paysans  :  a  Certains  animaux  farouches,  etc.  (chap.  de  V Homme),  jd 
On  s'est  accordé  à  reconnaître  La  Bruyère  dans  le  portrait  du 
philosophe  qui,  assis  dans  son  cabinet   et  toujours  accessiblq 


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H(^  RETUK    DES  DEUX   MONDES^ 

malgré  ses  étades  profondes,  Toas  ii%  d'entrer,  et  que  voos  loi 
apportez  cpielqne  chose  de  plus  précieux  que  for  et  Targent^  it 
c'est  une  eectu'n  n  de  tfOH$*thlîyer. 

B;  étai«  leligievx,  et  d'un  spiritualisme  fermement  raisonné,^ 
comme^n  fait  foi  son  chapitre  des  EsprUi  fort*^  qui,  venu  le  der- 
nier, répond  tout  ensemble  à  une  beauté  secrète  de  composition, 
à  une  précaution  ménagée  d* avance  contre  des  attaques  qui  n'ont 
pas  manqué,  et  à  une  conviction  profonde.  La  diafectique  de  ce  cha- 
pitre est  forte  et  sincère;  mais  Taoteur  en  avait  besoin  pour  racheter 
plus  dTtin  mot  qui  dénote  le  philosophe  aisément  dégagé  du  temps 
où  il  vit,  pour  appuyer  surtout  et  couvrir  ses  attaques  contre  la 
fausse  dérodon  alors  régnante.  La  Bruyère  n*a  pas  déserté  sur 
ce  point  Théritage  de  Hilolière  :  il  a  continué  cette  guerre  coura- 
'  geuse  sur  une  scène  bien  plus  resserrée  (l'autre  scène,  d'ailleurs, 
B*eût  phis  été  permise),  mais  avec  des  armes  non  moins  vengeres- 
ses, n  d  fait  plus  que  de  montrer  au  doigt  le  courtisan,  qui  autre- 
fo'is  jiorfail  nés  cher  eux,  en  perruque  désormais,  1  habit  serré  et  le 
bas  uni,  parce  qu'il  est  dévot;  il  a  fait  plus  que  de  dénoiM^er  à 
Tavance  les  représailles  impies  de  la  régence,  par  le  trait  ineffo- 
çable  :  fJn  dévot  est  celai  q  ù  sou*  un  rvi  athée  serait  aUiée;  il  a 
»lre$sé  à  Louis  XIV  m^me  ce  conseil  direct ,  à  peine  voilé  en  éloge  : 
«  Cest  une  chose  délicate  à  un  prince  religieux  de  réformer  la 
«r  cour  et  la  rendre  pieuse  :  instruit  jusques  oà  le  courtisan  veut 
«  lui  plaire  et  aux  dépens  de  quoi  il  ferait  sa  fortune,  il  le  ménage 
c  avec  prudence;  il  tolère,  il  dissimule,  de  peur  de  le  jeter  dans 
<r  l^ypocrisie  ou  le  saerilége;  il  attend  plus  de  Dieu  et  du  temps 
«  que  de  son  zèle  et  de  son  ti»dustrie.  » 

Malgré  ses  dialogues  sur  le  cpiiétisme,  malgré  quelques  mots 
qu'on  regrette  de  lire  s«r  la  révocation  de  Tédit  de  Nantes,  et  quel- 
que endroit  fe^vorable  i  la  magie,  je  serais  tenté  plutôt  de  soupçon- 
ner La  Bruyère  de  Bberté  d*esprit  que  du  contraire.  Ai  chré  ken  et 
Françaisy  ilselrouva  plus  d'une  fois,  comme  il  dit,  contraint  dan* 
la  satire,  car  sll  songeait  surtout  à  Boileau  en  parlant  ainsi,  il  de- 
vait par  contre-eoup  songer  un  peu  à  lui-mâme,  et  à  ces  grande  sw 
jets  qui  lui  éta'ent  défendus,  il  les  sonde  d*un  mot,  mais  il  feal 
qu'aussitôt  il  s* en  retire.  D  est  de  ces  esprits  qui  auraient  eu  peu  à 
faire  { s'ils  ne  l'ont  pas  fait  )  pour  sortir  sans  effort  et  sans  étonne-» 


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ÉCRIVAINS  'CmriQCISS  ET  MORALISTES  FRANÇAIS.  111 

i  4%  lootes  1b5  drcfmsftances  accnfentdles  qni  restreignent  la 
ive.  Cest  bien  noms  (f  après  uA  ontdfBort  détaché,  qne  d'après 
llttbilBde  entière  <lesiMi  joçeaienft  quH  se  laisse  voir  ainsi. 

On  tJMt  lire  snr  La  Bmyère  trois  morceanx  essentiels,  dont  ce 
fK  je  4m  idn'a  nuHenient  ta  prétention  de  dispenser.  Le  premier 
iioroea««e  date  es^  •cehn  de  Tabbé  d'Olîvet  dans  son  ffîstoire  de 
fÀcadémk.  On  y  voit  trace  d'une  manière  de  juger  littérairement 
rîBB9lre  anlevr,  qoi  devait  être  partagée  de  phis  d*nn  esprit  clos-- 
siqf€  à  la  fin  dfi  xvM'et  aut^ommencement  dn  HYnf  siècle  :  c'est  le 
dérdoppemeiHet,  selon  moi ,  Fédaircissement  dn  mot  un  peu  obs- 
CBT  de  Bo3eaa  à  Racine.  D'Oli?et  troove  à  La  Bruyère  trop  d'art, 
trop  ifciprîf ,  quelque  abus  de  métaphores  :  a  Quant  au  style  préci- 
«  sèment,  M.  de  La  Bruyère  ne  doit  pas  être  lu  sans  déGance ,  parce 
«  qa*3  a  donné,  mais  pourtant  avec  une  modération ,  qui,  de  nos 
«  joars,  tiendrait  lieu  de  mérite,  dans  ce  style  affecté,  guindé,  entor* 
«  taié,  etc.  »  Nicole,  dont  La  Bruyère  a  dit  en  un  endroit  qu'il  ne  pen- 
mt  pm  «»*e5,  devait  trouver,  en  revanche,  que  le  nouveau  mora- 
Usle  pensait  trop,  et  se  piquait  trop  vivement  de  raffiner  la  tâche. 
Nous  rerîendr^tts  sur  cela  tout  à  Theure.  On  regrette  qu'à  côté  de 
ces  jugemens,  qui,  partant  d'un  homme  de  goût  et  d'autorité,  ont 
leur  prix,  dXÏHvet  n^ah  pas  procuré  plus  de  détails^  au  moins  aca- 
démiques, sur  La  Bruyère.  La  réception  de  La  Bruyère  à  l'Acadé- 
mie donna  Ken  à  des  quereBes,  •dont  lui-même  nous  a  entretenus 
émts  la  préface  de  son  discours  et  qui  laissent  à  désirer  quelques 
expifcatioaiis.  Si  heureux  d'emblée  qu'eût  été  La  Bruyère ,  il  lui  fal- 
lut, on  Je  voit ,  soutenir  salutte  à  son  tour  comme  Corneille,  comme 
Itolière  en  leur  temps,  comme  tous  les  vrais  grands.  ïl  est  obligé 
cTaHéguer  «on  chapitre  des  Esprits  f.rtsei  de  supposer  à  l'ordre  de 
ses  matières  un  dessein  religieux  un  peu  subtil,  pour  mettre  à  cou- 
vert sa  foi.  H  est  obKgé  de  mer  la  réalité  de  ses  portraits,  de  re- 
jeter au  visage  des  fabricateurs  ces  insi  lentes  clés  comme  il  le^ 
nppcffie  :  Maniai  avait  déjà  dit  excellemment  :  Improùè  fatv  qui 
in  aftenn  îibro  ingenio^us  est,  —  «  En  vérité,  je  ne  doute  point,  s'écrie 
«La Bruyère  avec  un  accent  d'orgueil  auquel  l'outrage  a  forcé  sa 
«r  modestie,  que  le  pubKc  ne  sort  «nfin  étourdi  et  fatigué  d'entendre 
•r  depuis  quelques  années  de  vieux  co  rbeaux  croasser  autou  r  de  ceux 
9  qui,  d'un  vol  Hbre  et  d* une  plume  légère,  se  sont  élevés  à  quçl- 
cr  que  gloire  par  teurs  écrits.  »<}uei  est  ce  corbeau  qui  croassa,  ce 


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112  REVUS  DBS  DEUX  MONDES. 

Thé'baMe  qui  bâilla  si  fort  et  si  haut  à  la  harangue  de  La  Bruyère, 
et  qui  avec  quelques  académiciens ,  faux  confrères,  ameuta  les  co- 
teries et  le  Mercure  Galaiii^  lequel  se  vengeait  (c*est  tout  simple) 
d'avoir  été  mis  immédiatement  au-dessous  de  rien?  Benserade,  à 
qui  le  signalement  de  Théobalde  sied  assez,  était  mort  ;  était-ce  Bour- 
sault  qui,  sans  appartenir  à  T Académie,  avait  pu  se  coaliser  avec 
quelques-uns  du  dedans?  Était-ce  le  vieux  Boyer  ou  quelque  autre 
de  même  force?  D*01ivet  montre  trop  de  discrétion  là-dessus.  Les 
deux  autres  morceaux  essentiels  à  lire  sur  La  Bruyère  sont  une 
notice  exquise  de  Suard  écrite  en  1782,  et  un  Éloge  approfondi  par 
Yictorin  Fabre  [1810] .  On  apprend  d'un  morceau  qui  se  trouve  dans 
t  Esprit  des  Journaux  (février  1782),  et  où  Fauteur  anonyme  apprécie 
fort  délicatement  lui-même  la  notice  de  Suard,  que  La  Bruyère, 
déjà  moins  lu  et  moins  recherc  .é  au  dire  de  D^Olivet,  n'avait  pas 
été  complètement  mis  à  sa  place  par  le  xviii*'  siècle  :  Voltaire  ea 
avait  parlé  légèrement  dans  le  Siècle  de  Louin  XIV:  <r  Le  marquis  de 
a  Vauvenargues,  dit  Tauteur  anonyme  (qui  serait  digne  d'être  Fon- 
<r  tanes  ou  Garât) ,  est  presque  le  seul  de  tous  ceux  qui  ont  parlé  de 
<r  La  Bruyère  qui  ait  bien  senti  ce  talent  vraiment  grand  et  original, 
(c  Mais  Vauvenargues  lui-même  n'a  pas  l'estime  et  l'autorité  qui  de- 
a  vraient  appartenir  à  un  écrivain  qui  participe  à  la  fois  de  la  sage 
<r  étendue  d'esprit  de  Locke,  de  la  pensée  originale  de  Montesquieu, 
Q  de  la  verve  de  style  de  Pascal,  mêlée  au  goût  de  la  prose  de  Vol- 
er taire  ;  il  n'a  pu  faire  ni  la  réputation  de  La  Bruyère,  ni  la  sienne,  b 
Cinquante  ans  de  plus,  en  achevant  de  consacrer  La  Bruyère  conuDe 
génie,  ont  donné  à  Vauvenargues  lui-même  le  vernis  des  maîtres. 
La  Bruyère,  que  le  xviii'  siècle  était  ainsi  lent  à  apprécier,  avait 
avec  ce  siècle  plus  dun  point  de  ressemblance  qu'il  faut  suivre  de 
plus  près  encore. 

Dans  ces  diverses  études  charmantes  ou  fortes  sur  La  Bruyère , 
comme  celles  de  Suard  et  de  Fabre,  au  milieu  de  mille  sortes  d'in- 
génieux éloges,  un  mot  est  lâché  qui  étonne,  appliqué  à  un  aussi 
grand  écrivain  du  wii*"  siècle.  Suard  dit  en  propres  termes  que 
La  Bruyère  avait  plus  d'imagination  que  de  goût.  Fabre,  après  une 
analyse  complète  de  ses  mérites,  conclut  à  le  placer  dans  le  si  petit 
nombre  des  parfaits  modèles  de  l'art  d'écrire,  s'il  montrait  toujours 
autant  de  g^jût  qu'il  prodigue  d'esprit  et  de  talent.  Cesi  la  première 
fois  qu  à  propos  d'un  des  maîtres  du  grand  siècle  on  entend  toucher 


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iCRIYAIlfS  CRITIQUES  ET  MORALIStTES  FRANÇAIS.  113 

cctttè  corde  délicate,  et  ceci^tient  à  ce  que  La  Brayère,  venu  tard 
et  innovant  véritablement  dans  le  style»  penche  déjà  vers  Vàge  sui- 
vant, n  nous  a  tracé  une  courte  histoire  de  la  prose  française  en  ces 
termes  :  «  L*on  écrit  régulièrement  depuis  vingt  années;  Ton 
€  est  esclave  de  la  construction;  Ton  a  enrichi  la  langue  de  nouveaux 
«  tours,  secoué  le  joug  du  latinisme,. et  réduit  le  style  à  la  phrase 
«  purement  française  ;  Ton  a  presque  retrouvé  le  nombre  que  Mal- 
-  «  herbe  et  Balzacavaient  les  premiers  rencontré,  et  que  tant  d'auteurs 
ff  depuis  eux  ont  laissé  perdre;  Ton  a  mis  enfin  dans  le  discours  tout 
«  Tordre  et  toute  là  netteté  dont  il  est  capable  :  cela  conduit  insen- 
V  sib!ement  à  y  mettre  de  1  esprit,  o  Cet  esprit,  que  La  Bruyère  ne 
trouvait  pas  assez  avant  lui  dans  le  style,  dont  Bussy,  Fléchier» 
Bouhours,  lui  offraient  bien  des  exemples,  mais  sans  assez  de  con- 
tinuité, de  consistance  ou  d*originalité,  il  Ty  voulut  donc  introduire. 
Après  Pascal  et  La  Rochefoucauld,  il  s'agissait  pour  lui  d'avoir  une 
grande,  une  délicate  manière,  et  de  ne  pas  leur  ressembler.  Boi- 
léau,  comme  moraliste  et  comme  critique,  avait  exprimé  bien  des 
vérités  en  vers  avec  une  certaine  perfection.  La  Bruyère  voulut 
faire  dans  la  prose  quelque  chose  d'analogue,  et,  comme  il  se  le 
disait  peut-être  tout  bas,  quelque  chose  de  mieux  et  de  plus  fin.  Il 
y  a  nombre  de  pensées  droites,  justes,  proverbiales,  mais  trop 
aisément  communes,  dans  Boileau,  que  La  Bruyère  n'écrirait  jamais 
et  n'admettrait  pas  dans  son  élite.  11  devait  tr  uver  au  fond  de  son 
ame  que  c'était  un  peu  trop  de  pur  bon  sens,  et,  sauf  le  vers  qui 
rdève,  aussi  peu  rare  que  bien  des  lignes  de  Nicole.  Chez  lui  tout 
devient  plus  détourné  et  plus  neuf;  c'est  un  repli  de  plus  qu'il  pé- 
nètre. Par  exemple,  au  lieu  de  ce  genre  de  sentences  familières 
à  l'auteur  de  Y  An  puéiique  : 

Ce  que  Ton  conçoit  bien  s*éoonce  clairement,  etc.,  etc. , 

il  nous  dit,  dans  cet  admirable  chapitre  des  Ouvrages  de  l'Esprit^ 
qui  est  son  mt  poétique  à  lui  et  sa  rhéu.riqie  :  a  Entre  toutes  les  dififé- 
<r  rentes  expressions  qui  peuvent  rendre  une  seule  de  nos  pensées, 
ff  il  n'y  en  a  qu'une  qui  soit  la  bonne  :  on  ne  la  rencontre  pas  tou- 
cr  jours  en  parlant  ou  en  écrivant;  il  est  vrai  néanmoins  qu'elle 
<r  existe,  que  tout  ce  qui  ne  l'est  point  est  faible  et  ne  satisfait  point 

TOME  VII.  8 


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!  M4  M^WO^  BES  BEOX  iMMi#es. 

«  «B  homiM  d^eiprit  qui  Teut  «e  £sÂre  entendre.  ^  te 
bien  h  aa^riié  mwwsm ,  m gaàkmmit  eBoore,  d« 
ettchérk  pewUBl  flor  kl  cftÎMa  «aÎM  du  preoHer.  A  Tapi^ 
«pinte,  ^i  a'«st  pas  récenle,  «AT  fe  €ar«clèr«  de  sovalear 
cbec  La  Bruyère,  je  pMrrais  £ûre  «sage  «la  jugement  de  Vlpranl- 
MarvîHeeide  la  qincdie  <qu'îl  aontîm  avecC^ste  «i  Brelan  è  eera- 
jp3t;»aisleeeatMiieBtde«Q8  hoMnesen  malâère  de  sl^lese  signi- 
fiai nea^  jenVanlîensâ  la  pbmae  préoédewnMoi  citée  de  d'OKfet. 
I0  gaAi  ohaiigeaât  donc,  et  La  Brnyèi^  y  Aidai  insemibiemmu  0 
4lak  bîeatââ  teoi^itneie  .siàcle  êtài^  la  pensée  de  dire  aatMoeat, 
de  varier  et  de  raîeuair  la  f  jraie,  a  pu  naltf«  dans  on  ^aod 
«0piit;  eUe  deviendra  bientôt  cbea  d'autfes  un  tourment  plein  de 
naiUiea  et  d'étinoellea.  Les  Leureu  PetêÊmne^  ai  bien  acnonoéeiet 
pnéiMurées^ar  La  Bruyère,  ne  tarderont  pas  i  marquer  la  aeoende 
époque.  La  Bruyère  n*a  nul  tourment  tenoare  et  a'édnte  pat,  anis 
jle^déiàen^uéted'ua  jurement  neuf  et  du  trait.  Sur  œ  point 
fl  oanfiae  nu  xviu*  siècle  phas  qu'aucun  c^rand  écrivain  de  sonife; 
Vauvenargnest  à  quelques  égaids,  est  plusdn  xvii^'sîèoleque  kii. 
liais  UM^*.  La  Bruyère  en  est  encore  (Aeinement,  de  son  sièofein- 
oon^Mniable,  en  ce  ^*au  «ilteu  de  tout  oe  travaii  oomeon  de  nou- 
veauté et  de  n^îeunîssement»  il  oe  nsanque  jama's,  au  fiand,  d'un 
certain  go4t  simiile. 

Quoîqne  ce  soit  ThauMne  ei  la  société  qu^il  exprime  surtont,  le 
(pittoresque,  chez  La  Bruyère,  VappUfue  dqà  aux  «boaes  de  k  aa- 
aure  plus  qu*îl  n-étaà  orëktaire  de  aen  temps. Comme  il  nonsdes- 
aoK  dans  un  jour  favorable  la  petite  ville  «qui  lui  parak  pLÎme  nr  U 
pmcksatt  ik  La  eellime  !  Coaune  îl  nous  montre  graciecsemeot,  dans 
sa  comparaison  du  prince  et  du  pasteur,  le  troupeau,  répandu  par 
la  prairie,  qui  broute  Therbe  menue  et  lendre!  Mais  il  n'appartient 
qu'à  lui  d'avoir  eu  1  idée  d'insérer  au  chapitre  du  C(eur  les  deux 
pensées  que  voici  :  a  D  y  a  des  lieux  que  l'on  admire;  il  y  en  a 
«d'autres  qui  touchent  et  où  Ton  aimerait  à  vivre,  j)  —  aDme 
«r  semble  que  l'on  dépend  des  lieux  pour  l'esprit,  rhuneur,  la  pas- 
«  sien,  le  goût  et  les  sentimens.  »  lean-lacqnes  et  Bernardin  de 
Saint-Pierre,  avec  leur  anKHir  des  Keux,  se  chargeronrde  défe- 
lopper  un  jo>ur  tout^  les  imanoes,  closes  et  semmeiflames,  pour 
ainsi  dire,  dnns  ce  propos  discret  et  charmant.  Lamartine  ne  fera 
4|ne  tradmrepoétiquement  le  mot  de  La  Bruyère,  quandil  s^écriera  : 


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ÉCRIVAINS  aunoBC»  ta  uaskAUSTËA  français.  #19 

Objets  iDanlmés,  ûvéz^r^m  donc  une  ame 
Qnï  s*auacbe  à  noire  ame  et  la  focctt  d'ainert 

La  Bruyère  est  plein  de  ces  germes  brinans» 

B  a  déjà  Fart  (bien  supérieur  à  celui  des  f rampons  qu^exigeail 
trop  directement  Boîleau),  de  composer  un  Kvre>  srda  «i  avoir 
Fair,  par  une  sorte  de  Ken  caché,  mais  qui  reparratl,  d^endroitr^a 
eadroita,  inattendu.  Ou  crcritau  premier  conpd*œil  n'avoir  affaire 
qu*à  des  fragmens  rangés  les  uns  après  les  autres»  el  l'on  mardie 
dans  un  savant  dédale  ob  le  61  ne  cesse  pas.  Chaque  pensé^'se 
corrige,  se  développe,  s'éclaire,  par  les  environnantes.  Puia  l^hi^ 
prévu  s'en  mêle  à  tout  moment,  et  dans  ce  jeu  cootinoe)  d'entréea 
€D  matière  et  de  sorties,  on  est  plus  d'une  fois  enlevé  à  de  sou- 
daines hauteurs  que  le  discours  continu  ne  permettrait  pas  :  Ni 
Ui iroHbleSj  Zénohk,  qui ugient  vote  empire,  etc.  Un  fragment  de 
lettre  ou  de  conversation,  imaginé  ou  simplement  encadré  au  choK 
pitre  de%  J^ujeniens  :  H  ilimit  q  le  Coprit  dnm  ceUe  belle  pentùnne  iudt 
un  diamant  bl-n  mh  en  œuvre ,  etc»,  est  hii-méme  un  adoraUe  joya» 
que  tout  le  goût  d'un  André  Cbéaier  n'aurait  fdm  nm  en  œit9re  et 
en  valeur  plus  ariistentent.  Je  die  And^  Chénier  à  dessein  ^  raaU 
gré  le  disparate  des  genre»  et  des*  noms;  et  chaque  foi»  (fue  f  a» 
viens  à  ce  passage  de  La  Bruyère,  le  motif  aimable 

fille  a  véca,  Myrto,  la  jeuae  Tarentine,  eta.^ 

me  revient  en  mémoire  et  se  met  à  chanter  en.  moi. 

Si  1*00  s  étonne  maintenant  que,  touchant  et  inclinant  par  tant 
de  points  au  xviu'  siècle,  La  Bruyère  n'y  ait  pas  été  pkis  invoqué 
et  célébré,  il  n*y  a  qu'une  ré  oose  i  c*est  qu'il  était  trop  sag)»^ 
trop  désintéressé  et  reposé  peur  cela;  c'est  qu'il  s'était  trop  applif* 
que  à  Ibomme  pris  en  général  eu  dans  ses  variétés  de  toute  fs^ 
pèce .  et  il  parut  un  allié  peu  actif,  peu  spécial  ^  à  ce  siècle  d'hos- 
tilité et  de  passion.  11  convenait  à  un  esprit  calme  et  fin  comme 
l'était  Suard,  de  réparer  cette  négligence  injuste.  Aujourd'hui 
La  Bruyère  n  est  {.lus  à  remeUre  à  son  rang.  On  se  révolte,  il  est 
vrai,  de  temps  à  autre,  contre  ces  belles  réputations  simples  eft 
hautes,  conquises  à  si  peu  de  frais,  ce  semble;  Onenrvent  secoue; 

8. 


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116  REVCE  DES  DEUX  MONDES. 

le  jong.  Mais  à  chaque  effort  contre  elles,  de  près,  on  retrouve 
cette  multitude  de  pensées  admirables,  concises,  éternelles,  comme 
autant  de  diainons  indestructibles;  on  y  est  repris  de  toutes  parts 
comme  dans  les  divines  mailles  des  filets  de  Yulcain. 

La  Bruyère  fournirait  à  des  choix  piquans  de  mots  et  de  pen- 
sées qui  se  rapprocheraient  avec  agrément  de  pensées  presque 
pareilles  de  nos  jours.  11  en  a  sur  le  cœur  et  les  passions  surtout 
qui  rencontrent  à  Timproviste  les  analyses  intérieures  de  nos  con- 
temporains. J'avais  noté  un  endroit  où  il  parle  des  jeunes  gens,  les- 
quels, à  cause  des  passions  qui  les  amusent^  dit  il,  supportent  mieux 
la  soHtude  que  les  vieillards,  et  je  rapprochais  sa  remarque  d*uQ 
mot  de  Lélin  sur  les  promenades  solitaires  de  Sténio.  J*avais  noté 
aussi  sa  plainte  sur  Tinfirmité  du  cœur  humain  trop  tôt  consolé, 
qui  manque  de  sources  inépuisables  de  douleur  fio  ir  certaines  ptrtes.  et 
Je  la  rapprochais  d'une  plainte  pareille  de  René.  La  rêverie  enfln, 
à  c6té  des  personnes  qu*on  aime ,  apparaît  dans  tout  son  charme 
chez  La  Bruyère.  Mais  bien  que,  d'après  la  remarque  de  Fabre, 
La  Bruyère  ait  dit  que  le  chqlt  des  pcmées  est  invention^  il  faut  con- 
venir que  cette  invention  est  trop  facile  et  trop  séduisante  avec 
lui  pour  qu'on  s  y  livre  sans  réserve.  —  En  politique,  il  a  de  sim- 
ples traits  qu'  percent  les  époques  et  nous  arrivent  comme  des  flè- 
ches :  i(  Ne  penser  qu'à  soi  et  au  présent,  source  d'erreur  en  poli- 
«  tique.  » 

H  est  principalement  un  point  sur  lequel  les  écrivains  de  notre 
temps  ne  sauraient  trop  méditer  La  Bruyère,  et  sinon  l'imiier, 
du  moins  l'honorer  et  l'envier.  Tl  a  joui  d  un  grand  bonheur  et  a 
fait  preuve  d*une  grande  sagesse  :  avec  un  talent  immense,  il  n'a 
écrit  que  pour  d  re  ce  qu'il  pensait;  le  mieux  dans  le  moins,  c'est 
sa  devise.  En  parlant  une  fois  de  M"**  Guizot,  nous  avons  indiqué 
de  combien  de  pensées  mémorables  elle  avait  parsemé  ses  nom- 
breux et  obscurs  articles,  d'où  il  avait  fallu  qu'une  main  pieuse,  un 
(ËÏl  ami,  les  allât  discerner  et  détacher.  La  Bruyère,  né  pour  la 
perfection  dans  un  siècle  qui  la  favorisait,  n'a  pas  été  obl'gé  de 
somer  ainsi  ses  pensées  dans  des  ouvrages  de  toutes  les  sortes  et 
de  tous  les  instans;  mais  plutôt  il  les  a  mises  chacune  à  part,  en 
saillie,  sous  la  face  apparente ,  et  comme  on  piquerait  sur  une  belle 
feuille  blanche  de  riches  papillons  étendus,  cr  L'homme  du  meilleur 
«  esprit^  dit-il,  est  inégal il  entre  en  verve^  mais  il  en  sort  ^ 


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idUTAINS  OIITIQIJBS  ET  MORALISTES  FRANÇAIS.  117 

€  alors,  s*il  e^t  sage,  il  parle  peu ,  il  n'écrit  point Chante-i-on 

€  avec  on  rhume?  Ne  feut-il  pas  attendre  que  là  voix  revienne?  j» 
Cest  de  cette  habitude,  de  cette- nécessité  de  chanter  avec  toute 
espèce  de  voix,  d*.av<oir.  de  la.  verve  à  toute  heure,  que  sont 
nés.  la  plupart  des  défauts  littéraires  de  notre  temps.  Sous 
tant,  de  formes  gentilles,  sémillantes  ou  solennelles,  allez  au 
fond  :  la  nécessité  de  remplir  des  feuilles   d'impression,    de 
pousser  à  la  colonne  ou  au  volume. sans  faire  semblant,  est 
là.  n  s'ensuit  un  développement  démesuré  du  détail  qu'on  sai- 
sit, qu'on  brode,  qu'on .  amplifie  et  qu'on  effile  au  passage,  ne 
sachant  A  pareille  occasion  se  retrouvera.  Je  ne  saurais  dire 
combien  il  en  résulte,  à  mon  sens,  jusqu'au  sein  des  plus  grands 
talens,  dans  les  plus  beaux  poèmes,  dans  les  plus  belles  pages  en 
prose,  —  ohl  beaucoup  de  savoir-faire,  de  focilité,  de  dextérité, 
de  main-d'œuvre  savante,  si  l'on  veut;  mais  aussi  ce  je  ne  sais 
quoique  le  commun  des  lecteurs  ne  distingue  pas  du  reste,  que 
rhomme  de  goût  lui-môme  peut  laisser  passer  dans  la  quantité  s'il 
ne  prend  garde,  —  le  simulacre  et  le  faux-semblant  du  talent,  ce 
qu'on  appelle  cAifirtf  en  peinture  et  qui  est  l'affaire  d'un  pouce  en- 
core habile  même  alors  que  l'esprit  demeure  absent.  Ce  qu'il  y  a  de 
chique  dans  les  plus  belles  productions  du  jour  est  effrayant,  et  je 
ne  l'ose  dire  ici  que  parce  que,  parlant  au  général,  l'application  ne 
saurait  tomber  sur  aucun  illustre  en  particulier.  Il  y  a  des  endroits 
où,  en  marchant  dans  l'œuvre,  dans  le  poème,  dans  le  roman, 
l'homme  qui  aie  pied  fait  s'aperçoit  qu'il  est  sur  le  creux  :  ce  creux 
ne  rend  pas  l'écho  le  moins  sonore  pour  le  vulgaire.  Mais  qu'ai-je 
dit?  c'est  presque  là  un  secret  de  procédé  qu'il  faudrait  se  garder 
entre  artistes  pour  ne  pas  décréditer  le  métier.  L'heureux  et  sage 
La  Bruyère  n'était  point  tel  en  son  temps;  il  traduisait  à  son  loisir 
Tbéophraste  et  produisait  chaque  pensée  essentielle  à  son  heure. 
n  est  vrai  que  ses  mille  écus  de  pension  comme  homme  de  lettres 
de  M.  le  Duc  et  le  logement  à  l'hAtel  de  Condé  lui  procuraient  une 
condition  à  l'aise  qui  n'a  point  d'analogue  aujourd'hni.  Quoi  qu'il 
en  soit,  et  sans  faire  injure  à  nos  mérites  laborieux,  son  premier 
petit  in-12  devrait  être  à  demeure  sur  notre  table,  à  nous  tous 
écrivains  modernes,  si  abondans  et  si  assujettis,  pour  nous  rap- 
peler un  pou  à  l'amour  delà  sobriété,  à  la  proportion  de  la  pensée 


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m  Uttgaee.  Ce  swait  baMCoiqf^  ééjà  qm  d'Mmb  ««gMl  4»  m 
povveir  iûreainsL 

AojosrA'hiH  que  VArt  pêàûpie  de  BMeau^  6«l  vArtaMBOMl 
dérogé  et  n*a  plna  d* usage,  b  lecture  du  dbtpkfe  dès^  Ouwtag^if 
l' Esprit  eerak  euovre^  cbaqM  auitin,  pow  le»  esprite  erîtK|i«i 
€6  que  la  leelore  d'ua  akapiera  de  ïlmitatwn  est  pour  les  anNi 
tendres. 

La  Bfuyire»  après  cela,  •  Mur  d'autres  i^ppKeaiiottB  possMlt 
par  celte  foule  de  pensées  ingénieusement  profondes  sur  lIioraiM 
et  sur  la  m.  Â  qui  Vondaail  s0  refermer  el  se  prémunir  eontne  Isa 
erreurs,  les  esagèratîoiis,  les  faux  entrateemens,  il  fiiuéraiCy 
comme  an  prenaer  jour  de  ittS  r  conseiHer  le  morafisleimnianel 
Par  maUieury  on  n'arrive  à  te  godier  et  on  ne  le  découvre,  poar 
ainsi  dire ,,  que  lorsqu'on  est  déjà  soi-même  au  retour,  phis  eaf- 
pable  de  voir  te  mal  qm  do'feire-  le  Men,  et  ayant  <M)è  épuisée 
foux  bie»  des  ardeurs  t(  des  entveprises.  Cesl  beaucoup  néafr* 
moins  qjue  de  sa voûr  se  eoÉMoier  Mmiéme  seckagrkier  avec  M. 

SiMvn  Bnrvi* 


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DE 


L'ASSASSINAT  POLITIQUE. 


Le  jésuite  Mariana,  au  zvr  siècle,  mit  en  jcèoe,  daos  son  livre 
imilHlé  de  Retje  et  retji<  ins:Uuiionef  Jacques  Oémem  frappant 
Henri  IH,  et  son  récit  dramatique  implique  une  approbation  véri- 
table. Après  la  tragédie  vient  la  dissertation,  et  le  jésuite  démon- 
tre la  légitimité  du  régicide*  €*est  de  la  scfaolastique  appliquée  au 
Grime;  c'est  le  sophisme  venant  s^offirir  pour  guide  au  poignant 
de  Tassassin. 

De  nos  jours,  on  D*écrit  plus  en  latin  sur  le  régicide;  mais  chez 
certarins  esprits,  et  heureusement  ils  sont  en  bien  petit  nombre,  il 
4*est  glissé  cette  désastreuse  imagination,  qu*assassiner  un  roi 
qn*Qn  n*aime  pas,  est  un  acte  humainement  îndififérent  et  politi- 
quement ^orîeuz . 

Cest  (i'abord  une  étrange  manière  de  ramener  les  rois  an  culte 
d*une  égalité  fraternelle,  que  de  les  mettre  eux-mêmes  hors  Thu- 
manité.  Vous  frémissez  à  Tidée  de  friper  Thomme  obscur  qui 
TOUS  coudoie  dans  les  flots  de  la  feule  ;  mais  vous  irez  à  votre  fan- 
taisie vous  ruer  sur  le  chef  de  Tétat;  et  parce  qu*il  est  roi,  il  ne 
sera  plus  pour  vous  un  homme.  Inepte  et  affreuse  contradic- 
tion! 


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ISO  RBTUE  DBS  DEUX  MONDES. 

Le  cœur»  par  cette  action  >  s*avilit  autant  que  la  raison.  D  est 
lâche  de  frapper  un  homme  qui  ne  peut  ni  prévoir  le  coup,  ni  le 
repousser,  ni  le  rendre.  En  vain  on  répond  qu*on  a  mis  sa  vie 
comme  enjeu  de  cette  partie ,  on  a  toujours  lâchement  attaqué  celle 
d'autrui.  Là  où  la  défense  n'est  pas  possible,  Tinfamie  est  pour 
Fagresseur.  Nous  ne  les  appellerons  pas  des  assassins,  les  insur- 
gés de  Lyon  et  de  Saint-Méry  :  ils  combattaient,  ils  moururent. 
Mais  aller  frapper  un  homme  qui  se  présente  à  vous  paisible  et 
désarmé, 

Comme  un  bon  citoyen,  dans  le  sein  de  sa  ville, 

faire  siffler  la  balle  entre  sa  femme  et  sa  sœur,  il  n*y  a  pas  de  so- 
phisme au  monde  qui  puisse  relever  cet  acte  de  la  plus  infamante 
bassesse. 

Voilà  pour  Thumanité.  Que  si  nous  entrons  dans  Pordre  politique, 
nous  demanderons  quel  assassinat  a  jamais  sus]>endu  le  cours 
naturel  des  choses?  D  y  a  quatre  ans,  en  esquissant  le  caractère  et 
les  destinées  de  Lafayette,  nous  jetions  en  passant  un  regard  sur 
la  liberté  antique,  pour  mieux  saisir  l'originalité  de  la  liberté  mo- 
derne, et  nous  disions  :  cr  Regardez  Rome  après  l'immolation  de 
César.  Où  va-t-elle?  que  veut-t-elle?  César  était  mort  ;  mais  la  Uberté 
n'en  était  pas  plus  vivante.  Avaient-ils  changé  leur  siècle  par  un 
coup  de  poignard,  Brutus  et  Cassius?  » 

Br utus  et  Cassius  ont  tourné  bien  des  têtes  ;  mais  il  faudrait  savoir 
les  comprendre  et  les  juger.  Écoutons  le  César  français  sur  la 
destinée  et  le  meurtre  du  César  romain  :  a  En  immolant  César, 
Brutus  céda  à  un  préjugé  d'éducation  qu1l  avait  puisé  dans  les 
écoles  grecques;  il  l'assimila  à  ces  obscurs  tyrans  des  villes  du 
Péloponèse  qui,  à  la  faveur  de  quelques  intrigues,  usurpèrent 
l'autorité  de  la  ville;  il  ne  voulut  pas  voir  que  l'autorité  de  César 
était  légitime,  parce  qu'elle  était  nécessaire  et  protectrice,  parce 
qu'elle  conservait  tous  les  intérêts  de  Rome,  parce  quelle  était 
1  effet  de  l'opinion  et  de  la  volonté  du  peuple  (1).  »  Jamais  jugement 
plus  juste  et  plus  sain  ne  fut  porté  sur  une  acâon  historique.  Brutus 
se  trompa  lourdement;  sa  sanglante  méprise  ne  releva  pas  la  répu^ 
blique,  et  le  fit  seulement  douter  de  la  vertu. 

{i)  Précis  des  guerreê  de  iule*  César ^  par  rcmpereur  Napoléon ,  pag.  «ts. 


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DE  l'assassinat  POLiTiams.  m 

-  Mais  enfin  il  avait  pratiqué  cette  verta  jusqu'au  moihetit  où  il  en 
doutait  à  son  heure  suprême.  Insensé  qui  parlez  de  Brutus  et  qui 
vous  réclamez  de  son  patronage,  savez-vous  ce  qu'était  cet  homme? 
II  Ait  élève  de  Caton,  il  combattit  à  Pharsale;  après  le  meurtre  de 
Pompée,  et  la  grande  scène  d'Utique,  il  était  le  chef  avoué  d*un  im- 
mense parti,  il  n*obéit  qu'aux  provocations  réitérées  de  la  moitié 
de  Rome  et  delà  république;  on  lui  reprochait  son  inaction,  qu*on 
appelait  sommeil;  il  fut  mis  en  demeure  de  frapper,  sous  peine  de 
n'être  plus  réputé  Romain.  Mais  vous,  déplorable  fou,  qui,  dix- 
neuf  siècles  après,  arrivez  à  la  malheureuse  imitation  de  Brutus^ 
qui  étes-vous?  Avez-vous  qualité  pour  agir?  qui  vous  a  chargé  de 
frapper?  La  soc'été  a-t-elle  réclamé  votre  secours,  votre  bras? 

Le  régicide  est  une  énorme  chose.  Deux  grandes  nations,  l'An- 
^eterre  et  la  France,  ont  été  la  proie  de  violentes  convulsions  avant 
d*abo\itir  à  cette  tragique  extrémité;  et  encore,  au  moment  fatal, 
elles  en  ont  délibéré  avec  épouvantement.  Les  plus  fermes  courages 
et  les  plus  grands  esprits  sont  partagés  :  Milton ,  la  Bible  à  la  main , 
commente  le  meurtre  de  Charles  P*';  Saumaise  le  maud't  en  s'ap- 
puyant  sur  d'autres  textes.  En  France  les  soutiens  de  la  république 
se  divisent  sur  cette  redoutable  question  :  beaucoup  d'hommes  des 
plus  dévoués  à  la  révolution  votèrent  la  vie  de  Louis  XVI;  le  père 
de  Camille  Desmoulins  écrivait  à  son  fils,  le  10  janvier  1793  :  a  Mon 
fils,  vous  pouvez  encore  vous  immortaliser,  mais  vous  n'avez  plus 
qu'un  moment  :  c'est  l'avis  d'un  père  qui  vous  aime.  Récusez-vous 
pour  le  jugement  du  roi  ;  vous  avez  dénoncé  Louis  XVI  dans  un 
grand  nombre  de  vos  écrits,  vous  ne  pouvez  pas  le  juger,  jd  Que  de 
doutes!  que  de  perplexités  dans  les  esprits!  On  se  contredit,  on  se 
combat,  on  tremble;  l'immolation  judiciaire  du  roi  est  arrachée  à 
grand'peine  par  une  majorité  de  quelques  voix. 

On  ne  saurait  nier  la  grandeur  de  ces  fatalités  historiques  ; 
mais  quand  une  société  les  a  traversées,  qui  donc  a  le  droit  de  les 
lui  rendre?  de  lui  en  offrir  la  désastreuse  parodie,  et  de  la  souil- 
ler par  des  crimes  pauvres  et  bétes?  Malheureux!  es-tu  Robes- 
pierre ou  Crom well?  Peux-tu  défendre  une  société  que  tu  ne  com- 
prends pas? 

Ces  aveugles  fureurs  feraient  rebrousser  les  sociétés  humaines, 
ai  la  chose  était  possible;  elles  coupent,  pour  un  instant,  toute 
isaoe  au  progrès  ;  elles  frappent  d'une  apparente  stérilité  les  con* 


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m^  lBnB.n8  «BOX 

quêtes  dMidtet;  fBm  HmimittÊ^  tm  st  fi|nrMwtii^  les  iflii- 
taûom  et  les  réfomet  imprjMkaddeB;  cies  Bettntk»!  «a  f«te  fal 
Db«rfti4éBMKar«lii|«e  po«r  irif;ier»  w  sa  flaœ»  to  pouvoir  iA>eol» 
el  pririssafil  d*ipi  seidL  Novs  q-svods  en  France <|«e  trop  de  paoto» 
à  BOBt  prédpiler  dans  Fadciptioii  d*am  homno  Goame  s jmbok  éa 
Tintât  et  de  b  «edété;  qoe  sera*ce)oraqiie  tt  ctvUiaatîon  bpoavwnim 
esfittera  tXkHBÊivfyà  le  poiivoîr  i  la  défeadre»  d4l4  méiDo  pesés 
«ireUel 

La  liberté  medsrae  a  horrear  de  Tassasmaat  ;  elfe  peat  psoduôns^ 
elle  peut  excaser  fasdear  des  guerres  emles;  le  saag  eoirie  daasr 
oe8kHleSyiifea)8aaaMMiis.ladi(aiiélittaiaîiien*y  sucsooibe  pas»  etts 
peut  nésie  y  grandir;  auûs  lassassmat»  BMÎsle  gaet-apeas ,  «a»  le 
ooti|>  fri^ipé  par  dec riëre  ne  seroot  jamais  iastruaieas  de  fiberlé. 
Dans  notre  ctviiisaUon  aMMlenie  lechristiaaisaie  et  ti  philosophie 
8*aecordaal  à  repousser  le  meurtre^  la  mort  arbttraire  de  lliofRmQ 
par  l'hoBiaie.  H  n'est  pas  daas  la  destinée  cie  la  démocratie  d'aipaa«- 
cer  à  coups  de  poignard  oomioe  une  noareHe  Frédegonde;  ella 
devra»  comme  elfe  a  dA  jnsqu'iei»  ses  progrès  è  la  pensée.  Ihi; 
bomme  qtà  vieal  de  d^»railre  aa  milieu  de  trop  d*e«bK  et  d*indi£' 
fésence,  sa  des  pères  do  la  révokitioa  freaçaise,  rabbéSyefs^ 
daaason  rapport  sur  \sk  première  loi  qai  ait  été  fiaiie  sur  la  presasv 
noas  a  enseigné  la  aouireasté  féconde  de  b  liberté  moderne.  <r  Les 
pfatlosopbefs  et  les  poUicistes,  a*4-U  écrit,  se  soat  trop  hAJtès  de  noas 
déooarager  ea  proaonQan&  que  la  Ubsrté  ne  peavaii  appartenir 
qa'à  de  petits  peuples;  ib  a*ont  sa  lire  Taveair  que  daas  le  passé... 
Éfevoas-noas  à  de  pbs  kamtes  espérances^  cachons  q^  le  terrn 
taire  b  |)ias  vaste»  qœ  bplos  oombretisapopulaiioa  se  prête  à  b 
liberté.  Pearquoi  en  efiet  sa  iwtrameat  (  b  presse)  qtii  saura  mai- 
tre  le  genre  humain  ea  oommuanaté  d'ofûnioa ,  rèsKMtToir  et  Faai* 
mer  d'an  même  semimenl»  l' unir  dtt  ien  d*  uae  coastitaiion  vrai  ment 
sadafe»  neseraiè-ilpAS  appelé  à  agrandir  iadéfiaimsnt  le  domaiaa 
de  b  liberté  ?«...« 

Voilà  effiaditemeaâ  b  desKatariance  de  b  déoMcralîe  nouTdb;. 
dfeest  iUeibb  pensée  e*  de  b  pse^e.  C'est  dams  cette  coarieiîoa 
que  nous  nous  sommes  élevés  avec  énergie  contre  les  Ijîs  de  sep* 
tembre»  qai  n^oas^éfté  à  nos  jenx  qa*un8  tmaielatioa  iautite  et  son- 
damaabb  de  pnadpea  sacrés.  Le  dogme  de  VkmUuid^i'm  aAA 
empAcbé  aas  ittuvalb  lealatôre  d'assassbal?  il  ae  T^ait  pas  la 


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BE  LASSASSmAT  FOtmQIK.  SSB 

d^apostafsier  la  Ifloerté  de  rinteUigence;  on  uguiee  tes  poî- 
ipards  quand  on  revêt  aTfltr  les  anaes. 

Qudques  amis  de  M.  Gnôot  ont  répandu  le  bnrit  que  t^aitenUft 
en  85  juin  Ini  frayait  le  retour  an  pouvoir  :  œ  brmh  est  une  nor- 
teBe  mjore  pour  Thistorien  de  la  Réoiution  d'Avgkterre;  ses  parti- 
MSBB  étourdis  ne  se  sont  pas  aperças  cpie  par  ces  ruaaaenrs  ils  ten- 
da'ent  à  Faire  de  leur  <^f  une  espèce  de  Tristan ,  de  {prand  prévte, 
^a'on  appelle  dans  les  eitrémités  yidentes.  Jamais  homme  d'état 
■'eut  plus  à  se  plaindre  de  ses  aMîs  que  M.  <jui2ot,  et  ses  adversaires 
politiques  loi  rendent  plus  de  justioe. 

Le  gouvernement  et  la  société  ont  chacun,  dans  ces  tristes  con- 
jonctures, leurs  devoirs  à  remplir.  Nous  reconnaissons  volontiers 
que  le  ministère  n'a  pas  hésité  à  considérer  Tattentat  du  25  juin 
comme  l'acte  isolé  d'un  insensé,  qui  ne  pouvait  être  rattaché  à  au- 
cun complot  positif;  il  n*a  pas  songé  à  une  convocation  extraordi- 
naire de  la  chambre  des  députés,  et  donne  tous  ses  soins  à  une 
rapide  exécution  des  lois  en  ce  qui  concerne  la  juridiction  de  la 
chambre  des  pairs.  La  cour  souveraine  qui  siège  au  Luxembourg 
estimera  sans  doute  utile  et  salutaire  d'mprimer  à  ce  procès  une 
austère  simplicité.  L'opinion  publique  n'a  pas  approuvé  la  faiblesse 
fastueuse  de  ses  condescendances  pour  la  vanité  de  Fieschi,  qui 
s'était  fait  un  théâtre  du  prétoire  aristocratique. 

La  société  doit  se  sentir  humiliée  et  blessée  de  ces  actes  extrava- 
gans  :  c'est  à  elle  de  leur  infliger  le  châtiment  de  l'opinion.  On  lui 
demande  ses  applaudissemens  pour  de  sanglantes  folies  ;  qu'elle 
réponde  par  son  exécration  et  son  mépris.  Qu'elle  condamne  l'as- 
sassinat politique  à  la  même  infamie  que  Vassassinat  qui  vole  de 
l'or.  Faveur  et  sympathie  pour  les  nobles  efforts,  pour  le  travail, 
pour  le  talent;  secours  du  gouvernement  et  de  la  société  à  la  pau- 
vreté laborieuse  qui  veut  s'élever  au  bien-être  et  à  la  réputation  par 
d*honorables  labeurs;  indulgence  et  mansuétude  intelligente  pour 
les  passions  sincères,  si  ardentes  qu'elles  soient,  tant  qu'elles  restent 
généreuses.  Mais  anathème  de  mépris,  excommunication  sociale , 
sur  rinfamante  absurdité  de  Vassassinat  politique. 

n  y  va  de  Thonneur  de  la  civilisation  française.  L'expédient  du 
meurtre  est  anti-national  ;  la  guerre  et  le  duel  ont  toujours  été  dans 
les  mœurs  françaises,  l'assassinat  jamais  :  doit-il  donc  aujourd'hui 
recevoir  du  génie  de  la  liberté  droit  de  bourgeoisie? 


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191  BKVUE  DES  DEUX  MONDES. 

Non',  un  peuple  ne  déprave  pas  ainsi  ses  instincts  et  sà'dignité, 
et  malgré  la  tristesse  de  quelques  épisodes,  la  cause  de  la  civilisa- 
tion n*est  pas  prés  de  faillir.  Les  excès  dés  anabaptistes  n*ont  pu  ni 
déshonorer  ni  compromettre  l'avenir  de  la  réformé.' Les  meurtres 
de  Tordre  des  assassins  n*ont  pas  obscurci  l'éclatante  générosité  de 
la  civilisation  arabe.  Cest  Thonneur  de  la  nature  humaine  que  le 
crime  aboutit  toujours  à  une  obscure  impuissance.  La  société,  trou- 
blée un  instant  à  la  surface,  referme  ses  flots  sur  ce  qui  les  avik 
agités,  et  précipitant  dimpurs  débris  au  fond  de  Tabtme,  elle  con- 
tinue son  cours ,  sous  Vattraction  irrésistible  des  lois  étemelles. 

Lebhinier. 

30jaiiil856. 


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CHRONIQUE  DE  LA.  QUINZAINE. 


3o  juin  iêS0. 

Les  éTèoemens  politiques  de  la  quinzaine  ont  tout  disparu  devant  Tacte 
^'horrible  démence  qui,  dans  la  soirée  du  25  juin,  eit  venu  surprendre 
^  coustcmer  Paris  et  la  France.  L'assassin  est  un  nommé  Louis  Alibeau 
deNtroeSy  âgé  de  vingt-six  ans  et  se  disant  commis  négociant.  Nous  ne 
reproduirons  pas  ici  les  détails  donnés  par  les  feuilles  quotidiennes  sur 
f  arrestation  de  ce  malheureux ,  sur  ses  habitudes  dépravées  et  son  lan* 
gage  depuis  qu*il  occupe,  à  la  Conciergerie,  la  chambre  de  Fieschi . 

Le  fanatisme  d* Alibeau  est  froid  et  tacitt^mc;  avec  pKis  d'instruction 
que  Louvel,  il  lui  ressemble  en  plusieurs  points.  Comme  lui,  il  a  léng- 
temps  nourri  son  sinistre  projet;  depuis  trois  ans,  il  a  conçu  et  entretenu 
l'idée  d'assassiner  le  roi ,  et  si ,  jusqu'ici ,  il  avait  consenti  à  en  ajourner 
l'exécution ,  c'est  qu'il  attendait  qu'une  révolution  vint  renverser  le  gou- 
vernement de  juillet ,  et  lui  épargner  ainsi  la  peine ,  les  dangers  et  l'im- 
mortalité  de  l'assassinat.  On  trouve  ainsi,  dans  cet  homme ,  ces  espérances 
vagnes  d'un  nouvel  état  social  brusquement  improvisé,  cette  attente  de 
Timprévu ,  cette  invocation  paresseuse  de  l'impossible,  celte  oisiveté  mé- 
contente, qui,  tout  en  cherchant  des  distractions  dans  la  débauche,  se  tient, 
l'arme  au  bras,  à  la  disposition,  de  l'émeute.  Il  est  remarquable  qu'Ali- 
beau  a  été  déterminé  à  hAter  l'exécution  de  son  crime  par  la  tranquillité 
même  dont  jouit  la  société;  il  appelait  les  convulsions  de  la  guerre  civile , 
et ,  désespéré  par  le  calme  qui  régnait  autour  de  lui ,  il  s'est  adressé  à 
l'atiassinat  pour  contraindre  le  pays  à  une  révolution. 

On  ne  saurait  trop  déplorer  la  confusion  des  idées  qui  précipite  dans 
le  crime  ces  imaginations  dépravées.  11  y  a  vraiment  dans  notre  société 
quelques  hommes  qui  sont  encore  plus  malades  que  coupables  Alibeau 
a  lait  quelques  lectures  ;  on  a  trouvé  chez  lui  un  volume  des  Martyrs  de 
M.  de  Chateaubriand,  et  un  volume  de  .^aint-Just.  Quelques  lectures  de 
pins  et  quelques  vices  de  moins,  il  eût  compris  que  les  premiers  chré- 
tiens propageaient  leur  croyauce  et  leur  foi  par  le  martyre  et  non  par 
Tassassinat,  et  il  n'eût  pas  cru  se  mettre  à  côté  des  hauU  révolutionnaires 
de  l'époque  exceptionnelle  de  93,  en  dressant  un  guet-apens  contre  le 
KM,  le  malheureux  eût  encore  compris  combien  la  société,  dont  il  vou- 
^Ise  porter  l'interprète  et  le  vengeur,  était  loin  d'accorder  la  moindre 
sympathie  à  ses  sauvages  opinions.  Étrange  délire  que  de  vouloir  entrai- 


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49S'  KETUE  DES  BFXTX  ■Orn>ES. 

ser  k  sa  siuke  une  société  dans  laquelle  on  n'a  pas  même  su  prendre  la 
moindre  place  par  le  travail,  la  verlu  ou  le  talent.  On  ne  saurait  irop 
s*élever  contre  ce  pernicieux  mélaujçe  (fe  vanité  et  de  paresse  qui  porie 
certains  esprits  à  délaisser  les  nobles  labeurs,  la  persévérance  de  tous 
les  jours  dans  un  art,  dans  une  profess  on,  dans  la  science,  pour  deman- 
der à  de  brutales  violences  un  n>)e  éclatant^  qui  les  gorge  de  jouissances 
et  de  bruit;  ils  ont  oublié  que,  dans  tous  les  temps,  la  réputation  et  le 
bien-être  n'ont  été  la  conquête  que  de  la  constance.  Pour  tons  les  hommes 
vraiment  illustres,  la  gloire  et  la  fortune  ont  toujours  été  lentes  à  venir. 
Michel-Ange  travaillait  aussi  rudement  qu*un  maçon. 

La  société  devrait  pourtant  être  comprise  dans  ses  sent i mens  et  ses 
volontés,  car  son  attitude  est  un  grave  enseignement  pour  qui  veut  l'in- 
terroger et  la  servir;  elle  est  calme,  elle  se  sent  forte,  elle  ne  se  prend 
ni  à  la  colère  m  au  désespoir,  eUe  est  sAre  dVUe-niéme  et  de  ses  desil- 
Bées.  OndiVaii  q«e  dans  $m  afMitkieplns  apparente  que  réelle ,  cllesoo- 
rit  ironiquemoBt^es  teotati^'esëe  ceux  qui  veulent  remporter  là  où  elle 
ne  veut  pas  aHer,  à  aawmr  en  arrière  ou  au-delà  ùos  bornes  nécessaires  du 
,  présent  et  du  siècle. 

Il  serait  à  désirer  que  les  «haftls  tfenctiminaires,  qui  représentent  le 
double  intérêt  du  ^iveroement  est  de  èa  société ,  montrassent ,  dans  leurs 
actes  et  dans  lears  proclamations ,  un  sentiment  vrai  de  Tétat  social.  Les 
préfets,  à  roccasion  de  Fattentat  du  25  juin,  ont  adressé  à  leiurs  adoii- 
nistrés  une  proclamation  pour  expr  mer  et  appeler  riadigoation  générale 
delà  France  sur  cet  acte  odieux.  Plusieurs  d'entre  eux  ont  représenté 
l'état  et  la  société  même  à  deux  doigts  de  leur  ruine,  si  Tassaisin  eût 
réussi  dans  son  exécrable  dessein.  Ils  oublient  donc  que  la  mort  tragique 
eu  roi,  si  affreuse  et  si  déplorable  qu'elle  Ot,  ne  saurait  ébranler  dans 
ses  fondemens  la  constitution  Ce  la  société.  N'y  aurait-il  donc  plus  de 
kits,  de  Cliarte,  dedyiiastie,  de  chambres,  de  magistrature,  d'armée, 
de  garde  nationale?  N'y  aurait-il  donc  plus  de  société ,  avec  se  traditions^ 
sa  volonté,  et  la  puissanoe  de  les  faire  triomplier.  Il  est  fâcheux  que  dans 
la  baute  administration  on  puisse  noter  une  telle  absence  de  tact.  Afez 
du  zèleyfnessieurs,  mais  plusd'î  abileté.  On  ne  vous  demande  pas  dtf 
plirasesd'adnlatioB ,  mais  de  la  bonne  et  ferme  admi«istralioo. 

Avant  le  25  juin,  a<rant  d'être  exckosivt'ment  absorbée  par  rattentit 
d'Alibeau,  la  presse  ^notidienne  avait  passé  uoe  longue  rewede  lases- 
aioB  qui  vient  de  finir.  Les  avis  sévères  ti 'avaient  pas  été  épargnés  à  ms 
iégislalears.  A  wa\  dire,  quelques-unes  des  censures  n'étaient  pas  sans 
iSondement.  Il  s'est  perdu  bten  du  temps  que  réclamaient  d'utiles  travait 
interrompus  ou  à  comaMneer.  Toutefois  de  r«veu  «aènie  des  censeurs  les 
pHM  austères,  la  chambre  se  reoammaade  cette  aimée  par  l'adoptioa  de 
deux  importantes  mesures,  empreintes  4'one  et  l'autre  d'un  esqMritde 
progrès  et  de  perfeetiomiementootalbles.  Nous  voulons  parler  de  la  loi  éti 
it9%mmt$  et  de  cdie  âe^ehemÂnsvécmaux,  Deuxlois  libérales  et  populaires, 
ast-oe  donc  ^i  pev  ?  One  session  est^tte  absolnnient  stérile  4|«and  elle  les 
m  proéuiles?  Piatôears  des  dernières  sessions  du  parlement  anglais  aat 
4lle  «oing  léQOMlca  eocorc. 


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En  Espagne»  toajoart  le  mêmt  aomwieil  yfaéFaf.  L'esprit  ptibiic  et  la 
goerra  etriàa  sembleni  (tortnfr  pare^tement.  i^aîs  la  proclniiie  session  des 
chambres  ae  tardera  pa»à  réiF«iHer  m  snrsaiH  tevt  le  part.  Pour  fin- 
stant*,  les  officiers  de  Tarm^  dn  général  écrans  saiH  les  seiils  qui  ffornient 
quelque sipie de  rîe.  Ai^déftratdes  epératiena  miNtafres^itioni organisé 
des  roaraes  an  ctacher.  I^go» rses  ait  rioeher  en  BIscafe  eè  ce  n'est  que 
moiitagBts  et  rarltis!  Ces  Ângtota  doivent  être  contens.  Nalie  part  ils 
n'aaraieat  tramré  d^aossi  tielles  occasions  de  se  renapré  leroii. 

En  ^rtnga»,  dona  lHAria  a  dissMit  sam  eérémenie  lé  ebamère  de  sev 
dépoté»,  panée  ipi^lls  aniiPTil  prétewdit  dî9pu4er  sériensemimt  les  loia 
flnancières.qiti  lenr  étaient  senantses ,  et  peur  bil  areir  contesté  h  droit 
d*iavestir  du  eewimanrfement  de  rarmee  so»  noinrei  époux.  Qsand 
nous  regardions  cette  jeane  princesse  danser  follement  à  Paris,  il  y  a 
quatre  aàs,  qui  nous  eOt  dit  qa>lle  serait  bteiHiMi  imm  reine  si  manfailse 
tête,  et  si  pe»  rcgarr^ante  aux  eonps d'état  ? 

En  Angleterre ,  ta  grande  querelle  entre  \»9  dei»  ebambres  R*a  pas 
fait  beaucoup  de  pas  rers  rarcommodement.  Les  lords  sont  saisis  du  btH 
descorporatiaao  irtandatses  réaineiidè  par  b»6  commancs^  et  lenrsseigneQ« 
ries  ne  paraissent  pas  fort  ei»pres9ées  de  cbeisrr  entre  la  paix  et  la 
guerre.  IXailifurs,  bien  quHI  atteiK^e  avce  une  impetience  iérrense  le 
dénonemeot  de  la  coUision ,  leparlemena  ne  demecire  pas  pour  cela  in» 
aciif  PîTeraeasréBts  coflnqoas  enl  beauccmp  égayé  le  débet  su?  ta  ré^ 
diiction  t'es  droits-  de  timbre  qu^erta  vetér  eonfémiémeiit  anx  réselntioDff 
du  chaecelîer  cfe  Téchiquier.  L'anMndeneDt  développé  par  M.  Kearsly  a 
sarteiH  diverti  rassemblée.  L*he«offable  membre  avait  prepeaé,  avec  itne 
imperturbable  gravité,  de  dégrever  le  savons  an  lieu  de  dégrever  lee 
joumaox  Puis,  durant  la  môme  diseiiesioii,  eat  survenue  l^aimabledis<^ 
pute  entre  M.  Roebork  et  te  avétne  M.  Keaesiy  i  M  Keersl^  avait  déclaré 
le  disrovrs  de  M.  Roebivrfc  dégoélant;  M.  Roebuek  a  déclaré  que 
M>  Kearsif  ae  s-'ètait  pas  assrx  abssceu  de  trop  boire  è  son  dtneri 

Ces  Beiitîitesaes  parlementaires  n*bt^  jamais,  ds  reste,  des  suites  bien 
sanglanica,  grâce  à  KinterventioA  emntipalente  an  ipetàww,  ifoi  oaloM^  les 
aniagoaistes  les  pl»s  fougne^ix,  en  lesflsieant  enfermer  dans  tea  prisons  de 
la  cbavtbra  jusqii*à  compMte  p»riica«ia«.  Aiasi ,  el  ea  verto  des  salutai- 
res rêAMoM  qn*inspire  I»  prison.^  sH^sl  tevnwnée  la  terrible  affaire  entre 
M.  Treneh  et  M.  Wason,  qtti  w%  vwilaieia  rien  moins  que  a' aller  entretoer 
à  Calais.  Celledesir  >i»hn  BebhoMe  et  du  eoèenel  Sibtberp  DesemMiit  pae 
<)«foir  ae  ceachiresi  ainéaMnt.  Sir  John,  IlerrompH,  pendant  qu'il  par^ 
^it,  par  an  ricanemeol  âw  eolonet,  mwi  ripestt^  pêtimenl?  «  H  n^  a  rien 
<1^  si  sot  qB'on  sot  rire.  »  Là  dea^nts  ke  eoleael  de  jeter  fev  et  flamme. 
Biennelepowait  sattsl^re  que  le  sang  ivpaada,  et  veilà  <fie  soudai» 
cettecalère8*apii«e  et«ambe  devant  mie  réaraetatieta  iadinectedesir  Jehs, 
et  quelques  avis  palemebi  du  Bftêok^r.  M»  CKConœl  a  bien  e»  égaèeerveet 
sa  petite  altercation  avec  M.  Richards;  mais  comme  le  grand  agitateur 
^  rigoureusement  fidèle  à  son  vœu  dé  ne  plus  se  battre,  ses  affaires 
^^bonneur  soas  les  pkis  faciles  de  toutes  à  arranger.  Ces  combats  singu^» 


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128  KEYUB  DES  DEUX  MONDES. 

liers  de  paroles  seraient  bien  ridicules  et  bien  intolérables,  s'ils  se  répé- 
taient souvent.  Us  ont  été  beaucoup  plus  fréquens  cette  quinzaipe  qu'ils  ne 
le  sont  d'ordinaire.  Il  faut  les  attribuer  à  l'excitation  que  cause  dans  la 
cbambre  ie  conflit  avec  la  pairie.  C'est  de  la  colère  surabondante;  on  se 
bat  avec  qui  l'on  peut,  en  attendant  la  grande  mêlée. 

La  chambre  des  lords  a  repoussé,  à  une  immense  majorité,  le  bill  qui 
tendait  à  introduire  quelques  indispensables  réformes  dans  la  cour  de 
chancellerie.  C'est  que  ce  bill  était  un  acheminement  à  des  réformes  bien 
plus  graves.  Il  conduisait  à  remanier  la  juridiction  monstrueuse  des  lords 
jugeant  comme  cour  d'appel.  Il  menait  à  séparer  les  fonctions  politiques 
et  judiciaires  du  chancelier.  Or,  ces  questions  touchent  essentiellement  i 
la  constitution  même  de  la  pairie.  On  conçoit  qu'à  l'heure  qu'il  est  les 
pairs  ne  soient  guère  empressés  d'ouvrir  une  voie  aux  assaillans  qui  les 
battent  en  brèche. 

Mais  c'est  hors  du  parlement  que  s'est  jouée  la  principale  scène.  Le  pro- 
cès intenté  à  lorl  Melbourne  n'était  au  fond  qu'un  procès  politique  sur 
lequel  les  tories  fondaient  de  grandes  espérances.  Les  tories  ont  fait  cette 
année  une  campagne  peu  honorable  et  peu  dans  les  habitudes  parlemeu- 
taires  du  pays.  Désespérant  de  détruire  le  caractère  public  de  leurs  en- 
nemis, ils  ont  essayé  de  détruire  leur  caractère  privé;  ainsi  ont-ils  at- 
taqué la  moralité  de  lord  Melbourne,  de  même  qu'ils  s'en  étaient  prisi 
la  probité  d*0'Connel,  au  sujet  de  l'élection  de  Carlow.  Cette  seconde 
tentative  sans  générosité  ne  leur  a  pas  mieux  réussi  que  la  première. 
Un  jury  anglais  n'admet  pas  légèrement  la  culpabilité  en  fait  d'adul- 
tère; il  ne  se  décide  point  d'après  de  simples  présomptions,  sur  la 
foi  de  témoins  douteux.  Bien  plus,  la  loi  impose  une  condition  es- 
sentielle au  mari  qui  demande  des  dommages -intérêts.  La  loi  vent 
qu'il  ait  été  vigilant;  qu'il  se  soit  montré  le  constant  et  jaloux  observa- 
teur de  sa  femme;  qu'il  n'ait  jamais  paru  insoucieux  de  cet  honneur  dont 
il  vient  réclamer  le  paiement.  Or,  tel  n'était  point  le  cas  de  M.  Norton. 
M.  Norton  n'avait  été  ni  vigilant,  ni  jaloux;  il  n'avait  nullement  été  un 
sévère  gardien  deson  honneur.  Au  contraire,  il  avait  fermé  les  yeux)  il 
avait  été  volontairement  aveugle.  Ces  considérations  dictaient  d'avance 
le  verdict  qui  a  proclamé  la  double  confusion  des  tories  et  de  leur  dé- 
plorable instrument.  Rien  n'a  manqué  à  celle  de  M.  Norton.  Il  n'a  pas 
même  obtenu  cette  précieuse  fiche  de  consolation  du  fnihing  qui  eiA 
rejeté  les  frais  à  la  charge  du  défendeur;  et  l'on  sait  qu'ils  sont  considéra- 
bles en  Angleterre  lorsqu'il  s'agit  d'une  audition  de  témoins. 

—  C'est  un  véritable  événement  littéraire  que  la  double  publication 
de  VÉssai  sur  la  lUiiralure  anglaise  et  de  la  traduction  du  Paraë» 
perdu  de  Milton,par  M.  de  Chateaubriand.  Nous  ne  pouvons  quesignaler 
aujourd'hui  à  l'attention  publique  ces  deux  ouvrages ,  que  recommande 
as9ez  le  nom  de  l'illustre  écrivain.  Nous  les  examinerons  une  autre  foîi 
avec  l'étendue  et  le  soin  qu'exige  une  œuvre  de  cette  importance. 


F.  BULOI. 


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•flf 


LES  MORTS. 


FRAGBfEirr  INÉDIT  DE  LÉLIA.  ' 


Chaque  jour,  éveDIée  long-temps  d'avance,  je  me  promène  avant 
k  fin  de  la  nuit,  snr  ces  longues  dalles  qui  toutes  portent  une 
épîtaphe,  et  abritent  un  sommeil  saas  fin.  Je  me  surprends  à 
descendre,  en  idée,  dans  ces  caveaux,  et  à  m*j  étendre  paisible- 
ment pour  me  reposer  de  la  vie.  Tantôt  je  ra*abandonne  au  rêve 
du  néant,  rêve  si  doux  à  Vabnégation  de  Tintelligence  et  à  la  fati-' 
gue  du  cœur;  et  ne  voyant  plus  dans  ces  ossemens  que  je  foule, 
que  des  reliques  chères  et  sacrées ,  je  me  cherche  une  place  au 
nflieu  d'eux  ;  je  mesure  de  Vœil  la  toise  de  marbre  qui  recouvre 
la  couche  muette  et  tranquille  où  je  serai  bientôt,  et  mon  esprit 
en  prend  possession  avec  charme. 

Tantôt  je  me  laisse  séduire  par  les  superstitions  de  la  poésie 
dirétienne.  Il  me  semble  que  mon  spectre  viendra  encore  marcher 
lentement  sous  ces  voûtes,  qui  ont  pris  Vhabitude  de  répéter 
rédio  de  mes  pas.  Je  m'imagine  quelquefois  n'être  déjà  plus  qu'un 
jfontAme  qui  doit  rentrer  dans  le  marbre  au  crépuscule,  et  je 

(i)  Haas  la  nouTeUe  édition  de  ses  œuvres  que  Tautear  prépare,  Lélia  a  été  complète* 
flMni  refondue  et  formera  trois  volumes.  Cette  édition  complète  de  George  Sand  paraî- 
tni  pir  liTraison  de  deux  volumes ,  imprimés  avec  des  caractères  neufi ,  sur  beau  papier. 
TOMB  VU.  —  1.5  JUILLET  1856.  9 


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iSO  REVUE  DBS  DEUX  MONDES. 

regarde  dans  le  passé,  dans  le  présent  même,  comme  dans  une 
vie  dont  la  pierre  du  sépulcre  me  sépare  déjà. 

n  y  a  un  endroit  que  j*aime  particul'èrement,  sous  ces  belles 
arcades  bysantines  du  clottre  :  c*est  à  la  lisière  du  préau,  là  oà 
le  pavé  sépulcral  se  perd  sous  Therbe  aromatique  des  allées,  ci 
la  rose  toujours  pâle  des  prisons  se  penche  sur  le  crâne  des- 
séché dont  l'effig^  est  gravée  à  diaqiie  angle  de  la  pierra.  Un  des 
grands  lauriers-roses  du  parterre  a>  envahi  Tare  lègem  de  la  der- 
nière porte,  n  arrondit  ses  branches  en  touffe  splendide,  sous  la 
voûte  de  la  galerie.  Les  dalles  sont  semées  de  ces  belles  fleurs, 
qui,  au  moindre  sQuffle  du  vent,  se  détachent  de  leur  étroit  calioe 
et  jonchent  le  lit  mortuaire  de  Francexca, 

Francesca  était  abbesse  avant  Vabbesse  qui  m'a  précédée.  Elle  est 
morte  centenaire,  avec  toute  la  puîssanee  de  sa  vertu  et  de  son 
génie.  C'était,  dit-on,  une  sainte  et  .une  savante.  Elle  apparut  à 
Maria  del  Fiore,  quelques  jours  après  sa  mort,  au  moment  où  cette 
novice  craintive  venait  prier  sur  sa  tombe.  L*enfant  en  eut  uee 
telle  frayeur,  qu'elle  mourut  huit  jours  après ,  moitié  souriante, 
moitié  consternée ,  disant  que  Tabbesse  l'avait  appelée  et  lui  avaft 
ordonné  de  se  préparer  à  mourir.  On  Tenterraaux  pieds  de  Fran- 
cesca, sous  les  lauriers-roses. 

Cest  là  que  je  veux  être  enterrée  aussi.  11  y  a  là  une  dalle  sans 
inscription  et  sans  cercueil,  qui  sera  levée  pour  moi  et  scellée  sur  ïïkâ 
entre  la  femme  rehgieuse  et  forte  qjui  a  supporté  cent  ans  le  poids 
de  la  vie,  et  la  femme  dévote  et  timide  qui  a  succombé  au  moin- 
dre souffle  du  vent  de  la  mort;  entre  ces  deux  types  tant  aimés 
de  moi,  la  force  et  la  grâce,  entre  une  soeur  de  Trenmor  et  une 
sœur  de  Sténio. 

Francesca  avait  un  amour  pronohcé  pour  Vastronomie.  Efle  avait 
fait  des  études  profondes,  et  raillait  un  peu  la  passion  de  Maria 
pour  les  fleurs.  On  dit  que  lorsque  la  novice  lui  montrait  le  soir 
les  embellissemens  qu'elle  avait  faits  au  préau  durant  le  jour,  U 
vieifle  abbesse,  levant  sa  main  décharnée  vers  les  étoiles,  disait 
d'une  voix  toujours  forte  et  assurée  :  Voilà  mon  parterre! 

Je  me  suis  plu  à  questionner  les  doyennes  du  couvent  sur  cft 
couple  endormi ,  et  à  recueillir  chaque  jour  des  détails  nouveaux 
me  deux  exiatanoes  qui  viMsit  bientôt  rentrer  «Una  la  ma  ^ 


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LBs  «ours.  131 

Cest  ufie  éhose  triste  q«e  cet  effacement  complet  des  morts  ;  le 
diristiantsme  corrompu  a  inspiré  pour  eux  une  sorte  de  terreur 
mêlée  de  haine.  Ce  sentiment  est  fondé  peut-être  sur  le  procédé 
Héewi  de  nos  séputtures,  et  sur  cette  nécessité  de  se  séparer  brus- 
quement et  à  jamais  de  la  dépouille  de  ceux  qu'on  a  aimés.  Les 
anciens  n'avaient  pas  cette  frayeur  puérfle.  J'aime  à  leur  voir  por- 
ter dans  leurs  bras  Tume  c|ui  contient  le  parent  ou  Tami  ;  je  la 
feor  vois  contempler  souvent ,  je  Tentends  invoquer  dans  les  gran- 
des occasions,  et  servir  de  consécration  à  tous  les  actes  énergi- 
ques. EHe  firit  partie  de  leur  hértage.  La  cérémonie  des  funérail- 
les n>st  point  confiée  à  des  mercenaires;  le  fils  ne  se  détourne 
pas  avec  horreur  du  cadavre  dont  les  flancs  l'ont  porté.  H  ne  le 
laisse  point  toucher  à  des  mains  impures.  Il  accomplit  lui-même  ce 
fcroîer  office ,  et  tes  parfums,  emMème  d'amour,  sont  versés  par 
ses  propres  mains  sur  la  dépouilte  de  sa  mère  vénérée. 

Dans  tes  communautés  religteuses ,  j'ai  retrouvé  un  peu  de  ce 
respect  et  de  cette  antique  afFection  pour  les  morts.  Des  mains  fra- 
ternelles y  roulent  le  linceul,  des  Senrs  parent  te  front  exposé 
tout  un  jour  aux  regards  d'adieux.  Le  sarcophage  a  place  au  mi- 
lieu de  la  demeure,  au  sein  des  habitudes  de  la  vie.  Le  cadavre 
doit  dormir  à  jamais  parmi  des  êtres  qui  dormiront  plus  tard 
à  ses  côtés ,  et  tous  ceux  qui  passent  sur  sa  tombe  le  saluent  comme 
un  vivant.  Le  règlement  protège  son  souvenir,  et  perpétue 
rhommage  qu'on  lui  <  oit.  La  règle^  chose  si  excellente,  si  néces- 
saire à  la  créature  humaine,  image  de  la  Divinité  sur  la  terre, 
religieuse  préservatrice  des  abus,  généreuse  gardienne  des  bons 
semimens  et  des  vieilles  affections ,  se  fiait  ici  Famie  de  ceux  qui 
n'ont  plus  d'amis.  Elle  rappelle  chaque  jour,  dans  les  prières,  une 
longue  Uste  de  morts  cpii  ne  possèdent  plus  sur  la  terre  qu'un 
nom  écrit  sur  une  dalle ,  et  prononcé  dans  le  mémento  du  soir.  J'ai 
trouvé  cet  usage  si  beau,  que  j'ai  rétabli  beaucoup  d'anciens 
■oms  qu'on  avait  retranchés  pour  abréger  la  prière;  j'en  exige 
la  stricte  observance ,  et  je  veille  à  ce  que  Fessaim  des  jeunes  no- 
vices, lorsqu'il  rentve  avec  bruit  de  la  promenade,  traverse  le 
chttre  en  sitence  et  dans  te  plus  grand  recueillement* 

Quant  à  ronibfi  des  faits  de  la  vie,  il  arrive  pour  les  morts  plus 
ifle  m  qu'ailleurs.  L  absence  de  postérité  en  est  cause.  Toute  une 
génératiim  s'éteint  en  même  temps,  car  Fabsence  d'évènemens  et 

9. 


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132  RETUE  DBS  DEUX  MONDES. 

les  habitades  uniformes  prolongent  en  général  la  vie  dans  des  pro- 
portions à  peu  près  égales  pour  tous  les  individus.  Les  longévités 
sont  remarquables,  mais  la  vie  finit  tout  entière.  Les  intérêts  ou  Tor- 
gueil  de  la  famille  ne  font  ressortir  aucun  nom  de  préférence,  et  la 
rivalité  du  sang  n'existant  pas,  1  égalité  de  la  tombe  est  solennelle, 
complète.  Cette  égalité  efface  vite  les  biographies.  La  règle  défend 
d*en  écrire  aucune  sans  une  canonisation  en  forme,  et  cette  pres- 
cription est  encore  une  pensée  de  force  et  de  sagesse.  Elle  met  un 
frein  à  Torgueil,  qui  est  le  vice  favori  des  âmes  vertueuses;  eDe 
empêche  Thumilité  des  vivans  d*aspirer  à  la  vanité  de  la  tombe.  Aa 
bout  de  cinquante  ans ,  il  est  donc  bien  rare  que  la  tradition  ait 
gardé  quelque  fait  particulier  sur  une  religieuse ,  et  ces  faits  sont 
d'autant  plus  précieux.    . 

Comme  la  prohibition  d'écrire  ne  s'étend  pas  jusqu'à  moi,  je 
veux  vous  faire  mention  d'Agnese  de  Catane,  dont  on  raconte  ici 
la  romanesque  histoire.  Novice  pleine  de  ferveur,  à  la  veille  d'être 
unie  à  Tépoux  céleste,  elle  fut  rappelée  au  monde  par  l'inflexible 
volonté  de  son  père.  Mariée  à  un  vieux  seigneur  français,  elle  fut 
traînée  à  la  cour  de  Louis  XV,  et  y  garda  son  vœu  de  vierge  selon 
la  chair  et  selon  l'esprit,  quoique  sa  grande  beauté  lui  attirât  les  plus 
brillans  hommages.  Enfin,  après  dix  ans  d'exil  sur  la  terre  de 
Chanaan ,  elle  recouvra  sa  liberté  par  la  mort  de  son  père  et  de  son 
époux,  et  revint  se  consacrer  à  Jésus-Christ.  Lorsqu'elle  arriva 
par  le  chemin  de  la  montagne,  elle  était  richement  vêtue,  et  une 
suite  nombreuse  l'escortait.  Une  foule  de  curieux  se  pressait  pour 
la  voir  entrer.  La  communauté  sortit  du  cloître  et  vint  en  proces- 
sion jusqu'à  la  dernière  grille ,  les  bannières  déployées  et  Fabbesse 
en  tête,  en  chantant  l'hymne  :  Vent,  sponsa  Christi.  La  grille  s'ou- 
vrit pour  la  recevoir.  Alors  la  belle  Agnese,  détachant  son  bou- 
quet de  son  corsage,  le  jeta  en  souriant  par-dessus  son  épaule, 
comme  le  premier  et  le  dernier  gage  que  le  monde  eût  à  recevoir 
d'elle;  et  arrachant  avec  vivacité  la  queue  de  son  manteau  aux 
mains  du  petit  Maure  qui  la  portait,  elle  franchit  rapidement  la 
grire,  qui  se  referma  à  jamais  sur  elle,  tandis  que  l'abbesse  la  rece- 
vait dans  ses  bras,  et  que  toutes  les  sœurs  lui  apportaient  au 
front  le  baiser  d'alliance.  Elle  fit  le  lendemain  une  confession  gé- 
nérale des  dix  années  qu'elle  avait  passées  dans  le  monde,  et. 
le  saint  directeur  trouva  tout  ce  passé  si  pur  et  si  beau,  qu*il 


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LES  MORTS.  133 

lai  permit  de  reprendre  le  temps  de  son  noridat  où  elle  Tavait 
laissé  y  comme  si  ces  dix  ans  d^interruption  n'avaient  duré  qa*un 
joar,  joor  si  chaste  et  si  fervent,  qu'il  n*avait  pas  altéré  Tétat  de 
perfection  où  était  son  ame  lorsqu'à  la  veille  de  prendre  le  voile,  elle 
avait  été  traînée  à  d'autres  autels* 

EDe  fut  une  des  plus  simples  et  des  plus  humbles  religieuses 
qu*on  eût  jamais  vues  dans  le  couvent.  Cétait  une  piété  douce,  en- 
jeaée,  tolérante,  une  sérénité  inaltérable,  avec  des  habitudes  élé- 
gantes. On  dit  que  sa  toilette  de  nonne  était  toujours  très  recher- 
chée, et  qu'en  ayant  été  reprise  en  confession,  eDe  répondit  naïve- 
ment, dans  le  style  du  temps,  qu'elle  n'en  savait  rien,  et  qu'elle  se 
faisait  brave  malgré  eDe  et  par  l'habitude  qu'elle  en  avait  prise  dans 
le  monde  pour  obéir  à  ses  parens;  qu'au  reste,  eDe  n'était  pas  fà- 
diée  qu'on  lui  trouvât  bon  air,  parce  que  le  sacrifice  d*une  jeunesse 
encore  brillante  et  d'une  beauté  toujours  vantée  faisait  plus  d'hon- 
neur au  céleste  époux  de  son  ame  que  celui  d'une  beauté  flétrie  et 
d'une  vie  prête  à  s'éteindre.  J'ai  trouvé  une  grâce  bien  suave  dans 
cette  histoire. 

Sachez,  Trenmor,  quel  est  le  charme  de  l'habitude,  quelles  sont 
les  joies  d'une  contemplation  que  rien  ne  trouble.  Cette  créature 
errante  que  vous  avez  connue  n'ayant  pas  et  ne  voulant  pas  de  par 
trie,  vendant  et  revendant  sans  cesse  ses  châteaux  et  ses  terres, 
dans  l'impuissance  de  s'attacher  à  aucun  lieu  ;  cette  ame  voyageuse 
qm  ne  trouvait  pas  d*asile  assez  vaste ,  et  qui  choisissait  pour  son 
tombeau  tantôt  la  cime  des  Alpes,  tantôt  le  cratère  du  Vésuve,  et 
tantôt  le  sein  de  l'Océan,  s'est  enfin  prise  d*une  telle  affection  pour 
quelques  toises  de  terrain  et  pour  quelques  pierres  jointes  ensem- 
ble, que  l'idée  d'être  ensevelie  ailleurs  lui  serait  douloureuse.  Elle 
a  conçu  pour  des  morts  une  si  douce  sympathie  qu'elle  leur  tend 
quelquefois  les  bras  et  s'écrie  au  milieu  des  nuits  : 

—  O  mânes  amisi  âmes  sympathiques!  vierges  qui  avez, 
comme  moi,  marché  dans  le  silence  sur  les  tombes  de  vos  sœurs! 
vous  qui  avez  respiré  ces  parfums  que  je  respire ,  et  salué  cette 
lune  qui  me  sourit!  vous  qui  avez  peut^tre  connu  aussi  les  orages 
de  la  vie  et  le  tumulte  du  monde  !  vous  qui  avez  aspiré  au  repos 
étemel  et  qui  en  avez  senti  l'avant-goùt  ici-bas,  à  l'abri  de  ces 
routes  sacrées,  sous  la  protection  de  cette  prison  volontaire  !  ô  vous 
sivtoat  qui  avez  ceint  l'auréole  de  la  foi,  et  qui  avez  passé  des 


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Kk  BBTUB  DES  DEUX  MONDES. 

Bras  d'im  aiage  kirfsftle  S  ceux  d*im  épotnc  immortel  I  diastes^ 
Miantes  de  fEspoîr,  fortes  époirses  de  Isr  Volomél  me  bénissez- 
TOUS,  dites-mot,  et  prier-rous  sans  cesse  pour  ceHe  qui  se  phtt 
arec  vous  plas  qu'arec  les  TÎrans?  Est-ce  tous  dont  les  encensoirs 
d*or  répandent  ces  parfums  dans  la  nuit?  Est-ce  vous  qui  chantez 
doucement  dans  ces  mélodies  de  l'aîrt  Est-ce  vous  qui,  par  une 
sainte  magie,  rendez  si  beau,  si  attrayant,  si  consolant,  ce  cohi 
de  terre,  de  marbre  et  de  fleurs  où  nous  reposons  vous  et  moîT 
Par  quel  pouvoir  r'âvez-vous  fait  si  précieux  et  si  désirable,  que 
toutes  les  fibres  de  mon  être  s'y  attachent,  que  tout  le  san{j[  de  mon 
cœur  s'y  élance ,  que  ma  vie  me  semble  trop  courte  pour  en  jouir, 
et  que  j  y  veuille  une  petite  place  pour  mes  os,  quand  le  souffle 
dlvm  les  aura  délaissés? 

Alors ,  en  songeant  aux  troubles  passés  et  à  la  sérénité  du  pré- 
sent ,  je  les  prends  à  témoin  de  ma  soumission.  0  mânes  sanctifiésT 
leur  dis-je,  6  vierges  sœurs  I  ô  Agnese  la  belle  1  6  douce  Maria  def 
Korel  6  docte  Francesca  I  venez  voir  comme  mon  cœur  abjure  son 
ancien  fiel,  et  comme  il  se  résigne  à  vivre  dans  le  temps  et  dans 
l'espace  que  Dieu  lui  assigne!  Voyez  I  et  allez  dire  à  celui  que  vous 
contemplez  sans  voile  :  a  lélia  ne  maudit  plus  le  jour  que  vous  lui 
avez  ordonné  de  remplir;  elle  marche  vers  sa  nuit  avec  l'esprit  de 
sagesse  que  vous  aimez.  Elle  ne  se  passionne  plus  pour  aucun  de 
ces  instans  qui  passent;  elle  ne  s'attache  plus  à  en  retenir  quel- 
ques-uns ;  elle  ne  se  hâte  plus  pour  en  abréger  d*awtres.  La  voilà 
dans  une  marche  régulière  et  continue ,  comme  la  terre  qui  accom- 
plit sa  rotation  sans  secousses,  et  qui  voit  changer  du  soir  au  mathi 
la  constellation  céleste,  sans  s'arrêter  sous  aucun  signe,  san9 
vouloir  s*enlacer  aux  bras  des  belles  Pléiades ,  sans  fuir  sous  le 
dard  brûlant  du  sagittaire ,  sans  reculer  devant  le  spectre  échcveïé 
de  Bérénice.  Elle  s'est  soumise,  elle  vîtl  Elle  accomplit  la  loi;  eBé- 
ne  craint  ni  ne  désire  de  mourir;  elle  ne  résiste  pas  à  l'ordre  uni- 
versel. EUe  mêlera  sa  poussière  à  la  nôtre  sans  regret  ;  eHe  touch© 
déjà  sans  frayeur  nos  mains" glacées.  Voulez-vous,  6  Dieu  bon, 
que  son  épreuve  finisse^  etqtfawclelever  du  jour  eHe  nous  suive 
oft  nous  allons?  » 

Alors  il  me  semble  que,  dans  la  brise  qui  lutte  avec  l'aube,  3 
y  a  des  voit  faibles,  confuses ,  mystérieuses,  qui  s'éfêvent  et  qui 
retombent,  qui  s'efforcent  die  m'appder  de  dessous  fer  pièrrexmaSs 


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qui  œ  penyQQt  oa9  WMwr^  wuora  ,l'QbsrtftçJ^4e  lï»  ^fef  J^e  itf^rr^ 
no  iu^UUdi,  jo  r^a;r4«  4ina  dalte  ))laaplv^  a^  ^  sp^]jày^  pas,  et  «i 
U  c^VdQmQ,.  4obo»u«i  ç^té40  ifnoji,  w  ni«  ipoptr»  p^  Maria  d^ 
Wiore  4o^c^me|9l.AQdprlme  sur  l^pf  ^m^^^ipMrche  d^  ngive  caveai^* 
JSpi  ce  inop(M9m^-Ui  >  il  ji;  $t^CQ^ce9.  de^  bruits  éj^riMoç^si^seio  de  1^ 
terre,  et  comm^  de«  3p»pir8  aoiis  ine3,pied5,  Mm^  tPMt  f^it,  tawt 
jBe  tait.,  dès  que  rétojl^  du  pôle  a,  disparu*  Voiphi^e  grêle  dos 
qrpr^s»  que  la  luoe  dessîoaU  3ur  lesjuurs,  et  qui,  balancée  par  \fL 
hrise,  «emblait  douuer  le  ruouvqmenf  et  la^vie  au^  figures  de  1^ 
fresque,  s^ef&tçe  peu  à  peu^  J^  peiuMre  redevi^ut  ^uiniobUe;  l|i 
Toix  des  plamps  fait  plîwse  i  ççUe  dfis.w^au*-  L'abucjte  aéveilte 
daBs  sa  caçiB,  ^t  V^  e^st  coupé  pajr  des  ^Qm  pleins  ^t  d  stinctii, 
taudis  que  lefi.(jyaadJ5  ly^  blancs  du.  parterre  se  des.siueiit  daps  le 
crépuacule  et  se  dressent  iwmpbil^/?  de  plaisir  sous  la  rosée  abon- 
dante, Paus  Tatteut^  du  soleil),  toul^s  les  iuquièt^s  oscillatipns 
.a'arrètmt^  tpu$  l^§  c^ei3  incertain?  se  dég^^gjçuï  du  wile  fan^«- 
tîquAk.  C!es(  alors  q^^a  rAell^rn^u^  les  spectres  s  évauQuissent  dans 
ïair  blanobi  et  qp^  les  brui(J9  iu.a?tpUcables  fput  pla.ce  à  des  har- 
monies pures.  QttçJkjt^pfois  wi  dernier  ^uflle  de  la  uuit  secoue  le 
Iau^ar-ro8^^  froi?sj?  çonwlsiyeiu^u> ae»  broches,  plane  en  touf- 
npyant.sujvâa  tétefleurin,  e$.i;etoi9he  avec  un  faible  soupir,  comme 
^  Maria  del  Fîpre,  ai:raQbée  à  son.  parterre  par  la  main  de  Fran- 
eesca,  se  détachait  avec  effort  de  Tarbre  chéri  et  rentrait  dans  le 
domaine  des  morts  avec  un  léger  mouvement  de  dépit  et  de  regret. 
Toute  illusion  cesse  enfin  ;  les  coupoles  de  métal  rougissent  aux 
premiers  feux  du  matin.  La  cloche  creuse  dans  Tair  un  large  s.llon 
où  se  précipitent  tous  les  bruits  épars  et  flottans  ;  les  paons  des- 
cendent de  la  corniche  et  secouent  long-temps  leurs  plumes  humi- 
des*sur  le  sable  brillant  des  allées;  la  porte  des  dortoirs  roule 
avec  bruit  sur  ses  gonds ,  et  Y  Ave  Maria ,  chanté  par  les  novices, 
descend  sous  la  voûte  sonore  des  grands  escaliers.  Il  n*est  rien  de 
plus  solennel  pour  moi  que  ce  premier  son  de  la  voix  humaine  au 
coRimencement  de  la  journée.  Tout  ici  a  de  la  grandeur  et  de  Teffét, 
parce  que  les  moindres  actes  de  la  vie  domestique  ont  de  Tensemble 
et  de  Tunité.  Ce  cantique  matinal  après  toutes  les  divagations, 
tous  les  enthousiasmes  de  mon  insomnie ,  fait  passer  dans  mes 
reines  un  tressaillement  d'effroi  et  de  plaisir.  La  règle,  cette  grande 
loi ,  dont  mon  intelligence  approfondit  à  chaque  insUnt  rexcellence. 


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136  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

mais  dont  mon  imagination  poétise  quelquefois  un  peu  trop  la  ri- 
gidité,  reprend  aussitôt  sur  moi  son  empire  oublié  durant  les 
heures  romanesques  de  la  nuit.  Alors,  quittant  la  dalle  de  Fran- 
cesca,  où  je  suis  restée  immobile  et  attentive  durant  tout  ce  travaS 
du  renouvellement  de  la  lumière  et  du  réveil  de  la  nature ,  je  m'é- 
branle comme  Tantique  statue  qui  s'animait  et  qui  trouvait  dans  son 
sein  une  voix  au  premier  rayon  du  soleil.  Conune  eDe,  j'entonne 
l'hymne  de  joie  et  je  marche  au-devant  de  mon  troupeau  en  chan- 
tant avec  force  et  transport  »  tandis  que  les  vierges  descendent  en 
deux  files  régulières  le  vaste  escalier  qui  conduit  à  l'église.  J'ai  tou- 
jours remarqué  en  elles  un  mouvement  de  terreur  lorsqu'elles  me 
voient  sortir  de  la  galerie  des  sépultures  pour  me  mettre  à  leur 
tète  les  bras  entr'ouverts  et  le  regard  levé  vers  le  ciel.  A  l'heure  oà 
leurs  esprits  sont  encore  appesantis  par  le  sommeil  et  où  le  sentiment 
du  devoir  lutte  en  elles  contre  la  feiblesse  de  la  nature ,  elles  sont 
étonnées  de  me  trouver  si  pleine  de  force  et  de  vie,  et  malgré  tous 
mes  efforts  pour  les  dissuader,  elles  ont  toujours  pensé  que  j'avais 
des  entretiens  avec  les  morts  du  préau  sous  les  lauriers-roses.  Je 
les  vois  pâlir  lorsque  croisant  leurs  blanches  mains  sur  la  pourpre 
de  leurs  écharpes,  elles  s'inclinent  en  pliant  le  genou  devant  moi, 
et  frissonnent  involontairement  lorsque,  après  s'être  relevées,  elles 
sont  forcées  l'une  après  l'autre  d'efOeurer  mon  voile  pour  tourner 
l'angle  du  mur. 

George  Sand. 


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VOYAGES 

D'UN  SOLITAIRE. 


QQiiQiItlX^, 


Oui  y  Albert,  je  sois  parti  sans  prendre  congé  de  toi,  ni  de  personne, 
selon  ma  louable  coutume.  Pardonne-moi  ;  je  me  mourais  sur  la  lisière 
de  nos  bois.  Tu  ne  connais  pas  les  affres  de  mélancolie  que  recèlent  ces 
puissantes  forêts,  quand  les  ombres  d*automne  s'amassent  sur  les  étangs. 
L.es  oiseaux  voyageurs  étaient  arrivés  des  montagnes.  Chaque  matin  ils 
passaient  par  bandes  devant  ma  porte;  je  me  figurais  par  avance  les  con- 
trées qu'ils  allaient  visiter,  les  lacs,  les  vallées,  les  mers.  Une  inexpri- 
mable angoisse  me  saisissait  :  j'avais  besoin ,  comme  eux,  de  secouer  la 
rosée  de  mes  songes,  et  d'un  coup  d'aile  vigoureux  pour  fuir  mon  propre 
souvenir.  A  force  d'errer  dans  les  salles  du  vieux  chAteaude  Montmort, 
j'ai  retrouvé  des  ombres  funestes  qu'il  faut  quitter. 

Ta  ne  sais  pas  ce  que  c'est  que  de  n'entendre  jamais  d'autre  écho  que 
celui  de  sa  pensée  vagabonde.  Ma  jeunesse  se  consumait  là  dans  un  sté- 
rile amour  de  la  création  tout  entière.  J'étais  noyé  dans  un  océan  sans 
farme  et  sans  rivages.  Si  je  n'eusse  pris  la  résolution  d'en  sortir,  c'était 
lait  de  moi;  car  ce  pays,  tout  sévère  qu'il  est,  a  bien  des  charmes.  Il 
yoos  retient  par  d'invisibles  lianes,  comme  ces  fleurs  des  eaux  qui 


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fSS  liÉtdE  DÉS  t>Etfl  MONDES. 

n'ont  point  de  racines,  et  qu*aucun  orage  ne  peut  arracher.  Dans 
vide  qui  m'entourait,  mes  idées  prenaient  en  moi  nu  développement  sarz^ 
bornes,  et  tout  me  manquait  pour  les  exprimer.  Il  y  avait  des  jours  oït 
j'aurais  juré  que  j'étais  né  pour  écrire.  J'aurais  pu  dire  à  mon  tour  :  Et 
moi  aussi  je  suis  poète  !  J'entendais  «'es  bruits  que  personne  n'entemiait; 
je  voyais  des  formes  qtfë  péh*s«nfte  ne  tofait.  Quand  je  faisais  un  pas  le 
matin  sur  la  rosée  de  la  grande  avenue,  il  me  semblait  que  la  terre  et 
l'eau  se  lamentaient.  Pendant  des  journées  entières,  sur  le  bord  des  prés, 
je  suivais  des  femômès  qui  ifont  porni  de  corps;  et  il  y  tvait  des  idées 
sans  noms,  sâhsinfag^s  possibles  dans  aucan  monde,  qui  ne  me  quittaient 
pas.  Mon  ame  était  un  véritable  pandémonium  où  s'agitaient  des  larves 
qui  n'ont  jamais  eu  vie.  Peut-être  eussé-je  été  musicien,  si  j*ensse  pu 
saisir  cette  harmonie  sans  souffle  et  ces  soupirs  sans  voix  qui  passaient, 
comme  des  brises,  dans  mon  cœur.  Quand  le  vent  soufflait  dans  les  bou- 
leaux, je  rêvais  d'ineffables  mélodies  au  fond  des  bois;  mais  ces  chants 
célestes  ne  dépassaient  pas  mes  lèvres,  et  je  ne  sais  aucun  son  qui  en 
puisse  donner  l'idée.  D'autres  joli rt,  en  m'éveillant ,  il  y  avait  des  heures 
où  je  me  retraçais  malgré  moi  des  images  que  j'aurais  voulu  peindre  et 
conserver  toujours  devant  mes  yeux.  Cétaient  des  vallées,  des  paysages, 
des  climats  inconnus  sur  cette  terre.  Pour  les  retenir,  je  ne  trouvais  non 
plus  ni  couleurs,  ni  lignes,  ni  dessin.  Je  bâtissais  aussi  des  architectures 
prodigieuses  {ui  n'ont  nulle  part  de  modèle,  des  tours  idéales  dans  les- 
quelles je  montais  et  descendais  sans  m'arréter  jamais.  Il  y  avait  des  bal- 
cons d'où  l'ou  plongeait  sur  des  horizons  infinis,  des  balustrades  où  s'ap- 
puyaient des  femmes  et  des  figures  d^uue  autre  vie.  Alors  j'eusse  pu  croire 
tire  né  architecte,  si  au  moment  de  filer  tons  ces  rêves  par  des  lignes, 
ils  ne  se  ftissent  eifacés  comme  le  reste.  De  ces  tours  que  je  bAtissais  dans 
mes  songes,  de  ces  images  à  demi  peintes,  de  ces  mélodies  sans  voix,  il 
ne  me  restait  i-len  qn'un  vague  enchantement;  mais  aujourd'hui  mes 
fantômes  m'importanent,  mon  propre  chaos  m'obsède;  un  aveugle  ins- 
tinct me  pousse  vers  la  Inmière;  il  n'y  a  que  le  soleil  d'Italie  qui  puts^ 
dissiper  mes  odieuses  ténèbres. 

En  passant  à  Tfantua ,  je  suis  monté  sur  les  rochers  qui  bordent  le  lac. 
Le  jour  était  très  pur.  Du  milieu  des  herbes  fauchées  s'exhalaient  de  petites 
vapeurs  capricieuses >  telles  que  les  songes  des  plantes.  Les  hautes  Alpes 
'étendaient  au  loin  sur  le  ciel  leurs  eerdes  de  neige.  Ah!  les  meilleurs 
souvenirs  de  iha  jeunesse  errant  sur  ces  montagnes,  comme  des  chamois 
poursuivis  par  te  chasseur. 

J'ai  revu  le  lac  de  Genève.  L«s  Ims^es  de  Rousseau,  r'e  Samt-Preux^ 
deM"'*  de  Staêl,  de  Corinne,  deByron,  de  Manfred,  se  bercent  sur  ces 
flots  pâles.  Quand  les  ûmbi'es  des  inontagnes  descendent  le  soir  au  fond 


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VOYAfiBS  JU'tK  SOLITAïaS.  430 

^^  Uc,  ces  bords  sont  dangereux.  Vous  entendez  des  voix  connues  qpî 

^Us  appellent.  Vous  vous  penchez  sur  le  flot  dormant,  et  le  fantôme 

^oré  vous  invite  à  descendre  au  fond  des  eaux.  Alors  du  côté  de  Meille- 

^aye,  on  entend  les  troupeaux  qui  mugissent  sous  les  châtaigniers  ;  la 

dochc  de  Vevey  sonne  Tagonie  de  Julie;  la  mondaine  Corinne  s*assied 

Bar  le  seuil  des  cliAlets;  par  les  degrés  des  Alpes,  Manfred  descend  à  pas 

pesaos,  en  s^appuyant  sur  son  bâton  ferré;  pendant  qu'à  l'extrémité  du 

lac,  le  vieux  château  de  Ghiilon  biaochit  comme  la  demeure  commune 

à  tous  ces  F6\'es  des  poètes.  Alors  aussi,  celui  qui  a  un  cœur  frémit;  il 

s'arrête  pour  écouter  l'écho.  Il  respire  l'air  puissant  des  montagnes;  il 

pense  à  ce  qui  aurait  pu  être,  à  ce  qui  a  été,  et  se  envient  en  soupirant 

des  jours  qui  ne  reviendront  plus. 

Si  l'on  traverse  les  Alpes  en  été,  elles  sont  à  peine  un  obstacle.  La 
roule  dn  Simplon  les  a  supprimées.  Ce  n'est  que  sur  le  versant  de  l'ItaUe 
que  les  vallées  sont  abruptes;  de  ce  cOté,  la  route  devient  un  vrai  menu- 
meat  d'art,  et  vous  assistez  à  une  lutte  obstinée  de  la  nature  et  de 
rhoaune.  Il  y  a  des  endroits  où  l'industrie  semble  vaincue  par  Tobstade; 
mais  c'est  le  moment  où  les  ressources  de  l'art  reparaissent  avec  le  plus 
de  puissance.  Cette  roule  s'élance  sur  les  ravins,  d'un  bord  à  l'autre; 
elle  rampe,  elle  s'élève,  elle  bondit.  H  y  a  un  intérêt  dramatique  à  suivre 
le  combat  de  l'audaee  humaine  et  de  ces  cimes  si  long-temps  invain-* 
eues.  Ce  monument  de  patience  et  de  témérité  est  une  sorte  d'architeo- 
Xore  héroïque. 

Malgré  cela,  c'est  à  la  sortie  de  l'hiver  qu'il  faut  observer  les  Alpes. 
C'est  là  leur  climat  et  leur  saison  natuvelle.  Les  pics  de  glace  brillent 
coaune  des  rosaces  gothiques.  Un  silence  lourd  pèse  sur  ces  vallées  de 
neige,  où  tous  les  bruits  s'amortissent.  A  travers  les  frimas,  on  voit  per- 
cer Ics^ toits  aigos  des  chalets.  Du  haut  des  pics  les  plus  rapides,  les  avalan- 
ches glissent  comme  des  armées  de  géan8,,sous  leurs-manteaux  blancs.  Les 
Alpes  semblent  frissonner.  Une  puissance  surhumaine  vous  oppresse,  et 
la  terrible  renommée  de  ces  montagnes  se  confirme  à  chaque  pas.  D'ail- 
leurs, même  dans  cette  saison,  on  peut  se  laisser  glisser  à  la  ramasse,  sans 
presque  aucua  danger,  depuis  les  sommais  pisque  dans  les  vallées  ha- 
bitées. La  descente  dure  ainsi  moins  d'un  quart  d'iieure.  Dans  cette 
course  précipitée,  les  replis  des  montagnes  s'affaissent  et  se  nivellent  sous 
vos  regards;  la  grandeur  des  objets,  celle  des  distances  parcourues,  la 
rapidité  de  la  chute,  et  ces  neiges  inviolées,  tout  vous  jette  dans  un 
demi-vertige  :  il  semble  que  vous  soyez  le  premier  qui  preniez  possession 
de  cette  nature  de  glace. 

IjCS  lacs  qui  sont  au  revers  des  Alpes,  le  lac  Majeur^  le  lac  de  Côme,  sont 
déjà  de  la  même  couleur  que  les  mers  du  midi,  peut-être  un  peu  moina 


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140  RETUE  DES  DEUX  MONDES. 

bleus.  Les  petites  Iles  Borromées  ressemblent  à  une  création  de  TAriostel 
Elles  ont  la  même  grâce  que  les  inventions  de  VOrlando  furioso,  avec 
quelque  chose  de  plus  sauvage.  H  y  a  en  outre  des  pécheurs ,  un  village 
et  une  église,  dans  la  plus  grande  de  ces  lies ,  qui  ne  semblent  faites  que 
pour  la  fantaisie  des  poètes.  Le  doux  parfum  de  la  langue  milanaise  com- 
mence là  avec  le  myrte ,  Tolivier  et  le  citronnier.  L'enchanteresse  des 
climats  du  midi  habite  en  cet  endroit,  sur  son  seuil.  Dans  le  chAteau  dés- 
habité  des  Borromées ,  il  y  a  des  tableaux,  des  statues  dormantes  dans 
les  salles  souterraines,  au  bruit  des  flots  dormans;  il  y  a  de  l'art  et  de  Ta- 
mour,  c'est-à-dire,  toute  l'Italie.  Dans  ces  lies  lilliputiennes,  la  nature 
s'est  jouée  d'elle<^méme;  assise  au  pied  des  Alpes,  elle  sourit  comme  une 
puissante  Armide  sur  ces  fantasques  rivages. 

Quand  on  aperçoit  de  loin  la  cathédrale  de  Milan ,  on  dirait  d'un  édifice 
de  glace ,  bâti  là  de  toute  éternité ,  à  la  descente  des  Alpes.  C'est  la  vieille 
cathédrale  gothique  qui  a  servi  de  modèle  à  cette  architecture;  mais 
combien  le  type  austère  de  Cologne  et  de  Strasbourg  n'a-t-il  pas  été 
altéré  sous  le  ciel  énervant  de  l'Italie  !  La  voûte  ténébreuse  du  nord  s'est 
changée  en  un  marbre  blanc  d'un  éclat  presque  païen.  Sur  cette  terre  de 
Saturne,  le  mysticisme  de  l'architecture  gothique  est  dépaysé;  le  soleil 
ardent  du  midi  pénètre ,  avec  une  curiosité  profane,  jusqu'au  fond  de  la 
nef.  Le  trèfle  et  la  rose  chrétienne  ont  fait  place,  dans  les  omemens,  au 
laurier  idolâtre.  D'ailleurs  il  n'y  a  plus  de  flèche  qui  monte  dans  le  ciel. 
Soit  que  l'esprit  de  l'Italie  se  plaise  moins  dans  la  nue,  soit  que  cette  té- 
mérité répugnât  trop  à  la  tradition  romaine,  il  est  certain  que  la  flèche 
gothique  a  toujours  été  un  embarras  pour  les  peuples  du  midi.  Ou  ibl'ont 
séparée  de  l'église,  et  ils  en  ont  fait  un  édifice  distinct,  comme  à  Venise, 
à  Florence,  à  Pise,  ou  ils  l'ont  supprimée  comme  à  Milan.  La  cathédrale, 
triste  et  rêveuse,  des  bords  du  Rhin  s'est  convertie,  sous  le  ciel  lombard, 
à  une  foi  sensuelle.  De  ses  fleurs  de  marbre  s'exhale  l'odeur  des  citron- 
uiers  et  des  myrtes  du  polythéisme.  Le  Dies  iras  ne  retentit  pas  sous  ses 
voûtes;  bien  plutôt  l'écho  de  Lombardie  y  redirait  des  sonnets  d'a- 
mour. Ce  n'est  pas  le  Dieu  crucifié  qui  a  ici  son  symbole  au  milieu  de 
cette  nature  prodigue ,  c'est  la  Madone  souriante  sur  le  chemin  des  pè- 
1  crins.  Les  statues  innombrables  qui  habitent  son  église  ressemblent  aux 
onze  mille  vierges  de  Cologne ,  ressuscitées  dans  de  pâles  corps  de  mar- 
bre, que  la  mort  païenne  a  ciselés. 

De  Milan ,  cette  architecture ,  mêlée  du  génie  du  Nord  et  du  génie  du 
Midi, prend  trois  routes  :  elle  va  aboutir,  sur  l'Adriatique,  dans  les  pa- 
lais vénitiens;  sur  la  Méditerranée,  dans  le  Campo-Santo  de  Pise;  par  le 
chemin  de  la  Tûscane,  à  Orviète  :  elle  a  suivi  principalement  les  traces 
tic  l'esprit  gibelin. 


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TOTAGES  d'un  SOUTAIRE.  J41 

3c  passe  des  monomeos  étranges  qui  n'ont  jamais  été  élevés,  qui  ne 
«^écrouleront  jamais,  qui  s'appellent  Casliglione,  Lodi,  Rivoli;  tout  le 
<^einiD  de  Milan  à  Venise  est  semé  de  noms  semblables  :  ce  sont  des  ma- 
rais couverts  de  joncs,  des  pâturages  suspendus  sur  des  lacs,  des  avenues 
de  mûriers  et  de  saules.  Il  y  a  quelquefois  une  maisonnette  blanche  qui 
porte  k  son  toit  la  cicatrice  d'un  biscayen,  comme  un  soldat  laboureur. 
Sur  le  champ  de  bataille  des  environs  de  Vérone,  les  jeunes  paysannes 
font  la  cueillette  des  mûres.  L'oiseau  de  Roméo  et  de  Juliette  chante,  ca- 
ché sous  les  vernes  d'Arcole.  Quand  la  nuit  arrive,  des  myriades  de 
ïDOuches  luisantes  s'envolent  de  terre  :  elles  s'allument,  elles  s'éteignent, 
elles  se  raniment  comme  de  petites  lampes  errantes  pour  éclairer  les 
morts. 

H  sonnait  onze  heures  du  soir  au  campanile  de  Saint-Marc ,  lorsque 
fabordai  à  Venise.  Il  me  sembla  entrer  dans  le  pays  dies  rêves.  La  lune, 
en  ce  moment,  sortait  des  nuages,  sous  l'iucantation  des  esprits  embau- 
més de  l'Adriatique.  Des  gondoles,  couvertes  de  voiles  noirs,  glissaient 
â  côlé  de  moi.  Des  deux  côtés  du  grand  canal,  les  ombres  des  paldi& 
s'abaissaient  et  se  confondaient,  au  milieu  des  flots,  dans  une  architecture 
fantastique,  qui  se  bâtit  là,  le  soir,  pour  les  songes  de  la  nuit.  Cette  im* 
pression,  reçue  en  arrivant,  ne  s'est  point  affaiblie  par  la  suite.  Après 
avoir  demeuré  à  Venise,  après  y  avoir  touché  les  pierres  et  les  tableaux^ 
je  n'ai  pu  détruire  l'effet  de  cette  nuit  enchantée. 

Yem'se  est  asiatique  et  arabe;  elle  est  aussi  bysantine,  gothique,  lom- 
barde; mais  c'est  le  caractère  oriental  qui  domine,  et  celui  sans  lequel 
elle  reste  incompréhensible.  Ses  vaisseaux  ont  rapporté  chez  elle  les 
styles  et  les  formes  de  tous  les  climats  :  la  coupole  de  Bysance,  le  minaret 
du  Bosphore,  l'ogive  de  Mahomet,  la  citerne  du  désert.  Rien  ne  lui 
ressemble  sur  le  continent  ;  elle  est  née  de  la  mer  ;  elle  est  fantasque 
comme  les  flots.  Le  Jupiter  du  Péloponèse,  l'islamisme,  le  christianisme^ 
se  pressent  à  la  fois  en  ce  lieu  de  refuge. 

Toutes  les  fois  que  je  vis  l'église  Saint-Marc,  des  milliers  de  pi- 
geons voletaient  sur  les  combles  :  ils  se  posaient  sur  l'épaule  des  statues^ 
sur  leurs  livres,  sur  leurs  dais;  ils  becquetaient  dans  leurs  coupes  et 
leurs  calices  :  on  aurait  dit  les  oiseaux  des  légendes  qui  se  penchaient  à 
Foreille  des  cénobites  de  pierre,  pour  leur  apporter  les  messages  du  ciel. 
L'église  Saint-Marc  est  elle-même  semblable  à  une  vieille  légende  de 
Bysance..  C'est  la  Sainte-Sophie  de  Constantinople  transportée  en  occi- 
dent. Un  peuple  de  statues  agenouillées  habite  les  niches  extérieures  de 
réglise,  et  semble  de  loin  murmurer  sur  ses  lèvres  de  marbre  une  langue 
sacrée.  Au  dedans,  toute  l'histoire  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testa- 
ment est  peinte  sur  im  fond  d'or.  Une  litanie  étemelle  sort  aussi  de  toutes 


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142  RBTCE  DES  DEUX  MONDES. 

ces  bouches  muettes.  Vons  habitez  là  au  milieu  de  la  cité  sainte  du 
xi*siède.  Cette  foule  de  bieoheureui  vous  regarde»  vous  homme  d'im 
autre  âge,  qui  pénétrez  daus  ce  paradis  du  vieux  degme.  S'i  s  savaient 
les  langues  humaines ,  ils  vous  demauderaient  comme  au  pèlerin  de  Flo- 
rence : 

ITbû  vieDS-to ,  toi  qui  nous  ressembles  si  pea? 

Avec  cela,  cette  architecture  est  bien  loin  d'avoir  la  grandeur  de  Tarcbi- 
tecture  du  nord  :  elle  ue  porte  pas  dans  les  nues  la  pensée  religieuse 
d'une  rac?  nouvelle;  elle  est  plutôt  opprimée  sous  le  poids  delà  théologie 
bysantine.  Une  décrépitude  précoce  s*y  laisse  apercevoir  à  travers  ses 
dorures:  elle  a  les  grâces  ornées  des  pères  de  Téglise  grecque,  non  la 
sublimité  sauvage  du  catholicisme  d'Occident.  Vous  pensez  à  saint  Chry- 
sostome,  à  saint  Basile,  non  pas  à  Tnrtullien,  ni  à  saint  Jérôme.  Avant 
tout  f  Saint-Marc  est  Téglise  d^un  peuple  de  matelots.  Lorsque  avec  ses 
petits  dômes,  qui  s'arrondissent  l'un  >ur  l'autre,  on  la  voit  du  côté  de  la 
mer,  elle  donne  l'idée  d'une  nef  bénie  qui  entre  à  pleines  voiles  dans  le 
port,  chargée  des  chappes,  des  reliques ,  et  des  vases  ciselés  de  Bysance. 
Près  d'elle  sVlève  la  tour  de  son  clocher  à  ogives.  Cette  tour  isolée  porte 
les  cloches  et  sonne  les  heures  de  la  journée.  Quant  à  la  vieille  église,  elle 
est  muette;  aucun  bruit  n'en  sort  pour  marquer  la  siaccession  du  temps, 
ni  le  changement  de>  heures;  elle  ne  connaît  ni  soir,  ni  matin,  ni  deuil, 
ni  joie,  ni  glas,  ni  aubade  :  la  cité  sacrée  du  dogme  ne  connaît  rien 
qu'une  heure ,  celle  de  Péiernîté. 

A  côté  de  Saint-Marc,  le  palais  des  doges  est  tout  oriental;  ses  galeries 
sont  celles  d^un  palais  arabe.  Dans  les  ornemeus  des  ciiapiteauxsont 
sculptés  des  plantes  marine.^,  des  joueurs  de  mandoline  et  de  viole, 
double  emblème  de  l'histoire  et  du  génie  national  de  la  ville  aux  cent 
tles.  Les  deux  citernes  qui  sont  creusées  dans  la  cour  font  penser  au  dé- 
sert. Venise  n'a  pas  une  seule  source.  A  l'entrée  des  flots,  elle  est  comme 
Paimyre  au  milieu  des  sables.  D'à  «Heurs  son  palais  des  mille  et  une  nuits 
se  termine  par  une  prison  d'état.  Le  sénat  habitait  entre  deux  tortures 
continuelles  :  il  avait  sons  ses  pieds  les  cachots  souterrains,  et  les 
plombs  sur  sa  tête.  Quand  vous  voyez  pour  la  prem  ère  fois,  dans  la  salle 
du  grand  conseil  de  TinquisKion,  rayonner  autour  des  nruirailles  les  ta- 
bleaux de  Véronèse  et  de  Tintoret,  ces  fêtes  de  la  peinture,  dansées 
enceintes  lugubres,  vous  émeuvent  malgré  vous;  car  c'est  au  milieu  de 
toute  la  splendeur  d'une  architecture  à  demi  mauresque,  au  milieu  des 
tableaux  et  des  couleurs  palpitantes  de  ces  peintres ,  que  cette  aristocratie 
enfbuissait  ses  mystères.  Son  gouvernement ,  qui  fut  une  sorte  de  terreur 


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VOYAGES  d'un  SOLITAIRE.  145 

iMtioDaTe  mêlée  de  volupté,  était  parfaitement  à  Taise  dans  ce  palais, 
%t(j\e  et  musée  tout  ensemble.  Les  supplices  y  touchaient  à  des  plaisirs 
choisis.  Le  petit  pont  par  lequel  les  coorfamnés  sortaient ,  pour  être 
poignardés  ou  noyés,  est  ciselé  avec  une  élégance  pleine  de  recherche, 
^^ai  TU  un  grand  casque  de  fer  dans  lequel  on  broyait  la  tête  des  sus- 
pects. Ce  casque  est  lui-même  d*une  beauté  étudiée.  Venise  poussa  le 
géoie  des  arts  plastiques  jusque  dans  la  torture. 

La  vie  de  Venise  était  un  prodige  de  chaque  jour;  en  guerre  perpé- 
^ile  avec  la  nature  et  avec  le  monde ,  sa  victoire  ne  pouvait  se  prolon- 
ger que  par  une  tension  extrême  de  tous  les  ressorts  de  l'état.  Sa  force 
^a  plus  réelle  consistait  dans  les  combinaisons  de  son  génie.  De  là,  le  se- 
<^et  sur  tout  ce  qui  la  touchait  était  pour  elle  la  première  condition  de 
<^Qrée  Dans  un  état  ainsi  établi  sur  le  silence,  ce  n'est  pas  le  lieu  de  cher- 
cher des  poètes,  des  orateurs,  des  historiens,  des  philosophes.  Venise  ne 
^ait  pas  avoir,  comme  Florence,  son  Dante,  son  Boccace,  son  Machia- 
^^-  I^  parole  écrite  était  l'opposé  de  son  génie  taciturne.  An  contraire  , 
^  Peinture,  cet  art  muet,  devait  être  celui  d'une  société  muette.  Venise 
^T  précipita. 

Oeqoi  me  frappe,  c'est  que  la  sombre  sévérité  du  régime  politique  de 
^^xiisc  ne  s'est  jamais  communiqué  à  sa  peinture.  Si  vous  ne  considérez 
^^  le  gouvernement ,  vous  vous  figurez  que  toute  cette  société  a  été 
<^Ksciuite  par  une  terreur  continue,  et  que  les  imaginations  ont  dû  se 
^'-■'vrir  d'un  voile  lugubre.  Si,  au  contraire,  vous  examinez  l'art,  vous 
S"f>posez  que  ces  hommes  ont  vécu  dans  une  fête  perpétuelle,  et  que  des 
iin^çinations  aussi  fougueuses  appartiennent  à  un  régime  de  liberté  ex- 
cessive. Titien  et  Paul  Véronèse  ont  quelque  chose  de  sénatorial ,  comme 
Va^v^istocratie  des  cent  lies.  Ils  ont  la  sensualité  somptueuse,  mais  non  pas 
^^  ^éfërité  ni  la  profondeur  redoutable  du  conseil  des  Dix.  Loin  d'être 
a^^ristépar  le  gouvernement,  l'art  exprima  avec  splendeur  la  splendeur 
^^  Vétat;  d'ailleurs  un  rayon  détourné  du  Levant  luit  sur  cesardens  ta- 
^^^ux.  Ces  imaginations  de  matelots  se  sont  en  partie  formées  au  milieu 
des  bazars  de  Chypre  et  de  Bysance.  La  peinture  de  Venise  est  à  demi 
orientale ,  comme  son  architecture. 

Et  véritablement,  ces  figures  créées  par  l'art  semblent  aujourd'hui  les 

seuls  et  légitimes  habitans  de  ces  balcons  et  de  ces  galeries  levantines. 

An  fond  des  palais,  elles  demeurent  comme  une  aristocratie  idéale  et  ta- 

dlame.Sous  les  ogives  humides  des  voûtes,  le  ver  file  sa  soie;  la  gondole 

passe  en  efOeurant  le  seuil;  la  foule  se  disperse  sans  bruit  sur  les 

ponts.  Quand  le  soir  arrive,  des  bandes  de  mouettes  et  de  procellarias 

s'abattent  sur  la  ville.  Malgré  cela,  au  fond  de  ces  tristes  palais ,  il  y  a  une 

fèîe  qui  ne  finit  jamais.  Ces  cadres  suspendus  aux  murailles  conservent 


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M  RBVUB  DBS  DBUX  MOIfDBS. 

Féclat  des  jours  qui  ne  sont  plus.  Lorsque  vous  entrez  dans  la  salle  du  ooo- 
seîly  yous  trouTez  encore  la  Venise  patricienne  toute  parée ,  comme  Inèi 
de  Castro  dans  son  sépulcre. 

Souvent  des  nuages  violets ,  tels  que  ceux  qui  flottent  sur  les  toilei  de 
Tintorety  s'amassent  sur  la  ville;  leurs  lignes  droites  sont  comme  tracées 
à  réquerre.  La  lumière  se  concentre  alors  dans  une  étroite  bande  à  Tbo- 
rizon.  G*e8t  avec  une  netteté  incroyable  que  les  objets  se  détachent  sur 
cette  zone;  mais,  cordages,  vergues,  avirons,  tout  est  gravé  au  burin  dans 
un  ciel  de  cuivre.  Du  fond  des  vagues  bronzées  sortent  le  palais  des  dogei, 
le  campanile  de  Saint-Marc  avec  son  ange  d*or,  puis,  dans  les  tles,  les 
dômes  de  Saint-George,  du  Redemptor  et  des  Gitelle  La  ville  tout  ea- 
tière  surgit  de  cette  mer  empourprée ,  comme  la  création  de  Tun  de  ses 
peintres.  Au  milieu  de  cet  éclat,  on  éprouve  une  impression  de  détresse 
qui  ne  se  retrouve  qu'à  Rome  ;  mais  cette  impression  est  beaucoup  plus 
extraordinaire  à  yenise ,  car  là  il  n'y  a  point  encore  de  ruines.  Les  pt- 
laîs,  quoi  qu'on  en  dise ,  sont  entiers.  A  cette  magnificence  seigneuriale 
qui  faisait,  dans  Venise,  une  fête  éternelle ,  le  temps  n'a  rien  été  encore. 
C'est  au  milieu  de  cette  fête  que  la  ville  a  été  frappée;  elle  est  morte  de- 
bout. 

On  peut  dire,  en  effet,  que  lorsque  Venise  acheva  de  tomber,  elle  était 
morte  depuis  long-temps  ;  mais  son  gouvernement  mit,  à  garder  ce  ca- 
davre, la  même  vigilance  qu'il  avait  mise  à  veiller  sur  elle  dans  la  bônoe 
fortune.  Depuis  la  fin  du  xyii«  siècle  elle  gisait  sur  son  ht  de  parade; 
pour  cacher  ce  grand  secret  d'état,  ce  n'était  pas  trop  de  l'inquisitiun  et 
de  la  torture  des  plombs.  Le  premier  qui  franchit  hardiment  cette  en- 
ceinte ne  trouva  sous  ce  mystère  qu'un  fantôme. 

Cédapiangere,  signor!  llya  de  quoi  pleurer ,  monsieur,  me  disait  le 
vieux  gondolier  qui  me  ramena  sur  la  terre-ferme;  car  le  peuple  ne  laise 
pas  que  d'être  frappé  de  ces  ruines ,  et  il  est  fort  attaché  au  lion  de  Saint- 
Marc;  ce  qui  n'empêche  pas  que  Venise  ne  soit,  par  intervalles,  la  ville  la 
plus  gaie  et  la  plus  folle  de  Tltalie;  seulement  cette  gaieté  exaltée  est 
quelquefois  fort  triste.  Le  carnaval  de  Venise  ressemble  toujours  un  pea 
à  la  danse  des  morts. 

Le  canon  des  Autrichiens  en  batterie  sur  la  Piazzetta,  le  grand  dra- 
peau de  Vienne  arboré  nuit  et  jour  en  face  de  Saint-Marc,  puis,  en  pers- 
pective »  l'hospitalité  paterne  du  Spielberg,  ce  sont  là,  après  tout,  de 
tristes  siyets  de  fête.  Les  petits  théâtres  forains  sont  les  seuls  endroits  où 
la  haine  du  joug  tudesque  puisse  se  montrer  encore  avec  quelque  liberté. 
Dans  ces  pièces  jouées  en  plein  air,  il  y  a  toujours  un  caporal  allemand 
qui  estropie,  de  la  manière  la  plus  burlesque,  quelques  mots  d'italien. 
Ainsi  voilà  Polichinelle  vengeur  des  Dandolo,  des  Foscari  et  des  Barba- 


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YOTAOES  d'un  SOLITAIRE.  itë 

negro.  En  général,  quel  iemps  faut-il  pour  que  la  petite  comédie  rem- 
pl|K^  la  cnmédie  divine?  c'est  là,  pour  )out  le  monde,  la  vraie  question. 


II. 

Après  Venise  I  je  n'ai  séjourné  qu'à  Ferrare.  Pour  arriver  à  la  prison 
du  Tasse,  j'ai  traversé  une  longue  file  de  lits  de  malades  dans  l'hôpiul 
Sainte-Anne.  La  prison  est  au  fond  d'une  petite  cour  avec  laquelle  elle 
est  de  plain-pied.  Une  grêle  épaisse  était  tombée  dans  l'intérieur,  car  une 
henre  auparavant  il  avait  fait  un  violent  orage.  La  voûte  de  cette  geôle 
est  si  basse,  que ,  dans  certains  endroits,  on  a  peine  à  s'y  tenir  debout. 
Cest  là  que  le  poète  fut  gardé  sept  ans  comme  une  béte  fauve  de  la  mé- 
nagerie de  la  maison  d'Est.  Pendant  ce  temps-là,  Eléonore,  dans  le  châ- 
teau de  Ferrare ,  écoutait  les  joueurs  de  luth;  elle  souriait  sous  les  oran- 
gers des  villas,  et  pas  une  fois  ses  lèvres  adorées  ne  s'ouvrirent  pour 
demander  la  grâce  de  celui  que  l'amour  rendait  à  moitié  fou.  Le  dernier 
des  ménestrels,  il  expia  le  long  bonheur  de  ceux  qui  l'avaient  précédé.  Il 
avait  été  l'amusement  des  heureuses  princesses  de  Ferrare  ;  mais  quand 
il  voulut  prendre  la  vie  au  sérieux  et  que  le  baladin  se  souvint  qu'il  était 
immortel,  il  fut  réputé  fou  de  la  meilleure  foi  du  monde.  L'insensé,  en 
effet,  qui  livrait  les  trésors  de  son  cœur  au  divertissement  de  ces  jeunes 
femmes  couronnées ,  et  qui  cherchait  dans  les  fêtes  de  la  renaissance  la 
dévotion  d'amour  et  |la  passion  profonde  des  temps  passés  !  Il  avait  dans 
son  cœur  la  passion  de  son  Tancrède,  et  il  croyait,  lui  seul,  pouvoir  ré- 
chauffer de  son  souffle  cette  société  défunte.  Il  embrassait  des  fantômes 
sur  son  sein  de  poète,  et  il  ne  vit  pas  que  le  cœur  des  reines  s'était  glacé. 
Epris  du  moyen-âge,  il  apporta  le  cœur  brûlant  d'un  ancien  troubadour 
dans  le  tombeau  orné  de  la  féodalité.  Il  fut  le  Roméo  d'une  autre  Juliette; 
mais  cette  Juliette  ne  se  ranima  pas  pour  lui  dans  le  sépulcre.  Parce  que 
les  chevaux  piaffaient  dans  la  cour,  parce  que  les  jeunes  filles  souriaient 
comme  avaient  fait  les  châtelaines  au  temps  des  croisades ,  il  crut  que 
l'ancien  amour  vivait  encore,  et  qu'un  grand  cœur  battait  au  sein  de  cette 
société ,  sous  la  soie  et  les  dorures*  Le  jour  où  il  sentit  qu'il  se  trompait, 
sa  tête  se  brisa  ;  il  essaya  de  rompre  le  charme  d'une  main  tremblante , 
eon  una  mono  iremante:  oh  !  ce  fut  là  une  divine  folie  dont  quelques-uns 
ont  hérité  même  de  nos  jours;  mais  ce  fut  une  folie. 

Après  la  prison  du  Tasse ,  je  vis  la  maison  d'Arioste.  Un  soleil  bril- 
lant rayonnait  dans  la  chambre  de  messir  Lodovico.  Un  chat  lustré  ron- 
flait sur  le  seuil.  Des  pigeons  battaient  de  l'aile  contre  le  vitrail  de  la 
feaêtre  à  ogive.  A  travers  les  portes  des  appartemens,  j'entendis  le  vent 
TOME  vn.  10 


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tt6  MrrOB  DBS  MCOX  »MIDB6. 

qai  soufflait  et  soupirait  oomme  les  lliiitdraes  émiis  de  la  feniaisie  eu 
poêle.  SoD  écritoire  était  sur  une  table.  Je  descendis  dana  le  jardin.  H 
était  alors  tout  en  fleurs.  J*y  cueillis  des  œillets  et  des  narcisses.  Des  pa- 
pillons diaprés  se  posaient  sur  les  gazons  d'Espagne  ;  des  poules  glous- 
saient dans  la  cour.  Tout  annonçait  la  demeure  d'un  bute  heureux.  Arioste 
n'éutt  point  tombé  dans  le  piège  où  Tasse  se  laissa  prendre.  De  bonne 
heure ,  il  avait  estiuié  ce  qu'il  valait  le  simulaere  qui  l'entourait.  H 
n'aima  pas  ee  qui  ne  pouvait  aimer.  Il  prisa  le  moyen-Sge  juste  antuit 
que  le  cheval  de  Roland  qui  n'avait  qu*un  défaut,  à  savoir  d'être  mon 
Il  ne  demanda  pas  aux  reines  des  larmes  qu'elles  ne  pouvaient  pienrer, 
ni  aux  vivans  un  enthousiasme  que  les  morts  seuls  possédaient.  A  k 
vieille  cour  de  Charlemagne  et  d'Artus,  il  donna  la  frivole  beauté  de 
la  cour  de  Ferrare.  Il  se  fit  des  ioMgespour  s'eu  jouer;  et  le  premier,  il 
sortit  du  sanctuaire  de  la  fbi  antique  avec  un  éclat  de  rire.  A  ce  prix  si 
cher,  ses  œillets  fleurirent;  ses  colombes  légères  vinrent  boire  snr  le 
bord  de  sa  coupe.  Chaque  année,  le  rossignol  nicha  dans  les  ros  ers 
de  son  jardin,  pendant  que  Taraigiiée  suspendit  sa  toile  à  la  prison 
du  Tasse. 

Il  semble  que  dans  toutes  les  époques  qui  ont  été  complètes ,  le  rire  et 
les  larnaes  aient  été  ainsi  mêlés,  et  que  chaque  siècle  apporte  avec  loi 
deux  grands  masques,  l'un  comique,  Fautre  tragique.  Chez  les  anciens 
Horace,  Virgile;  au  moyen-âge,  Boccaee,  Dante;  après  eux»  Arioste, 
Tasse;  plus  tard  encore,  Yoltaire ,  Rousseau. 


m. 

A  Bologne,  les  Autrichiens  bivouaquatent  sur  la  place.  Les  csasns 
étaient  en  batterie ,  les  chevaux  seHés.  Des  patrouilles  gardaimt  les  prin- 
cipaux débouchés  de  la  viHe.  Cette  image  d'asservissement,  quimeponr- 
suivait  depuis  nnon  entrée  en  Lombardie ,  me  fit  horreur  ;  et  vraiment, 
rien  n'est  plus  laid  que  ces  blonds  lansknechts  sons  le  soleil  du  raidi.  A 
Miiau ,  î'avab  déjà  rencontré  leurs  sentinelles  à  tous  les  coins  de  mes. 
A  Venise,  j'avais  entendu  leurs  canons  dans  la  nuit,  et  j'avais  vu  leor 
drapeau  sur  Saint-Marc.  En  ce  moment,  je  sentis  que  je  haïssais  TAl- 
Icmagne  pour  totit  le  mal  qu'elle  avait  fait  à  l'Italie. 

Oui ,  Albert,  je  connus  alors  la  vieille  haine  accumulée  par  Dante,  par 
Pétrarque,  par  Machiavel,  et  je  désirai  avec  ardeur  de  voir  un  jour  l'Italie 
marcher  sur  le  cou  de  ces  blêmes  tudesqnes. 

Autrefois ,  je  te  vantais  leur  génie  ;  tu  te  le  rappelles  ?  .le  voulais  plon- 
ger jusqu'au  fond  dans  le  chaos  de  ces  esprits  de  ténèbres ,  parce  que  je 


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croyais  qa'un  enthoosiasme  darable  les  poussa  t  anx  nobles  entreprises; 
mais  leur  essor  n*a  doré  q^i'un  moment.  Une  muse  flétrie  a  déjà  pris 
chez  eux  la  place  des  extases  passées.  Trop  souvent  ils  couvrent  sous  des 
paroles  savantes  dessentimens  vulgaires.  Va ,  crois-moi,  ne  cherche  plus 
dAM  les  deiM  le  eygae  alleiuaid;  H  se  mim  aujoard*faeii  tkms  son  cloaque. 
J'ai  aimé  le  ciel  pâle  de  leurs  pâles  •vitlées.  Dans  ee  tenps-là  mon  coMir 
ne  voyait,  ne  seatnt  partant  qae  les  imafes  quil  créait;  je  n'avais  pas 
coeitti  lie  myrte  dans  riso4a*BeJla ,  ni  passé  voe  miH  d'été  au  bord  do  lac 
Bolièoe.  Tous  les  boriaons  étaieat  pour  moi  également  beanx,  pourra 
qu'il  y  elU  place  pow*  oa  rêve.  Je  ne  Aiisais  point  de  dlfTérence  entre  im 
lourd  cleKd'Aiitrîclie  et  an  oiel  vénitien.  Mm,  depuis  que  j*ai  passé  les 
A^es,  aaes  yaiic»  Dieu  merci  !  seat  las  de  la  lèpre  tudesque.  La  perfidie 
bavaroise ,  fiAfauaa  bœearieê ,  m'est  connue;  et  si  pottr  un  si  grand  mal 
taule  parole  n'éiail  vaiM,  je  m'expliquerais  davantage. 

Depuis  qoe  les  empereiin  le  rédiaaffeut  au  seleit  lombard ,  qu'ont-ils 
reaëu  à  lltalie  en  échange  de  ce  qu'ils  lui  ont  ravi  ?  Ne  voient-ils  pas 
qae  leur  sang  est  trop  froid  peur  celte  ardente  contrée?  Leur  génie  qu'use 
une  heure  d'exaltatioa  n'est  pas  fait  pour  le  soleil  dévorant  des  enfans  en 
midi;  le  myrte  est  trop  parfumé  pour  ces  inaipides  vainqneura;  et 
l'oreage  de  la  Breaia  ne  raèrlt  pas  pomr  les  lèvres  épaisses  des  seris  de 
Babsbeiirg. 

Plan  !  ttool  cela  ne  peat  durer,  il  fant  que  les  manteanx  bYencs  dispa* 
raisseot,  et  que  les  cavaliers  frilaox  repassent  les  monts.  Ne  «entent-As 
pas  1^  leur  langue  hennissante  rompt  l'aecord  de  la  mélodie  toscane , 
et  qae  Icars  nwmbfes  grossiers  n'ont  jatnais  été  formés  ëe  -Dieu  pour  ha» 
biiar,  à  Toiskre  dea  villas^  le  jardin  de  TltaHe?  Qu'ils  consultent  leura 
mains  rudes  et  calleuses.,  et  leure  sens  hébétés.  Ils  apprendront  d'eux- 
mômes  qœcette  terre  de  volupté  n^est  pas  la  leur,  et  qn^  reste  encore 
aa-delà  dea  neat&,  sons  leurjcîel  blêmissant,  mainte  glèbe  qui  reste 
privée  de  lear  swur  aerviie  :  qu'ils  retournent  dans  leurs  vallées  du 
Danube,  de  lIEIbe  et  de  ta  âpnfte,  s'atteler  à  leor  ebarrae  fftodale;  'et 
alora,  nona^looenNSS  tant  qu'un  voadra  les  vertus  de  ces  faométes  Ger- 


\  an^urd'huî,  de  œtte  terre  d*amoiirilsont  fait  une  terre  de  haine. 
L'enfaat  qui^oommeneeà  balbutier,  la  jeune  fille  sous  son  voile,  Termite 
dans  sa  ehapeUe,  tout  ee  qui  a  un  cœur  peur  aimer  ou  pour  haïr,  les 
mandit  en  même  temps.  La  vertu  de  l'Italie  est  de  les  détester  ;  c'est  par 
là  qu'elle  réonit  ses  peuples  qu'aucune  autre  puissance  n'avait  pu  rallier.  Eh 
bien!  qu'elle  la  nourrisse  cette  haine  sacrée,  son  seul  et  dernier  refuge . 
Qu'elle  adere  la  madone  de  la  colère ,  puisque  la  madone  de  ht  pitié  n'a 
palasanver! 

10. 


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148  RBTOE  DES  DBOX  MONDES. 


IV. 

Florence  est  toujours  le  commeouire  vivant  de  Dante.  L'architecture, 
la  sculpture ,  la  peinture  da  xiy«  siècle  et  la  Comédie  divine  ont  entre 
elles  d'intimes  ressemblances.  Dans  le  silence  des  églises  moitié  gothiques^ 
moitié  lombardes,  les  fresques  de  Giotto,  de  Luppi,  de  Thaddeo  Gaddi, 
donnent  une  certaine  réalité  aux  visions  du  vieil  AJighieri  ;  et  sous  l'ar- 
chet peint  des  archanges  s'exhale  encore  la  mélodie  de  ses  tercets.  Dans 
les  loges  d'Orcagna ,  au  bord  de  l'AmOy  dans  le  fond  des  chapelles  et  des 
cloîtres  y  sur  le  seuil  des  palais  guelfes  ou  gibelins,  partout  le  poète 
pèlerin  vous  apparaît  au  milieu  du  paradis  de  l'art  florentin. 

Dans  les  temps  chrétiens,  Florence  a  été  le  vrai  pays  des  formes.  Tout 
ce  qui  dans  nos  tristes  contrées  n'est  que  rêve,  désir,  espérance,  regret, 
a  pris  là  un  corps  et  une  figure  déterminée.  Un  contour  achevé  a  circon- 
scrit toutes  les  images  rapides  qui  passent  aujourd'hui  dans  nos  cœors. 
Jamais  les  peuples  d'artistes  et  de  ciseleurs  n'ont  connu  les  vains  fantô- 
mes qui  s'élèvent  dans  le  souvenir,  et  retombent  sans  laisser  de  traces. 
Tout  ce  qu'ils  ont  aimé,  tout  ce  qu'ils  ont  haï,  ils  l'ont  touché  au  doigt; 
ibont  immortalisé  le  moindre  de  leurs  songes;  et  ces  cieux  d'amour  on  1 
de  colère  que  l'homme  fait  et  défait  sans  cesse  à  chaque  instant,  ils  les 
ont  fixés  comme  l'ombre  sur  la  muraille. 

Il  est  impossible  de  vivre  à  Florence  sans  s'y  préoccuper  de  l'histoire 
de  l'art,  car  on  peut  en  suivre  là  les  moindres  phases  comme  an  coeor 
même  de  l'iulie.  C'est  dans  ce  grand  atelier  que  la  tradition  de  l'anti- 
quité s'est  rencontrée  avec  l'idéalisme  chrétien ,  etjque  leur  mélangea 
produit  ces  formes  sévères  qui  restèrent  toujours  inconnues'.à  l'école  de 
Venise.  Même  au  milieu  du  moyen-àge,  on  y  garda  la  tradition  des  arts 
païens.  Dante  y  conversa. avec  Virgile.  Les  sculpteurs  de  Pise  donnèrent 
aux  cénobites  du  Nouveau-Testament  quelque  chose  de  la  beauté  des 
dieux  antiques,  et  les  peintres  abreuvèrent  de  nectar :olyrapién  les  lèvres 
des  archanges.  Comme  l'église  romaine  avait  absorbé  dans  ses  rites  les 
meilleurs  souvenirs  du  paganisme,  de  même  l'art  florentin,  qui  fut  aussi 
une  sorte  d'église,  conserva  quelques-uns  des  linéamens  de  l'art  antique. 
De  là  naquit  un  genre  de  beauté  qui,  sans  ressembler  à  aucune  époque, 
avait  pourtant  des  rapports  avec  toutes.  U  semble  que  l'histoire  de  Flo- 
rence soit  comme  la  cité  emblématique  de  Dante,  et  que  l'on  y  monte  de 
cercles  en  cercles,  avec  chaque  siècle ,  jusqu'à  la  suprême  beauté.  Peu  i 
peu  une  Grèce  ressuscitée,  sous  les  traits  d'un  ange  mystique,  s'y  est  as- 
sise dans  le  ciel  de  l'art.  Une  Italie  nouvelle,  ,plus  belle  que  l'Italie  an- 


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VOYAGES  D'un  SOLITAIRE.  149 

9Dne»  est  sortie  du  tombeau  de  TEtrurie.  Ce  fut  une  Madeleine  péni- 
nte  qui  gardait  encore ,  à  travers  les  pleurs  et  malgré  les  macérations 
sl^vangile,  les  traits  et  la  beauté  de  la  Madeleine  pécheresse. 
Quelque  trace  du  génie  étrusque  s*e8t  perpétuée  là,  à  travers  tous  les 
hangemens  des  temps,  des  langues  et  des  institutions.  Dès  le  xiv*  siècle, 
IQaad  Rome  chrétienne  était  seulement  la  ville  du  dogme,  Florence  jetait 
déjà  la  ville  de  Fart.  C'est  chez  elle  ou  près  d'elle  que  le  développement 
épique  de  la  tradition  s'est  accompli  dans  la  poésie  par  Dante,  dans  l'ar- 
ditectore  par  Giotto  et  Bruneliescbi ,  dans  la  statuaire  par  l'école  de 
Pise,  dans  la  peinture  par  Orcagna  et  Michel-Ange.  U  faut  remarquer 
que  Rome,  qui  a  donné  son  nom  à  la  plus  grande  école,  n'a  produit  elle- 
même  ni  poète,  ni  sculpteur,  ni  peintre.  Elle  n'a  eu  long-temps  qu'un 
art,  i  savoir,  le  culte  et  le  rite  catholique.  Ses  poètes,  ses  statuaires,  ses 
architectes  furent  ses  papes.  Lorsque  le  travail  et  la  constitution  de  l'é- 
glise forent  achevés,  alors  seulement  les  arts  séculiers  arrivèrent  de 
tontes  parts,  pour  recevoir  là,  par  Michel- Ange  et  par  Raphaél,  le  droit 
de  bourgeoisie  dans  la  cité  du  dogme. 

Oo  répète  souvent  de  nos  jours  que  les  époques  les  plus  religieuses 
sont  aosii  les  plus  favorables  à  l'art  :  cette  idée  est  démentie  par  tout  ce 
que  i*ai  vu  en  Italie,  et  surtout  à  Florence.  Tant  que  la  foi  fut  pro- 
fonde, les  peintres,  aveuglément  soumis  à  la  tradition  de  l'Eglise, 
laissèrent  leurs  œuvres  dans  une  sorte  de  divine  enfance.  Assurément  le 
génie  religieux  ne  manque  pas  aux  mosaïques  byzantines  ni  aux  peintures 
snr  bois  des  vieilles  écoles.  Que  leur  manque-t-il  donc?  l'art;  il  ne  s'é- 
mancipa qu'aux  dépens  de  la  foi.  Les  grands  maîtres  des  écoles  de  Venise, 
de  Florence,  de  Parme,  de  Mantoue,  furent  contemporains  de  la  ré- 
fonneetde  la  confession  d'Augsbonrg.  Chacun  d*eux  soumit  la  tradition 
reiigieQie  à  l'autorité  de  l'imagination,  comme  Luther  la  soumit  à  l'au- 
torité de  la  raison.  A  quelle  distance  Michel-Ange,  Léonard  de  Vinci, 
Corrége,  ne  sont-ils  pas  de  la  croyance  et  de  l'orthodoxie  de  leurs  pères! 
Ils  changent  à  leur  gré  les  types  et  les  expressions  consacrées;  ils  abo- 
lissent à  leur  manière  l'ancien  rite.  Ni  Raphaël ,  ni  Titien,  n'approchent 
de  leurs  pinceaux  avec  le  tremblement  de  cœur  et  la  dévotion  de  Fra  An- 
geljco  ou  de  Masaccio.  C'est  au  sortir  d'un  banquet  avec  la  Fomarina  ou 
arec  l'Arioste  qu'ils  substituent  au  catholicisme  rigide  de  la  tradition  un 
catholicisme  vénitien,  florentin,  romain,  qui  n'a  plus  rien  de  l'unité  des 
rieilles  fresques  liturgiques.  A  la  madone  impassible  des  Bysantins  ils 
prêtent  les  passions  et  les  airs  de  tête  des  femmes  des  lagunes,  de  Parme 
>a  d'Albano.  Les  différences,  les  caprices  innombrables  de  la  fantaisie 
lumaine  pénètrent  pendant  cet  intervalle  du  xv*  et  du  xvi*  siècle , 
onune  autant  de  sectes  privées  i  dans  le  ciel  du  vieux  dogme.  Chacun 


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ISO  RETII£  BKS  WSX  MDNWtt» 

86  fiait,  sur  la  leile^soaévangUeiiMa  image; irunité  du  YleuK  sjmUk 
est  perdue  sans  retour.  C'est  Le  temps  de  lapoésie,  de  ract,  de  la  beaul^; 
ce  D*est  plus  le  temps  de  la  foi. 

Au  commencemeoty  les  gcaods-crucifix  de  CUnabué,  eofiove  sanglans, 
représentaient  la  passion  et  Tascétisme  du  moyen- Age  sur  son  Calvaire. 
On  dirait  que  les  apôtres ,  encore  frappés  de  terreur,  ont  peint  eux- 
mêmes,  de  leurs  mains  incultes,  les  fivesques  colossales  du  x*  siècle.  U 
dessin  en  est  grossier;  mais  k  Dieu  nouveau  est  là.  A  travers  ces  traite 
barbares  ressort  une  grandeur  apocalyptique.  LaVierge^byzantine  est  as- 
sise sur  son  trône;  un  repos  •étemel  illumine  son  front.  Sa  robe,  où  sont 
brodés  de  secrets  symboles,  participe  de  cette  immobilité  céleste.  Lei 
douze  apôtres,  partout  inséparables,  iceraplisseot  les  coupoles  des  basili- 
ques. II  semble  que  ces  personnages  soient  conçus  hors  du  temps,  au- 
dessus  dea  mondes  détruits.  Dtans^  leur  ciel  tbéologique,  ni  joie  ni  tris- 
tesse; tous  ils  sont  investis  d*une  seule  pensée,  qui  est  la  pensée  divine.  Bs 
ne  prient  paa,  ils  n'enseignent  pas,  ils  adorât  Nous  sommes  auxiT 
siècle. 

Dans  Tâge  S]iivaDt,ju8qu'aa  quinzième,  la  £aî  atost  pas  mràs  gruie* 
Pourtant  ces  personnages  sont  sortis  de  leur ^MWtampta tien.  Us  ceoMnHi- 
cent  à  errer. dans  r£den  de  l'imagina tioa,'ei  à  quitter leiar  sainle  oisi- 
veié.  Sur  les  fresques  de  Gaddi,  la& soldats  endocmisautev  du  sépatert 
Tide  ouvrent  leurs  paupières;  ils  sl^é^eillent  au  jour  noiAveaia.  Le^Cbriit 
s'élève  du  milieu  d'eux,  emportant  l'étendard  de  4a  m^r^t.  Le  long  da 
murailles  du  cimetière  des  Pisan^,  les  Fîerges  pâles  de  Giatto  se  gUasêat 
à  travers  les  .tombes  comme  des  ressuscites.  Le  Umfis  est  venu  où  les 
anges  de  GQzzolirde.Bu£taImaoco^  deJEiesolCyOnt  embouché  leiini<trMiiMB 
d'or.  Sur  leuKS  violes  ils  ont .pressé4eucs  archets  peoQttr)»é6;^att  mUieu  lie 
ce  silencieujLConoert,  la  madoncsourit pour  la  première  £ois  de  cesoariv^ 
dont  l'italie  tout  entière  ae  sent  «noore  émue.  Sous  ce  ciei  de  mélodies 
elle  promène  ^  et  Ih^  danasesibras,  le  CUcist  enfant.  Cei  fut  là  sans  doute 
le  tempe  le  plus  adorable  4e  rart,js'Jl  faut  appeler.de  oenomtoe^qui  était 
une  prière,^un  acte  de  £oi,.ouplAitôti«n  ax-voà»  d^e:  l'humanité  naufcagiée 
et  sauvée.  Toutes  les  espérances,  toutes  les  croyance&^Mraieut  l'âge  de  ee 
divin  enfant  que  berçait  sur  ses  genoux  la  madone  de  l'Italie.  Les  artistes, 
réunis  en  confréries,  connaissaient  dans  les  moindres  détours  les  secrets 
de  l'éternité.  Il  n'y  a  que  les  choses  de  la  terre  (pi'ils  ignoraient.  D'ail- 
leurs leurs  conceptions  avaient  dépouillé^  la  barbarie  des  temps  du  chris- 
tianisme primitif.  Ils  étaient  sur  le  seuil  de  l'église  et  de  l'art  séculier, 
appartenant  cependant  à  l'une  plutôt  encore  qu'à  l'autre.  Ce  furent  là  les 
derniers  songes  du  genre  humain  dans  le  berceau  du  dogme  catholique  : 
àkl  que  vont-ils  devenir^  ces  songes  vôtus  de  pourpre  et  d'or? 


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TÔYACKS  ifm  nOUTAïKE.  151 

l^prs  ta  fin  da  xv*  siècle,  tout  a  changé.  L'épogue  de  perfeeiîon  dé  l'art 
M.  arrivée.  Ce  qoe  les  figures  ont  gagné  eti  beadté,  elles  l'ont  perdu  du 
KHé  de  Faustérité  et  de  la  croyance.  Ce  n*est  plus  le  temps  où  le  dogme 
Kait  revêtu  de  ses  formes  consacrées;  c^est  plutôt  l'apothéose  d*un  paga* 
BÎsme  chrétien,  ou,  comme  on  parle  aujourd'hui,  la  réhabilitation  de  la 
onatîère  divinisée.  La  madone  est  descendue  de  son  siège  sacerdotal;  elle 
est  sortie  du  sanctuaire  des  basiliques.  A  l'ombre  d'un  pin,  au  milieu  d'un 
paysage  deRaphaél,  elle  s'assied  parmi  les  maures  de  la  campagne  sons 
la  figure  d'une  jeune  fille  d'Orbino.  Au  loin  blanchissent  les  toits  de  son 
filage  de  la  Romagne,  et  le  sentier  terrestre  par  lequel  elle  a  passé  ré- 
sonne sous  les  pas  des  cigales.  Ou  elle  habite  près  d'Andréa  Sarto ,  sous 
les  traits  d'une  Florentine  de  la  Via  Grande;  ou  elle  se  penche  dans 
l'aielier  du  Corrége  et  respire  sur  ses  lèvres  l'odeur  des  myrtes  de  Parme 
et  de  Crémone.  Le  Christ  lui-môme  est  devenu,  sous  le  pinceau  de  Mi- 
chel-Aoge,  un  autre  Jules  II,  un  pape  irrité  et  militant.  Ce  n'est  plus  le 
Dea  enseveli  dans  les  limbes  de  son  ascétique  passion.  Les  prophètes  de 
Jnda,  les  sibylles  de  Gumes  et  d'Ëphèse  se  rencontrent  ensemble  dans  la 
chapelle  Sixtine.  Sur  leurs  livres  obscurs  sont  mêlés  le  judaïsme,  le  pa- 
ganisme, l'Evangile,  tout,  hors  la  vieille  orthodoxie.  Ils  épèlent  ensemble 
le  mot  sibyllin  de  l'avenir  ;  dans  un  siècle  réformateur,  ils  sont  eux-mêmes 
le  symbole  d'un  monde  nouveau.  A  l'extrémité  de  l'Italie,  le  sensua- 
lisme se  déclare  ouvertement  dans  l'école  de  Venise.  Sur  les  toiles  de  Paul 
Tèrooèse,  le  vin  de  Lombardie  coule  à  flots  éternels  dans  la  cruche  des 
iioces  de  Cana.  La  cène  des  douze  apôtres  se  prolonge  nuit  et  jour,  avec 
la  magnificence  propre  aux  époux  de  la  mer.  La  pauvreté  évangélique  se 
ïceouvre  de  la  pourpre  du  Titien,  et  le  manteau  des  doges  est  jeté  sur 
les  épaules  des  pêcheurs  de  Galilée.  G'eo  est  fait  ^  la  chair  est  ressuscitée; 
^Q  fond  des  grottes  mystiques,  les  saints,  les  patriarches,  les  pères  de 
l^gHse,  les  innombrables  élus  du  moyen-âgearrivent  et  se  pressent  dans 
iè  paradis  sensuel  de  Tintoret. 

Aq  milieu  des  monumens  de  Florence,  Il  en  e^  an  que  je  ne  puis  effa- 
cer de  mon  souvenir ,  qui  me  tient  lieu  de  tous  les  autres,  et  dont  l'image 
^este  a  fini  par  m'obséder  :  il  est  dans  l'église  de  Saint-Laurent.  Ce 
monument  terrible  représente  pour  moi  le  caractère  de  l'Italie  moderne, 
telle  que  je  l'ai  comprise;  il  résume  tout  ce  qu'il  me  serait  permis  d'af- 
firmer sur  ce  pays.  Je  parle  de  la  chapelle  sépulcrale  des  Médicis,  par 
Michel-Ange.  On  pourrait  dire  tout  aussi  bien  que  c'est  le  caveau  se- 
paierai  de  Tltalie  elle-même,  et  que  c*est  elle  qui  rêve  sur  ce  tombeau. 
Le  mort  est  ceint  encore  de  la  cuirasse  du  moyen-âge  :  il  appuie  sur  son 
coude  sa  tête  chargée  d'un  casque.  Il  pense ,  et  c'est  de  cette  contem- 
plation qu'il  a  tiré  son  nom  :  il  Pensosot  Cette  méditation  da  tombeau 


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1d2  eeyue  des  dbux  mondes. 

est  si  profbadei  que  tous  croyez  voir  passer  sur  ce  front  de  pierre  iei | 
songes  frissonnans  du  sépulcre.  Il  pense  aux  temps  oubliés  de  la  gloire 
italienne,  aux  gonfaloniers  des  Guelfes,  à  la  bataille  de  Campaldino;  il 
pense  aux  flottes  de  la  Chiozza,  aux  murailles  pavoisées,  à  rempereor 
tudesque  qui  fuit  devant  la  couleuvre  milanaise  ;  et  la  mélancolie  do 
doux  pays  qu'en''erment  les  Alpes  et  que  baigne  la  mer,  est  tout  entière 
scellée  sur  ses  lèvres.  Au  pied  de  ce  trône  de  mort,  le  Jour,  la  Nuit, le 
Crépuscule,  1* Aurore,  languissent  couchés  sur  le  flanc.  Ces  personnages 
ont  la  solennité  rêveuse  qui  se  retrouve  partout  en  Italie,  au  lever  et  u 
coucher  du  soleil.  Les  rayons  funestes  qui  attristent  les  marécages  et  li 
campagne  de  Rome  pèsent  au  front  de  cette  famille  des  Heures  géaotes. 
Qu'attend-il  ce  Jour  gigantesque  pour  se  lever  debout?  La  Nuit,  sod 
épouse  funèbre,  qu'attend-elle  pour  sortir  de  sa  couche  ?  Jamais  des  jeux 
humains  n*ont  vu  un  si  étrange  couple.  Sont-ce  des  jours  passés  qui  se 
reposent  d*avoir  été?  Sont-ce  des  jours  futurs  qui  se  préparent  à  la  fi- 
tigue  d'être  ?.L'un  peut  être  comme  l'autre.  Levez- vous  donc,  Jour  éter- 
nel !  Aurore  immense  t  famille  sans  parens  et  sans  postérité!  Pour  qoe  les 
morts  ressuscitent ,  ôtez  la  pierre  de  ce  tombeau.  C'est  le  tombeau  de 
l'Italie. 


Au  moment  d'entrer  dans  la  campagne  de  Rome,  je  quittai  mon 
vetturino.  Pour  voir  de  loin  la  ville  à  découvert,  je  montai  un  de  ces 
chevaux  à  demi  sauvages  qui  errent  aux  environs.  Comme  j'allais  passer 
le  Ponte-Felice,  une  jeune  fille  sortit  d'une  masure  voisine  :  elle  s'ap- 
procha do  moi  en  m'apporlant  des  pêches  et  des  raisins  de  la  monugne. 
Ses  yeux  noirs  brillaient  au  soleil  sous  la  toile  blanche  dont  sa  tétc 
était  couverte;  de  longs  pendans  d'oreilles  tombaient  sur  sesépaoies; 
elle  avait  le  teint  des  beaux  marbres  quand  le  soleil  les  a  dorés;  et, 
avec  cela,  la  taille  d'Agrippine  dans  un  corset  écarlate  et  or,  tel  qœ 
jamais  sainte  dans  sa  châsse  n'en  posséda  de  plus  brillant  ni  de  plus  cha- 
marré. J'arrêtai  mon  cheval ,  et  je  la  contemplai  quelque  temps  avec  éun- 
nement  et  ravissement ,  comme  une  madone  rustique  descendue  de  sa 
niche. 

Après  la  Storta,  tout  vous  dit  que  vous  approchez  de  Rome,  cpasd 
même  rien  ne  vous  la  montre  encore  :  une  inquiétude  indéfinissable 
vous  saisit.  Au-delà  de  chaque  tumulus,  vous  vous  attendez  à  la  trouver; 
car,  de  ce  côté,  le  Monte-Mario  vous  U  dérobe  jusqu'au  dernier  mo- 
ment, et  vous  ne  la  voyez  en  plein  qu'à  l'instant  où  vous  la  touchez.  Oa 
ne  sait  de  quel  mot  se  servir  pour  décrire  cette  campagne.  Sans  village$| 


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TOYAGES  d'un  SOLITAIRE.  1S3 

lus  fermes  «  sans  babitaos ,  elle  est  aussi  sans  ombrages  et  sans  forêts.  Il 
^  plus  facile  de  dire  ce  qui  lui  manque  que  ce  qu'elle  renferme;  point 
Se  murailles»  point  de  haies  pour  diviser  les  champs;  rien  de  ce  qui  fait 
wlleurs  la  vie  champêtre;  point  de  chariots  roulans,  ni  d'instrumens  de 
labour;  point  de  prairies^  point  de  sillons;  ni  plaines,  ni  montagnes.  La 
^gure  de  ce  terrain,  rompu  en  terrasses  et  en  ligne  droite,  a  une  sorte 
^analogie  avec  la  majesté  des  formes  romaines;  et  la  grandeur  de  ces  pla- 
teaux semble  taillée  sur  le  môme  plan  que  l'architecture  et  que  l'ordre 
rustiques.  Du  côté  de  la  Sabine,  les  redans  de  Tivoli,  de  Frascati,  ouvrent 
SOT  la  plaine  de  larges  voûtes  d'ombre  ;  l'horizon  est  fermé  par  la  cor- 
nicbe  du  Monte-Cavo.  Ce  qu'il  y  a  d'étonnant;  c'est  que  dans  cet  espace, 
droooscrit  de  toutes  parts,  il  y  a  encore  plusieurs  places  que  la  géogra- 
phie n'a  point  explorées  (1),  et  qui  restent  en  blanc  sur  ses  cartes , 
comme  si  elles  étaient  au  centre  de  l'Asie.  A  l'endroit  où  le  sol  se  brise , 
k&  ruisseaux  encaissés  roulent  sous  des  arches  de  plantes  grimpantes 
et  de  vignes  sauvages ,  où  s'abritent  toujours  une  foule  d'oiseaux  de  ma- 
rais. Le  Tibre  seul  coule  k  fleur  de  terre  dans  son  lit  volcanique,  où  il  se 
recourbe  et  se  replie  sans  cesse.  En  remorquant  un  bateau,  des  buffles 
bruns  laissent  tomber  dans  ses  flots,  comme  un  fardeau,  leur  ombre 
velue.  Du  haut  des  plateaux,  vous  voyez  surgir  une  des  tours  féodales  des 
Colonna  ou  des  Orsini,  ou  bien  des  aqueducs  qui  traversent  la  campagne 
dans  tous  les  sens,  comme  des  escadrons  rompus,  ou,  dans  un  ravin, 
quelque  petit  pont  recouvert  de  créneaux  pour  défendre  le  péage,  ou  une 
misérable  locande,  d'un  blanc  mat,  exhaussée  sur  des  tas  de  débris,  et 
quelquefois  sur  un  tombeau.  Par  delà  de  minces  barrières  qui,  k  de  grands 
intenralles,  divisent  cette  campagne  déserte,  passent  de  noirs  troupeaux 
de  cavales  effarées  :  un  seul  berger  les  suit  k  cheval  et  armé  de  son  grand 
bois  de  latice.  Plus  on  approche,  plus  la  solitude  augmente.  Enfin ,  à  la 
descente  d'un  mamelon,  vous  apercevez  à  la  fois ,  lÀ-bas  dans  la  plaine, 
un  coin  de  la  ville  et  une  échappée  du  golfe  d'Ostie  :  Rome  et  la  mer, 
ces  deux  infinis  ensemble. 

Si  au  lieu  d'entrer,  selon  l'usage,  par  la  porte  du  Peuple,  vous  entrez 
par  celle  qai  touche  au  Monte-Mario ,  vous  aurez  un  spectacle  afTreux , 
nais  analogue  à  celui  que  vous  venez  de  quitter.  Au-dessus  de  la  mu- 
hille,  vous  verrez ,  pour  inscriptions,  des  têtes  de  morts  entassées  dans 
des  cages  de  fer.  Pour  ma  part,  une  des  premières  choses  qui  me  frap- 
pèrent en  arrivant,  ce  furent  ces  crânes  de  morts  qui  ricanaient ,  comme 
dans  le  préambule  de  la  tragédie  d'Hamlet,  sur  la  porte  de  la  ville  éter- 
nelle. 

M  Yoyea  la  carto  de  tir  Gell.  isai 


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fS4  UTUX  BBS  nwx  mokom. 

B  y  a  trois  BloineSt  celle  de  raotiqultéi»  celle  du  mo^ea-âgies»  cotte  de 
la  renaissance» 

La  première  a  usurpé  loutes  les  ruines  de  Tltalie  aucienna»  comm 
tauies  ses  grandeurs  :  elle  a  quelque  chose  de  monstrueux  dans  ses  débri^ 
qui  convient  bien  à  Tempire  que  ces  débris  rappellent.  Par  exemple,  lei 
Xbermes  de  Garacalla»  dans  leurs  masses  informes,  témoigneraieoi, 
eux  seuls ,  de  Tespéce  de  délire  qui  possédait  le  monde  sous  les  CésM 
Dans  cette  Babel  écroulée,  on  ne  peut  reconnaître  aucun  plan;  ce  qui 
n'arrive  jamais  avec  le  génie  grec»  lequel  conserve  sa  noblesse  et  sa  cor- 
rection jusque  dans  ses  derniers  débris.  Malgré  cela,  une  beauté  sur 
yage  ressort  de  cette  architecture  orgiaque,  A  travers  les  lézardes,  oq  a 
pratiqué  un  petit  escalier  en  bois»  qui  conduit  sur  la  cime  de  ce  chaos  dp 
murailles.  De  là  »  on  domine  toute  la  viUe  antique;  vue  de  ce  côté»  ellei 
le  caractère  babylonien  des  prophéties;  car  le  vrai. caractère  de  la  Roiae 
païenne  est  d'être  comme  frappée  d'une  étemelle  condamnation.  JeoV 
jamais  passé  sur  le  Forum  sans  remarquer  l'inscription  de  l'arc  de  triom- 
phe de  Constantin  :  Au  fondateur  du  repos  (fatidatori  quietU  ).  Étno^ 
moment  de  repos  que  le  temps  qui  touchait  aux  invasions  des  Goths,  dfii 
Alains»  des  Hnos»  des  Vandales»  des  Lombards,  ta  vieille  ville  étaitlasM, 
e%  demandait  merci.  Parce  qu'elle  avait  sommeillé  une  nuit»  ellest 
croyait  sauvée  ;  mais  ce  qu'elle  appelait  le  repos  n'était  <que  le  coromeac^- 
ment  de  ses  misères;  et  cette  inscription  est  une  ironie  de  Jebovabjeté 
sur  le  Jupiter  abattu  du  Campo-Vacciuo.  Le  culte  catholique»  qui  sorg^  | 
partout  sur  les  ruines  du  paganisme,  en  fait  autant  de  monumeos  delà  ' 
Providence.  On  dirait  que  Tarchange  du  christianisme  les  frappe  iaceir 
samment»  et  qu'il  disperse  de  sa  verge  les  dieux  attardés  dans  cette  iosh 
phat  de  briques  et  de  marbre»  D'ailleurs»  ces  monumens  ne  sent  point 
défendus ,  comme  ceux  de  la  Grèoe,  par  leur  beauté  olympienne;  ik 
n'ont  point  été  non  plus  oubliés  sur  la  cime  des  monts  :  an  contraire» 
Us  sont  foulés  et  heurtés  sans  cesse,  sur  le  graad  chemin  du  monde»  ptf 
la  vengeance  du  dieu  jaloux.  Jour  et  nuit,  dans  le  Colysée»  au  pieddiB 
la  croix  de  bois  qjui  s'élève  an  milieu  du  cirque»  l'orgueil  delalWiM 
patricienne  et  ses  espérances  superbes  sont  livrés  à  la  dent  des  lions  ia- 
visibles. 

Tout  cela  fait  que  Rome  n'est  jjamais  si  belle  qu'à  la  lumière  d'un  granA 
orage»,  tel  que  chaque  été  en  amène  plusieurs  dans  son  puissant  cUoiA* 
JDe  bonne  heure»  le  sirocco  s*abat  sur  la  campagne;  tout  se  tait  comme! 
l'approche  d'un  oiseau  de  proie.  Dians  l'atmosphère^  nage  une  vapeur 
brûlante.  La  tôte  des  hauts  pins  de  la  villa  Pamphili  se  balance  à  l'horuao* 
Des  bandes  de  goélands  et  d'oiseaux  de  mer  remontent  d'Ostie;  ils  s'a« 
battent  sous  les  voûtes  des  ponts  déserts.  Le  Tibre  change  de  couleur;  il 


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rmde^omme  imlIenTeînferniif  à  travers  sacampagiffi  maadfte.  On  entencF 
des  Minpifs  cfal  sortent  par  iMntfTée  des  rocaîlles  de  Roma-Yecchia.  Quanti 
tes^kiirs  plas  Tréquens  jailKssent,  ils  entourent  (fune  auréole  de  colère 
h  etme  du  Cotisée»  Ta  tour  de  Néron,  les  créneaux  du  môle  d'Adrien»  et 
les baots obélisques  des  places.  On  dirait  que  le  sépulcre  du  vieux  monde 
ifonvre  et  se  ferme  sous  une  main  invisible.  Alors  les  ruines,  que  dorait 
auparavant  un  brtlfant  soleil,  sont  pins  blêmes  que  des  spectres.  Une 
odeur  fade  s'Ahale  des  orties  en  fleur  des  Thermes.  A  mesure  que 
les  nuages  entassent  leur  architecture  flamboyante,  ils  deviennent 
couleur  de  sang.  A  la  fin ,  leur  cité  vagabonde  crève  sur  te  front  de  la 
eité  condamnée.  (Test  Fheure  où  les  chiens  égarés  s'abritent  dans  le 
tombeau  de  Geeîlia  Meteila.  La  petite  porte  de  bois  qui  ferme  le  jardin 
des  Césars,  sur  le  mont  Palatin ,  s'agite  en  criant  sous  les  pieds  des  bou- 
quetins et  des  chèvres  errantes.  Si  en  ce  moment  T angélus  tinte  à  la  élo- 
ebe  de  Saînt-Omiphre ,  ce  faible  son  est  bientôt  répété  par  mille  autres; 
à  peine  ce  dernier  bruit  se  meint ,  qu'un  immense  murmure  s'exhale  de 
ferre.  Les  confréries  âts  morts  élèvent  leurs  chants  lamentables  sur  le 
penchant  de  TAventin.  La  Rome  chrétienne  s'agenouille  sur  le  sépulcre 
de  la  Rome  païenne;  tout  redit  au  loin  d^jns  la  nuit  :  Miserere  î  miserere t 
A  la  Rome  du  moyen*âfge  appartiennent  les  cloîtres  bysantins,  les 
banliques,  les  peintures  en  mosaïque.  Ces  dernières  surtout,  quoique 
peu  remarquées,  sont  certainement  les  monumens  qui  sont  le  plus  em- 
preints de  Tesprit  des  premiers  témpsdu  christianisme. L'époque  qu'elles 
reproduisent  est  eelTe  oà  Fart,  tout  sacerdotal,  n'était  qu'une  dépendance 
de  la  liturgie.  D*ailleurs,  dans  ces  peintures  se  retrouve  la  même  barba- 
rie que  dans  la  tangue  des  pères  de  l'Église,  avec  le  même  genre  de  su- 
biîRrité  quand  elfes  s'élèvent  jusque-là.  Leurs  rapports  naturels,  dans 
Rome,  sont  avec  les  catacombes,  avec  les  coupoles  lombardes ^  avec  le 
chant  grégorien ,  avec  le  vieil  orgite  de  Bysance ,  avec  la  poésie  des  Kta- 
oîes  et  du  Dies  irœ.  Je  me  souviendrai  hnig- temps  de  celle  de  Saint-Paul 
Iréfsdes  murs.  On  sait  que  cette  basilique  du  rv«  ou  du  v«  siècle  a  été 
brûlée  de  fond  en  comble  en  18^.  Quand  je  la  vis ,  H  ne  restait  que 
Ftpaîde  du  chœur;  mats  cette  partie,  la  seule  qui  ait  été  sauvée ,  était 
ausaf  la  plnsprécîense  ;  car  elle  est  remplie ,  du  haut  en  bas ,  par  la  pein- 
tiffe  la  phi8  gigantesque  qui  existe  assurément.  Le  Christ  qui  en  feit  le 
«•jet  est  debout;  il  est  grand  de  toute  fe  hauteur  de  l'église.  Ses  pieds 
ttuebent  le  pavé,  sa  tète  soutient  la  voCtte.  Quoique  ce  oolosse  soit  certes 
d'ime forme  barbare,  la  refigion  qni  règne  dans  ses  traits ,  dans  sa  pose, 
tes  seo  geste,  est  si  profonde,  que  j'en  ftis-saisi  comme  de  la  vue  d'un  por- 
tnUfllargiqtie,  esqnîssétpar  lu  main  d*un  martyr.  Le  Christ  des  premiers 
âges^dlait  là  pensif  sur  les  raines  de  son  égKse.  Sous  ses  pieds  croissaient 


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156  RETUB  DIS  DEUX  MORBES. 

les  ronces  de  la  campagne.  Les  cigales  altérées  criaient  aatoar  de  loi  ;  et   :! 
mon  cœur,  plus  altéré  mille  fois  que  les  cigales  y  8*élerait  par  bonds  ji»-    ' 
qu'à  rimpression  de  cette  foi  perdue  dont  ces  pierres  portaient  le  témoi-  la 
gnage.  J*a?ais  beau  me  retirer  et  changer  de  place ,  cette  grande  pto- 
pière  s'ouvrait  et  s'abaissait  toujours  sur  moi.  Je  voyais  passer  les  naa^ 
au-dessus  de  sa  tête ,  et  à  quelque  distance  de  là  blanchir  les  murailles 
de  la  ville.  Tout  cela  rappelait  la  légende  du  Christ  voyageur  à  la  porte 
de  Rome.  D'ailleurs,  je  n'étais  pas  seul;  au  milieu  des  fats  de  colooDes 
épars,il  y  avait  une  dizaine  d'ouvriers  qui  sciaient  des  pierres  en  sifflant, 
emblème  frappant  de  l'état  de  l'église  spirituelle,  et  du  petit  nombre  de 
ceux  qui  la  relèvent.  Depuis  ce  temps-là ,  j'ai  vu  les  cbefis-d'oeuvre  da 
Vatican;  mais  rien  ne  m'a  paru  d'un  effet  plus  saisissant,  ni  phis  apoca- 
lyptique ,  que  ce  Christ  du  iv*  siècle,  debout  ^nr  les  ruines  de  sa  basi- 
lique, au  milieu  des  broussailles  et  des  buffles  de  la  campagne  de  Rome. 

Les  murailles  qui  entourent  la  ville,  avec  leurs  petites  portes,  flanquées 
de  tours,  sont  à  peu  près  du  même  temps;  elles  réveillent  des  impresaioDS 
analogues.  Quand  on  aperçoit  de  loin  ces  murs  lézardés  et  leurs  cbétili 
créneaux,  il  est  impossible  de  se  défendre  d'une  immense  pitié.  On  se 
figure  cette  Rome  dont  les  faubourgs  touchaient  à  la  Propontide  et  à 
l'Armorique,  et  qui  se  resserre  de  plus  en  plus  à  l'approche  des  invasions 
barbares.  Elle  se  retire  peu  à  peu  comme  une  eau  fétide  et  tarie; 
d'abord  elle  se  cache  derrière  le  Rhin ,  puis  derrière  les  Alpes ,  et  soo 
inexorable  ennemi  la  suit  à  grands  pas  ;  et  le  jour  arrive  où  elle  est  tout 
entière  enfermée,  comme  un  archer  blessé ,  derrière  les  créneaux  delà 
Porta  Pia  et  de  Saint- Jean  de  Latran.  Qui  n'eût  cru  que  c'était  là  sa  der- 
nière  heure?  Mais  quand  cet  abri  lui  manqua ,  elle  jeta  le  glaive  et  prit 
la  croix.  Alors  la  foule  se  retira  et  disparut  par  mille  chemins;  d'elles- 
mêmes  les  portes  se  refermèrent  sur  une  Rome  nouvelle ,  plus  redoa- 
tée  que  l'ancienne.  Au  loin,  la  campagne  resta  frappée  de  stupeur;  et 
c'est  le  sentiment  que  Ton  vit  au  milieu  de  ce  perpétuel  miracle  qoi 
exalte  à  la  longue  les  plus  froids,  et  qui  fait  de  Rome  le  séjour  le  plus 
extraordinaire  et  le  plus  sérieux  de  la  terre. 

Si  l'on  veut  voir  combien  cet  effet  est  propre  à  ce  pays,  il  faut  comparer 
Rome  à  Athènes.  Au  milieu  de  sa  forêt  d^oliviers,  Athènes  restera  tou- 
jours païenne.  Les  hommes  auront  beau  la  changer  et  la  détruire;  % 
n'empécijeront  pas  son  ciel  de  s'épanouir,  ni  sa  mer  de  sourire  dans  onc 
perpétuelle  olympiade.  Sa  campagne  restera  toujours  riche  et  féconde. 
Ni  la  douleur  ni  la  passion  du  Christ  ne  pèseront  snr  elle  comme  sur 
l'horizon  romain.  Toujours  ses  petites  églises  seront  les  desservantes  des 
temples;  Périclès  y  fera  oublier  saint  Paul;  et  jusqu'à  la  fin  des  temps, 
Athènes  ressemblera  à  ces  jeunes  catéchumènes  dont  le  cœur  restait 


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TOTAGBS  d'un  SOLITAIRE.  157 

païen  quand  leur  boucbe  était  d^à  chrétienne.  An  contraire ,  dans  Rome 
tout  est  chrétien ,  jusqu'au  paganisme  lui-même.  Le  Christ  a  si  bien  pris 
possession  de  ce  pays,  qu*il  y  est  partout  visible.  H  faut  fermer  les  yeut 
pour  ne  le  point  apercevoir  à  ses  côtés.  La  courte  épée  des  légions  a 
TaiDCUy  et  lia  arboré  son  vexillum  sur  les  colonnes  triomphales.  Les 
hommes  se  sont  creusé  les  uns  aux  autres  des  tombeaux ,  et  lui  s*est  cou- 
ché à  la  place  des  morts  dans  le  sépulcre.  Ib  ont  élevé  des  temples  à  leurs 
idoles,  et  lui  est  entré  dans  le  sanctuaire,  k  la  place  de  leurs  dieux.  Ils  se 
sont  bâtis  des  prétoires  pour  y  rendre  la  justice,  et  lui  s'est  assis,  comme 
la  justice  éternellement  vivante ,  sur  le  siège  du  préteur.  Us  ont  élevé 
des  cirques  pour  y  voir  le  combat  des  gladiateurs,  et  lui  s'est  assis  sur 
les  gradins  du  Colysée,  pour  y  voir  l'empire,  ce  grand  gladiateur,  tomber 
sous  répée  des  archanges.  Il  semble  ainsi  que  le  paganisme  latin  ne  fut 
rien,  en  lui-même,  qu'une  pompe  magnifique  et  vide,  préparée  d'avance 
pour  couvrir  la  nudité  du  christianisme,  au  sortir  du  désert  de  Bethléem . 

Mais  ce  qui  achève  de  donner  à  Rome  ton  caractère,  ce  qui  fait  qu'elle 
est  elle-même  l'emblème  permanent  du  catholicisme ,  le  voici  :  Au-des- 
sus des  ruines,  des  basiliques,  des  mosaïques ,  au-dessus  de  l'antiquité  et 
do  moyen-âge,  la  coupole  de  Saint-Pierre  s'élève  comme  la  domination 
visible  de  la  papauté.  Rien  n'est  plus  facile  que  de  faire  la  critique  menue 
de  cette  église  géante.  C'est  dans  ses  rapports  avec  Rome  tout  entière  qu'il 
faut  la  considérer.  De  presque  tous  les  endroits  de  la  plaine,  et  surtout 
des  hauteurs  de  Frascati ,  d' Albano ,  du  Monte-Cavo ,  vous  apercevez  tou- 
jours au  loin,  dans  le  désert  de  la  campagne ,  ce  dôme  qui  marque  la 
place  de  Rome;  c'est  la  triple  couronne  et  la  mitre  de  \A  ville  étemelle. 
Home,  avec  tous  ses  siècles,  ne  fait  pour  ainsi  dire  qu'un  seul  monu- 
ment, dont  l'unité  est  analogue  à  celle  du  catholicisme.  Ses  fondemens 
iont  cachés  dans  les  catacombes  des  martyrs;  sa  tète  est  chargée  de  la 
coupole  de  la  cité  nouvelle.  Si  le  dôme  de  Saint-Pierre  manquait  k  Rome, 
elle  serait  toujours  la  ville  des  tombeaux  par  excellence,  mais  elle  ne 
serait  pins  l'emblème  visible  de  l'Ëglise  triomphante.  Il  lui  manquerait 
sa  tiare. 

Cette  Rome  de  la  renaissance  est  en  quelque  sorte  une  Rome  ressuscitée 
sar  le  tombeau  de  la  Rome  des  martyrs.  L'image  que  les  chrétiens  du 
loofeo-âge  se  faisaient  de  la  cité  de  l'avenir,  semble  avoir  été  réalisée, en 
puiie ,  par  la  sculpture  et  par  la  peinture  du  seizième  siècle  ;  cet  art  ne 
An  lai-même  si  puissant  que  parce  qu'il  accomplit  sur  terre,  quoiqu'en  le 
nhaissant,  l'immense  idéal  qui  avait  obsédé  le  cœur  des  hommes.  La  ville 
des  âmes  fut  Téritablement  alors  bâtie  de  pierre  et  de  dment;  et  la  Rome 
do  papnisme ,  du  christianisme ,  du  moyen-âge ,  de  la  renaissance ,  com- 
prenant tous  les  temps ,  toutes  les  formes ,  devint  l'image  de  la  cité  de  la 


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18S  uvuK.nE8  BBim 

provideiioe  oa  de  Phistoire onîTerselle.  Aussi,  lorsque TcnuToyes  deloio^ 
sur  la  place  de  Saint- Pierre ,  l'obélisqve  projeter  eon  ombre  rar  le  méri- 
dien tracé  à  sa  base ,  cette  aiguille  colossale  d'aoe  colossale  horloge  m* 
laire  semble  marquer  silencieusement  l'heure  de  Féternité  dans  la  fifie 
étemelle. 

Pour  achever  cette  Rome  catholique,  les  deux  artistes  de  la  papaoté, 
Michel- Ange  et  Raphaël,  se  sont  partagé  le  double  génie  de  TégNse.  Le 
premier  a  reçu  Tinspiration  de  la  Bible ,  le  second  ceHe  de  TEfangiie. 
AJnsi  l'Ancien  et  le  Nouveau-Testament  de  l'art  ont  reçu  à  la  fois  km 
deux  révélateurs. 

L'école  de  Venise  répondait  au  génie  d'une  aristocratie  seosnelle ,  ceHe 
de  Florence  aux  traditions  d'une  démocratie  chevaleresque  et  lettrée; 
Pécole  de  Rome  représenta  rinstitution  souveraine  par  excellence,  la  pa- 
pauté. Lespeinires  ascétiques  du  moyen-âge  étaient  dans  on  rapport!»* 
turel  avecrarebttectareascétii|«eq«i*ils  décoraient  de  leurs  fresques,  aree 
Féglise  de  Saint-François-d' Assise  et  le  cimetière  des  Pisans;Jes  Floreo- 
tins  avec  leurs  églises  patrMia'ea  et  le  baptistère  de  la  comoitine;  Fiesole 
avec  les  cellules  des  cloître»;  Titieuataee  Le  palais  des  doges.  Raphaéi  et 
Michel- Ange  introniaërent  Tart  sor  le  Saint-Siège.  Leur  génie  poavait 
èdater  partout;  leur  vraie  place  était  au  Vatican. 

Si  l'on  veut  voir  d'un  seul  coup-d'oeil  l'auvre  épique  de  la  traditioi 
chrétienne,  il  suffit  de  regarder  les  fresques  de  Raphaéi.  Les  traosfor- 
mations  continues  de  l'art  y  sont  d'autant  pkis sensibles  qu'une  partie  dt 
vieux  génie  liturgique  palpite  encore  et  revit  sons  oes  formes  noo^eUes. 
Cet  idéal  s'est  développé  dans  Tart  de  la  même  manière  qoe  le  dogna 
dans  l'église.  Ce  n'est  point  en  un  jour  que  Téglise,  oette  madone  des 
tombeaux ,  a  revêtu  les  pompes  et  la  gloire  de  la  papauté  ;  elle  a  passé 
par  le  martyre.  Avant  de  s'éveiller  anx  joies  dn  siècle  de  Léon  X ,  eliei 
chanté,  dans  le  sépulcre  du  moyen-<âge ,  ses  litanies  de  mort.  De  nésie, 
la  peinture  de  Raphaéi  n'est  pas  l'cravre  d'un  seul  homme.  On  poerrail 
rappeler  une  peinture  épiqve,  parce  qu'elle  a  résumé  tont  ceqni  l'a  pré- 
cédée, tellement  liée  à  la  tradition,  qu'elle  semble  souvent  indépesdails 
de  la  vohmté  et  du  choix  de  l'artiste.  Elle  anssi  a  langni  dans  les  lé- 
pnlcres  des  cénobites.  Elle  s'est  dérobée  tm  monde  palen>  avec  les  formes 
bysantinea,  au  fond  des  cataeemëes  ;  eMe  a  vécu  dans  les  eenBles<dnqDt- 
terzième  siècle,  et  ^ans  le  Campo  Saoto  4es  Pisans.  Ausai  ^  daDSSoa 
triomphe ,  elle  garde  quelque  chose  de  son  martyre.  Sons  sa  beanté  épi* 
Doule  au  soleil  de  la  renaissance,  rojo»  reconnaissez  les  traces  ^l'aseé- 
tiameet  de  la  donlefir^u  moyeft-âge.  Raphaël  représente  4a  traditieB  dt 
l*figlise.  Il  y  a  en  Ini  du  Penrgîrk,  dit  Masaocio  et  dn  Irère  Aafèli^pie. 

Tant  antre  est  Micïhel-Ange.  ft  ii^  ni  maître  ni  pnasé.  Si  na  dèoovfra 


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voYiÉflin  D^oi  saur AiMu  IM 

^lui  une (Oananté véritable  atec Dante el l^a seulpteurs  pîsaoSyyil  tieoi 

de  Tâpreté  des  discordes  civilas^  de  la  véhémeiice  de  Savaoarole ,  de  l'ea» 

prîi  tumoltueus  des  Guelfe»  et  de&  Git>e4fii»»  il  a  par-dessus  tout  l*esprit 

d*infaillibiliié  qui  ne  doit  riea  qu'à  lui-même.  li  fait,  il  accroît  lalradi- 

tioD^il  ne  la  reçoit  pas.  Il  gouxrerney  il  règne  de  U  même  maaièreque  le 

pspe.  Il  est  le  fils  aloé  du  dieu  de  Taru  Daas  son  plttlooisme  biblique ,  il 

entrevoit  des-  idées ,  des  formes  que  lui  seul  a  aperçues;  il  les  impose  au. 

mo&de,  et  le  monde  s'y  soumet.  Ses  œuvf'CS  sont  desdéereta;  son  dieu  eat 

le  dieu  de  rexconununication;  sa  madone  est  celle  de  la  vengeance;  sooi 

ciel  nienace.  Des  nuages  de  colère  portent  aux  quatre  vents  son  Jebovab. 

Daos  U  cbapeHe  Sixiine^  ses  propriétés  écrivent  sur  leurs  livres  d'or  la 

bulle  d'interdiction  des  empires  futurs.  Ses  sibylles  de  Cumeset  d'É* 

pbèse  sont  émues  par  avance  des  ana thèmes  du  moyen-âge.  Il  y  a  en  iuîi 

do  Grégoire  VU,  comme  il  y  a  du  Léon  X  dans  Raphaël. 

Maiscette  Rome  de  Tantiquité,  du  moyen-^ge,  de  la  renaissance,  est 
eimore  iacoraplàte  et  morte;  pour  lui  donner  la  ^e ,  il  faut  y  ajouter  les 
fttesdt]  catholicisme. 

Un  des  principaux  omemeas  de  ces  fêtes  est  le  peuple  même  de  Rohh» 
et  de  la  campagne  ;  il  fait  comme  partie  nécessaire  des  cérémonies  et  du 
rituel  de  la  papauté.  Il  adore  pour  adorer,  il  prie  pour  prier.  C'est  un  ar- 
tiste en  matière  de  foi,  au  moins  autant  qu'un  dévot  de  profession;  car, 
méroedaus  l'idoUtrie  du  mendiant  romain ,  il  y  a  un  certain  désintéres- 
iemeoL  Quand ,  au  temps  de  Noèl ,  les  pi^ruri  descendent  des  mon- 
Isgne8,.la  Voie  Sacrée  résonne  sous  Us>sourieffs  ferrés  des  bergers.  A  tous 
lescoins  de  rue,  on  entend  le  murmure  descbaluB4eaux.et  des  musettes. 
d^Eraadre,  qui  éveillent  leCbrist  aouveau-né.  Ces  rites  rustiques  cbaap> 
gent  avec  les  saisons  ;  ils  rappellent  le  temps  de  la  primitive  ËgUse ,  où  le 
peuple  était  acteur  dans  la  liturgie.  Les  femmes  de  la  campagne  ontaossî 
00  caractère  de  beauté  q^ji  s'allie  avec  les  caodt4abres,  avec  les  statues» 
tvec  les  tableaux  de  l'Église  romaine.  Lorsque  les  femmes  d'Aibaoo ,  de 
îiwli,  de  Frascati,  se  Rassemblent  sur  les  degrés  de  Saint- Pierre ,  il  est 
rire  que  Ton  ue  retrouve  pas  parmi  elles  des,  airs  de  tète  des  sibylles  de 
Bapbaél  et  du  Dominiqun.  Cette  ressemblance  entre  les  monumens  d# 
hn  etee  peuple  de  pèlerins  est  une  des.cbotfes  «qui  eontribue  le  pbis  à 
iWmoaie  et  à  la  magie  des  fetes  de  Rome:. 

Eafia^  le  grand  jour  aiTii>e  ;  le  soleil  de  PiU]ues  se  lève  sur  les  monta 
de  la  Sabine.  Depuis  la  veille ,  les  pèlerins  s'assem^lentvaur  la  place  da 
Saint-Pierre.  Vers  le  milieu  du  jour,  les  portes  du  balcon  s'ouvueiu;  U 
ae  lait  un  grand  silence  ;  la  foule  tombe  à  geoeuc.  Sur  ce  faite  des  arts» 
des  mines,  des  souvenirs^  parait,  assis  sur  son  trône,  un  bomme  vèttt 
4thïdL0C^,  couvert  d'une  «mitre.  C'est  celui  eu  qui  tous  les  morts  s'u 


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100  RETUB  DBS  DEUX  MONDES. 

sent ,  et  qui  est  la  parole  et  la  vie  de  tout  cet  horizon  muet.  On  apporte 
devant  lui  un  livre  que  des  prêtres  à  genoux  soutiennent  sur  leurs  épaa-  i 
les  y  comme  le  livre  des  destinées  humaines;  il  en  lit  quelques  lignes  i   ' 
haute  voix;  le  silence  est  tel,  que  lorsqu'il  ferme  le  livre,  le  bruit  de 
cette  page  froissée  s*entend  au  loin.  Puis ,  seul  au-dessus  de  cette  Rome 
à  genouxy  il  se  lève  debout  :  étendant  les  bras  sur  elle  pour  Tenceindrede 
la  miséricorde  divine ,  il  prononce  les  paroles  connues ,  à  la  ville  et  n 
monde f  les  cloches  éclatent ,  le  canon  gronde,  la  foule  se  relève.  Un  cri 
d'enthousiasme  païen  s'échappe  encore  de  cette  terre  épuisée  ;  Rome  re- 
naît et  vit  des  siècles  de  siècles  en  cet  instant.  La  campagne  déserte,  les 
ruines,  le  môle  d'Adrien,  qui  est  tout  près,  le  Tibre ,  l'assemblée  des 
pèlerins,  et  au  sommet  de  tout  cela,  sous  le  dôme  de  Michel- Ange,  cet 
homme  éternel  et  sans  nom ,  le  pape ,  le  seul  habitant  permanent  et  Tim- 
mortel  pèlerin  de  la  cité  catholique ,  il  n'est  personne  qui  ne  reste  frappé 
pour  toujours  d'un  si  extraordinaire  spectacle. 

Heureux ,  m'écriai-je  en  moi-même ,  le  lendemain  en  quittant  Rome, 
saisi  encore  de  Timpression  de  la  veille!  heureux  ceux  qui  croient,  si  ce 
sont  là  les  sentimens  de  ceux  qui  doutent!  Se  peut-il  qu'une  institution 
semblable  vienne  à  mourir?  Est-ce  fait  de  la  foi  des  aïeux?  N'ai-je 
vu  ici  qu'un  fantôme,  une  ruine  sur  une  ruine,  ou  est-ce  mon  cœur  qui 
est  mortT 

O  ville  grande  et  glorieuse,  puisque  tu  renfermes  encore  la  seule  ques- 
tion qui  occupe  l'univers  et  qui  mérite  d'être  débattue  !  ton  chef  restera- 
t-il  le  chef  du  monde,  et  toi  resteras-tu  la  reine  des  reines?  seras-ta 
comme  toutes  les  villes  que  se  sont  bâties  les  hommes?  auras-tu  ton  le- 
vant et  ton  couchant?  ou,  comme  la  ville  de  Dieu,  répareras-tu  éternel- 
lement tes  brèches  ? 

Si  celui  qui  t'a  bénie  hier  venait  à  mourir  demain,  et  à  disparaître  sans 
saccèsseur,  y  aurait-il  une  solitude  semblable  à  la  tienne?  Alors,  toi,  la 
ville  des  ruines ,  tu  saurais  pour  la  première  fois  ce  que  c'est  que  d'être 
désolée;  car,  tant  que  ce  vieillard  habite  la  même  tombe  que  toi,  ton 
désert  est  rempli  ;  il  est  l'époux,  tu  es  l'épouse.  S'il  se  meurt,  tu  te  meurs. 
S'ilrenatt,  tu  renais. 

Pèlerin  du  doute,  j'ai  fait  ce  que  font  les  pèlerins  de  la  foi;  j*ai  visité 
les  tombeaux;  j'ai  touché  dans  les  catacombes  les  os  des  martyrs.  Les  pas- 
sans  qui  me  voyaient  auraient  pu  dire  :  Voilà  un  fidèle  croyant.  Mais 
eux  priaient,  et  moi  j'écoutais;  eux  adoraient,  et  moi  je  cherchais  à  ado- 
rer ;  et  quand  je  m'agenouillais  comme  eux ,  mon  esprit  rebelle  se  tenait 
debout,  au  milieu  de  l'église,  en  face  de  l'hostie.  J'aurais  pu,  comme  on 
autre ,  prendre  pour  une  marque  de  foi  les  amusemens  de  ma  fantaisie, 
et  les  ébranlemens  de  mon  imagination.  Mais  ce  leurre,  à  mou  avis ,  plas 


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YOTAGBS  d'un  SOLITAIRE.  161 

\  impie  que  le  blasphème  ne  in*a  point  séduit.  Entre  le  poète  qui  rêve  et 
\  le  fidèle  qui  croit ,  il  y  a ,  quoi  qu'on  en  dise ,  tout  un  abtme.  Je  préfère  ne 
Tien  croire,  je  préfère  ne  rien  aimer,  plutôt  que  de  croire  ou  d'aimer 
quelque  chose  à  demi. 

Je  ne  crois  pas  en  toi ,  reine  de  toute  croyance;  et  s'il  en  était  autre- 
ment, je  le  confesserais  de  même  ;  mais  je  t*adore,  mère  de  toute  beauté. 
Ta  es  pour  moi  l'étemelle  madone  assise  sur  tes  ruines,  et  pleurant  dans 
ta  campagne  au  pied  de  la  croix  du  monde;  et  si  tu  veux  que  je  dise 
qaelque  chose  de  plus,  je  le  dirai  encore  :  Mon  cœur  privé  de  toi  est  plus 
fide  en  te  quittant  que  ta  vide  Maremme,  et  mon  désert  plus  grand  que 
tOD  désert,  depuis  le  pied  des  montagnes  jusqu'aux  rives  de  la  mer. 


VI. 


Lorsque  j'arrivai  à  Naples,  le  Vésuve  était  en  pleine  éruption.  Pendant 
le  jour,  la  lave  roulait  ses  flots  noirs  du  côté  de  l'Annonziata  et  de  Pompéie. 
Vers  le  soir,  les  torrens  se  changèrent  en  une  ceinture  ardente  qui  se 
nouait  et  se  dénouait  dans  les  ténèbres.  Jattendis  impatiemment  le  len- 
demain pour  monter  sur  le  bord  du  cratère  au  milieu  de  la  nuit. 

A  huit  heures  du  soir,  je  partis  du  petit  bourg  de  Torre-del-Greco. 
Après  une  heure  de  marche  j'arrivai  à  l'ermitage.  La  nuit  était  fort  noire. 
J'allumai  ma  torche;  l'ermite  me  souhaita  bon  voyage;  je  repris  mon 
chemin  avec  mon  guide  ;  J'eus  bientôt  atteint  le  pied  du  cône.  A  cette 
distance,  fêtais  trop  près  du  volcan  pour  le  voir;  seulement  j'entendais 
au-dessus  de  ma  tète  des  explosions  que  les  échos  grossissaient  d'uue  ma- 
nière formidable,  et  une  pluie  de  pierres  qui  roulaient  de  choc  en  choc 
dans  les  ténèbres.  Du  milieu  de  tout  cela,  sortait  un  grand  soupir  comme 
d'un  homme  qu'on  lapide.  Lèvent  éteignit  ma  torche.  J'achevai  de  gravir 
b  pente  dans  une  complète  obscurité.  Mais  au  moment  où  j'atteignais  le 
sommet,  une  lumière  infernale  éclaira  le  ciel.  Voici  le  spectacle  que  j'eus 
alors  devant  moi. 

Le  sol  tremblait;  il  était  tiède  au  toucher.  A  travers  ses  crevasses 
brillaient  les  filons  de  feu  d'une  fournaise  cachée.  Du  milieu  du  grand 
cratère  où  j'étais,  un  nouveau  cône  s'élevait  qui  paraissait  tout  en  flammes. 
De  l'embouchure  de  ce  gouffre  s'exhala  une  haleine  immense  et  long- 
temps contenue.  Celte  aspiration  et  cette  respiration,  profondes  et  régu- 
lières comme  celles  d'un  soufflet  de  forge,  s'élevaient  du  sein  de  la  mon- 
tagne oppressée.  Une  détonation  terrible  les  suivit.  Les  pierres  flam- 
bantes furent  lancées  en  gerbes  à  perte  de  vue,  et  se  précipitèrent  avec 
TOlfB  VII.  11 


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m 

fracas  êot  les  bords  chi  e^e.  Lft>  «ctrpemcoi^l  kt^icarreideto  ■!••• 
UgBe  fareot  un  insunt  éclairés  comme  en  pleki  jour.  Par  des  «ifar- 
lures  fort  éloignées  du  cratère  on  veyak  la  lave  sowrdre  du  soi.  SUa 
s*écoulait  en  pétillant  par  quatre  bouches;  un  peu  après  la  moaUfas 
poussa  de  uouTcau  son  géanisseneBi  de  y6aaic>  Au  nioflMBt  de  Feiplo- 
skm,  jejeui  les  yeuxdndVié  de  k mer ;j'aperçu0<JNaléaeieineot dopa» 
tics  bâthtteBS  à  TaBcre.  La  moatafoe  trembla  $Êm  fort;  mais  les  flair 
B'e»  furent  point  éaniSy  et  rien  ne  me  paroi  plus  bea»  que  le  aommeU  da 
la  mer  souriante  soua  ce  volcan  décbatné.  La  baie  de  Naplca  reasemblait 
ainsi  à  i* Angélique  d' A  rioste  sous  les  ailes  éMnëuca  et  la  gueule  de  la  Chi- 
mère.  Je  m*assis  sur  cette  terre  trembianle;  la  nature  était  saisie  d*iia 
vertige  auquel  je  m'abandonnai  avec  délices.  Ces  intervalles  rapprochés     ^ 
de  bruit  et  de  silence,  de  lumière  et  de  ténèbres,  le  calme  de  la  nuit,  le 
calme  non  moins  grand  de  la  mer,  cette  montagne  émue  en  sursaut,  tous 
ces  eiïets  contraires,  se  fortifiaient  l'un  par  Tautre.  Sans  m'en  rendre     | 
compte,  je  trouvais  dans  ce  spectacle  une  foule  d'images  applicables  i 
Pétdt  moral  dans  lequel  j'étais  «lors,  etqni  av«it  beaucoup  empiré  depais 
ma  sortie  de  Home. 

Je  pasMi  la  nuit  sur  ce  sommet.  Quand  le  jour  parut ,  je  pua  me  raaa> 
sier  à  loisir  de  la  vue  de  ce  gdfc  fomani  qui  e'étendait  à  mes  pieds.  Aa 
loin ,  nie  de  Gaprée,  qui  a  la  forme  d'une  galère  antique  »  fermait  l'm* 
trée  de  la  haute  mer.  Le  soleil  se  leva  de  l'autre  cùté  de  Pompéie;  il  se 
balança  quelque  temps  sur  les  tombes  comme  une  torche  de  funéraiUee^ 
Ce  fut  le  si^al  poor  une  infinité  de  petites  barques  de  quitter  le  rivagi 
dans  une  foule  de  directions.  J'entendis  en  ce  moment  le  bruit  des  villes 
et  des  villages  qui  s'éveillaient.  La  brisede  mer  commença  è  ftaire  frissoa* 
ner  les  vignes  suspendues  aux  peupliers  comme  des  tyrses  gigantesques; 
un  instant  après,  la  lumière  étiaceia  sur  les  flots  ridés;  nne  vapeur  do- 
rée, comme  la  poussière  des  étoiles ,  s'éleva  à  TborixoD;  l'eir  se  chargea 
dé  parfums;  tonte  la  nature  parut  enivrée  comme  dans  une  iètepaleoae; 
et  aussi  long-temps  que  le  volcan  continua  de  s'agiter^  cette  Campaaia 
chrétienne  ressembla  à  sa  sibyHe  balbutiante  sur  le  trépied. 

Dans  Naples ,  la  ville  des  sens ,  je  remarque  que  les  manumens  les  plus 
oonsidérablea  pour  l'art  sont  les  lambeaux.  Encore  ces  tombeaux  appar- 
tiennent-ils presque  tous  à  l'époque  de  la  domitiatian  espagnole.  Il  j  a«aM 
aiogulière  flerié  dans  ces  morts^  debout  sur  leurs  mausolées,  la  dague  on 
lali«o»f*eà  la  main;  ib  semblent  réguer  encore  sur  les  vivaus  qui  rasent 
au-dessous  d'eux  le  sol  d'un  pas  furtif.  Les  tours  d'Anjou  que  baigne  la 
mer  tiennent  aussi  cette  terre  prisonnière.  Le  palais  de  Jeanne-la-FoUe^ 
abandonné  aux  flots  qui  s'en  emparent  chaque  jour,  le  bel  arc  d'Aragon^ 
SMitd'aitttrea  témoins  de  la  conquôce.  Tous  les  peuples  ont  laissé  ici ,  dans 


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ine^araliltAHttr»  particulière^  des  traces  de  leur  domiiiaCioii.  lïn'y  »qae 
Im^  PiapolilaÎBS  qcd  soient  abseos  des  menumeos  de  Naples. 

Ce  peuple-mime  se  chaufTe  à  son  soleil,  il  est  le  seul  de  ritalie  qui  ne 
assoit  ^Menais.  apparteiMi  à  liM^méme.  Sans  passé,  il  n*a  point  de  regrets; 
aea^  9ivemf,  il  n'a  point  di^  désir.  Il  erie,  il  gesticule,  û  tend  ses  fUeu,  il 
«ourty  RdéclaQie,iimu8e,  il  menace,  ei  tout  eela  k  la  fois.  Polichinelle  est 
son  héros.  Cependant,,  duseift  fie  oe  s^berisme  jneadiaot,  quand  une  ame 
lient  à  s'éveiUer  par  hasard,  du.  premier  couip  eUe  atteini  à  un. spiri- 
tualisme ou  à  une  énergie  saas  bornes.  Pytbagooe  H  sou  école,  saint 
Tliomas-d*Aquin,  Yico,  Spagnoleito,  Sah^or  Rosa,  ee  furent  là  d'é-. 
traoges  lazsaroni. 

Vers  le  mitieii  du  jour,  les  matelots  de  la  Cliiaa^  de  Sicile,  de  Malte, 
Élasséient  en  cerelis  sur  le  mOle  ;  une  voile  ombrage  l'auditoire  qui  at- 
tend iflipaliiQfli ment  son  iaipruyjaateur;  enfin  oe  dernier  parait;  il  est 
léttt  de  la  iHsre  des  matelots;  à  sa  main  il  tient  une  baguette  au  lieu  de 
h  hranchfi  de  laurier  de  ses  aueétres.  Les  yeux  des  laazaroni  dévorent 
ë'anvBce  sur  ses  lèvres.  Fliistoire  {fOi'ii  va  raconter,  i  aotùt  il  chante  d*une 
Tnix  encouée  un  récitatif  sur  une  moUulatioo  plaintive  auquel  se  mâle  le 
fémissement  des  vaisseaux  dans  le  port;  tantôt  il  redescend  à  la  prese 
parlée,,  selon  la  nature  et  les  cireeastanees  plus  ou  moins  lyriques  de  son 
lécit.  Il  raconte  les  gestes  du  chevalier  Rinaldo,  ou  ceux,  d'un  infortuné 
krigand  de  Calabre.  Le  noble  public ,  nMle  pubheOf  redouble  d^aAten- 
l!Î0B,  le  dénouement  est  proche;  mais  voilà  que  lea  cloches  sonnent  Vanet 
la  chanteur  s'interrompt;  il  fait  le  signe  de  laceoii  avee  une  prière  au 
nom  de  la  neriueuse  assemblée.  Acàtà  de  lui  le  même  soleil  olympien, 
^ai  rase  le  tombeau  de  Virgile,  dore  d'un  dernier  ra^foa  le  front  de  Po^ 
Ikhinelle  assoupi  à  Tai^  de  son  thjéâtre;  la  toiie  se  baisse,  la  fouie  se 
disperse  de  toutes  parts;  un  jour  de  phls^a  passé  sur  l'empire  de  Masa- 
■îeUa. 

Pendant  ce  temps,  le.  jeune  moine  des  Gamaldules,  sur  la  montagne 
«Ond  à  ses  pieds  les  murnuiffes  qui  s*élèveat  du  rivage..  MiUe  images 
d^ne  vehipté  païenne  ^entourent  d'un  cercle  de  damnation.  Il  entre  dans 
an  cellule  et  il  prie;  et  la  brise  apporte  jusqu'à  lui  les  soupirs  de  la  Chiaa 
et  de  la  Villa-Reale.  IL  oirrre  son  saint  bréviaire,  et  le  démon  ressuseitéi 
ée  le  grande  Grèce  y  écrit  en  se  jouant,  du  bout  de  sa  griffe,  de»litanic8 
d'amour.  Su  r  lui  s'abaissent  des  cienx  magiques  ;  des.  charmes  s'attachent 
à  ion  scapulaire,  et  dans  son  calice  il  boit  à  longs,  tvails  le  philtre  dea 
imoLorablea  regrets.  Heureux  si  la  vieillesse  boiteuse  se  hâte  de  ghicer 
amcmoraA^ant  l'âge.  U  n'y  a  que  In.  mort  qui  paisse  le  délivrer  ée  oce 
anmllcs  déliées^. 

lÉh  i  amla«t.qaf  iii  s'enttmreé'ixL  tripbi  dltoe^quand  aea  |»iix  renenniEe^ 

U. 


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16&  EBTUB  DES  DEUX  MONDES, 

Pansilippe,  Gaprée  et  la  blanche  Nisida  ;  car  c'est  là  que  les  soQTenirs  le 
délient  et  que  les  sermens  se  faasseut;  les  projets  héroïques,  les  doulean 
fécondes  s'oublient  sous  ces  cieux  d'où  pleut  Tamour.  Une  volupté  plus 
dangereuse  que  celle  od  se  convient  les  lèvres  humaines ,  s'échappe  i 
toute  heure  des  monts ,  des  lacs,  des  étoiles  palpitantes.  Une  sjrène  éter- 
nelle languit  sous  ces  vagues  assoupies  ;  celui-là  seul  qui  a  échappé  à  ses 
embrassemenSy  peut  compter  sur  son  épaisse  armure. 

Quand  les  Romains  se  corrompirent,  ils  se  dégoûtèrent  de  la  grandeor 
et  de  la  sévérité  de  Rome;  ils  cherchèrent  une  nature  enivrée  comme 
eux,  monstrueuse  comme  eux.  S'ils  avaient  pu  arracher  Rome  à  ses 
tristes  et  graves  fondemens,  ils  l'auraient  fait.  Le  mélange  de  volupté  et 
de  terreur  qu'ils  cherchaient  au  temps  de  Tibère,  de  Néron,  de  Cali- 
gula,se  trouvait  sur  ces  promontoires  de  Gaprée  et  de  Misène.  C'est  II 
qu'ils  vinrent  établir  leurs  fôtes,  et  jouir  en  paix  dans  cette  nature  païenne 
des  derniers  jours  du  paganisme.  Les  villas  des  Césars,  sur  le  golfe  de 
Baie,  étaient  tout  près  des  lacs  Averne  et  Achéruse,  des  Champs-Elysées, 
de  l'entrée  des  enfers,  comme  s'ils  avaient  voulu  redoubler  rinsolence  de 
leurs  fêtes  par  cette  opposition.  Ce  grand  festin  de  la  société  romaine, 
à  quelques  pas  de  l'Achéron,  fut  le  festin  du  don  Juan  antique  chez  le 
commandeur.  Les  petits  lacs  voisins  des  enfers  brillent,  dans  le  fond  des 
cratères  éteints,  comme  dans  des  coupes  de  lave;  sur  leurs  bords  rampent 
quelques  guirlandes  fanées  d'églantines,  pauvres  fleurs  qui  ont  survécu 
à  l'orgie  de  l'empire.  Le  christianisme,  qui  partout  en  Italie  s'est  emparé 
des  ruines  païennes  pour  y  placer  ses  chapelles  ou  ses  ermitages,  a  laissé 
celles-ci  désertes,  comme  s'il  eût  désespéré  d'en  éteindre  les  voluptés  re- 
naissantes. Je  montai  sur  le  cap  Misène;  les  trompettes  infernales  qui  trou- 
blaient en  cet  endroit  le  sommeil  de  Néron,  n'y  retentissaient  plus;  la 
grève  se  taisait;  le  golfe  vide  étendait  dans  l'ombre  ses  bras  décharnés.  Il 
était  tard.  La  mer  était  phosphorescente ,  les  étoiles  brillaient.  Je  fis  à  k 
Dage  une  partie  du  chemiu  de  Misène  à  Pouzzole,  au  milieu  du  bruit  des 
cloches;  à  la  lumière  pâlissante  de  la  lune  se  mêlait  la  lumière  électrique 
des  flots;  eux  seuls  gardaient  encore  le  souvenir  des  voluptés  impériales. 

Peu  de  jours  après,  je  visitai  l'Ile  de  Gaprée.  Les  couleurs  dont  Tacite 
fa  peinte  sont  encore  celles  qui  lui  conviennent  le  mieux  aujourd'hui.  Bor- 
dée de  brisans  et  de  rochers  perpendiculaires,  eUe  n'est  guère  abordable 
que  par  deux  points,  la  petite  et  la  grande  marine:  mais  une  fois  qu'on  a 
franchi  cette  enceinte  de  murailles,  on  trouve  des  vallées,  des  vignes,  des 
sources  gazouillantes,  des  ombrages  sous  des  oliviers ,  un  monastère ,  et, 
sur  les  côtes,  deux  villages,  Capri  et  Ana-Gapri.  Ce  dernier  est  juché 
aur  une  cime  escarpée  au  haut  de  laquelle  conduit  un  escalier  taillé  dans 
le  roc.  Les  toits  des  maisons  sont  aplatis  en  terrasse  comme  dans  le  Levant, 


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T0TAGB8  d'un  80UTAIRE.  165 

H,  en  général ,  les  inyasioDS  des  Sarrasins  ont  laissé  à  toute  l'Ile  quelque 
<âio^  d'oriental;  elle  tient  de  la  Grèce  et  de  l'Afrique.  Le  château  déman- 
telé de  Barberousse  regarde,  sur  un  autre  pic,  le  palais  de  Tibère.  Par 
sue  singularité  qu'un  poète  relèverait ,  la  demeure  de  l'empereur  est  en- 
fouie aujourd'hui  sous  des  touffes  d'absinthe,  la  plante  du  Gûlgotha.  Un 
ermite  habite  dans  ses  ruines.  On  a  en  face  la  haute  mer;  sur  la  gauche, 
le  golfe  de  Sorrente  et  les  pics  d'Amalfi.  De  là  le  Vieil  empereur, 
arec  l'instinct  de  l'orfraie,  qui  lui  a  succédé  dans  son  gtte,  couvait  des 
jeux  tout  son  empire;  il  voyait  de  loin  arriver  la  tempête  qu'aucun  na* 
Tire  ne  devait  éviter.  Au  fond,  le  monde  antique  était  comme  dégoûté  dé 
lui-même, ^t  se  fuyait  par  toutes  les  routes  ouvertes.  Ceux  qui  étaient  à 
sa  tête  sentaient  vaguement  qu'il  se  préparaît  un  changement  étonnant 
contre  lequel  ils  ne  pouvaient  rien ,  et  cette  impuissance  les  poussait  au 
désespoir  ;  ils  ne  savaient  si  le  mal  était  dans  leur  cœur  ou  dans  les  peu- 
ples ,  on  dans  les  grands,  ou  dans  les  dieux  ;  mais  ils  savaient  qu'il  fallait 
périr,  et  que  l'univers  tout  entier  était  du  complot.  De  là  cet  effroi  pro- 
digieux et  cet  infatigable  soupçon  qui  ne  leur  laissait  pas  une  heure  de 
relâche.  Lié  à  son  rocher,  le  Prométhée  païen  sentait  son  agonie  ;  il  se 
débattait  avec  fureur  sous  le  vautour  chrétien.  Tibère  entra  le  premier 
dans  cet  égarement.  Quand  il  se  fut  entouré  des  brisans  de  Gaprée ,  il 
crut  que  tout  était  dit;  mais  la  cause  secrète  qui  faisait  chanceler  le 
monde  romain,  ne  servit  qu'à  aggraver  son  vertige.  Un  malaise  in- 
croyable atteignait  l'un  après  l'autre  les  hommes  au  faite  de  la  société 
antique;  et,  comme  c'était  la  main  d'un  dieu  nouveau  et  inconnu  qui 
commençait  à  les  tourmenter  sans  répit,  ils  mirent  à  combattre  cet  ad- 
versaire invisible  et  qui  était  en  toutes  choses,  une  manie  insensée. 

Après  le  palais  de  Tibère,  la  merveille  de  Capri  est  la  grotte  d'azur. D 
n'y  a  pas  fort  long-temps  qu'un  voyageur,  en  se  baignant  au  pied  des 
rochers,  la  découvrit  par  hasard.  L'ouverture  de  cette  caverne  marine 
est  tournée  sur  le  golfe  et  fort  basse;  pour  peu  que  le  flot  s*élève,  il 
l'obstrue  en  plein  ;  et  si  l'on  ne  choisit  bien  son  jour  et  son  heure,  on 
court  le  risque,  après  avoir  franchi  la  voûte,  d'y  rester  enfermé,  ainsi 
^e  celann'arriva.  Depuis  plusieurs  jours  que  la  mer  était  fort  agitée, 
J'attendais  un  moment  de  calme.  Un  matin,  ce  moment  sembla  venu;  des. 
matelots  me  réveillent  au  jour;  un  peintre  et  un  médecin  dont  j'avais  fait 
la  connaissance  à  mon  arrivée  dans  l'Ile,  se  joignent  à  nous.  Nous  partons. 
Quoique  le  temps  commençât  dès-lors  à  fraîchir,  nous  pénétrâmes  sans  trop 
de  peine  dans  l'intérieur  de  la  grotte  en  nous  couchant  à  la  renverse  dansun 
hatelet  construit  exprès  pour  cet  usage.  D'un  seul  bond  nous  voilà  au  séiu' 
de  la  montagne ,  sur  un  petit  lac  que  recouvrait  une  haute  coupole.  L'eau 
était  parfaitement  unie  et  transparente.  La  lumière  plongeait  dans  l'ou- 


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f$tUve^  UHIée  eii^9(NPi)iFfily  ei  reîaUlîssiil  à  k  sarCiOft  derèfta  coomos 
à  travers  un  prisme ,  tout  ipiprégpée  de  la  raoileiir  asurèe  des  fl^tts.  Les 
fsrois  du  rocher,  ies  stalaciiies  rugueuses ,  qai  affecisiit  miiie  fbniHS 
iMsanes»  tout  éuil  d'un  bl^u^  f^ncé.  Ce  Ma  être  là  Is  cûsque  de  ssphir  dv 
Vii|irëae  dje  Pi^pies.  Le  peintre  camiiiesça  à  dessiser  et  nous  à  nsoser^ 
isang^  Dous  apercevoir  que  ie  veut  soufflait  a»  delrarai  Quand  nous  em 
l^mes  la  r<warque,  i)  était  t^p  tard  ;  Forage  s'était  kvé.  D»  sein  d9  la 
Bumtagne  sortaient  des  magissemens  comme  d'un  troupeaa  de  bonrfs 
marins,  et  d'autres  fois,  des  eiplosions  comme  d'une  batterie d^un  fort, 
lies  vagues  aebevèrent  bientôt  de  boucher  l'ouverture.  Le  bassin  d» 
k  grotte,  si  tranqiiiUe  une  heure  auparavant , se  seulova  k  son  teor^ 
aous  restâmes  plongés  dans  une  obscurité  livide.  Quand  le  flot  se  reti* 
tait,  on  découvrait  au  loin  les  ravins  qui  3e  creusaient  dans  le  goUe.  A, 
trois  ou  quatre  reprises  nous  essayAmi  s  de  suivre  la  lame;  mais  à  peine 
étions-nous  prés  de  l'ouverture,  que  la  vague  remontait  et  déferlait  avee 
fureur.  EUe  soplevait  notre  barqae  perpendieulairemeat;  après  l'aveir 
tenue  quelques  instansoellée  k  la  votte,  elle  finissait  par  la  rejeter  dana 
Veofoncement  de  la  caverne.  J'avais  assez  l'habitude  de  nager  pour  tenaer 
de  sortir  su  large  et  d'aller  chercher  du  seoomrs:  j'en  fis  la  propontisttf 
]|iais  ce  moyen  n'était  ^ère  plus  praticable  que  l'autre,  àcaiiae  dca 
Tiolens  ressacs  qui  ae  cessaient  de  battre  rentrée.  Il  fallut  prendre 
notre  parti  et  nous  disposer  à  passer  là  la  nuit.  Nous  étions  dëyà  établis 
sur  un  rocher  en  terrasse,  quand»  au  coucher  du  soleil,  la  mer  baissa. 
Une  heure  après,  aeus:  crûmes  entendre  des  voix  d'hommes.  Des  hahi^ 
tans  de  Capri ,  qui  aovs  avaient  vus  partir  le  matin,  avaient  deviné  astre 
embarras.  JUs  tentèrept  de  nous  remorq|uer,  ce  qui  ne  réussit  néanmoins 
qu'à  la  nuit  close  et  quand  le  vent  Uit  tombé.  On  était  akurs  au  milieu 
de  l'équinose;  nous  devions  nous  attendre  à  rester  emprisonnés  1à  toute 
«ne  semaine.  Ainsi  finit  cette  petite  aventure  qui  eus  pu  être  sérieuse,  qai 
te  fut  que  plaisante.  Comme  en  Kaiie  a)as  tes  henia  et  maâàeurs  sont  aS^ 
trtbués  à  des  Anglais^  on  ne  manqua  pas,  dans  l'fte,  de  If  appelât  l'histeirs 
des  trois  milords*. 

Au  moment  de  (ynîttûr  L'Ile,  j'entrai  dans  l'égHsa.  La  messe  venait  éa 
Inir;  une  jeune  fitte  des  environs,  belle  coaune  elles  lèsent  satMmit  dtf» 
oeslhss,  était  à  genanx.  C'était  un  dimanche;  elle  étaitsealeet  trèspsrét^ 
sur  son  prie-Dieu  iir  ;  avait  une  tête  de  nmrt  avec  kiqiuills  eUe  eatfvsFsait 
tout  bas.  Qoand  elle  baissait,  oemne  iaMacteteine  éaas  l|<désert,  sa  tê» 
briHante  éerm  sar  ce  erftne  vide,  il  paraiatait  ricaner;  SMia  elle  aa  prl» 
«fu'wae  ^kis  de  férvedit;  die  ùe  n'easendit  psf  wèaie  maiiehar  àedcê 
dfelTe  sor  le  pnré.  Oh.!  cfétait  une  aif^^ease  inwgo  qns^  bt  eealéssIaB  # 
eeies  janos  finnaBs  t  ea  mwrt  ntusa  tt  rtttlear. 


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a  j  a  4  Nwfk&  w  iia«g0  <|9i  ^  faw>Pt^kc^v^h4(^  CiqiMrè^*  J^^  jour  4f 
la  TowsaÎDt,  le»  tôfes  dos  flaorts  «oa^  evlevéeç  des  UMnbeaw  :  on  lei 
place  au  nûlieu  des^aFeaiu  des  ^Mes«ntr^iiesderges  plliu»ié6.  Chaque 
mort  a  Boa  uom  écrit  sor  le  freoi.  JU  fioule  ?»eiU  Ie4  visltcir.  Ga qu'il  y  % 
d?«iiFaordioairey  c'aat  qu^^iq  peuple^  seQ^el<i&ièpioi|;iie  à  ce  gpectacto 
«aciwe  borreur,  soit  qu'il  y  ait  daos  le  fond  de  C9  paya  un  a^élaage  4t 
aensualitè  et  4'aieé(ia»e  qp'^uoim  tepips^  D*a  eCCacfi ,  soitque  la  traditiep» 
«t  io«a  (ait;  <sar  le  ia0i|Ae  u^f^  se  re^iH^re  eu  ^Icile,  et  3U|taut  à  Pa* 
iarme. 

De  Capn,  j'aberdai  à  Sorrev^tfi.  Je  vis  la  maison  4e  la  aoaur  du  Tasse  ^ 
«t  TeacaUer  par  oîi  le  malheureux  poète,  déguisé  en  pèlerin ,  mouta  pooc 
chercher  un  refuge  centre  ]*égareaieot  de  son  cœur.  J*ai  toujours  trouvai 
que  ee  golfe  éhlouissant  a  quelque  reaseinblance  avec  la  poésie  de  la 
Jérusalem  déliviyàêy  où  rayonne  a^ssi  taat  de  soleiL  Mais  il  y  arait,  outra 
ceky  dans  le  cœur  dn  poète,  nœ  inguéri^ble  tristesse,  qjoi  ne  se  re^ 
tfovye  nnUe  part  dans  les  objets  en  Italie,  si  ce  n'«st  dans  les  Tases  d^ 
iBarbre  des  viUsa,  ei^  les  orties  en  fleurs  croissent  au  souille  de  la  n^r 
laria. 

En  snivant  à  pied  l^s  détjoiups  4u  golfe»  le  cheaain  me  rainenaà  Pomr 
péie  par  Ventrée  que  IVmi  appelle  justement  ta  rue  des  Tombeaux.  U  y  n 
je  ne  sais  quoi  de  frivole  dans  ces  ruipea.  Vous  toucbez  de  trop  prés  aujiL 
deuils  menus  de  la  ?ie  das^s  l'antiquité  :  ii  manque  entre  elle  et  yQQ$ 
cette  perspeetiire  qaâ  Tagriandst  dans  ses  misères;  d'aillenrs,  les  cari- 
catiB^es  dent  ces  murailks  sont  peiates  leur  dleot  tout  sérieux  :  vous  êtes 
ià  aa  miliett  du  commérage  de^  morts  d'une  petite  ville  de  province.  G^ 
a*cst  point  nne5odii>me  condamnée  par  le  feu  céleste,  mais  le  sarcophage 
^pieafien  d'une  eowtisatte  de  Caçipanie.  Il  semble  que.  ces  tombeani: 
naient  laits  peur  des  morU  de  théâtre,  et  qpe  vous  assistiez  à  une  bouf- 
Jbnaerie,  eà  fipme  et  Athènes  aéraient  parodiées  à  la  JMS  d^ns  d'tnfiid- 
Bac0l  petites  proportions.  Tant  que  j'errai  dans  ces  petites  rues ,  j'entendis 
à  travers  (es  bniAissemens  de  la  brise,  dans  les  vignes,  tes  éclats  de  rii^ 
liaus  des  courtisanes,  le  pas  tardif  des  vieillards  de  Ménandre  et  de  Té- 
jeaccy  et  4'éQbn  alTixynté  des  vers  de  G^^olle,  ^  ébranlaient  la  porte  de 
«i  maîtresse.  IMiais  quand  je  montai  sur  la  terrasse  élevée  d'un  théâtre» 
^(«iie  je  regardai  taaaer,  Gi^m^  et,  temt  près,  le  Vésuve,  dont  la  la^ 
^otttimiait  de  eoitler,  je  vis  bien  que  œ  jeo  était  séyrieux,  et  qpee'étajt 
am  moins  une  noble  eamédîe  qui  se  jottaii  là  au  pied  de  ce  volcan» 

Des  raines  ^  fo»t  »n  contraste  absolu  avee  eelles  4e  Pompéie  sont 
;^kn  de  IVeaUim, sieuées  à  l'ettuémilé  du  golfe  de  ^leme.  La  plage 
^'elles  oœiipent  eM  pestUodtieUé.Le  jour  oùjete  vis,elie  éliHOrlai|,lipi 
iBatiii,  enmflM  im  ier  à  cbeval  reiigi  dans  nne  iforge.^ea  meofUgiMi» 


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iGê  RBTUB  DES  DEUX  MONDES. 

presque  aussi  nues  que  la  plaine,  ferment  ce  grand  et  vide  horizon.  Pa- 
rallèlement à  la  mer,  les  trois  temples  s'élèvent  du  milieu  des  joncs  et  des 
hautes  herbes.  Sur  cette  grève,  où  le  flot  est  toujours  ému,  ces  colonnes 
cannelées  figurent  des  groupes  de  femmes  naufragées  et  enveloppées  des 
plis  transparens  de  leurs  tuniques.  La  ligne  horizontale  de  la  mer  se  com- 
bine avec  la  ligne  de  l'architecture,  qu'elle  prolonge  à  l'infini  sur  un  plan 
d'azur.  Les  vapeurs»  que  le  soleil  soulevait  en  ce  moment  de  l'herbe  des 
tnaremmes ,  entouraient  les  portiques  pythagoriciens  d'une  atmosphère 
dorée.  L'air  était  doux,  quoique  fort  malsain.  Point  de  vent,  point  de 
nuages,  point  de  murmure  dans  la  campagne.  Ces  ruines,  les  seules  ha- 
bitantes de  ce  déserf  de  la  grande  Grèce,  semblaient  avoir  communiqué, 
à  tout  ce  qui  les  entourait,  leur  silencieuse  rêverie. 

J'entrai  dans  une  hcanda  délabrée  qui  est  tout  près  de  là  :  il  y  res- 
tait un  Galabrois  malade.  Cette  masure,  sous  ce  ciel  de  Pythagore, 
rappelait  les  demeures  ensorcelées  que  l'on  rencontre  dans  le  livre  fié- 
vreux d*Apulée.  C'était  le  môme  dénuement  avec  la  même  magie  dans 
les  souvenirs  et  les  noms  environnans.  Je  demandai  à  mon  misérable  hôte 
quelque  nourriture  :  il  m'apporta  du  lait  caillé  et  du  pain.  Je  m'assis 
près  d'une  table;  mais  au  lieu  de  manger,  je  m'endormis  sous  l'air 
pesant  et  le  vampire  de  la  maremme ,  car  la  chaleur  était  encore  exces- 
sive ,  quoique  l'on  fût  en  octobre.  J'eus  alors  un  rêve  qu'il  m'est  difficile 
d'oublier.  L'Italie,  que  je  venais  de  parcourir,  me  paraissait  tout  entière 
privée  d'habitans;  mais,  peu  à  peu,  toutes  ces  images  d'art  que'j'avais 
rencontrées  et  adorées  le  long  de  mou  chemin,  se  réveillèrent  du  froid  du 
marbre  et  se  détachèrent  des  cadres  des  tableaux  :  ces  conceptions  idéales 
devinrent  des  personnages  réels,  qui  se  mirent  à  marcher  çà  et  là ,  à  la 
place  des  habitans  qui  n'étaient  plus.  C'était  comme  un  peuple  de  ressusci- 
tes plus  beau  que  le  peuple  des  vivansqui  avaient  disparu.  Les  innombra- 
bles figures,  nées  de  la  fantaisie  des  Vénitiens,  secouèrent,  les  premières,  la 
poussière  qui  les  couvrait.  Elles  s'assemblèrent  à  pas  légers  sur  le  Lido, 
et  murmurèrent  entre  elles  une  langue  gazouillante,  et  colorée  comme 
les  flots  de  l'Adriatique.  Monna-Lisa,  de  Léonard  de  Vinci ,  se  pendia 
pour  se  mirer  au  bord  du  lac  Garda;  les  Sibylles,  de  Michel-Ange,  s'as- 
sirent dans  la  campagne  de  Rome;  et  le  Jour  et  la  Nuit ,  de  la  chapelle 
Saint-Laurent ,  se  soulevèrent  en  frissonnant,  comme  de  célestes  bohé- 
miens. Dans  le  Campanile  de  Giotto,  montaient  et  redescendaient,  sans 
repos ,  les  bienheureux  anachorètes  de  Fiesole,  qui ,  n'étant  plus  retenus 
par  la  crainte  des  vivans,  quittaient  les  cellules  et  les  fresques  des  cloîtres. 
Sur  tous  les  rivages,  que  d'anges  et  d'archanges  descendirent  du  vieux  ciel 
'  de  l'art  byzantin,  et  vinrent  se  reposer  sur  la  plage  en  fermant  leurs  ailes 
'.  d'or  I  De  leurs  violes  toscanes  ils  tiraient  des  sons  ineffables,  et  tels  que 


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VOYAGES  d'un  80LITÀI1UE.  160 

ceox  que  j'avais  imaginés  dans  la  forêt  des  Dombes!  Us  chantaient  des 
poèmes  entiers,  dont  j*a?ais  autrefois  balbutié  les  premières  syllabes  en 
suivant  le  sentier  humide  des  prés.  A  la  fin,  je  vis  aussi  la  Vierge  au 
voile,  de  Raphaël,  passer  dans  le  jardin  des  Césars  :  elle  y  cueillait  des 
fleurs  nouvelles,  en  même  temps  que  deux  enfans,  et  elle  souriait; 
car  aucun  des  doutes  de  l'homme  ne  s'était  encore  communiqué  à  ces 
filles  de  Tesprit  de  Thomme.  Elles  avaient  gardé  toutes  seules  la  foi  des 
vieux  siècles  et  Fétemel  amour  dont  la  terre  était  privée.  J'entendais  une 
voix  qui  disait  :  a  Sainte,  sainte  à  jamais  est  la  terre  dltalie,  qui  nous  a 
ix>urris  de  ses  mamelles  et  vêtus  de  son  soleil  d'été.  » 


VIL 

Après  avoir  parcouru  l'Italie  dans  ses  détails,  si  je  la  considère  dans  son 
ensemble,  je  trouve  que  ses  lignes  principales  peuvent  être  marquées  de 
la  manière  suivante  : 

Au  revers  des  Alpes,  dans  cette  Lombardie,  incessamment  foulée  par 
r Allemagne,  l'architecture  du  nord  a  pour  son  monument  la  cathédrale 
de  Milan.  Cette  architecture  suit  le  chemin  desempereurs  et  des  inva- 
sions gibelines  :  elle  s'insinue  dans  Gênes,  Pise,  Padoue;  elle  traverse 
Florence,  Sienne  ;  elle  pèse  dans  Arezzo  sur  le  porche  et  le  berceau  de  Pé- 
trarque. A  la  fin,  elle  se  rencontre,  avec  le  génie  guelfe  ou  romain,  dans 
Orviéte,  où  elle  achève  de  s'énerver  et  de  se  décomposer  sous  l'influence 
de  la  tradition  antique,  et  de  ce  climat  devant  lequel  ont  toujours  suc- 
combé les  hommes  et  les  formes  du  nord.  L'ogive  s'arrête  comme  Attila, 
aux  portes  de  Rome;  elle  ne  les  a  jamais  franchies.  A  l'extrémité  des 
Alpes  tarenlines,  Venise  regarde  l'Orient;  elle  fait  le  lien  de  l'Italie  avec 
l'Asie.  En  descendant  le  long  de  l'Adriatique,  le  vieux  royaume  lom- 
bard a  son  mausolée  dans  l'église  de  Ravenne.  Cet  héritier  de  l'empire 
romain  est  Vinu  mourir  là,  loin  de  Rome,  sous  ces  voûtes  lombardes; 
son  fantôme  s'engouffre  avec  le  flot  dans  le  tombeau  de  Théodoric.  Sur 
la  mer  opposée,  Pise  bâtit  dans  son  Campo  Santo  la  nécropole  de  l'Italie* 
Cette  commune,  composée  de  statuaires  et  de  matelots,  cisèle  comme 
un  phare  la  tour  penchée  de  son  beffroi  ;  elle  radoube  la  nef  de  sa  cathé- 
4irale,  comme  une  galère  en  construction  sur  la  maremme.  Au  milieu  de 
ces  deux  mers,  au  centre  de  l'Apennin ,  Florence  accomplit  le  mélange  du 
géale  chrétien  et  du  génie  païen.  Sur  la  nef  gothique  du  xiii«  siècle,  elle 
exhausse  le  dôme  de  la  renaissance;  elle  couronne  le  moyen-âge  avec  la 
coupole  du  Panthéon.  La  fleur  du  génie  étrusque  s'épanouit  là  en  terre 
chrétienne.  Écoutez  !  les  portes  de  bronze  de  son  baptistère  s'ouvrent  et 


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i^  '  féritticot  'tn^  Yrscss  Mf  tin  iioalrésii''iiés  <|iii  Tàpppltcfit  Danto^ 
SoeeMe,  Hac^hlàtel,  G^lèe,  Miéfael-Ange,  et  dool  fes  tagissemens  s'en- 
tendent juÈtfie  frair-âcM  les  AlpM.  fîfltre  Florence  et  Peronse,  sur  le 
chemin  deé  érdres  mendîuiSy  llèglisé  nifi(f<|oe  de  Sahit-FrsnçoIs^Aff- 
«ise  s'enfooit  à  demi  sots  tenre,  A  l'hisUr  des  catacombes,  pour  fuir  It 
Imnièreetle  parfum  de  noiKe  :  architecture  ascéthine  dans  le  pays  de 
l*ascètisme ,  elle  te  lûonche»  comme  ^on  saint ,  dans  le  tombeau.  Phs 
loniyà  Rome,  siège,  eomme  la  papauté  sur  son  trône,  Téglise  de  Saint- 
iHerre  sur  sa  côHine.  Phis  de  symboles  de  douleur  comme  dans  l'ar- 
chitecture du  nord  ou  dans  la  bysantine;  ni  croix,  ni  sépulcre  :  c'est 
Ici  l'emblème  du  Christ  régnant,  ou  plutôt  le  temple  d'un  Jupiter  chré- 
tien. La  fête  du  Dieu  ressuscité  à  Pâques  est  celle  qui  convient  à  ces 
splendides  murailles,  non  pas  la  plainte  de  la  vieille  église  au  jour  des 
morts:  le  Te  Deum  éclate  ici  de  lui-même  sous  ce  dôme  triomphant, 
'non  pas  le  Miserere.  Toutes  les  formes  d'architecture  se  pressent  dans 
ftome ,  la  grecque,  la  romaine,  la  bysantine,  la  lombarde  :  il  n'y  a  que 
l'arabe  et  la  gothique  qui  n'ont  jamais  pu  non  s'y  établir,  mats  s*y  mon- 
trer. Celles^i  se  retrouvent  dans  le  royaume  de  Naples,  à  la  suite  des 
invasions  normandes,  espagndes,  sarrasines.  Par  ce  côté,  lltaHe  se  rat- 
tache à  l'EspAgne  mauresque  comme  par  Venise  à  l'Orient.  Enfin,  à  l'en- 
trée de  la  Galabre,  les  temples  de  Poestum  rejoignent  la  igrande  Grèce  et 
la  Sicile.  Tous  les  rapports  de  l'Italie,  dans  l'architecture,  sont  ainsi  éta- 
l>lls.  Par  le  nord,  par  le  midi,  par  l'est,  par  l'ouest ,  cette  grande  cité  de 
rart  se  lie  à  tout  ce  qui  l'entoure.  C'est  entre  le  monde  grec  d'an  côté,  et 
le  monde  germanique  de  Fautre,  que  s'est  développé  le  génie  de  l'Italie. 
Ces  deux  limites  Sont  marquées  au  midi  par  les  colonnes  de  Pœstum; 
au  nord,  par  la  cathédrale  de  Milan. 

La  position  de  Vltalie,  de  Ce  grand  promontoire  qui  s'étend  entre 
l'Europe  etTOrient,  fait  qu'il  lili  est  difficile  de  supporter  les  conditioos 
médiocres.  Lors  même  que  l'empire  romain  n'eût  cherché  qu'à  gar- 
der son  berceau,  il  aurait  été  entraîné  à  la  conquête  du  monde. 
Pour  conserver  la  Cisalpine ,  il  lui  fallait  les  Alpes  et  les  Gaules.  Par 
Test,  il  touchait  à  flllyrie  et  à  la  Grèce,  par  le  midi  à  l'Afrique;  il  prê- 
tait le  flanc,  par  l'ouest,  à  la  Sardaigne  et  à  l'Espagne,  en  sorte  que, 
quel  que  fût  raccroissement  des  provinces,  l'Italie  restait  toujours  au 
centre  de  l'empire.  Jamais  pays  lie  fut  plus  convié  aux  conquêtes,  m 
mieux  situé  pour  les  retenir. 

Mais  ce  qui  avait  Tait  sa  force  dans  Tantiquité  lit  sa  faiblesse  chez  les 
modernes.  Le  jour  où  elle  cessa  de  conquérir,  elle  fut  conquise.  Les  Al- 
lemands et  les  Français  l^itaquêrent  par  le  nord;  les  Espagnols,  par  les 
flancs;  les  Arabes  et  les  Normands,  au  midi.  Les  deuls  Bysaûtins  fîireot 


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wwMm  é'«r  wmnâBMé  ITt 

trop  feMei  foar  rl<m  enitf^preiidre  snr  cite,  éè  <Mr  «5i^.  4>éii«Éf^ 
Pise,  Venise,  qui  lui  ceignaient  les  reins,  eussent  suffi,  de  resté, ](MMÉ^ 
la  protéger  sur  la  mer.  Par  inalilèiit;,iil<«iaBqHaît  ^liMfiaiafibce  de  terre 
pour  garder  les  débouchés  des  Alpes.  Lltalie  n'eut  jamais  de  Thermo* 
pyics. 

€ette pinssaMedetterreiw  wrait  probablement fMrméei la  longiie» 
sans  rétablisseneiit  de  la  papauté  qui  prit  sa  piaeé.  Le  nègue  de  fespril 
ftilcoooédéâi'ItatieeneompeontioD  de  «a  faiblesse  maiéi;ielle.  Elle  da*' 
Tint  l'arche  saiole  où  sa  «onsarva  tle  dogme  du  geare  humain.  Dans  là 
lime  des  Gibelkis  et  des  'Guelfes ,  rAHeBMgoe  repi^sanu  k  force  malé» 
rialle,  indélibérée,  enivrée  d'eik^-mèase  ;  l'iulie,  latradltian,  le  droit 
écrit,  ou  pluiM  lecfaristianlsnie,  avec  lequel  aile '^identifia  auraojeiif* 
âge  par  rétablissement  de  l'Eglise.  Elle  fut  martyre eomme  lai,  fiagaUéé 
comme  lui ,  crucifiée  comme  lui  par  les  Pilâtes  francs  et  tudesques*  Mais 
e*esa  des  «reliques  de  son  s^ulore  que  smrtit  le  mirade  de  la  dvilisatioii 
BM^deme. 

Llitf  e  a  revécu  plusieurs  fois.  Bile  a  porté  des^cIvilisalioDs  noa-aeuld* 
ment  difliMraotes' les  «nés  des  anilres  ,iiKki  oonSraireB 
£llea  éeé  soccessivnneiit  étrusque,  grecque,  latine,  romaine,  diti^ 
tiemie,  kmterde,  allunande,  aspagaale,  .firançalae.  Chacune  de  cas 
ionnca  a  MssèeneUe  désirâtes  qui  aoot  enaora  ^rMomiainables anjoQP* 
d'bui.  Sacerdotrie  aoqs  lesiEiruiBqBes ,  gnarrière  at>otatiérialtele  saos  loi 
Bamaifis,  elle  est  radavenne  spirkualiste  etarfisie  sous  ks  papes.  Att 
XV*  sièck ,  iorsquîeVe  fut  près  4e  périr^  e*tst  CQCore^ette  qui ,  parCbria^ 
tophe  Colomb,  découvrit  k  UTouiteaa-'ffoàda.  iDe  sod  lit  >de  moft,  k 
grande  aïeule  se  >soulef9a,'etiénNpi|ik  jema  Ella  de  l^Oaéaa  pour  hd 
remettre  sa  couronne. 

Tant  que  la  libertés  eu  quelque  place  chez  elle,  ses  poètes  ont  parlé  : 
Dante,  Pétrarque,  Arioste,  Tasse,  ces  quatre  fils  Ay mon  du  moyen-Age, 
se  sont  succédé  sur  la  brèche.  Quand  la  parole  fut  interdite,  ce  pays  ne 
resta  pas  muet  pour  cela.  La  sculpture ,  la  peinture ,  ces  arts  silencieux, 
exprimèrent  sous  mille  formes  le  génie  de  lltalie  subjuguée;  et  même  de 
DOS  jours,  la  musique,  cette  langue  inarticulée,  continue  d'exhaler  la 
plainte  sonore  de  ce  grand  tombeau  de  Memnon ,  qui  commence  aux 
Alpes  et  finit  en  Calabre. 

Aujourd'hui ,  le  sentiment  que  l'on  éprouve  partout  en  Italie  est  celui 
d*nn  sol  depuis  long- temps  foulé  et  obsédé  par  l'étranger.  Cette  pensée 
est  au  fond  de  tout ,  cachée  sous  la  magnificence  des  arts  comme  le  poi- 
son sous  la  fleur  des  maremnes.  En  un  mot,  cette  terre  a  perdu  la  pos- 
session d'elle-même,  non  le  désir  de  la  recouvrer;  et  c'est  ce  noble 
tourment  et  cette  impuissance  affreuse  qui  la  rendent  si  tragique  et  si 


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172  RBVUE  DES  DEDX  MONDES» 

belle.  A  diaque  moment  les  hommes  pourraient  répéter  là  le  vers  de  Xe^' 
poète: 

Et,  saas  espoir,  wn»  tItods  de  d^in. 

Ceux  quiy  à  l'iieure  où  j*écris,  ont  en  maiu  les  affaires  de  l'Espagne, 
cette  sœur  de  l'Italie ,  et  qui ,  voyant  les  manx  infinis  de  leur  pays,  cher- 
chent pour  remède  l'intervention  d'un  peuple  étranger,  et,  en  général, 
tous  ceux  de  qui  dépendent  ces  pesantes  questions ,  ne  devraient  jamais 
cesser  d'avoir  les  yeux  tournés  du  côté  de  l'Apennin.  Ils  apprendraient 
laque  le  despotisme  le  plus  violent  qu'on  puisse  imaginer  est  un  bienfait 
en  comparaison  du  salut  qu'on  doit  à  la  conquête  dissimulée  sous  le  nom 
de  protection.  La  première  de  ces  tyrannies  ne  fait  mourir  que  des 
hommes,  la  seconde  abolit  l'état;  celle-là  tue  le  présent,  et  celle-ci  l'a- 
venir. 

J'ai  lu  en  Lombardie  le  livre  de  Silvio  Pellico ,  et  j'ai  admiré  autant 
qu'un  autre  la  sainteté  de  cette  ame  de  martyr;  mais  Dieu  éloigne  à  jamais 
de  nous  le  règne  de  semblables  vertus!  Elles  sont  de  celles  qu'il  faudrait 
souhaiter  à  ses  meilleurs  ennemis.  Si  cette  résignation  sublime,  si  ce  dé- 
sistement de  la  volonté  humaine  était  le  dernier  mot  de  l'Italie,  rien  ne 
resterait  qu'à  verser  sur  elle  d'étemelles  larmes;  car  elle  aurait  juste- 
ment toutes  les  vertus  des  morts.  Au  contraire,  tant  qu'il  reste  nn  es- 
poir et  un  souffle  dans  ce  grand  corps,  je  trouve  qu'il  est  convenable  de 
ne  point  abandonner  trop  tôt  la  haine  enracinée  par  Pétrarque  et  par  Ma- 
chiavel; la  seule  passion,  après  tout,  qui  empoche  les  morts  de  se  dis- 
soudre. Il  ne  faut  pas  que  les  peuples  tendent  les  deux  joues  à  leurs 
ennemis.  Gela  n'est  ni  chrétien,  ni  pafen,  ni  divin,  ni  humain. 

Ed.  Quinbt. 


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u 


LES  CÉSARS. 


I. 


^  NoQB  voudrions  faire  ici  une  suite  d*études,  non  sur  des  époques, 
mais  sor  des  hommes,  non  de  Fhistoire ,  mais  de  la  miniature  his- 
torique, de  la  physiologie  humaine.  Nous  voudrions  savoir  quelle 
sorte  d*homme  c'était  qu*un  Tibère,  un  Domitien,  noms  répé- 
tés tant  de  fois ,  et  qui  apportent  à  nos  esprits  des  idées  si  com- 
plexes, si  peu  comprises.  Nous  voudrions  faire  comme  le  philoso- 
phe Apollonius,  qui  vint  d'Asie  pour  voir  Néron  et  pour  apprendre 
•r  quelle  sorte  de  bête  c'était  qu'un  tyran.  » 

Un  homme,  quelquefois  presque  un  enfant,  doué  tout  uniment 
du  pouvoir  de  vie  et  de  mort  sur  cent  vingt  ou  cent  quarante  mil- 
fions  d'ames  intelligentes,  sur  toutes  les  rives  du  bassin  de  la 
Méd'terranée  (cet  admirable  et  éternel  théâtre  de  la  civilisation  et 
de  r histoire),  sur  tout  le  monde  policé,  en  un  mot  ;  et  cet  homme, 
un  fou,  un  fou  furieux  et  sanguinaire,  faisant  tomber  les  têtes 
au  hasard,  massacrant  par  partie  de  phisir;  et  cet  homme  sup* 
porté,  honoré,  adoré,  par  tout  ce  qu'il  y  avait  alors  au  monde 
d'orgueil,  d'intelligence,  d*énergie;  —  et  cet  homme,  quand  aa 
lK>iit  de  quinze  ans  un  proscrit  plus  heureux  avait  prévenu  le  més^ 


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iS4  mÊmmm 

sage  du  lictear  par  un  coup  de  poignard  (  pour  une  insurrection^  on 
n*en  parle  pas),  remplacé  à  sa  mort  par  un  homme  tout  pareil  ;  et 
Tordre  social  de  cette  époque  fondé  sur  Finexplicable  délire  du 
souverain  et  Tinexplicable  patience  de  ses  cent  quarante  miDioos 
de  sujets  :  voilà  le  problème  qu'on  nous  propose,  sans  y  songer 
beaucoi^  »  quaad  on  nous  iracenle  eette  histoire  au  oollége. 

D  y  a  «n(e  raison  à  tout  cela  t  les  masses  ont  souvent  tort ,  elles 
ne  sodt  jama's  absurdes.  Chercher  cette  raison  pourrait  être  un 
des  objets  de  notre  travail  ;  poser  le  problème  est  déjà  quelque 
chose  d'assez  curieux;  descen  ire  dans  le  cœur  de  ces  hommes  si 
puissans  par  les  circonstances,  si  faibles  parla  pensée,  si  démesu- 
rés par  leurs  crimes;  examiner  ce  qui  se  passait  là;  faire  la  phré- 
nologie  de  ces  têtes  historiques,  bu  risque  d*y  retrouver  la  bosse 
de  la  sainteté,  comme  on  Ta  trouvée  chez  Lacenaire;  déterminer 
quel  était  le  mobile,  la  passion ,  la  institution  d*un  Caligula;  foire 
enfin  une  place  dans  la  nature  humaine  à  ces  idiosyncrasies  si 
étranges  :  c'est  pour  la  science,  ce  nous  semble,  un  assez  curieux 
travail.  Nous  ne  voulons  pas  faire  autre  chose. 

Ce  sera  donc  tout  simplement  un  peu  de  biographie  intelligente; 
ce  ne  sera  pas  de  la  philosophie  de  Thistoire.  Pour  connaître  les 
hommes,  il  ne  suffit  pas  détabUrim  système  séries  ^okitioos  fa- 
tales de  k  Booiélé ,  ni  de  faire  oMime  certain  historien  {ykitosophn^ 
qui  intitule  «n  ch&pit^  :  «  fin  q«ioi  rhuaaaité  eât  une  Heur.  »il 
fifttt  de  la  vérité  et  de  la  véalité,  des  détails  préds,  de  JaUqgrapbkk; 
il  faut  descendre  dans  la  ^e  privée,  obèse  à  laquelle  en  ne  veoi 
plus  croire  à  «ent  «m  de  disianoe;  U  fem  admettre  que  Icb  anciens 
avaient ,  t)0fliime  nous ,  une*  vie 'domestique,  eomme  nous 'des  ma- 
nies, comme  nous  des  petitesses^  qu*tl»  avaient ,  eux  aussi,  leur  vie 
det»rrefMir,  de  ^barét,  de  café  et  d  Opéra. 

Qa-em^^^w  4e  .peuple  roman,  par  exemple?  Un  John  Aull^ 
mais  un  JobH  Btall  oisif ,  parce  qu'il  était  Ubre  et  ^u'^  avait  de9 
esckifVes,  iMiant  sdus  les  rostres,  écoutant  la  journée  durant  sas 
conteurs  "de  ^nouveUes,  tandis  que  John  Bull,  esclave  affaire^ 
sillonne  ^siroitoirs;  mais,  du  reste,  ennuyé  comme  lui,  hargn^usr 
comme  lui.,  «doué  de  sens  comme  lui.  Quand  il  était  pauv^-e^ 
mendiant  iine  spty^tuia  à  la  porte  d*un  grand;  puis,  aHant  aux 
bains,  que  les  grands  payaient  poirr  lui;  puis,  achetant  quel^ 
ques  léCuflMs  au  marché,  le  reste  du  Jour  se  couchant  sur  la  plMQ, 


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LB8  CiSABS.  ITS 

4pi*^rès  twt  a  ittdt  ItaHe».  Qomtâ  il  éttil  fkhè,  dédai*- 
(Béas,  dur»  Scr,  «vaut  raisoiiiitMtaeBl  «a  femm  et  ses  enfeaa, 
beMieo«p  plus  eeitx  de  ses  «ffraDoliis  ^m  avaient  de  Vesprit,  «c 
crax  de  ses  'esclaves  qui  ranMisaiem ;  d«  reste,  bien  élevé,  ins- 
trait,  parlant  grée  comme  un  diplomate  russe  parle  français;  ayant 
«ne  bibliothèque  en  bois  de  citron,  des  meubles  en  cèdre,  des 
figurines,  des  bronces,  des  staitues  volées  aux  temples;  ayant  des 
prétentions  de  connatssenr  en  feit  d*arts,  sans  s'y  connaître; 
amenant,  ponr  se  distraire  à  table,  un  bouffon,  des  gladiateurs, 
un  phitosophe;  ayant  aussi  un  caisinier  grec,  comme  on  a  un  cui- 
sinier  français  à  Londres,  des  parcs,  des  chevaux ,  des  châteaux 
au-delà  de  toute  idée;  se  feisant  construire  une  viUa  sur  une 
jetée  en  mer  ;  avec  tout  cela  bonhomme  au  fond,  brave  i  la  guerre; 
mais  fort  ennuyé  d'être  riche,  et  qumid  Tidée  lui  «n  venait,  se  lais- 
sant un  beau  jour  mourir  de  hm. 

Qu*était-€e  que  César?  Un  vrai  hères  de  roman  anglais,  être  qui 
semble  imaginaire  à  force  d'aceempiïsnemens  de  tous  genres  (Byron 
ne  fut  qu'un  César  manqué) ,  d*une  noble  naissance  (descendant  de 
Vénus,  disato-on,  de  la  déesse  qui  donne  I9  fortnne),  d*un  beau 
TÎsage,  avec  une  taille  haute,  un  regard  de  faucon  dans  ses  yeux 
noirs  (^/t  oechi  yrifagni,  dit  Dante),  une  peau  blanche  quH  avait 
grand  soin  d'épifer,  le  front  diauve  (mais  il  savait  se  coiffer  de 
manière  à  dissimuler  ce  défsut);  il  était  admirablement  bien  pei- 
gné, et  portait  sa  toge  lâche,  signe  d*excessive  élégance.  -<-*  Avec 
cela,  poêle,  orateur,  grammairien,  ce  n*est  rien  encore;  mais  fa* 
Tori  de  toutes  les  belles  Aoniaines,  mais  jovial,  courtois,  généreux, 
flMÛs  le  seid  homme  humain  de  son  temps,  poussant  la  délicatesse 
des  nerfs  jusqu'à  faire  enlever  de  l'arène  et  soigner  les  gladiateurs 
blessés.  Aussi  disait-on  de  lui  :  «  C'est  une  femme,  m  Mais  surtout 
poussant  jusqu'à  une  gigantesque  hauteur  la  plus  puissante  res- 
source des  grands  hommes  :  l'art  de  s'endetter. 

D  faut  comprendre  la  vie  politique  d'alors,  et  par  l'Angleterre  il 
est  aisé  de  la  comprendre.  On  achète  un  siège  aux  communes,  on 
aolietait  de  même  l'èdilité  ;  c'était  le  début.  Conune  le  peuple  nom- 
mait et  que  le  peuple  était  nombreux,  l'élection ,  de  même  q«e  dans 
tons  les  pays  où  la  loi  électorale  est  assise  sur  de  larges  bases, 
réIectioB  était  fort  chère.  On  y  laissait  son  patrimoine.  Geiae  place 
^êdae  ne  rapportait  rien;  seulement  il  fallait  donner  des  jeux  au 


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176  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

peuple.  Si  le  peuple  était  coûtent  de  vos  jeux,  il  vous 
préteur;  8*il  les  trouvait  trop  mesquins,  i)  vous  laissait  là  sans  pha 
et  sans  patrimoine.  Aussi,  ceux  qui  voulaient  faire  fortune  don- 
naient-ils des  jeux  magnifiques,  et  pour  cela  empruntaient  au  Uttx 
légal  de  12  pour  cent  plus  Tusure.  Vous  sentez  que  cela  derait 
aller  loin.  Mais  prenez  garde  :  devenu  préteur,  on  passait  d*abord 
un  an  à  juger  le  s/t//fcidtiim  ou  le  mur  mitoyen,  à  protéger  ForpheliB 
et  la  veuve  sous  les  yeux  des  consuls,  sous  Tinspection  du  sénat, 
sous  la  férule  des  Gâtons;  alors  les  profits  étaient  petits.  Mais  as 
boni  de  Tannée  on  allait  en  province.  Une  province,  c*était  uo 
royaume  entier;  c*était  la  Sicile,  la  Grèce,  la  Gaule,  la  Bretagne,  la 
Syrie,  les  deux  bouts  du  monde.  Une  province,  c*était  la  joie  de 
rbomme  ruiné  ;  c*était  là  qu'il  donnait  rendez-vous  à  ses  créanciers 
pour  Tapurement  de  leurs  comptes,  là  qu*il  levait  des  tributs  pour 
la  république  et  pour  lui,  là  qu*il  prenait  des  esclaves,  qu*il  preaait 
des  statues,  qu*il  prenait  de  Targent,  des  vases  d*or  et  des  dieux; 
quUl  pillait  les  citoyens,  les  villes  et  TOlympe,  qu'il  devenait  artiste, 
dilettante.  Mécène,  et  protégeait  les  arts  en  volant  des  cbeb- 
d*Œuvre.  Après  la  préture,  revenu  à  Rcmie,  s*il  n'avait  voulu  que 
s'enrichir,  il  se  reposait  sur  sa  chaise  d'ivoire  au  sénat,  comme  on 
ministériel  émérite  à  la  chambre  des  lords,  montrant  à  ses  amis  sa 
magnifique  galerie,  protégeant  les  sculpteurs  grecs,  et  passant 
pour  connaisseur.  S'il  avait  de  l'ambition,  sa  carrière  était  plus 
qu'à  moitié  faite;  il  était  homme  de  guerre,  homme  de  tribune, 
«énateur,  consul,  tout  ce  qu*  1  voulait;  il  était  Sylla,  il  était  César. 

Voilà  la  carrière  que  rempht  César,  comme  nul  ne  l'avait  rem- 
plie avant  lui.  Ce  grand  seigneur,  ce  dandy,  cet  enfant  gâté  de  la  for- 
tune, avant  d'être  seulement  entré  dans  la  carrière ,  devait  déjà 
plus  de  6,000,000.  Après  sa  préture  en  Espagne,  où  ses  créan- 
ciers faillirent  l'empêcher  de  se  rendre  (il  fallut  que  le  riche  Cras- 
sus  se  fît  sa  caution),  il  devait  45,000,000;  il  n'avait  pas  agi 
comme  les  autres ,  il  n'avait  pas  cherché  à  s'enrichir  en  Espagne, 
n  avait  compté  sur  d'autres  moyens  de  fartune;  il  lui  fallait  des 
victoires,  des  conquêtes  lointaines,  une  révolution  dans  son  pays, 
et  il  ne  fut  peut-être  si  grand  homme  que  parce  qu'il  eut  des 
créanciers. 

En  un  mot,  c'était  un  homme  heureux  ;  à  la  guerre  il  ne  fut  pas 
battu  une  fois;  deux  fois  seulement  sa  victoire  resta  douteuse;  la 


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LB8  céSABS.  177 

fortiuie  le  combla  jasqu*à  son  dernier  jour,  eHe  le  fit  même  mourir 
comme  il  aYait  souhaité,  elle  lui  troura  une  vingtaine  de  niais 
comme  Brutus  et  Cassius,  pour  lui  épargner  les  ennuis  de  la  vieil- 
lesse,  la  honte  d'un  revers ,  et  les  souffrances  d*une  maladie. 

Qaand  on  foit  descendre  l'histoire  à  tous  ces  détails,  elle  se  rap- 
proche bien  plus  de  notre  temps.  Le  premier  mouvement,  en  lisant 
rhistoire,  est  de  trouver  toutes  les  époques  différentes,  le  second 
est  de  les  trouver  toutes  pareilles.  Cela  mène  à  une  grande  vérité, 
réternelle  similitude  de  Thomme;  Atez  le  costume,  détachez  la 
toge,  ouvrez  le  manteau;  ce  n*est  plus  le  Romain,  le  Français  ni 
le  ChimMs  ;  c*est  Thomme;  les  mêmes  passions,  la  même  intelli- 
gence, la  même  vie.  On  a  étudié  Thistoire  bien  petitement,  si  on 
n*a  pas  compris  cela. 

Pardonnez-moi  ces  quelques  mots  en  faveur  de  la  nature  hu- 
maine, que  tout  le  monde  s*accorde  à  sacrifier  à  une  prétendue 
nature  historique.  Quoique  dans  le  fait  le  premier  empereur  ro- 
main fût  César,  j*aime  mieux  laisser  là  sa  biographie,  trop  pleine 
de  grandes  choses,  et  commencer  à  Auguste. 

Celoi-là  ne  semblait  pas  né  pour  être  un  grand  personnage  ; 
quand  on  vint  lui  dire  que  César  était  mort  et  qai\  était  nommé  son 
héritier,  fl  eut  grand'  peur.  Il  faut  dire  id  de  quoi  se  composait 
la  succession  de  César  :  c'était  d'abord  une  vengeance  à  poursui- 
vre ;  si  elle  ne  s'accomplissait  pas,  la  proscription  ;  si  elle  réâssis- 
sait,  le  pouvoir  :  de  toute  manière,  une  guerre  à  soutenir,  des  lé- 
gions à  payer,  des  amis  onéreux  de  tous  genres  à  garder  à  son 
service;  mille  privilèges  de  toute  espèce  accordés  aux  uns  et 
aux  autres  par  le  testament  de  César,  ou  par  des  testamens 
qu'Antoine  avait  supposés,  à  conserver  en  dépit  du  sénat;  des  legs 
immenses  à  solder  au  peuple  romain.  Telle  était  cette  succession 
qu'il  fallait  accepter  ou  refuser;  les  guerres  civiles  ne  souffraient 
pas  de  bénéfice  d'inventaire,  et  les  premiers  agens  qu'il  devait 
se  procurer  pour  réclamer  ses  droits  d'héritier,  c'étaient  des 
soldats. 

Les  légions,  les  vieux  soldats  de  César  virent  donc  venir  à 
leur  front  de  bataille  un  pauvre  jeune  homme  blême,  boiteux, 
tout  tremblant;  il  avait  peur  du  tonnerre,,  croyait  aux  songes  et 
aux  présages;  fl  ne  parlait  en  public  qu'après  avoir  appris  son  dis- 
cours par  cœur;  U  craignait  le  froid  et  le  diaud,  ne  sortait  que 

TOKS  VII.  12 


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178  REVUB  nS  BMJX  MONDES. 

te  tèle  ûonYOTt^  «eT^ymok  qa'm  Wàèie.  Tonte  YmmtiHSfÊâe  m 
Boquait  de  tt  rotufe.  EélMt  cependant  ifvM  gnede  fuirille di 
bovrg  de  Velletri,  tt  mb  père»  le  premier  de  et  reee,  élaîl  ?ew 
s*éubGr  A  Roaie.  Haie  eeo  graad^père,  disek-oa,  avail  «ci  béa- 
quer  (liaei  nsarier). — Ta  mère  t'aeomertde  firiae, — h»  disak 
celle  genlilhommeiâe  reaiaiiie,  qui  le  préleadaîl  pelk-fils  d*iiB  nee- 
nier.  Ce  n'itail  deac  ai  ta  naissaiioe,  ai  le  oovrage,  ai  racUrilé»  ai  le 
{péoie,  ai  rhmnamli  de  Cèaar  ^Octave  en  an  joar  araîl  fut  pém 
Irob  oeals  sénatearo),  c*éiaîl  loate  aatre  ohoee,  el  il  fallail  levtt 
aulre  chose. 

Les graads  honmMa  œnuDeaoenl une  guerre dTfle,  «i  halrik 
honane  ta  êaiL  Mais  il  n*«ei  gaène  donaé  de  Tadiever  à  eeW  qà 
y  a  pris  une  pari  Irop  active.  Henri  IV  »  s*il  eàl  élé  trop  bon  pro^ 
leslanty  n*eûl  pa  en  iiair  avec  la  Ligoey  arec  laqaene,  roas  le 
savex,  9  ne  fil  qae  transiger.  Bien  prîi  i  BeMpane  de  a*a¥oir  élé  ea 
92  qu'an  petit  tiettteaant  d'arlilerie;  saas  qaoi,  qu*aur»t  pa  être, 
au  18  brumaire,  le  royaliste  ou  le  patriote  de  M,  homme  dé^  elass^ 
homme  déjà  usé,  hoauae  d<§à  jeté  aa  rebut  avec  tout  son  parti? 
Entre  la  position  de  toas  ces  hoaaaes,  Octave,  Henri  IV,  Bonaparte, 
Louis4^liiHppe,  3  y  a  aae  aaàlogie  qui  me  frappe  :  c*est  qu'aacaa 
d>ttx  n*avait  d*avanoepris  parti  irrévocaUemenC  pour  personne; 
edi»-li,  chef  des  proleslans,  était  aUé  à  la  aiesse  après  te  Stiat^ 
Bardiéleaiy;  cdai-cî  n*avait  pas  traité  Antoine,  l'ami  de  César, 
mieax  que  Bratas  BieaBtrier  4e  César;  eet  autre  avi»t  fusflé 
des  royaHstCB  dans  te  rue  Saint-Uonoré,  et  sauvé  des  ém'grés  sa 
Italie,  comme  Heari  IV  assiégeant  Baris  ftnssât,  dans  son  humanité 
et  dans  sa  pelitiqae,  passer  des  vivres  aux  Parisieas.  Tel  autre, 
soldai  républicain  de  88,  venait  de  conquérir  un  titre  de  coar 
aous  les  Bourbons.  C'est  à  ces  hommes-li,  hommes  de  politiqae 
ambigué,  mais  halrile,  teanmefrsanB  parti  et  qui  se  trouvent  être  da 
parti  de  tout  te  monde,  qa'il  appartient  de  venir,  quand  on  est  hs^ 
quand  on  est  dégoAté,  quand  tes  partis  sont  ioml)és  en  dîscrédlit 
auprès  des  masses,  apporter  ce  grand  bien,  alors  tant  apprédé» 
tepaix.  Quand  te  Ligue  touchai  sa  fin,  il  s*étabiit  entre  les  proies- 
tans  et  les  catholiqaes,  ou  pour  mieux  dire,  entre  les  royalistes  et 
tes  ligueurs,  an  tiers  parti,  oetai  des  politiques,  c>si-è-dire  des 
gens  qui  mettaieut  de  côté  te  grande  question  de  te  guerre  civile,  h 
question  refigiease.  làiasi  se  résolvent,  cbea  tes  homan»,  tes  ^aa- 


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àm^Mmiom  pdi)ikfiied,'én  %»  «niel  de  cMé.  <fe  p«ni4l  quilK  ft 
FhDnSadaiff«  Méffippée,  tt  à  Rome  1w  Géorgiqaes  ik  ¥ir^e  et 
ïmmtiûveê  dVarace. 

eoUTO'ii'Mi  pâ9  de  pêtHe  A  devenir  chef  de  ice  parti,  il  iTetit 
qa*à  ne  s'attacher  fortement  à  aucun  autre.  Les  forces  vives  du 
(HMi  ariâdoeratique ,  Brnt«»-et  Cassios,  avaient  quitté  l*ttsflie ;')enrs 
t«|irè0eÉfafl9  à  Rome ,  c'écait  Cicéren  et  de  vieux  sénateurs  ;  An- 
toine régnait  à  Bonie,  non  connne  consul,  maist^onmie  chef  de  parfi, 
mais  comme  exécuteur  testamentaire  de  César;  Il  donnait  des  char- 
(ps,  concédait  des  privilèges,  nommait  des  sénateurs,  dotait  des 
filsB,  isdsait  des  rois ,  dominait  enfin  comme  une  bacchante  tont  ce 
penpfe  qui  voniidt  surtout  être  dominé  :  tout  cela  en  vertu  du  tes- 
tanent  de  Géaftr;  le  testament  de  César  ^rtalt  infini,  on  découvrait 
flÉ.iMniveau  eodicllle  chaque  jour. -Octave  avait  aieheté  -une  armée , 
hdTespectnetrx  héritier  de  Oésardont  le  nom  était  ainsi  profané. 
D  mit  son  armée  an  service  du  sénat  conn^  Antohie;  on  applau- 
iSc,  m  te  ftoa,  on  le  dhargea  de  fleurs  âe  rhétorique;  mais  tont 
en  rembrassant  et  en  se  donnant  Tair  de  le  proftéger,  CScéron  dn* 
sait  tout  bas  :  <r  c*^sM  un  enfnn'qn'ff  fsntélever  povr  s*en  défeive.  » 
Noos  ne  pearvons  vendre  ici  le  •calembonrtdn  grand  orateur,  qtd 
en  a  Ml  encore  bien  d^aatrira  :  ihnandum  pneram,  toUendum. 

Ot  enfiint  (il  avait  vingt  ans  an  fAus)  joua  tontes  les  vieilles 
tém  du  steau  A  la  prem'èrie  bntaMe,  Antoine  finTaincu;  mais  les 
ikBmt^aonadlsnirépabKoains  torem  tués  stQienreusementpotirOetave, 
qa'cD  te  iMpçottna  d'avoir  aidé  le  for  des  ennemis.  BébarrassM 
ainsi  de  ses  anriliaâres,  en  qui  fl  voysSe  des  espions  du  sénat,  H 
draogeatodtâ  eotfp  départi,  et  sfunit  à  Antoine  vafaicn,  dommni 
sawiiiie  prioctpal  >motff  de  sa  Afifeetten  le  calembour  ticéroiiieti 
qtfe-voas  menons  de  citer. 

^tetsta,  aseodé  à  Antohie,  prit  tes  pencbans  de  ce  nouvel  affié. 
L%aKe,  qui  leur  fut  livrée  sans  défense,  fut  inondée  de  sang.  Bans 
cette  prosorîptioa  comme  dans  tontes  les  autres,  depuis  te  ^sisLïtt 
SjrHa  jusqu'à  Tincorruptibte  Robespierre,  toutes  tes  passions  pri- 
vées, toutes  les  haines,  toutes  les  vengeances  vinrent  à  la  curée; 
tane  proscription  fut  d'autant  plus  abominaUe,  que  les  passions 
poétiques  qui  en  étaient  le  prétexte,  étaient  d^à  arrivées  à  teur 
pérjode  derefiroidissement. 

Bmtus  et  Cassius  avatent  fait  la  faute  énorme  de  quitter  lltaKe, 


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180  nEvuB  nm  deux  «ondes. 

ignorant  qu'une  guerre  ne  s'achève  que  là  où  eUe  commence. 
Octave  et  Antoine,  bien  rassasiés  de  proscriptions,  menèrent  eiifii 
contre  les  meurtriers  de  César  leurs  légions  qui  ne  troiiraknt 
plus  à  piller  en  Italie.  La  grande  quesUon  était  avant  tout  :  nov' 
rir  les  soldais. 

Brutus  et  Câssius  se  firent  tuer  à  Philippes  en  abjurant  la  verti, 
comme  si  c'était  la  vertu  qui  les  eût  menés  là.  Antoine  et  Octave 
se  partagèrent  le  monde,  c'est-à-dire  le  reçurent  pour  le  partager 
entre  leurs  vétérans. 

La  tâche  d'Octave  était  difficile;  avec  cette  Italie  dévastée  en 
tous  sens,  couverte  de  maraudeurs  et  de  brigands,  il  fallait  £aâre 
face  à  toutes  les  légions  qui  se  trouvaient  toujours  mal  payées,  aux 
paysans  italiens  que  l'excès  de  la  spoliation  finissait  par  poussera 
la  révolte,  aux  spoliateurs  et  aux  spoliés  tout  à  la  fois,  à  Antoine 
qui  sourdement  animait  ceux-ci,  à  un  fils  de  Pompée  écumearde 
mer,  se  disant  fils  de  Neptune,  qui  tenait  la  Méditerranée  et  intercep- 
tait les  convois  de  blés  ;  brillant  flibustier,  qui,  avec  un  peu  plus  de 
perfidie,  aurait  un  beau  jour  retenu  et  rançonné  l'héritier  de  César; 
au  peuple  de  Rome,  qui,  jusque-là,  indifférent  à  ces  combats,  se 
révolta,  se  battit  trois  jours  durant  dans  ses  rues,  quand  il  s'aper- 
çut qu'on  le  faisait  mourir  de  faim.  Tel  était  l'état  de  l'Italie. 

De  toutes  ces  hostilités  simultanées  naquit  la  paix.  Les  soldats 
l'ordonnèrent  entre  Auguste  et  Antoine,  et  pour  la  sanctionner^ 
firent  épouser  à  celui-ci  la  sœur  d'Auguste,  Octavie.  Les  soldats 
devenaient  arbitres  des  familles  ;  et,  du  reste,  c'était  peu  de  chose 
dans  une  famille  qu'une  jeune  fille  et  un  mariage  :  on  se  débarras- 
sait si  vite  de  Tune  et  de  l'autre.  Le  peuple,  qui  avait  un  faible  pour 
le  jeune  pirate,  fils  du  grand  Pompée,  ordonna  également  la  paix 
entre  Sextus  et  Auguste.  La  part  des  deux  triumvirs  fut  nette* 
ment  faite  :  Octave  resta  à  Rome,  travaillant  patiemment,  laborieu- 
sement, habilement,  à  pacifier,  à  soulager,  à  fortifier  l'Occident; 
Antoine,  à  Alexandrie,  jouissant  de  l'Orient  comme  d'un  festin  de 
bacchanale;  Auguste,  épousant  ou  répudiant  qui  il  voulait  ;  Antoine, 
mari  de  la  sage  Octavie,  dont  le  frère  était  à  craindre,  et  voisin  de 
la  belle  Cléopàtre.  Il  en  résulte  que  tandis  que  l'un  resta  un  digne 
Romain  et  un  époux  fidèle,  Tautre  oublia  dans  les  orgies  d'Alexan- 
drie la  majesté  de  Rome  et  la  fidélité  conjugale,  double  crime  que 
son  rival  dénonça  au  sénat,  et  dont  il  fut  puni  à  Actium. 


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Les  CÉSARS.  181 

Telle  est  en  quelques  lignes  Tbistoire  de  rélévation  d'Auguste. 
Miôs  que  trouvaitril  dans  Rome,  devenue  son  bien  par  droit  de 
succession  et  par  droit  de  guerre?  Beaucoup  de  lassitude,  beau* 
coup  d*épuisement,  aucun  principe.  César  était  mort  à  la  tflche  en 
Youlant  établir  trop  tôt  sur  les  ruines  de  Taristocratie  romaine  une 
société  nouvelle,  cosmopolite,  nivelée;  il  avait  détruit  et  n'avait 
rien  fondé.  Le  peuple,  pour  qui  il  avait  travaillé,  adorait  son  nom, 
mais  De  s'était  pas  soucié  de  prendre  les  armes  pour  Antoine ,  le 
chef  du  parti  extrême  chez  les  césariens.  Le  parti  contraire,  ré* 
publicain  et  aristocratique,  était  resté  livré  aux  vautours,  comme  le 
cadavre  de  Brutus  sur  les  plaines  de  Philippes.  Mais  ce  qui  était 
effrayant,  c'était  le  désordre  de  la  société.  D  faut  se  figurer  une 
terreur  de  quinze  ans,  une  lutte  de  quinze  ans  entre  un  Danton  et 
un  Robespierre,  pour  comprendre  ce  qui  pouvait  en  rester;  il  faut 
songer  que,  pendant  une  période  de  trente  ans  peut-être,  pas  un 
personnage  un  peu  notable  ne  mourut  dans  son  lit;  il  faut  se  sou- 
venir que  chaque  homme  un  peu  important  d*alors  donnait  à  son 
affranchi  de  confiance  deux  meubles  nécessaires ,  un  stylet  pour 
écrire  ses  lettres  et  un  poignard  pour  lui  donner  la  mort  quand 
rheure  viendrait;  il  faut -songer  à  ce  qui  pouvait  rester  debout 
après  une  telle  anarchie.  Le  sénat  que  César  (et  après  lui  Antoine) 
avait  flétri  à  plaisir  et  mêlé  de  tous  les  barbares  quUl  avait  vaincus, 
était  une  cohue  sans  dignité  et  sans  loi.  Les  chevaliers,  c*estrà-dire 
ce  qui  avait  fait  l'aristocratie  d'argent ,  avaient  des  places  d'hon- 
neur qu'ils  n'osaient  aller  prendre,  de  peur  que  leurs  créanciers 
Devinssent  les  y  saisir;  leurs  quatorze  bancs  au  cirque  étaient 
presque  déserts.  Rome  était  pleine  de  bravi;  sur  les  routes,  on  ar- 
rêtait les  voyageurs  pour  les  faire  esclaves.  Tout  cet  empire,  pillé» 
^lévasté,  mis  à  sec  par  tous  les  partis,  demandait  de  quoi  vivre,  et 
Codait  à  Auguste  non  des  mains  suppliantes,  comme  disent  les 
poètes,  mais  bien  plutôt  des  mains  mendiantes;  les  patriciens  et  les 
grandes  familles  lui  demandaient  de  quoi  payer  leurs  robes  de 
pourpre  et  leur  cens  de  sénateur  ou  de  chevalier  ;  la  population 
oisive  et  toujoûrscroissante  de  Rome,  du  blé  pour  vivre;  lltalie,  des 
laboureurs  ;  les  provinces,  une  diminution  d'impôt  ;  le  monde  tout 
entier  était  comme  un  mendiant  aux  pieds  d'un  seul  homme. 

Le  fils  du  banquier  de  Velletri  était  bien  mieux  placé  là  que  le 
)rillant  César.  Ces  corc'^tères  pAlcs,  incertî>inq,  éqi'î^'orj^es ,  irai« 


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tÊà  REYUB  MM  MRIX  llOIfDBS. 

fur  .impriM^p^»  nottsie  Mmiflft  biMi.Oct«v«  ne  ë^appvfft  ni  sm* « 
pi»ieîpe«iiiin'«onT»fli;11^iâMrelni^ealeiBent  fr  secourir  t^hactui,! 
Be  fShdier  personne,  fl  ^afvâtété  eroël  qnnnd  11  «rrit  eu  à  sootsrfr' 
«ne  lutle  ^idlenie;  la  4tilite  ^ie ,  fl  fm  dénient.  Il  savait  qu'en  po* 
litique,  (fiioi  qti*en  ident  dit  âes  niais  sangafattir^s,  eeMmfietmom 

Détotticbe,  presquesesl  riche  en  oe  temps;  ridie  de  son  patri- 
moine ,  <ric^  de  la  sa^^sse  atee  laquefle  il  arait  su  faire  écoBOffli* 
quememla  guerye  d^fle,  ridhe  des  legs  de  ses  amis,  qui,  sehmlt 
coutume  romame^ne  mouraient  ^ptts  sans  lui  laisser  quelque  chose 
de  leur  bien.  A¥ec  oette^fortnâe  bien  ménagée,  il  soulagea  tooth 
monde ,  paya  les  legs  énormes  de  César,  donna  des  secours  au 
grandes  ftH!nffles'(CHisant  ainsi  sa  pensionnaire  de  ruristoeratie  M 
ennemie),  pôtiça'ettranqiiniisa1%^Iie,  fit  venir  du  Mé  d*Egyple,f^ 
maître  du^n^or  immense  des  Tietémées,  au  Ken  de  le  gavder  pour 
lui-4néme,  eomme^t  firii  tout  autre,  et  méme^Oésar,!!  mit  danafk 
dreulatioflicellemasse  énorme  d*ore<  d'argent  ;'rintéMt  defatigeilt 
m  baissa,  «lies  terres  d^ItaHe  augmentèrent  de  râleur,  fl  yatik 
des  répidjiteains ,  i^*est-à«dire  des  arisioerates,  ^'émit  la  même 
chose  ; 'de  quoi  se  faÉsent«*fls  'flid^pés?  Tout  se  passait  légelleineflt; 
Octave 'ii*èiait  point  toi,  Dteu  Ten  gsrrde,  il  il- était  pas  même  dieti* 
teur,  eomraeiMrit  eu<iU'folie  de  f^re  son  onde  C%sar,  qui,  liii,  w 
saFrait  pas  si'bien'Ia»valenr  desmcfts.  Au  contraire,  quand  on  dffé 
Toulu  le  nommer  Acelie  digËité,  il'awdt  supplié  à  genoux,  la  top 
€»tr*ouyerte,  qu^onla  liii  épargnât.  îl  s'irritait  si  onTappéiait  se- 
gneur.'Le  séfiat^ravâfk  dédaré'grand  pontife,  dignité  répofblimiiie; 
tribun,  dignité  i^épiA)lioeiSne;eonsM,  autre  digni^ vde  la  répdMi' 
que  :  ^ainsi ,  «ans  dianger  un  tHre ,  «et  arec  un  scrupille  -de  U^itSA 
qui  eAt  enchanté  Gaton,  Octale  réaiiissait  toute  la  puissance  ré- 
gieuse ,  domestique  et  niil'taire  :  la  république  if  était  pas  détruite; 
au  contraire  efle  vivait  incarnée  en  lui.  Rappelez-vous  nos  mon- 
naies, où  on  lit  encore  :  République  française ,  Napoléon  empereur. 

Voilà  pour  les  républicains  ;  restaient  les  deux  grandes  puissances 
de  répoque,  le  peuple  et  les  vétérans.  Les  vétérans  éta^t  Tarmée 
de  César,  Fermée  d'Antoine,  Fermée  d'Octave;  tout  un  peuple  de 
soldats  qui  vivait  de  guerres  civiles  et  qui  les  entreprenait  à  prii 
fiât,  comme  les  condottieri  italiens.  La  guerre  finie,  il  fallait  ks 


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me  province,  on  mettait  les  yétèt^Ltmà  iewr  fàêitiB^  et,  ettmpé»  aiiMi 
tes  on  près  des  avtrts,  ils  éiaSeiit  prêts  à  Mmclier  au  premier  mot. 
OfelaTO,  q«i  leseraignsii,  leur  donna  des  terres,  mats  en  les  dis^ 
persant.  Ce«x  qui  restèrent  sous  les  armes,  Aies  envoya  combattre 
fur  le  Ktm ,  guerre  lointaine  et  pauvre,  eà  il  «*y  avait  rien  à  piRên 
B  les  mit  lofai  de  l'Italie,  loîn  de  Rome  aetant  qu'il  plit. 

Venait  le  peuple.  Le  peuple  était  un  suMme  itiékinge  de  tous  les 
Mneos^  divers  qui  avaient  passé  par  la  vieiHe  Rome;  mi-parti  d*a!P- 
franch»  et  d'bommes  Kbres,  de  vieux  KoMsias  et  d^étrangers,  de 
firecs  et  de  barbares,  de  citad^et  depro'Hiieiaux,  admirable  eo- 
kne  qui  s*appe)ait  le  peuple  romain,  el  savait  parfois  soutenir  lu 
dignité  de  oe  titre  ;  enfisnl  gâté  de  toutes  les  puissances,  que  F aris^ 
tecraiis  patricienne  si  opulente  s'était  cependant  ruinée  à  divertir, 
psor  lequel  on  feisait  tenir  les  gladiateurs  de^  la  Germanie,  les  re*- 
itàim  de  la  Guide,  tes  lions  de  rAtlau,  les  danseuses  de  Cadix,  les 
eirsfes  du  Zabara,  à  qui<>n  donfnuit  de  magnifiques  spectades  et  en 
même  temps  du  pain  pour  qu'il  ne  Mt  pas  obligé  d'aller  travaffler  eu 
sortant  de  tii  :  el  à  quoi  c^-M  travaillé,  6e  peuplegentilhokmneT  Tous 
Im  nétiers  étaient  frits  par  des  esdaves.  R  lui  fMkrit  en  outre  (car 
les  Grecs  lui  avaient  donné  des  prétentions'tfartiste)  que  sa  ville  Mt 
Me;  et  s*3  logeait  dans  un  taudis  au  septiStne  étage,  dans  quet- 
qoes-nnes  de  ces  maisons  énormes  oii  s^isfaHait  toute  une  tribu, 
comme  nos  maisons  de  location  dufeubourgSaint'Maroeau,  il  fallait 
<|v'ii  oe  promenât  les  jours  de  pluie  sous  ^es  portiques  corinthiens, 
qn^il  fit  ses  affaires  et  qu*i}  entendit  burler  ses  Sfvoôais  dans  des  b»- 
fSiqaes  opulentes;  que  ses  bains  fussent  de  ittarbre,  ses  statues  de 
imirbre,  ses  théâtres  de  marbre  et  de  porphyre  :  tel  éliat  le  goAt 
de  cette  redoutable  majesté. 

Auguste,  successeurde  raristoeràtie,  déficit,  comme  elle,  nourrir 
k  peuple,  Tamuser,  lui  embeHtr  sa  belle  Botne.  Il  Mlait  qu'à  ses 
frais  et  par  ses  soins  les  Wés  d'Egypte  et  de  Sieie  vinssent  nourrir 
fc  prolétaire  romain ,  trop  accoutumé  à  recevoir  le  pain  de  la  main 
«te  ses  maîtres  pour  qu'on  p4t  songer  à  le  fcii^  vivre  autrement.  II 
fellait  jeter  l'argent  sur  le  Forum  aux  hommes ,  aux  femmes,  «at 
enfens ,  à  tout  ce  que  la  dignité  de  citoyen  romain  appelait  à  pren- 
dre part  à  cette  aumône  solennelle;  du  reste,  il  s'en  fallait  é  bien  que 
rttunèneftt  quelque  chose  d*tiuniilîant,<|!f  il  gavait  dans  Vannéet^ 


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184  BEVDE  MS  DBUX  HONDBS. 

jour  OÙ,  par  suite  d*un  vcdu,  Aogusie  lui-même ,  assb  à  la  porte  dt 
palais  y  tendait  la  main  aux  passans. 

Le  peuple  avait-il  faim?  il  demandait  du  pain  à  son  maître;  avait- 
il  soif?  il  lui  demandait  des  aqueducs,  il  lui  demandait  le  rin  iboi 
marché.  Auguste  ainsi  supplié  refusait  quelquefois;  mais  après  tem, 
c'était  chose  commode  qu*un  tel  tyran.  Le  peuple  s*ennuyaîl-il?  û 
demandait  des  jeux.  Et  alors  T Afrique,  TAsie,  TOcddent»  toûL 
s'émeut  pour  lui  envoyer  des  acteurs,  des  bouffons,  des  philo- 
sophes, des  bétes  féroces,  descombattans,  des  monstres,  des  sal- 
timbanques; on  lui  montrait  un  jour  un  rhinocéros,  un  autre  m 
boa  de  cinquante  pieds;  au  cirque,  il  y  avait  des  courses  dedK^ 
vaux,  et  des  luttes  à  là  grecque;  à  TamphithéAtre,  des  gladiateurs; 
SkVL  théâtre,  des  histrions  et  des  pantomimes,  nouveau  genre  de  di- 
vertissemens ,  et  que  Tantiquité  aima  jusqu*à  la  fureur  ;  à  tous  les 
xoins  de  rues,  des  bouffons  parlant  toutes  les  langues,  car  cette 
Rome  aux  cent  têtes  les  parlait  toutes  ;  les  jeunes  gens  des  grandes 
familles  venaient  jouter  devant  le  peuple,  des  chevaliers  veaaieac 
devant  le  peuple  faire  les  gladiateurs  dans  Tarène. 

Avec  le  cocher  des  courses  {agitator)^  le  pantomime,  le  gladia- 
leur,  était  le  favori  le  plus  intime  du  grand  seigneur  romain,  Tidole 
la  plus  chère  du  peuple  ;  c'était  là  conune  les  coureurs  de  New- 
Market,  ou  les  boxeurs  en  Angleterre,  les  protégés,  que  dis^e  les 
amis,  les  commensaux  du  sporuman  romain;  on  vivait  avec  eui 
sur  le  pied  de  Testime  comme  un  turf-genileman  avec  un  jo<dLei.  Soos 
la  république,  le  gladiateur  avait  encore  rempli  un  autre  rôle,  on  eo 
achetait  par  bande  (familiœ)  pour  les  faire  combattre  devant  soiaui 
festins,  aux  noces,  aux  f  unéraiOes;  on  en  avait  aussi  pour  garder  au- 
près de  soi,  pour  s*en  faire  entourer  au  milieu  des  sanglantes  dis- 
cussions du  Forum,  pour  trancher  à  coups  d  épée  les  délibérations 
de  Rome  républicaine;  mais  sous  Auguste,  le  gladiateur  perdit  sa 
fonction  pohtique,  il  ne  garda  plus  que  sa  position  sodale  sur  le 
même  pied  que  le  pantomime,  Yagiiaior,  le  sculpteur,  et  un  peu  au- 
dessus  du  philosophe.  Aussi,  ces  gens4à  sentaient-ils  leur  im- 
portance :  a  César,  disait  le  pantomime  Pylade  à  Auguste,  sais-ta 
qu'il  t'importe  que  le  peuple  s'occupe  de  Bathyle  et  de  moi  I  » 

Rome  ne  pouvait  avoir  trop  de  fêtes,  ni  trop  de  monumens;  les 
4>bélisqu|^  de  TÉgypte  8*élevaient  sur  ses  places,  Teau  vierge  loi 
^tait  amenée  dans  les  aqueducs  d* Agrippa;  tous  les  hommes  qui 


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LES  CÉ8AR8.  185 

étaient  restés  riches  après  les  guerres  dySes  reeeraieiit  de  César 
Tordre  de  travailler,  comme  lui,  à  rembeffissement  de  la  dté-reine, 
Balbus  lui  faisait  un  théâtre;  Philippe ,  des  musées;  Agrippa,  son 
Panthéon,  cent  dnquante  fontaines,  cent  soixante-dix  bains  gra- 
toits;  Asinius  Pollion  (chose  singulière),  un  sanctuaire  à  la  liberté; 
f  Voyez  cette  yiHe,  disait  Auguste;  je  Tai  reçue  de  brique ,  je  la 
laisserai  de  marbre.  » 

Maintenant,  au  miKeu  de  cette  Rome  devenue  si  beUe ,  si  volup- 
toeise,  si  pleine  de  sécurité,  on  voyait  passer  un  homme  simple- 
ment  vêtu ,  marchant  à  pied ,  coudoyé  par  chacun ,  habillé  comme 
Fabius,  d'un  manteau  feit  par  ses  filles.  Cet  honmie  allait  aux 
comices  voter  avec  le  dernier  prolétaire;  il  allait  aux  tribunaux 
cautionner  un  ami,  rendre  témoignage  pour  un  accusé  ;  fl  allait  chex 
tin  patricien  célébrer  le  jour  de  naissance  du  maître  de  la  maison , 
OQ  les  fiançailles  de  sa  fille.  Il  rentrait  chez  lui  :  c'était  une  petite 
maison  sur  le  mont  Palatin,  avec  un  humble  portique  en  pierre 
d'Albe,  point  de  marbre,  point  de  pavé  somptueux,  peu  de  ta- 
bleaux ou  de  statues,  de  vieilles  armes,  des  os  de  géant,  un  mo- 
bilier comme  ne  Teût  pas  voulu  un  homme  tant  soit  peu  élégant  :  ce 
qu'A  avait  eu  de  vaisselle  d*or  du  trésor  d'Alexandrie,  9  l'avait 
fait  fondre;  de  la  dépouiHe  des  Ptolémées,  il  avait  gardé  un  vase 
de  myrrhe:  il  se  mettait  tard  à  table ,  y  restait  peu,  n'en  connais- 
sait pas  le  luxe  si  extravagant  alors  ;  avec  du  pain  de  ménage ,  des 
figues  et  de  petits  poissons,  le  maître  du  monde  était  content:  à  le 
voir  si  simple,  qui  aurait  osé  dire  que  c'était  un  roi?  Un  soldat 
l'appelait  en  témoignage  :  «r  Je  n'ai  pas  le  temps ,  disaitril ,  j'enverrai 
an  autre  à  ma  place.  »  —  <r  César,  quand  tu  as  eu  besoin  de  moi^  je 
n'ai  pas  envoyé  un  autre  à  ma  place,  j'ai  combattu  moi-même,  d  et 
César  y  allait.  Il  fallut  que,  déjà  vieux,  à  la  célébrat'on  d'un  mariage» 
9  ftt  poussé  et  presque  maltraité  par  la  foule  des  conviés,  pour  qu'Q 
cessât  d'aller  aux  fêtes  où  on  l'invitait. 

Et  pub,  cet  homme  pacifiait  T Italie  et  le  monde ,  c'était  le  con- 
dliateur  universel,  l'homme  des  ménagemens  et  de  la  paix.  Il  r^ 
mettait  les  vieilles  dettes,  déchirait  les  vielles  enquêtes,  fermait 
les  yeux  sur  les  usurpations  consacrées  par  le  temps,  sur  tous 
ces  droits  à  demi  légitimes  qui  restent  des  révolutions,  et  auxqueb 
il  est  si  dangereux  de  toucher;  il  passait  le  jour  et  la  nuil  à  rendre 
ia  juscfoe;  malade,  U  écoutait  chez  lui  les  plaideurs.  Il  ne  pre^ 


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UTUB  wm  mm  mondes. 

MK  pM  JBÎIik  QBM0  pMT  lSMBén69  il  CMNNUBMWt  «  W^^ 

«■Mda  NionMM'i|Manuildîl:  <r  Nite  otwrieft, iî le dérfr  wm 
Mnq«0foolpe«r  tosr  €iMir;»€flADiiéttimîlàTîMr»:«lieft 
laisse  fAs  alhv  èlanvmcMr^le  len  èse»  et  ne  twHtt  pas  trap  âii 
dit  da  Dttl  da  mms,  c^eat  Uam  asaaKsi  «n  ne  aMVs  tn  ftalpaa.  • 

Ca  pouvoir  fiit  oartanenevtie  piosdoiUL  de  la  leire;  parwltai 
d^hommages  que  la  flatterie  lui  adressa,  il  y  ea  a  un  qui,  daai 
Fantiquié,  semble fvafqueéftraDVB»  et ipridknina  biettidiaéice 
4B*était  sa poiiiiqne;  la  jo«r  ai  Auguste mmrakdanaBoaie,  asai 
Inaait  périr  anciro^riaMMi. 

Mais  ilestnn phéwHnéiisà  olMeFTor :  destqnetseinqni arrifait 
animnn  Angwtepour  lemter  ka  guerree  oivâas^  s"îi$  aortant  m 
pa«,  dans  Faaage  da  km  aouvataiaelé  »  ée  la  Kgne  da  jnsln  KiKffi 
et  de  poHtiqDe  éqmvaqne  qn*îia  adoptent  d^ordintlre,  e*aatprot- 
qne  tonîaufapour  réagir  caotiB  le  parti  qn'ik  ont  aantena  daai 
knr  principe  etipii  leaapanés  anpouvoir*  Leaf)iartis<orîent  i  Tàh 
yatîtuda  cowa  ai<n  lenr  devait  de  la  reeaiMMiBimooa  si  nan  a« 
h— awaufiBttainginiimAi  tfestfa^iBieféaotiQnnécaaaaireuHeimff» 
ëereMiMii,  aei^  très  bien  qu'il  démît  élre  rai  da  iont  le  naads 
et  non  ées  pniliastans^  et  ifne  s^l  se  derait  à  q«eiqu*nn,  c'élail  pea^ 
être  plus  eneonàia  Ligne  «me  qni  H  avait  traneieé  qu'ans  roph 
fiateaqainvaieaaiOQalialiu  ponr  lai,  BoMpartn,  afnnt  mine  d'être 
ansperenr,  Banaparte  qnî  avait  été  patriale»  relevait  le  colla  et  il 
■obleaBe,  «t  panr  piimira  ennemi,  9  avait  las  compagnons  de  m 
victoire,  Pitlif0ni,.llorean^  Benmdoite,  nomme  Henri  I¥  le  nmfé- 
almldelKraR. 

Celadait  être:  «n  parti  vainqueWfOH^se^ireîl  «el/na  oom* 
prend  pas <»tÉe aranaassièn  tariiaon  formelle  aans  laqueHeflass 
iamrinentpasè»  gnatitndrtlas;  H  se  croit,  oamiMles  émigrésds 
iSik^  ou  les  pntmQiaade  ISao,  des  draitsOTciamftalaans  bama;l 
ne  reconnatt  de  droits  à  pernsmieaiitte  que  lait  iliieii*imnginapm 
de*réAédnrvlujfmasBtaiu,4na  san>ehef,  pliant  le  genoodevnmb 
Ugue,  s*estbîtcatMiqimàSainl**D6ma,  etqoeai  Henri  <¥  ml 
nntré  dana  Paria,  c'eatiavac  k  oensenteaMnt  et  m  maînteaaait  k 
^^dpe  da  la  Iigim.nae«oaBpriendpaB,  lméaiigi^,laclMifie  da 
flaint4)neB,  ni  M  palrieie,  lea  «rapa  da  fosil  dans  ks  niea  da 
fiariscaoïmlmaoatinnaieaEsarritréade  lASO;  vaîlèpowni^  aiecm 
4lmf  estlmfaae,  BantiMwbkntétnrdisismiaNM  aveoaMicftn4 


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I 


hMiiffeit,  c'est Iitt  <|H*iI  £uil^  relevés;,  imUasodélé  aevitwMr  wm 
dièe  absolue,  «ulle  coaibiaaisoB  natîoBale  ne  fiirele  sur  um  «fIlo«- 
lÙBue;  dans  lo«(e  SQdélév  il  fiant  «b  pe»  de  chaMpue  deae. 

La  vieille  Rome,  la  Rome  arisle€«alM|He  éiail'  vaioeiiey  bttttie  à 
Iharsale  et  à  Philippes,  où  son  parti  était  mort  les  armes  à  la  main  ; 
battue  dans  la  cité  où  ses  mœurs ,  sa  foi,  ses  lois  étaient  mises  en 
imUi;  battfHe  daas  k»  temples  «è  Toa  ft'ttdorait  plus  que  des  dieux 
kti^s&ssy  battue  dans  le  séMlqui  dtaîl  ainli  el  méiè  de  barbarefw 
It  par  cette  raison  même,  ce  foc  la  vieille^K^aie,.  la  Reoie  avietoerar 
tique  (|o*AugpMte  checcàa  à  relever.  Celte  réaietie»,  cette  restau^* 
BitioD  tessemUe  à  ee^que  testant  Nap^léo»  ea  relevaat  le  coke» 
rétablissant  une  noblesse  ^  rw^wiinit  une  e^w,^  reffatianl  de  la  «Of 
raie,  de  la  bienséaace ,  de  V baoneur  à  la  faew<  àm  siècle  passé.  Ces 
deox  aiioaiîons  aeit  admrableiDeni  aiialo0Biea;  cbacmi  dies  deux 
yrineea»  frappé  de  e^  <|iii  manquât  aii  régpiae  nouveau^  dierebail  è 
h  retrouver  dans  TaacieR  régime;  Tun  reluisait  te  weiUe  Rome» 
Favtrek  vieille  PraMS,  laissant  de  eôté  dans  Fane-  ek  dans  TaiHre 
ee  qû  riBeoiBflM>daÂt,  Tun  Taristocralâe  réywbliea«at„  Kamre  lee 
privilèges  qui  entouraient  et  gênaient  la  royauté* 

Ni  Fan  ni  Taiitre  nf «vaieKt  ^i  graad  toct.  Certea,  aeus  Aneoite, 
f^tle  décadence  de  la  moraMté  et  de  la  vie  ropaaioe  était  u»  mak 
Baas  Tantiquîté,  les  sooîélés  vepo^ent  tentée  sur  la  natienalilé» 
w  la  foi,  les  institutions  ^  les  mœurs  de  €lia<|yie  pays ,  les  natî^iialft* 
tts  étrangères  i  Roaie  avait  été  vaincue^,,  la  naïkNialité  romaiaa 
Micpsat  à  son  uiur,  quel  liea  reslait^il  a»  monde?  Ce  fÊoblèam 
V'Augosie  fat  loin  de  résoudre,  en  cberehant  à  r-elever  les  mœiurs 
Mumiea^  tourmeAta>Ie  monde  quaise  aièeles  du^rsuUi. 

L*ea^eprise  étaitdifieile;  Aa^^ste,  f^^ennooayQpréseiKkecomme 
l^eaneaiî  des  îastituAiens  de  la  répablique,  chercbaii  des>  questeui^ 
des  tribuns,  des  candidats  ^x  chaiies  répubUcaiiies,  etn*en  trovH 
vaiipas:  si  qcie^|«^*iis dans iUme  était  Romaim,  c*é9aiit  k^seuL 

B  entYeprit  la  restanratiei^de  la  vieille  Rome  axée  ieirteeahiéra«* 
Aieu  Uvoiahil  qiiele  lilre  de  citeiea  rimiani  ne  fiMjplus  prodîgné» 
H  q«e  ie  febm  des  provinces  n'inondit  plus  la  eité  romaine*. 
\m  ihéAire,  il  v^ului  foire  i evivA*  UMiiétm  les  djatiaeiione  amiqcee^ 
linon  le  prenaiec  bisne  atu  séoat^Mipa,  les  auivans  au  dwva* 
mm,  aégunky^lmmm  wmié$émMVMmm^  lea*  adnltee  àm 


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188  RETUB  DBS  DEUX  MONDES. 

enfansy  les  citoyens  des  affranchis,  les  Romains  des  étrangers,  les  p 
hommes  en  manteau  de  ceux  qui  portaient  la  toge.  D  vit  un  jour 
toute  une  assemblée  vêtue  de  cette  ignoble  pœnula  qui  simulait 
la  toge  ou  dispensait  de  la  porter.  Voilà  donc,  s*écria-t-il,  en  rapp^ 
lant  ironiquement  une  parole  du  poète  : 

a  Rorcanos  rerum  dominos  gcntomqiie  togatam.  d 

Mais  ce  n'était  rien,  il  fallait  relever  la  moralité  romaine,  restrein- 
dre le  luxe  bien  autrement  dangereux,  alors  qu*il  n*y  avait  pas 
d'industrie;  rebâtir  les  temples,  doter  les  pontifes,  réhabilterle 
mariage  qui  semblait  prêt  à  passer  de  mode  :  voilà  où  la  vieille 
Rome  avait  mis  sa  force,  et  hors  de  là,  en  effet,  quels  principes  de 
force,  de  moralité ,  pouvait-on  lui  connaitre? 

Mais  c'est  là  aussi  que  le  siècle  résistait  davantage  :  Auguste  en- 
richissait les  collèges  de  prêtres,  dotait  les  vestales,  et  cependant 
les  vestales  lui  manquaient.  Nul  citoyen  romain  n'offrit  sa  fille  pour 
une  place  vacante,  il  fallut  descendre  aux  filles  d'affranchis:  Au- 
guste jura,  dans  sa  colère,  que  si  ses  petites-filles  n'eussent  pas 
passé  l'âge,  il  les  aurait  présentées  ;  Julie,  a-t-on  observé,  eût  fiiit 
une  étrange  vestale. 

Mais  la  grande  plaie  du  temps ,  c'était  le  célibat.  L'antiquité  igno- 
rait ou  ne  subissait  pas  la  loi  fatale  de  Malthus;  ce  fut  toujours  la 
dépopulation  qu'elle  craignit  pour  les  états;  le  mariage ,  sans  être 
pourtant  un  joug  bien  lourd  et  peut-être  même  parce  qu1l  pesait 
peu,  était  un  joug  que  tout  le  monde  repoussait.  Au  bout  de  quel- 
ques années,  de  quelques  mois,  on  quittait  sa  femme,  on  quittait 
son  mari  pour  en  prendre  un  autre.  César  eut  trois  femmes,  Au- 
guste quatre  ou  cinq;  chacun  des  membres  de  sa  famille  fut  marié 
cinq  ou  six  fois;  mais  le  célibat  semblait  plus  commode  encore,  et 
joint  à  la  débauche,  à  la  diminution  de  la  culture,  au  luxe  égoïste 
des  familles  riches ,  il  dépeuplait  l'Italie. 

Ce  ne  fut  qu'à  la  fin  de  sa  vie,  quand  sa  politique  fut  bien  affer- 
mie, qu'Auguste  osa  demander  au  ^nat  des  lois  qui  ne  nous 
sont  connues  que  par  fragmens,  mais  dont  l'ensemble  formait  un 
système  qui  paraîtrait  aujourd'hui  bien  étrange;  elles  faisaient  des 
célibataires  comme  une  classe  d'ilotes  qui  ne  pouvaient  ni  recueiWr 
un  legs,  ni  remplir  une  charge;  du  mariage  et  de  la  paternité,  ua 
mérite  suréminent  qui  dispensait  de  tous  les  devoirs  pénibles,  qui 


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LES  CÉSARS.  189 

attirait  toutes  les  fevenrs.  Ainsi,  d*an  c6té,  les  anciennes  lois  re- 
nouvelées contre  Tadultère,  le  divorce  restreint;  de  Tautre,  le 
mariage  commandé  et  honoré  :  c'était  pour  les  mœurs  tout  ce  que 
les  lois  avaient  à  faire  dans  le  cercle  étroit  de  leur  pouvoir. 

A  ces  efibrts  pour  une  restauration  officielle  de  Tantiqnité  ro- 
maine, à  ces  désirs  du  maître ,  naquit ,  en  réponse ,  un  concert 
de  louanges,  d'espérance,  de  moralité  et  de  sentimentalité  ro- 
maine, enfantées  par  toute  la  flatterie  de  ce  temps-là,  par  toute 
la  cour  poétique  du  César.  Il  ne  faut  pas  nous  étonner  s*il  ne  crai- 
gnait pas  les  souvenirs  de  Tancienne  histoire,  s*il  permettait  à  ses 
poètes  de  célébrer  le  noble  trépas  et  Vatroce  courage  de  Caton, 
siraijriculture  des  vieux  Sabins,  si  les  fastes  de  la  Rome  quirinale, 
si  toute  la  mythologie  de  la  Rome  païenne  étaient  les  sujets  de  leurs 
chants;  s'il  pardonnait  à  Tite-Live  ses  sympathies  pour  la  liberté 
aristocratique  de  Tancienne  Rome,  et  se  contentait  en  riant  de 
rappeler  Pompéien  :  c'est  que  dans  le  fond,  fl  n'avait  point  à  défen- 
dre le  parti  de  César. 

Cest  une  merveille  comme  tous  les  beaux  esprits  de  ce  temps  se- 
condèrent à  leur  manière  cette  réaction  religieuse  et  morale,  qu'Au- 
guste voulait  comme  d'autres  l'ont  voulu  dans  une  position  pareille, 
parce  qu'après  tout  possible  ou  impossible,  la  position  le  conseillait 
aux  autres  et  à  lui.  Pendant  qu'au  sénat,  il  lisait  le  discours  du 
vieux  Métellus  de  proie  creanday  (témoignage  qui  prouvait  au 
reste  combien  étaient  anciennes  les  anciennes  mœurs,  et  comme  de- 
pu's  long-temps  on  se  lamentait  sur  leur  décadence),  pendant  qu'il 
écrivait  sur  la  table  d'airain  où  il  rendait  compte  de  sa  vie  publi- 
que :  cr  J'ai  proposé  à  la  république  les  exemples  oubliés  de  nos  an- 
cêtres, j>  son  Horace  et  son  Ovide  devenaient  de  vrais  Romains. 
9  Rétablis  donc,  écrivaient-ils,  6  fils  de  Romulus,  si  tu  ne  veux  ex- 
^  pier  innocent  les  crimes  de  tes  ancêtres,  rétablis  les  temples 
«  écroulés  de  tes  dieux,  et  leurs  statues  noircies  de  fumée:  soumis 
«  aux  dieux,  tu  règnes  sur  le  monde;  oubliant  les  dieux,  tu  as  ap- 
«  pelé  des  maux  affreux  sur  la  malheureuse  Italie.  Erydne,  riante 
«  Vénus,  mère  de  notre  César;  chaste  Diane,  toi  qui  donnes  de  glo- 
^  rienx  enfans  aux  épouses  fidèles  ;  Apollon,  dieu  du  soleil,  puis- 
«  ses-ta  dans  ta  course  ne  voir  rien  de  plus  beau  que  notre  Rome! 
<  Dieux  puissans,  si  Rome  est  votre  ouvrage,  donnez  des  mœurs 
c  pures  à  la  docile  jeunesse;  à  la  vieillesse,  donnez  un  paisible  re- 


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^ù  REVUE  DIKS  MUX  «ONDES. 

a  pos;  aax  fils  deRomaluA,  dooneBlapuMsancet,  IftfiéieDiiditéetlt 
9  gloire.  Déjà  la  foi,  déjà  la  paix,  déjà  la  bienséanee  et  raaiiqiia 
a  pudeur  reviennent  parmi  nous  avec  la  vertu  si  loa^tamps  négiK 
a  gée  ;  les  maisons  sont  devenues  chastes ,  U  a*y  a  ph»  d'aéukère^ 
g  les  lois  et  les  mœurs  ont  détruit  Tinfaioe  débauche  ;  il  a*y  a  pas  d& 
9  ailles  sans  châtiment,,  et  les  mèras  se  glorifient  d'enfans  semUib* 
Q  blés  à  leurs  époux«  ^> 

La  littérature,  dit-on,  est  Teipressioii  de  la  société  :  rhommeoHK 
la  femme  d*esprit  qui  a  imaginé  «elte  maxime  ne  pensait  pas  sans 
doute  à  cette  candeur  patriarcale  delà  littérature,  à  cette  poési0 
de  rage  d*or  dans  un  sîède,  dont  nous  aUona  chercher  à  montrer  la 
réalité.  Déjà,  quand  Tltalie,  dévorée  par  la  guerrecivife,  n'avait  plus 
de  bras  pour  culti^^eir  ses  champs  et  domer  du  pain  à  ses  popahh 
lions  errantes,  quand  le  peu  qui  reslait  de  laboureurs  étaient 
chassés  de  leurs  chawps  pat  les  e0filurioiis,  pendant  que  les  viUei 
de  rÉtrurie  étaient  eft  femme  e«  «e»  campagnes  désertes,  que  disait 
la  littérature  : 


Tityre,  tu  patnlae  recubans  sub  termine  fagi. 


Voilà  comment  la  littérature  réfléchit  la  soeiélé^ 
Si  vous  voulez  savoir  qjisel  était  ce  siàde ,  voyez  ce  qai  se  passât 
entre  Auguste  et  lui;  il  y  avait  une  lutte  entre  le  prince  et  Room*. 
Les  patriciens,,  depuis  loog^tamps  accoutumés  à  regarder  eonms 
iaviolable  la  douce  liberté  du  célibat,  avaient  jeté  un  cri  de  terreur 
à  la  vue  des  lois  matrimoniales  qui  kuir  étaient  imposées;  pendant 
les  jeux  publics,  les  chevaliers  interpeUèreat  Auguste  d'adondr  sa 
loi,  et  pour  défendre  leur  célibat,,  ils  lui  cttèreat  fièrement  rexeoip 
pie  des  vestales,  q  Si  vous  vous  aulorWez  de  leur  es^emple,  virez 
comme  elles ,  »  leur  répondit-nl  :  puis  il  leur  montra  les  fife  de  Gtf  « 
ïwanicns,  Torgueil  de  sa  famiUe  et  1  eqpoîr  de  Tempire.  B  hii  felfait 
cependant  concéder  quelqjue  chose  au  sénat  „  qui  ne  s^ancemmodait 
ni  de  la  pureté  des  restâtes^  ni  de  la  chaste  palernilé  de  Genm-* 

Cette  loi  contre  le  célibat^  qui  portât  cependant  le  nem  de  deas 
consuls  célibataires ,  ne  fut  (|ur'une  preuve,  et  il  y  en  a  taat  d*aiiirafr 
de  limpuissance  des  pouvoirs  piiUics  sur  les  mceiura.  AugMteen 
vint  lui-même  à  plier  devant  la  licence  de  son  tenips»  et  anus  Tibère 
ces  lois  sibeltes,  dmi  Moniiiiiqdw  faii  Vélogs,  éimm  AtM  fm^ 


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U8  GiSAM*  fit 

■i0ilatBMiaK>dUié60.  QoelepJMiTtireil^pradoo^^  IKm^ 
fUreyies-oombieB  peu  Aupnit  «•  fifaidt  obéir  ;€oitibieo  H  eit  wai 
4ii*il  n'y  a  ai  «m  (enps  ni  i»  pays  quîne  «aelM  s'iimrgtr  lonqa*a« 
Vattaye  daaa  co  cpi'it  aime!  Sm  aidMraUa  paraâla,  son  poèia 
Horaee,  ayait  biMi  pu  ehamar  <r  la  loi  maritale,  jk  dépbrer  «ru^mècb 
fécond»  «riaies,  qui  amfit  ioaHlé  ba  vÉriagea,  las  hnilkis,  b 
Tîeux  aang  ronmin^  »  H  avait  faieo  ^  chanlar  RaflM,  ranmie  lom  i 
aoap  à  11^  d'or  par  la  M  Pappia  I\)ppea(leaaoin8  de8<d0«x  eom* 
Mb  «élibatairet  );  ma»  aa  iwfl^)kiitaiioa  pour  Auguste  a'écaic  pat 
aBée  aa-^elà  dos  paroles,  ea  um  on  latiitfr  Tanstàre  Torta  dao 
feauBoa  {peffanaîiiosy  «  qaî  ne  so Aaal|ia3  à  un  briHaat  aéducieur,  a 
iln'^tarildoveiiMiiifidèlem  àkiteliaCUoé,  siàlairoMpefMoBa^ 
rine,  m  à  riaooastaate  Lydie,  ai  A  tant  d'iewtres  beUeo  filles  da 
f  Asie,  dont  Rome  était  pleine,  qui  faisaient  trembler  les  mères 
poar  lowra  Als»  et  poar  qtn  Tépoaso  i  paiae  Bsariéa  était  abandon- 
aéo  par  soa  épona. 

Et  AngiMaa  loi-mèa»,  ee  réIssTBMilswr  de  la  via  pwMiqiie ,  ce  pré» 
ffet  des  OMBiars  (maj tsier  momm.),  oanme  il  a'était  fiit  appefer  so« 
lenneHeaMil,  ne  savait-^s  pao  ses  nmiagoa  et  ses  divorces?  H 
Oaudia»  œtloeaiant  qa^  avait  éponséo  par  pcriitifae^  renvoyée 
prosqae  la  Joar  même,  parce  «pfM  avait  itaqpa  avec  sa  baUa<- 
mère;  tê  seo  «nion  précipitéte  airec  livie,  qto*i  avait  enlevée  «»- 
œittto  A  aott  mari;  ecfépoiÉ9edaliibère<qu*ill')avait  lorcéde  ré»- 
padior,  eaeeiate  également,  pour  mettre  an  lie«  d'elle  inUe,  sa 
peUio-fifie;et  tons^los  marlagsa  qa'iè  avait  noois  on  brisé»  isiail 
gti,  dans  son  impodiqué  AlaiHet M'appisMKlissait^oa  pas  as  thAft^ 
tleA  des'ifflasiOBStoaftreaeaaHaura^imsavaît-^afMtthsinCnm 
dasa  jaiussaee,  ai  ne  lisai^oa  pa»  las  ittisibtes  reproches  qu'An* 
taioe  lui  adressa  dans  ai0  leHre  presqaaamicBie?  Et  ne  searnive»» 
Bai-on  paa  que  cepioax  eestanraténr  de  la  rdqpoa avait  figné 
époBottdans  unefimoa^A  sas «nis*etsc»-osiirtisaiis avaient r6pré>* 
aiaté  t#iit:  l'Olympe? 

El  même,  tandis  qa* Auguste» vîen  etachcwata artgae  d'aae 
prospérité  nioiâe,  travaiMâ  ainsi  A  la  rtfbime  des  mœurs,  quels 
aenia  répéimt  la  tfoulè  «a  ibMtve ,  quels  noass  lisaia^dle  aflficMs  a« 
Forum?  Ceux  des  amans  des  deux  iuKss,  sa  petile^le  etsaiëei; 
leurs  désordres  étaient  publics,  qu'Auguste  les  ignorait  encore. 
Cétaient  elles  pourtant  qu'il  avait  élevées,  comme  d^antiques  Romair> 


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1^  RBVOB  BE8  DEUX  MOriDES. 

nesy  à  filer  la  laine  et  à  rester  à  la  maison  (  domi  mansù,  lanam  fecii); 
c*étaient  elles  dont  il  avait  foit  consigner  dans  un  journal  toutes 
les  actions  et  toutes  les  paroles,  afin  qu'elles  apprissent  à  les  ré* 
gler,  qu*il  avait  éloignées  tellement  des  étrangers ,  qu*il  écrivait  à 
un  jeune  patricien  :  a  Tu  as  commis  une  indiscrétion  en  allant  vi- 
siter ma  fille  à  Baia.  »  Ses  petits-fils  avaient  reçu  de  lui-même  leur 
première  instruction,  y  compris  la  natation  et  Talphabet;  il  s*était 
même  attaché  (  chose  bizarre  )  à  ce  qu*ils  sussent  contrefaire  soa 
écriture.  Il  ne  soupait  jamais  sans  les  avoir  couchés  au-dessous  de 
lui  ;  en  route  ils  marchaient  devant  lui ,  ou  se  tenaient  à  cheval  au- 
près de  sa  litière.  Par  des  adoptions,  par  des  divorces,  par  des 
mariages,  tout-puissant  dans  sa  fomille  comme  dans  la  république, 
il  avait  arrangé  à  lobir  et  en  toute  satisfaction  les  combinaisons 
de  sa  dynastie. 

Mais  il  y  a  une  fetalité  contre  les  combinaisons  de  ce  genre;  oe 
sont  comme  les  pactes  de  famille  dans  les  états  modernes.  La  mort 
et  rinfomie  se  mirent  dans  la  dynastie  des  Césars.  Pendant  que  ses 
deux  petits-fils  lui  étaient  enlevés  en  dix-huit  mois,  Auguste  était 
obligé  de  punir  de  mort  leur  propre  confident,  de  renfermer  son 
fils  adoptif  Agrippa,  ame  vile  et  insolente;  de  mettre  à  mort  un 
de  ses  plus  chers  affranchis  qui  avait  séduit  des  femmes  romaines; 
mais  rien  ne  Taccabla  comme  les  désordres  des  deux  Julies;  3 
s*en  plaignit  au  sénat,  non  par  lui-même,  mais  par  une  lettre  dont 
il  chargea  un  questeur;  il  n'osa  se  montrer  au  dehors,  il  pensa 
feire  mourir  sa  fille  :  elle  avait  une  affranchie  qui,  compromise 
dans  les  fautes  de  sa  maîtresse,  se  pendit  de  désespoir.  <r  Que  n*étais- 
je  plutôt,  disait  Auguste,  le  père  de  cette  Phébé  1  o  Sa  fille,  reléguée 
dans  une  tle,  fut  privée,  par  ses  ordres,  de  tout  bien-être  dans  sa  vie, 
de  toute  communication  avec  le  dehors  ;  il  fallut,  avant  qu*il  Tautori- 
sàt  à  voir  personne,  qu*on  lui  donnât  un  signalement  du  visiteur: 
son  âge,  sa  figure,  et  jusqu'aux  signes  particuliers,  comme  disent 
nos  passeports,  quitus  corporis  notis  tel  cicatricibus,  tant  il  craignait 
qu'un  de  ses  amans  n'arrivât  jusqu'à  elle.  Sa  petite-fille,  après  sa 
condamnation,  eut  un  enfant,  il  défendit  qu'on  relevât.  Ces  deux 
femmes  et  Agrippa  étaient  Tobjet  de  sa  perpétuelle  douleur  ;  fl  n'y 
pensait  pas  sans  s'écrier  avec  le  poète  : 

Mieux  vaut  vivre  sans  épouse  et  mourir  sans  enfaos. 


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IBS  CÉSARS.  195 

Dent  soin,  par  son  testament,  de  les  exclure  d'avance  de  son 
tombeau,  et  quand  le  peuple,  moins  sévère  et  moins  romain  que 
lui,  osa,  après  cinq  ans,  demander  leur  rappel,  il  lui  répondit  par 
cette  imprécation  :  a  Je  vous  souhaite  de  pareilles  femmes  et  de  pa- 
reiUes  filles,  i» 

Ainsi  s'achevait  cette  triste  fin  d'un  beau  règne ,  cette  doulou- 
reuse vieillesse  compromise  dans  une  lutte  inégale  contre  son 
temps,  et  qui  avait  fini  par  le  mettre  en  hostilité  avec  son  pays, 
avec  sa  fomille,  avec  lui-même.  César  et  lui  avaient,  comme  cela 
n'est  que  trop  fréquent,  poussé  tour  à  tour  trop  loin  deux  prin- 
cipes contraires;  César,  méconnaissant  ce  que  Tesprit  romain  avait 
encore  de  puissance,  avait  voulu  faire  une  Rome  cosmopolite,  la 
faire  grecque,  gauloise,  espagnole,  tout  plutôt  que  romaine,  flé- 
trir son  sénat,  se  jouer  de  ses  institutions,  le  traiter  enfin  comme, 
après  le  18  brumaire,  Bonaparte  pouvait  traiter  la  république 
avortée  de  l'an  m.  Auguste,  et  cela  est  toujours,  éprouva  la  réac- 
tion de  ce  mouvement,  il  se  fit  ultra-romain,  soutint  de  la  main 
raristocrat'eméme,  si  pesamment  écroulée;  voulut  relever,  sinon 
la  foi,  du  moins  les  temples,  faire  une  Rome  romaine,  comme  l'avait 
déjà  tenté  Sy lia. 

n  ne  faut  pourtant  pas  se  tromper,  ni  méconnaître  l'étonnante 
puissance  de  ce  génie  romain  :  les  combinaisons  d'origine  et  de 
position  qui  avaient  donné  son  caractère  et  son  individualité  essen- 
tielle à  une  petite  peuplade  italienne  campée  dans  les  marais  du 
Tibre,  avaient  certainement  produit  un  des  plus  miraculeux  phé- 
nomènes de  la  nature  de  l'homme.  La  forme  gouvernementale,  qui 
est  sans  aucun  doute  la  plus  puissante  pour  imprimer  aux  choses 
on  caractère  de  grandeur,  d'accroissement  et  de  durée,  l'aristo- 
cratte  une,  despotique,  héréditaire,  mais  en  même  temps  sansr 
cesse  rafraîchie,  et  renouvelée  dans  les  rangs  du  peuple,  était  née 
de  ce  caractère  si  un  et  si  homogène  à  lui-même,  mais  doué  aussi 
d'une  force  si  grande  d'abstraction  et  d'absorption.  Il  y  a  eu  quel- 
que chose  de  tout  cela  dans  l'aristocratie  d'Angleterre,  dans  la  no- 
blesse de  Venise,  .dans  le  sénat  de  Berne,  institutions  qui  ont  été 
d'une  longue  vie  et  d'une  grande  puissance,  parce  qu'elles  ont  eo 
l'unité  de  l'homme  sans  avoir  sa  courte  durée. 

Mais  au  temps  dont  nous  parlons ,  l'aristocratie  romaine  ne  sub- 
sistait plus;  les  plus  grandes  familles  étaient  éteintes  ou  perdues  de 

TOMB  VII.  13 


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194  RETUB  DBS  D£VX  MONDES. 

dettes;  an  teaips  de  Qaude,  il  ne  restait  presque  pas  dscdes  que 
César  ou  Auguste  avait  élevées.  L*ataiosphère  de  cette  époque 
comme  celle  de  la  n^tre,  était  peraicieuse  i  toute  aristocratie;  les 
familles  patriciemies  redevenaient  peuple  et  rentraient  li  d'où  ^ 
étaient  sorties.  Un  Scaurus  était  marchand  de  charbon»  oom 
avant  leur  élévation,  c'est-à^lire  peut-être  trois  siècles  auparavant, 
les  Ciecilius  étaient  bouchers.  Chose  remarifiiable  et  curieuse  qie 
ce  mouvement  des  familles  I 

En  outre  la  grande  base  des  institutions  romaines,  la  foi  reG- 
gieuse  manquait.  La  révolution  religieuse  de  ce  siècle  n*est  pas  ea- 
core  bien  comprise;  nous  n*avons  pas  le  temps  de  la  développer 
ici,  quoiqu'elle  soit  un  des  plus  notaUes  phénomènes  de  Tesprit 
bumain.  Disons  seulement»  et  ceci  mériterait  d*étre  s^rofoadi, 
que  rantiquité  avait  toujours  compris  une  religion  non  comme  in 
dogme ,  mais  comme  une  coutume  ;  non  comme  une  vérité  abstraite 
et  générale,  mais  comme  une  loi  du  pays,  comme  une  portion  de  laaa- 
tionalité;  il  en  résulta  que  le  monde  entier  étant  réuni  sous  les  méats 
l<»s,rantagonisme  des  peuples  étant  remplacé  par  une  alliance  oUi- 
gée,  les  nationalités  tombant,  les  religions  tombèrent  avec  elles;  le 
Grec  n*eut  plus  de  croyance  dès  qu'il  cessa  d*étre  Grec;  le  Ro- 
main n*eut  plus  de  dieux  quand  sa  Rome  devint  cosmopolite.  De  là 
le  scepticisme  et  l'incrédulité  au  temps  de  César. 

Au  temps  d'Auguste  (  et  cela  devait  être }  commença  une  réac- 
tion; Auguste  l'aurait  bien  voulu  romaine,  mais  cela  n'était  pas 
possible.  Elle  fut  vague,  ubiquiste,  indéfinie  :  quand  toutes  ks 
nations  se  rapprochaient  par  la  vie  sociale  et  par  la  pensée,  l'idée 
d'un  dieu  romain  ou  d'un  dieu  grec,  la  croyance  d'un  Jupiter 
olympien  ou  d'un  Jupiter  capitolin,  le  dogme  de  la  nationalité  des 
dieux,  si  naïvement  exprimé  dans  la  prière,  ou  plutôt  dans  h 
sommation  peu  respectueuse  que  les  Romains  adressaient  aux  dieox 
d'une  ville  assiégée  :  cr  Dieu  de  cette  ville,  que  tu  sois  homme,  oa 
que  tu  sois  femme,  sors  de  la  ville,  et  viens  avec  nous;  b  tout 
cela  devenait  évidemment  trop  absurde.  Au  lieu  des  dieux  de  la 
nation,  on  chercha  les  dieux  du  genre  humain;  on  les  prenait 
à  rÉgypte,  à  la  Syrie,  à  la  Judée;  partout  on  empruntait  qad" 
que  divinité,  quelque  pratique,  quelque  purification,  quelque 
prière.  Ce  fut  le  plus  superstitieux  de  tous  les  siècles.  Les  Usto- 
riens  n'écrivent  pas  deux  pages  sans  parler  d'an  présage»  d'une 


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LBS  CiSARfl.  19S 

prédietkm,  on  dfjOfBOoge.  Rome  eroyait  à  tout,  excepté  aux  dieux 

de  Rome. 
Et  cependant  (c'est  pour  en  arriver  là  qne  nons  venons  d'in- 

difuer  tant  de  fait»  qui  mériteraient  bien   d'autres  développe- 

mens),  le  nom  romain,  les  institutions  romaines,  la  puissance  que 
ce  nom  et  ces  soHventrs  prêtaient  à  cette  machine  vermoulue,  à 
cet  arbre  sans  racine  que  soutenait  son  propre  poids,  tout  cela 
dora  au-delà  de  toutes  les  limites  qu'il  eût  été  raisonnable  de  loi 
assigner.  Toof  cela  dura  quatre  siècles ,  contre  des  ennemis  de 
tout  genre,  contre  les  barbare»,  contre  les  peuples  de  rempire, 
contre  la  philosophie,  contre  le  christianisme,  tant  il  y  avait  là 
une  vertu  primitive,  ime  force  de  durée  et  de  vie.  Merveil- 
leux chef-d'œuvre  de  l'esprit  humain  I  privée  de  son  principe, 
n'étant  ^s  animée  de  son  esprit,  sans  l'aristocratie  qui  était  son 
bot,  sans  la  foi  qui  était  sa  base,  la  Rome  de  l'aristocratie  sacer-» 
dotale  dura  long-tenqps,  et  laissa  au  moyen-ège  ses  monumens, 
sa  langue ,  son  droit ,  et  Rome  une  seconde  fois  reine  du  monde. 
Cest  que  dans  le  sénat  même,  si  abaissé  malgré  les  efforts  d'Aur 
guste  pour  le  relever,  on  se  sentait  toujours  les  héritiers  de  Taris- 
tocratie  andenne,  et  qu'on  savait  encore  se  faire  révérer  par  les 
sotfvemrs.  —  C'est  que  le  peuple  si  vil,  si  frivole,  si  dégénéré,  ee 
peuple  du  cirque,  du  théâtre,  voulait  être  encore  le  peuple-roi,  se* 
révoltait  parfois,  commandait  atrx  Césars,  les  sifflait  ou  les  applau- 
dissait comme  des  acteurs,  leur  proclamait  ses  volontés  entre  les 
facéties  d'un  bouffon  et  les  combats  des  gladiateurs,  et  chassé  du 
Forum  régnait  au  théâtre.  Cest  que  les  légions  (objet  digne  d'une 
étude  toute  particulière)  formaient  dans  le  peuple  un  peuple  à  part, 
bien  autrement  romain,  qui  avait  une  foi  et  un  culte,  le  cuhe  êe 
ses  aigles,  auxquelles  vous  savez  qu'on  offrait  des  sacrifices;  que 
dans  l'armée  on  servait  souvent  toute  la  vie,  et  que  le  fils  y  suc- 
cédait au  père  :  véritable  nation  militaire  d'où  sortirent  jusqu'aux 
derniers  jours  de  l'empire  des  hommes  de  trempe  romaine,  dès 
Probus,  desStrKcon,  hommes  rudes,  sévères,  antiques,  souvent 
d'origine  barbare ,  mais  Romains  de  cœur.  C'est  qu'enfin  les  prd- 
Tînees  eltes-mémes,  frappées  de  tant  de  grandeur  et  de  souvenirs, 
voyaient  moins  avec  haine  qu'avec  envie,  crainte  et  admiration, 
rédfice  sans  base  delà  nationalité  romaine,  et  songeaient,  non  à  la 
détruire,  mais  à  y  pénétrer. 

13. 


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196  RBTUB  DBS  DEUX  MONDES. 

Ainsi  se  balançaient  dans  Tempire  Tantiquité  rcmiaine  et  la  paû- 
sance  des  mœurs  nouvelles ,  la  nationalité  restaurée  par  Auguste 
et  le  cosmopolitisme  introduit  par  César.  —Rome  était  si  grande, 
et  son  nom  si  puissant,  que  Ton  ne  demandait  pas  mieux  que  d*étre 
Romain,  pourvu  que  cela  ne  génAtpas  (ce  qui  est  le  patriotisme  de 
bien  des  pays  et  de  bien  des  époques) ,  pourvu  que  Ton  n*eût  ni  une 
table  moins  somptueuse,  ni  des  vases  moins  beaux ,  ni  de  moins 
belles  courtisanes;  s*il  ne  s'agissait  que  de  porter  la  pourpre 
comme  consul,  ou  de  brûler  un  peu  d* encens  aux  pieds  de  Jupiter 
Capitolin,  ou  d'étaler  à  la  suite  d'un  brancard  funèbre  les  images 
poudreuses  de  ses  aïeux ,  on  était  Romain. 

Mais  il  aurait  fallu  aller  plus  loin,  il  aurait  fallu  que  les  ricbes, 
pour  faire  vivre  les  pauvres,  se  résignassent  à  vivre  comme  eux.  La 
question  du  luxe  était  tout,  il  s'agissait  entre  la  vieille  Rome  et  la 
Rome  cosmopolite  d'une  vaisselle  d'étain  ou  d'une  vaisselle  d'or, 
d'une  robe  de  laine  ou  d'une  robe  de  soie  (ce  qui  était  un  déshon- 
neur pour  un  homme,  ne  vesiis  setica  liros  fœdaret.  Taqte.),  d'une 
matrone  romaine  à  respecter  ou  à  séduire  (les  affranchies  et  les 
étrangères  étaient  toujours  licites),  d'un  faisan  ou  d'unattagen  de 
moins  sur  la  table,  d'un  souper  de  200  sesterces  (38  fr.  6J  c), 
comme  le  prescrivait  Auguste,  ou  d'un  souper  de  400,000  sesterces, 
comme  le  faisait  Vitellius. 

Pour  juger  sainement  cette  question,  il  faudrait  bien  comprendre 
toute  l'antiquité.  Le  luxe  ne  pouvait  être  pour  elle  ce  qu'il  est  pour 
nous,  un  échange  de  travaux  et  de  richesses  entre  la  classe  ou- 
vrière et  la  classe  opulente,  plus  ou  moins  utile  à  l'état,  plus  ou 
moins  avantageux  à  la  classe  inférieure,  mais  enfin  portant  avec 
Jni  quelque  compensation  du  mal  qu'il  peut  faire  ;  la  population  ou- 
rrière  était  esclave,  ne  possédant  que  par  grâce  un  salaire  quel- 
conque de  son  travail,  ne  pouvant  proportionner  aux  besoins  et 
aux  circonstances  ni  son  prix,  ni  ses  produits,  n'étant  animée  enfin 
ni  par  la  concurrence,  ni  par  le  courage  que  la  liberté  donne,  ni 
par  l'espoir  de  la  fortune.  Ce  que  nous  appelons  industrie,  n'était 
qu'un  service  d'esclave  à  maître,  un  office  domestique  forcément 
accompli  ;  ce  que  nous  appelons  commerce  n'était,  chez  les  Romains, 
qu'une  usure  dévorante  pour  le  pauvre;  l'industrie  libre  date  des 
corporations  chrétiennes  au  xi*  siècle,  le  commerce  moderne  date 
des  croisades. 


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LES  CéSARS.  197 

Dans  cet  état  de  choses,  ragriculture  était  la  seule  ressource  de 
la  population  libre  et  inférieure  ;  mais  tout  ce  qui  était  donné  au 
luxe  y  était  pris  sur  elle,  et  la  multitude  des  esdaves  s'augmentant 
avec  tous  les  autres  genres  de  luxe,  une  grande  partie  des  terres  de 
lltaHe  ne  fut  plus  cultirée  que  par  eux.  Les  lois  somptuaires  n'étaient 
donc  ni  tellement  inutiles,  ni  si  mal  entendues,  et  ce  ne  sont  pas  du 
tout  des  déclamations  poétiques  que  les  invectives  des  écrivains 
contre  le  luxe,  les  efforts  des  législateurs  pour  le  restreindre,  les 
coutumes  sévères  que  cherchaient  à  mettre  en  honneur  ceux  mê^ 
mes  qui  ne  les  pratiquaient  pas. 

Que  devenait  en  effet  la  population  libre  de  1  Italie?  D'un  cAté 
les  guerres  civiles  lui  6taient  ses  terres,  ou  en  la  réduisant  à  la 
misère,  la  rendaient  incapable  de  les  cultiver  de  long-temps;  de 
Tautre,  l'homme  riche  faisait  cultiver  les  siennes  par  des  esclaves, 
ou  mieux  que  cela,  les  changeait  en  parcs,  en  villas,  en  jardins.  Les 
vieilles  races  italiennes,  vers  la  fin  de  la  république,  étaient  pour» 
chassées  de  toutes  parts.  Ces  malheureux  entraient  dans  les  lé- 
gions et  allaient  laisser  leurs  os  aux  extrémités  du  monde,  ou 
bien  ils  gardaient  de  misérables  troupeaux  sur  les  Apennins,  et 
souvent  n'ayant  plus  de  leur  bétail  qu'une  peau  pour  se  couvrir^ 
ils  gagnaient  des  cimes  plus  désertes,  erraient  de  canton  en  can- 
ton, vivaient  de  brigandage,  pères  de  tous  les  bandini  des  Abruz- 
2es  :  c'est  à  ces  hommes-là  qu'un  vieil  Italien  comme  eux,  Catilina^ 
en  homme  habile,  avait  donné  le  signal  de  leur  liberté,  et  c'est 
leur  présence  et  leur  situation  qui  expliquent  l'importance  de  cette 
coiquration  de  quelques  jeunes  gens  contre  l'empire  romain.  Les 
plus  heureux  afOuaient  dans  Rome  pour  y  vivre  mendians  et  oisifs 
de  la  vie  du  peuple  romain  :  mais  n'arrivait  pas  à  Rome  qui  vou- 
lait; et  toute  cette  Italie  enfin,  réduite  à  trois  ou  quatre  mille  riches^ 
dievaliers  ou  sénateurs,  à  deux  ou  trois  millions  de  plébéiens  dans 
la  viDe  de  Rome,  à  un  ou  deux  millions  peut-être  de  cultivateurs 
libres,  à  une  multitude  sans  nombre  et  sans  nom  d'étrangers,  d*escla-  ^ 
ves,  d'affranchis,  de  barbares,  de  soldats,  d'usuriers, dé  Juifs,  de 
Chaldéens,  de  magiciens  d*Égypte,  de  Grecs  surtout  (Grœculi).  qui 
dierchaient  fortune  de  toutes  mamères,  et  qui  tous,  à  défaut 
d'autre,  prenaient  l'Italie  pour  patrie  et  pour  nourrice;  ce  beau 
pays  en  arriva  à  Tincontestable  malheur  de  ne  pouvoire  suffire  à  seç 
pruniers  besoins ,  et  de  demander  du  blé  à  la  Sicile;  puis,  la 


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199  REVUE  DBS  BB0X  MONDES. 

SicBe  (UfittllMt/  à  VÈgYt^}  puis,  ÉprèÀ  YÈff^,  aux  66te8  afri- 
caines. 

Voilà  à  qsets  mavt  Auguste  Toalut  porter  remède. — Sa  deslioét 
est  une  des  f^s  complètes  qne  le  moiid^  ait  Toes;  sonverain  Kbre 
et  paifflide  de  Tunirers  civilisé,  il  vécnt  ce  qa1l  ftdlatt  de  temps 
pour  voir  une  génération  nouvelle,  ignorante  des  souvenirs  a»- 
denSy  succéder  à  la  génération  que  Pbarsale  et  Acttum  avaient  dé* 
dmée.  Son  règne  fùt  un  temps  de  repos  entre  la  guerre  civile  et 
les^  tyrans  y  un  moment  où  tous  les  anciens  partis  disparurent  sans 
qu'il  s*en  formât  un  nouveau,  où  tous  les  peuples  conquis  accep- 
tèrent la  conquête,  où  tous  les  peuples  barbares  du  dehors  furent 
repousses,  et  comine  si  le  monde  eût  eu  besoin  de  se  reposer  pour 
se  préparer  à  un  nduvel  ordre  de  destins,  comme  si  Virgile  avait 
eu  raison  de  saluer  le  nouvel  âge  sibylfin  et  les  mois  de  la 
grande  année  qui  allait  nattre,  Auguste  ferma  le  temple  de  Janus^ 
et  Dieu,  pour  la  prenoulère  fois,  donna  la  paix  à  tout  l'Occident 
civilisé. 

Au  milieu  de  cette  gloire ,  Auguste  naviguait  doucement  entre  les 
lies  du  golfe  de  Naples  (bien  phis  beaux  alors  que  le  Vésuve  nn 
jetait  pas  de  lave  sur  ses  rivages),  se  reposait  dans  ces  belles  dtés^ 
écoutait  des  flatteries  et  des  poèmes,  voyait  folâtrer  avec  une 
douce  joie  de  vieillard  la  jeunesse  grecque  dans  ses  gymnases, 
causant,  riant,  plein  de  gaieté,  lorsque  la  douleur  l'avertit  qpie  sa 
mort  était  prochaine;  il  prit  alors  un  miroir,  s'arrangea  les  che- 
veux, et,  tourné  vers  ses  amis,  leur  dit  comme  les  acteurs  i  la  fin 
du  spectacle  :  cr  N'ai-je  pas  bien  joué  le  mime  de  la  viet  montres* 
TOUS  codtens  et  applaudissez,  j» 

Pour  comprendre  les  empereurs  romains,  il  ftiut  avoir  bieii 
étu4ié  Auguste  et  Tibère;  le  premier  donna  i  1  empire  sa  fonai 
légale;  il  en  fit,  psw*  abst  dire,  le  droit  public:  le  second  M 
donna  la  puissance  réelle,  parce  qu'abandonnant  les  traditkMis 
romaines  et  les  teiÉtadves  de  resuuration  auxcfoelles  Augusi» 
s'était  attaché,  il  chercha  aWeurs  le  fondement  du  povroir  d'ml 
seul.  Tibère  seul  et  sa  poiitiqlie  rendent  explicables  rincreyaM^ 
puissance  et  l'incroyable  sécuriiè  de  ses  successeurs. 


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LES  HIEROGLYPHES 


ET 


LA  LANGUE  ÉGYPTIENNE, 


▲  PAOPOS 


DE  LA  GRAU  MAIRE  DE  M.  CHAHPOLUON.' 


Les  anciennes  écritures  de  l'Egypte,  qui  de  tont  temps  ont  été  l'objet 
é'iine  rire  cariosité,  ne  figuraient  encore  dans  nos  musées  que  pour  une 
Men  faible  part  à  la  ira  du  siècle  dernier.  Depuis  cette  époque,  de  riches 
collections  d'antiquités  égyptiennes  nous  sont  venues  des  rives  du  Nil;  le 
Louvre  a  tu  se  former  un  musée  nouveau ,  consacré  tout  entier  à  l'Egypte 
^autrefois;  et  bientôt  un  obélisque,  enlevé  aux  ruines  de  Thèbes,  se 
dressant  sur  une  de  nos  places,  va  nous  montrer  f écriture  sacrée  des 
Egyptiens,  les  hiéroglyphes  employés  à  la  décoration  de  nos  monumens 
pobKcs. 

Parmi  les  objets  précieux  pour  la  science,  dont  l'Europe  s'est  enrichie 

fl)  Nm»  ft*rroM  pat  batotai  de  ilgiMler  à  r«t«Qiitfoii  eét  arUdte  d'iii  en  bomoMt  qui, 
ftf  le«r  étude  approfondie  de  la  langue  copte,  aont  do  très  peUt  nombfe  ém  joget  eott« 
féieaf  à  écouter  dana  oae  <Hieation  aiaai  difiklle^lMéreaanCe.  Noua  voidrionaaiirtMt 
mener  la  critique  savante  à  discater  devant  un  public  moina  restreint  ces  problèaes 
dbnt  les  conséquences  historiques  sont  faites  pour  attacher  tous  les  esprits  éclairés.  De 
quel  intérêt  ne  serait-il  pas  d*entendre  en  un  sens  différent  Topinion  des  autres  critiques 
»M»raHmM€ftiBBtpollfoii,  eeBedtaiMy,d^ttIietioinieT       (fV^cKKAi 


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rSOO  RBVUB    DBS  DBUX  MOlfDBS. 

depuis  un  petit  nombre  d'annéeSy  se  trouve  une  pierre  noire  portant  one 
triple  inscription.  Elle  est  connue  sous  le  nom  de  pierre  de  Rosette,  parce 
qu'elle  fut  trouvée  par  un  ingénieur  français  dans  les  environs  de  la  ville 
de  Rosette.  Enlevée  aux  savans  qui  accompagnaient  notre  armée  d'Egypte, 
elle  figure  aujourd'hui  dans  le  musée  britannique.  Cette  pierre  offre  à  a 
partie  supérieure,  qui  est  fracturée,  quatorze  lignes  d'écriture  hiérogly- 
phique; au-dessous  de  cette  première  inscription  il  en  existe  une  deuxième 
beaucoup  plus  longue,  en  caractères  égyptiens  cursifs,  appelés  caractères 
vulgaires  ou  démotiqnes:  enOn,  la  partie  inférieure  est  occupée  par  une 
inscription  grecque  plus  longue  encore,  au  moyen  de  laquelle  nous  appre- 
nons que  les  trois  inscriptions  ne  sont  qu'un  même  décret  tracé  en  carac* 
tères  et  en  langages  différons. 

Si  de  tout  temps  on  avait  considéré  l'écriture  hiéroglyphique  comme 
purement  idéographique,  c'est-à-dire  comme  n'ayant  aucun  rapport  di- 
rect avec  la  langue  parlée,  on  avait  toujours  aussi  regardé  l'écriture  égyp- 
tienne vulgaire  comme  procédant  par  les  mêmes  moyens  que  nos  écritures 
ordinaires  européennes.  C'était  une  bonne  fortune  que  la  découverte 
d'une  inscription  égyptienne  alphabétique.  Bien  des  essais  furent  tentés 
pour  retrouver  l'alphabet  égyptien.  Un  savant  suédois,  M.  Akerblad,  dé- 
montra d'abord  que  les  noms  étrangers  étaient  susceptibles  d'une  lecture 
analogue  à  celle  de  nos  écritures;  mais  l'alphabet  qui  résulta  de  l'analyse 
des  noms  propres  étrangers  n'eut  aucune  prise  sur  le  texte  égyptien. 
Toutes  les  tentatives  de  déchiffrement  demeurant  infructueuses,  leséra- 
dits  renoncèrent  bientôt  à  marcher  plus  long-temps  dans  cette  voie.  lU 
y  étaient  entrés  convaincus  que  l'écriture  égyptienne  vulgaire  était  al- 
phabétique comme  la  notre;  ils  la  quittèrent  emportant  des  doutes  nou- 
veaux, et  se  demandant  de  quelle  nature  pouvait  être  cette  écriture  vul- 
gaire. 

Cependant  l'alphabet  obtenu  par  la  lecture  des  noms  propres  renfer- 
mait, comme  nous  allons  le  voir,  le  germe  d'une  brillante  découverte.  Un 
savant  anglais,  le  docteur  Young  (1) ,  reprenant  cette  pierre  de  Rosette 
abandonnée  depuis  quelque  temps,  se  mit  à  rechercher,  par  une  opération 
toute  matérielle ,  et  à  comparer  entre  elles  les  expressions  des  mêmes 
idées  dans  les  trois  textes.  Il  reconnut  promptement  que  dans  une  foule 
de  cas,  et  surtout  dans  les  noms  propres  étrangers,  les  caractères  du  texte 
,  vulgaire  n'étaient  autre  chose  que  des  abréviations  des  caractères  hiéro- 
glyphiques. La  conséquence  obligée  de  cette  remarque  était  que  la  mé- 
thode, pour  exprimer  les  noms  propres  étrangers  dans  l'écriture  hiéro- 
glyphique, pourrait  bien  être  analogue  à  celle  dont  faisait  usage  l'écritore 

(I)  Yoyef ,  dans  U  UvraiM»  dn  15  décenOtre  18» ,  TarUcto  inr  Toom,  par  M.  Aii«a. 


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LES  HIÉROGLYPHES  ET  LÀ  LARGUE  ÉGYPTIENNE.      201 

vulgaire.  Le  docteur  Young  tenta  donc,  sur  le  nom  de  Ptolémée,  le  seul 
qui  fût  conservé  dans  le  texte  hiéroglyphique,  ce  qui  avait  été  tenté  avec 
succès  par  M.  Akerhald  sur  les  noms  propres  du  texte  vulgaire.  On  sent 
combien  peu  de  ressources  doit  offrir  un  seul  nom  pour  arriver  à  une 
analyse  exacte.  Le  docteur  Young  rencontrant  juste  pour  le  fond,  c'est-à- 
dire  reconnaissant  Texpression  phonétique  des  noms  propres  étrangers,  se 
trompa  dans  quelques  détails;  Falphabet  qu'il  forma,  incomplet,  inexact, 
resta  inapplicable. 

Vint  alors  M.  ChampoUion,  qui  donna  la  vie  à  une  découverte  demeu- 
rée stérile,  et  qui,  la  fécondant  par  un  principe  auquel  n'avait  point  songé 
le  savant  anglais,  étranger  aux  études  philologiques,  lui  fit  produire  les 
résultats  les  plus  importans,  les  plus  inattendus.  Remplaçant  l'alphabet 
informe  de  son  devancier  par  un  alphabet  certain,  riche,  complet,  il  nous 
montra  les  noms  de  rois  grecs,  ceux  des  empereurs  romains,  sur  des 
monumens  que  l'on  avait  toujours  regardés  comme  remontant  à  la  plus 
haute  antiquité. 

L'on  a  voulu  faire  du  docteur  Young  et  de  M.  ChampoUion  deux  rivaux 
se  disputant  une  même  découverte;  c'est  une  erreur,  comme  il  est  facile 
de  s*en  convaincre.  Quelles  sont,  en  effet,  les  prétentions  du  docteur 
YouDg?  Nous  les  trouvons  consignées  dans  les  dernières  pages  sorties  de 
sa  plume,  dans  la  préface  de  son  dictionnaire  démotique  :  a  Ce  fut  alors  que, 
dit-il  dans  une  lettre  adressée  à  l'archiduc  Jean  d'Autriche,  pour  la  pre- 
mière fois  il  fit  connaître  l'identité  originelle  desdifférens  systèmes  d'écri- 
ture employés  par  les  anciens  Égyptiens,  observant  qu'on  peut  reconnaître 
dans  le  nom  enchorial  (  en  écriture  vulgaire  )  de  Ptolémée  une  imitation 
éloignée  (loose)  des  caractères  hiéroglyphiques  dont  se  compose  le  même 
nom.  J'ai  étendu  ensuite  la  même  comparaison  au  nom  de  Bérénice.  » 
Quelle  est,  d'un  autre  côté ,  la  découverte  revendiquée  par  M.  Champol- 
lion?  Ce  n'est  point  d'avoir  reconnu  que  l'écriture  vulgaire  n'est  qu'une 
tachygraphie  des  hiéroglyphes;  ce  n'est  point  d'avoir  cherché  dans  les 
cartouches  ( petits  encadremens  elliptiques)  des  noms  écrits  alphabéti- 
quement de  même  que  dans  récriture  vulgaire,  mais  seulement  «  d'avoir 
fixé  la  valeur  propre  à  chacun  des  caractères  qui  composent  ces  noms,  de 
manière  que  ces  valeurs  fussent  applicables  partout  où  ces  mêmes  carac- 
tères se  présentent  (1).  » 

Ainsi,  avoir  démontré  que  les  écritures  sacrées  et  vulgaires  sont  de  même 
nature,  voilà  la  part  qu'il  n'est  point  possible  de  contester  au  docteur 
YouDg,  et  c'est  la  seule  qu'il  réclame.  Cette  identité  de  nature  entre  l'é- 
crîtare  hiéroglyphique  et  l'écriture  démotique  conduisait  naturellement  à 

fi)  PrécU  du  Si/iUme  hiéroglyphique,  deuLièma  édiUon,  pag.  ti. 


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nSYUB  «M  DBOX  MOHBSS. 

enayer  ^r  \m  noms  de  l'intcriptioii  hiéroglyphique  les  procédés  de  ke- 
tore  employés  psr  M.  Miorhla4  sor  rinscripUoD  démeiique. 

Jwir  fixé  la  valenr  prêpre  à  chucmt,  des  caractères  h  ^agli^hiq^eg  fsé 
eamposeni  les  noms  propres,  mlà  la  part  que  réclame  M .  Chatnpollion,  et 
qoe  personne  ne  lai  conteste,  il  n'y  a  point  ici  découverte  disputée  :  il  y  t 
deux  déconcertes  tout-à-fait  distinctes.  Celle  du  savant  français  est  venue 
après  celle  de  M.  Yoong;  mis  elle  n'en  est  point  une  oonséqœoee 
ohligée. 

J*arrive  aux  premiers  résultats  de  la  découverte  de  Talphabet  des  hié- 
roglyphes phonétiques.  ll«  Champollion,  en  lisant  au  milieu  des  sculp- 
tares  hiéroglyphiques  les  noms  des  empereurs  de  Rome ,  a  ranrtené  ea 
deçà  du  point  initial  de  Tère  chrétienne  des  constructions ,  des  décort- 
tiens,  qui  difléraient  assez  peu  des  sculptures  les  plus  anciennes  pour  que 
des  personnes  hahiles,  des  savans  distingués,  les  aient  considérées  comme 
vieilles  de  plusieurs  milliers  d'années.  Par  les  noms  d'Auguste  et  de  Ti- 
bère écrits  sur  ses  murailles  en  caractères  hiéroglyphiques,  le  temple  lie 
Dendérah  avee  son  sodiaque  est  revenu  se  placer  dans  les  premières  as- 
nées  de  notre  ère;  par  ceux  d'Adrien,  deTrajan,  d'Antooin,  le  petit 
temple  d'Ësné,  égaleoieiit  décoré  d'un  zodiaque,  est  redescendu  jusque 
dans  la  première  moitié  du  second  siècle;  et  par  ceux  de  Septime-Sévére, 
de  Caracalla,  de  Géta,  le  grand  temple  d'Esné,  offrant  on  zodiaque  de 
même  que  les  deux  précédens,  s'est  trouvé  ramené  jusque  dans  la  première 
moitié  da  m*  sièele*  Et  ce  n'est  pas  seulement  sur  la  lecture  des  nomi 
étrangers,  au  moyen  de  l'alphabet  phonétique,  que  s'appuient  tons  ces 
d^alaoemens.  Des  recherches  d'un  autre  ordre  ont  rendu  la  démonstration 
complète.  D'une  part,  MM.  Huyot  et  Gau,  portant  l'œil  de  Tarehitecte  sur 
les  monumens  de  l'Egypte,  avaient  assigné  à  chacun  d'eux  l'âge  précisé- 
ment que  leur  donnent  les  lectures  de  M.  Champollion,  avant  de  savoir 
que  l'on  fit  aucune  lecture  sur  ces  monumens.  D'un  autre  côté,  M.  Le- 
tronae  se  trouvait  conduit  aux  mêmes  résultats  par  les  nombreuses  in- 
scriptions grecqnes4racées  sur  les  temples  égyptiens.  D'après  ces  inscrip- 
tions il  nous  appreMitt}ue,  vers  la  fin  du  ii«  siècle,  les  Égyptiens  tenaîeitf 
encore  à  décorer  Ie4  murs  de  leurs  temples  de  ces  mêmes  sculptures,  de 
oes  hiéroglyphes  si  Bwltipltés  dont  ils  les  recouvraient  dans  de  plus  anciens 
temps. 

Des  rascriptions  lûérogiyphiques  sculptées  sur  les  temples  égyptiens, 
an  ii«,  au  iii*  siècle  de  notre  ère  »  et  peut-être  plus  récemment  eu'^ere, 
puisque  l'on  trouve  des  édifiées  inachevés  dans  cette  Egypte  snpérieore, 
où  les  antiques  usages  religlevx  4»  paganisme  égyptien  se  sont  mainte- 
nus sans  obstacle  jusque  dans  le  vi*  siècle  :  voilà  un  fait  de  la  plus  haute 
importance,  conuBeaous  sÈk&ÊA  &a  i 


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LES  HIÉRO«LYI«BB  ET  LA  LAIIOUB  ÉGTPTIBNIIE.  9BS 

Vont  possédons  me  langae  égypiienney  désignée  plas  ordfamhreraent 
le  nom  de  langue  copie  :  elle  nous  est  donnée  principalement  par 
des  Tersions  de  l'Ancien  et  du  Nooveao-Testament.  On  a  longnement  et 
savamment  disputé  sur  l'origine  de  cette  langue ,  de  fort  habHes  critiquies 
ont  exanriiié  la  question  sons  toutes  ses  faces.  Un  premier  résultat  de 
leurs  laborieuses  reeherdies,  aujourd'hui  généralement  admis,  c'est  que 
la  langue  copte  est  la  même  que  la  langue  égyptienne  de  l'époque  des 
f4iaraons ,  sauf  les  changemens  que  le  temps  et  d'autres  circonstances 
peuTent  apporter  dans  un  idiome  usuel.  Un  autre  résultat,  c'est  queia 
vernon  copte  de  F  Ancien  et  du  NooTcan-Testament  a  dà  être  faite,  au  plus 
4ard ,  dans  le  conrs  du  second  siècle ,  et  que  cette  yereion ,  qui  a  joui,  dès 
l'origine,  d'une  autorité  égale  à  celle  du  texte  grec,  qu'elle  a  prompte- 
meot  remplacé,  représente  fidèlement  le  langage  desbabitans  de  l'Egypte 
4an8  les  premiers  siècles  de  l'ère  chrétienne.  On  sait  le  caractère  d'im- 
mntabililé  des  livres  sacrés. 

Kotts  avons  donc  la  langue  dont  faisait  usage  la  population  égyptienne 
à  r^>oqoe  oà  Septime-Séyère,  ardent  persécuteur  des  chrétiens  et  pro- 
tecteur zélé  de  l'antique  religion,  faisait  recouvrir  de  légendes  hiérogly- 
phiques le  grand  temple  d'Esné.  Nous  pouvons  désormais  tenter,  avec  es- 
poir de  succès,  l'interprétation  des  hiéroglyphes  qui  recouvrent  les  tem- 
ples d'Esné,  ceux  de  Denderah ,  tons  les  édifices  de  l'époque  romaine  ; 
nous  avons  hi  langue  contemporaine. 

L'objection  la  plus  sérieuse  que  Ton  ait  faite  contre  la  possibilité  d'in- 
terpréter l'écriture  hiéroglyphique,  c'était  ngnoranoe  où  nous  étions  de 
la  langue  an  moyen  de  laquelle  on  exprimait  les  idées  que  rappelaient 
'ses  caractères.  Le  dictionnaire  symbolique  d'Homs-ApoUonnous  apprend 
que  certains  symboles,  outre  les  sens  divers  dont  ils  étaient  susceptibles 
d'après  les  qualités  de  Fobjet  représenté ,  pouvaient  encore  avoir  ud  sens 
dépendant  du  nom  de  cet  objet  ;  de  ce  fait ,  d'Origny,  dans  son  Egypte 
nnctentie,  concluait  que  la  connaissance  de  la  langue  égyptienne  est  in- 
dispensable pour  comprendre  les  hiéroglyphes,  et  que,  cette  langue  ayant 
diangé  avec  le  temps,  les  hiéroglyphes  sont  indéchiffrables,  a  En  effet , 
disait-il,  le  même  caractère  ne  représentant  plus  le  même  mot,  ce  carac- 
tère ne  peut  plus  faire  entendre  ce  que  le  sculpteur  avait  prétendu  qu'il 
signifiait,  d  II  eût  fallu,  suivant  lui ,  connaître  la  langue  épyptienne  de 
chaque  époque  pour  en  interpréter  les  monumens.  D'Origny,  de  même 
que  tons  les  savans  d'alors,  regardait  les  hiéroglyphes  comme  antérieurs 
de  beaucoup  à  l'époque  romaine. 

Plus  tard ,  Zoéga,  dans  son  ouvrage  sur  les  obélisques,  admet  comme 
d'Origny,  et  par  les  mêmes  motifs,  une  étroite  liaison  entre  les  carac- 
tères hiéroglyphiques  et  la  langue  de  la  nation  qui  les  employait  comme 


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904  RBVUB  DES  DEUX  MOHDES. 

écritare;  mais  cette  liaison  fut  pour  lui,  comme  pour  sou  deyancier,  une 
circonstance  qui  compliquait  le  problème,  au  lieu  d'en  avancer  la  solalioi. 
Il  était  luin  de  soupçonner  que  la  langue  copte  fût  contemporaine  de 
l'écriture  hiéroglyphique. 

Cette  langue  va  donc  nous  être  du  plus  grand  secours  pour  rinler- 
prétation  des  légendes  hiéroglyphiques  sculptées  sur  les  temples  par  ceux 
qui  l'ont  parlée.  Disons  plus  »  elle  est  la  seule  voie  possible  pour  arrîTer. 
Je  ne  saurais  mieux  faire  que  de  citer,  à  ce  sujet ,  les  paroles  de  M.  Chaui- 
poliion  lui-même.  Après  avoir  parlé  (  Introduction  de  la  grammaire  é^p- 
tienne  )  des  tentatives  infructueuses  faites  pendant  si  long-temps,  en  de- 
hors de  la  langue  copte,  pour  interpréter  les  inscriptions  hiéroglyphique!, 
il  ajoute  : 

«  Les  études  égyptiennes  ne  pouvaient  compter  sur  aucun  progrto  réel, 
puisqu'on  voulait  parvenir  à  l'intelligence  des  inscriptions  hiéroglyphi- 
ques en  négligeant  précisément  le  seul  moyen  efficace  auquel  pût  se 
rattacher  quelque  espoir  de  succès,  la  connaissance  préalable  de  la  lamgte 
parlée  des  anciens  Égyptiens,  Cette  notion  était  cependant  le  seul  guide 
que  l'explorateur  pût  adopter  avec  confiance  dans  les  trois  hypothèses 
possibles  sur  la  nature  de  cet  antique  système  graphique. 

a  Si ,  en  effet,  l'écriture  hiéroglyphique  ne  se  composait  que  de  signes 
purement  idéographiques,  c'est-à-dire  de  caractères  n'ayant  aucun  rap- 
port direct  avec  les  sons  des  mots  de  la  langue  parlée,  mais  représentant 
chacun  une  idée  distincte ,  la  connaissance  de  la  langue  égyptienne  parlée 
devenait  indispensable,  puisque  les  caractères,  emblèmes  ou  symboles, 
employés  dans  l'écriture  à  la  place  des  mots  de  la  langue,  devaient  être 
disposés  dans  le  même  ordre  logique,  et  suivre  les  mêmes  règles  de  ceii- 
structionque  les  mots  dont  ils  tenaient  la  place;  car  il  s'agissait  de  rap- 
peler à  l'esprit ,  en  frappant  les  yeux  par  la  peinture ,  les  mêmes  combi- 
naisons d'idées  qu'on  réveillait  en  lui  en  s'adressant  aux  organes  du  sens 
de  l'ouïe  par  la  parole. 

<x  Si,  au  contraire,  le  système  hiéroglyphique  employait  exclusivement  • 
des  caractères  de  son ,  ces  signes  ou  lettres  composant  l'écriture  égyp- 
tienne, sculptés  avec  tant^e  profusion  sur  les  monumens  publics,  ne  de- 
vaient reproduire  d'habitude  que  le  son  des  mots  propres  à  la  langue 
parlée  des  Égyptiens. 

a  Eq  supposant  enfin  que  l'écriture  hiéroglyphique  procédât  par  le 
mélange  simultané  des  signes  d'idées  et  des  signes  de  sons,  la  connais- 
sance de  la  langue  égyptienne  antique  restait  encore  l'élément  nécessaire 
de  toute  recherche  raisonnée,  ayant  pour  but  l'interpréution  des  textes 
.  égyptiens.  A 

ta  question  ainsi  posée  d'une  manière  toute  nouvelle  par  la  lecture  des 


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LES  miROGLTPHES  ET  LA  LAKGUE  ÉGYPTIENNE.  205 

noms  royaoz ,  le  problème  si  long-temps  insoluble  du  déchiffrement  des 
hiéroglyphes  laissant  entrevoir  une  solution  non  seulement  possible,  mais 
probable,  mais  prochaine,  on  dnt  songer  à  rénnir  tous  les  élémens  qui  de- 
raient  faciliter,  accélérer  cette  solution;  d'une  part,  tons  ces  monumeos 
déAcorés  depuis  le  commencement  de  Tère  chrétienne,  n'avaient  été,  n'a- 
Taient  pu  être  qu'incomplètement  dessinés.D'un  autre  côté,  la  langue  copte 
ne  nous  était  que  très  imparfaitement  connue,  et  nous  ne  possédions  qu'on 
fort  petit  nombre  de  manuscrits,  dont  la  plupart  avaient  été  rapportés 
d'Egypte  en  1(174  par  Vansleb.  Il  était  indispensable  d'aller  copier  dans 
tous  lenrs  détails  des  monumens  auxquels  chaque  jour  emporte  un  dé- 
bris, et  de  recueillir  dans  les  monastères  qui  les  avoisinent  les  nombreux 
et  précieux  manuscrits  que  tons  les  voyageurs  y  ont  vus  ;  manuscrits  qui 
ne  sont  phis  compris  de  leurs  possesseurs,  et  que  mille  accidens  divers 
peuvent  anéantir  chaque  jour.  Cette  double  mission  appartenait  naturd- 
lement  à  M.  Ghampollion  ,  dont  les  riches  découvertes  en  avaient  fait 
sentir  la  nécessité.  Il  fut  donc  envoyé  pour  arracher  à  la  destruction  et 
livrer  à  la  science  ces  inscriptions ,  dont  le  sens  ne  pouvait  plus  nous 
échapper,  et  les  restes  de  cette  langue  copte,  qui  seule  nous  en  pouvait 
fournir  la  clé. 

Mais  pour  remplir  la  double  mission  dont  il  s'était  chargé ,  il  eût  fallu  à 
M.  Ghampollion  un  tempsdouble  de  celui  dont  il  pouvait  disposer  ;  car  il 
ne  s'agissait  pu  seulement  de  choisir  et  d'acheter  :  maintes  fois  les  moines 
égyptiens  ont  refusé  de  vendre  des  manuscrits  qu'ils  ne  peuvent  lire;  il 
eût  fallu  copier  ce  que  l'on  n'eût  pu  obtenir  autrement.  M.  Ghampollion 
dut  s'occuper  d'abord  des  monumens*  La  moisson  fut  tellement  abon- 
dante, qne  le  temps  fixé  pour  la  durée  du  voyage  était  entièrement  écoulé 
avant  qu'elle  ne  fût  épuisée.  M.  Ghampollion  fut  obligé  de  revenir, 
rapportant  un  portefeuille  riche,  inappréciable,  ayant  fait  tout  ce  qu'il 
était  possible  de  faire  pour  fournir  à  la  question  un  de  ces  deux  élémens 
indispensables,  la  connaissance  exacte  des  écritures^  et  laissant  à  d'autres 
les  fatigues  nouvelles  par  lesquelles  on  pouvait  obtenir  le  deuxième  élé- 
ment, la  connaissance  complète  de  la  langue  copte. 

Privé  d'une  partie  des  moyens  qu'il  avait  lui-même  jugés  nécessaires 
au  succès,  M.  Ghampollion  n'hésita  point  cependant  à  marcher  en  avant- 
n  se  sentait  trop  près  du  but  pour  ne  pas  essayer  de  l'atteindre  à  l'aide 
des  ressources  dont  il  pouvait  disposer.  Placé  naturellement  sons  l'in- 
fluence des  brillans  résultats  que  lui  avait  fournis  la  lecture  des  noms 
propres  par  la  méthode  alphabétique,  il  fut  entraîné  graduellement,  par 
des  rapprochemens  heureux,  par  le  succès  apparent  de  quelques  essais, 
à  considérer  l'écriture  hiéroglyphique  comme  étant  plus  qu'aux  trois 
quarts  de  nature  alphabétique.  Assurément  cette  opinion,  si  contraire  à 


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906  BSTVfi  BBS  DBOX  MONDAS. 

la  ivsiyaiiee  fénértle  de  tous  ks  temps,  avait  de  quoi  aédulee  vd  eipot 
liardi.  Plus  «lie  était  neuve»  pkis  elle  bouleversait  les  idées  oniverseUe- 
BientatolsaSy  plus  ea  devait  espérer  de  gloire  à  la  souteoir.  M.  Gbam- 
poIMMi  emreprît  de  le  fiuire  eu  opposition  avec  tous  les  témoigna^ 
iustaniqMS.  £o  effet,  les  écrivaios  de  Tanliquité  s*accordent  à  nous  dire 
que  réorkufe  htéreglyphique  dif.érait  essentiellemeni  de  notre  méthode 
sÂphaMUiitte;  il  est  vrai  que  tout  en  nous  apprenant  ce  qu'elle  n'était 
pas»  ils  sont  loi^  d'expliquer  aussi  clairement  ce  qu'elle  étalL 

Dîeëope  de  Sicile  »  au  livre  in  de  sa  Bibliothèque  historique,  parle  dci 
caractères  hiéroglyphiques  employés  par  les  Égyptiens.  Après  avoir  dit 
que  ces  caractères  offrent  à  nos  yeux  des  animaux  de  tout  genre,  des 
parties  du  corps  humain,  des  ustensiles,  des  instrumens,  principale- 
ment eeux  dont  font  usage  les  artisans,  il  expose  dans  les  termes  suIym» 
les  mottfli  qui  leur  ont  fait  donner  ces  formes  :  a  Ce  n'est  point,  en  et&t, 
par  r0ÊiÊmhlageé€$êyUabe8  que  chez  eux  l'écriture  exprime  le  diseoun, 
mais  c'est  au  moyen  de  la  figure  des  o^U  rslrocés,  et  par  une  interpré- 
tation méam^horique  basée  sur  l'exercice  de  la  mémoire.  »  Plus  bu, 
après  avoir  donné  divers  exemples  de  celte  manière  d'employer  les  hié- 
roglyphes, il  ajoute  :  a  C'est  en  s'attachant  aux  formes  des  divers  carao- 
tères  qu'ils  arrivent ,  au  moyen  d'un  exercice  prolongé  de  la  mémoire, 
à  reconnaître  par  habitude  le  sens  de  tout  ce  qui  est  écrit.  »  Ce  qu'il  y  a 
de  fort  dair  dans  ces  paroles,  c'est  que  l'écriture  hiéroglyphique  ne  (ior- 
mait  peint  des  syllabes,  c'est-à-dire  qu'elle  ne  se  rattachait  point,  comme 
.notre  écriture,  aux  idées  par  rinlermédiaire  des  sons,  mais  bien  par  la 
forme,  par  la  figure  de  eieè  caractères.  Ce  qui  est  beaucoup  moins  clair, 
c'est  la  manière  dont  ces  figures  exprimaient  les  idées.  On  reconnaît  ce- 
^pendant,  par  les  détails  dans  lesquels  est  entré  l'historien,  qu'une  figure, 
outre  Vdù^  représenté  directement,  pouvait  représenter  métaphori- 
quement ou  d'une  manière  détournée  un  grand  nombre  d'autres  idées; 
€0  qui  est  eonAoraae,  du  reste,  aux  notions  que  nous  fournit  le  diction- 
.aaire  symbolique  d'Homs-Apollon. 

Au  témoignage  de  Diodore,  l'historien  grec ,  j'ajouterai  celui  d'Am- 
jnien  Maicellin,  l'historien  latin.  Cet  écrivain  s'exprime  de  la  maoiére 
suivante  au  sujet  de  l'écriture  hiéroglyphique  :  a  Les  anciens  Égyptiens 
n'avaient  point,  comme  aujourd'hui,  un  nombre  de  lettres  déterminé  et 
d'un  emploi  facile  pour  exprimer  tout  ce  que  peut  concevoir  l'esprit  bu- 
main,  mais  chaque  lettre  représentait  un  mot  et  quelquefois  même  une 
phrase  entière.  »  Cela  est  assez  positif;  Ammien  compare  les  anciens 
procédés  des  Égyptiens  à  ceux  qu'ils  employaient  de  son  temps,  c'est-à- 
dire  à  l'écriture  alphabétique. 
Saint  Clément  d'Alexandrie,  parlant  dans  ses  Mélanges  des  voiles 


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LES  HlÉROGLTMIft  ET  LA  LAMGVB  iGTPTiENNE.  207 

mytténMttdoBl  on  ft'est  phi  souTent  à  entourer  It  fcieoee  pour  n'en  per» 
mettre  l'abonl  qn'atix  iaitiés ,  cUe  f—ie  exemple  de  ces  obaueles  mol- 
tipilés  Tusage  qui ,  de  son  tenps,  e'est'à-dîre  rerg  la  fin  da  ir  siècle, 
régoaiteocorecbez  les  Égyptteus.  L*on  ne  pouvait  atteindre  que  par  des 
degrés  successifs  le  terme  le  plusile? é  de  finstruction,  qui  était  la  science 
des  hiéfoglyplies.  Il  résulte  bien  clairement  de  là  que  la  science  des  hié* 
rogifpbes  n'était  rien  moins  qu'une  chose  ISiciley  et  l'on  pourrait,  avec 
toute  apparence  de  raison ,  affirmer  que  saint  Clément  n'a  point  tu  dans 
les  hiéroglyphes  une  écriture  presque  entièrement  alphabétique.  Il  parle 
cependant  de  l'emploi  des  caractères  hiéroglyphiques  comme  caractères 
alphabétiques.  L'écriture  hiéroglyphique ,  dit-il ,  s'emploie  suivant  deux 
méthodes;  Tune  représente  les  objets  d'une  manière  propre  à  chacua 
d'eux  à  l'aide  des  premiers  élémeoSy  c'est-4-dire  des  lettres  de  l'alphabet  : 
car,  quand  il  s'agit  d'écriture ,  les  premiers  élémens  sont  les  lettres  àè 
l'alphabet;  nous  trouvons,  en  effet,  ces  lettres  désignées  plusieurs  fois 
sons  le  nom  de  premiers  èléfmns  d$  VèerUurê  dans  la  Préparation  évaiH 
géliqne  d'Eusèbe.  L'autre  méthode  représente  les  objets  d'une  manière 
figurée  ou  symbolique;  c'est  celle  dont  viennent  de  nous  parler  DIodore 
de  Sicile  et  AmmienMarcellin.  De  cette  distinction  faite  par  saint  Clé- 
ment, il  résulte  qu'il  a  voulu  signaler  la  méthode  an  moyen  de  laquelle 
on  écrivait  les  noms  étrangers  si  fréquemment  employés  dans  les  déco- 
rations  hiéroglyphiques;  mais  il  est  évident,  par  l'ensemble  du  passage, 
qne  cet  alphabet  hiéroglyphique  phonétique  ne  pouvait  être  qu'un  ac- 
cessoire peu  considérable  du  système  total.  Il  devait  servir  à  exprimer 
des  noms  propres  étrangers,  des  noms  de  peuples,  de  pays,  de  villes, 
des  mots  empruntés  aux  langues'  étrangères ,  quelques  mots  de  la  langue 
égyptienne  elle-même ,  lorsque  pour  représenter  une  action  faite  par  des 
étrangers ,  ou  à  la  manière  des  étrangers ,  on  voulait  éviter  l'emploi  d'un 
symbole  qui ,  rappelant  le  mode  d'action  égyptien ,  pouvait  donner  une 
idée  fausse.  La  pierre  de  Rosette  nous  offre  un  exemple  assez  remarqua- 
ble de  l'expression  alphabétique  d'un  mot  égyptien;  il  est  question 
d'écrire  le  décret  en  lettres  sacrées,  en  lettres  vulgaires  et  en  lettres  greo- 
q«es  ;  un  même  symbole ,  rappelant  les  procédés  d'écriture  employés  par 
les  Égyptiens,  se  trouve  répété  deux  fois  pour  exprimer  les  lettres  sa- 
crées et  les  lettres  vulgaires  de  l'Egypte;  mais,  comme  la  méthode 
récriture  des  Grecs  diUérait  complètement  de  celle  des  Égyptiens,  quand 
il  s'agit  d'exprimer  les  lettres  grecques,  ce  n'est  plus  le  symbole  précé- 
dent que  l'on  emploie,  c'est  le  mot  lettres  y  emprunté  à  la  langue  égyp- 
tienne qee  Ton  écrit  à  la  manière  alphabétique.  Les  symboles  égyptiens, 
nppelant  à  la  fois  une  action ,  et  la  manière  de  faire  cette  action,  il  aura 
f tlki  recourir  à  la  méthode  alphabétique  toutes  les  fois  que  Pon  aura 


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206  &ETT7E  DBS  DEUX  MONDES. 

voulu  faire  abstractioQ  de  la  manière  d'agir,  et  rappeler  seulement  son 
résultat.  Quelque  eitension,  cependant ,  que  Ton  donne  à  l'emploi  de 
cette  méthode  y  on  sent  qu'il  sera  toujours  fort  limité,  puisqu'il  n'est 
qu'une  addition  faite  après  coup  au  système  égyptien  par  suite  des  rap« 
ports  de  i'É^ypte  avec  les  étrangers.  Le  texte  de  saint  Clément  d'A- 
lexandrie ne  favoriserait  donc  pas  plus  que  ceux  des  autres  écrivaias 
l'opinion  qui  attribuerait  à  l'écriture  hiéroglyphique  une  nature  presque 
entièrement  alphabétique. 

Plutarque,  qui  ne  s'est  point  occupé  du  système  graphique  des  Égyp- 
tiens, dit  quelque  part  à  propos  du  nombre  vingt-cinq,  que  ce  nombre 
est  celui  des  lettres  égyptiennes.  Il  dit  ailleurs  que  l'ibis  tient  le  premier 
rang  parmi  les  lettres  des  Égyptiens ,  mais  il  ne  dit  pas  un  mot  de  l'usage 
que  1*00  faisait  de  ces  lettres,  ni  de  l'importance  du  rôle  qu'elles  pouvaient 
jouer  dans  le  système  de  l'écriture  égyptienne.  Il  n'y  a  donc  pas  de  raisoo 
pour  voir  là  autre  chose  que  l'alphabet  hiéroglyphique  dont  nous  veooni 
de  parler  à  l'occasion  de  saint  Clément,  d'autant  plus  que  saint  Clé- 
ment et  Plutarque,  les  seuls,  parmi  les  écrivains  de  l'antiquité,  qui 
aient  parlé  d'hiéroglyphes  employés  à  la  manière  de  nos  lettres  alphabé- 
tiques, nous  ont  conservé  l'un  et  l'autre  le  seul  exemple  connu  d'écriture 
hiéroglyphique  analysée,  et  que  cet  exemple  procède  exclusivement  par 
la  méthode  symbolique. 

Si  donc  chez  les  apteurs  anciens  on  a  trouvé  l'indication  de  la  méthode 
alphabétique  employée  pour  écrire  les  noms  étrangers,  on  n'y  saurait 
trouver  de  même  que  l'écriture  hiéroglyphique  était  d'une  nature  près* 
que  exclusivement  alphabétique;  bien  loin  de  là,  l'opinion  adoptée  par 
M.  Champollion  est  en  opposition  directe  avec  tous  les  témoignagrs  de 
l'antiquité.  Cette  circonstance  nous  rendra  naturellement  plus  sera- 
puleux  dans  l'examen  des  preuves  alléguées  à  l'appui  du  système  noa- 
veau  ;  cependant  il  ne  faudrait  pas  les  condamner  sur  ces  seuls  indices; 
il  n'est  peut-être  pa$  impossible  que  tous  les  auteurs  qui  nous  ont  parlé 
de  récriture  hiéroglyphique  se  soient  mépris  sur  sa  nature. 

La  mort  n'a  point  permis  à  M.  Champollion  de  publier  lui-même  les 
résultats  de  ses  longues  recherches,  les  principes  qu'il  avait  déduits  de 
ses  immenses  travaux ,  sa  Grammaire  égyptienne^  qui  est,  dit-on,  le  ré- 
sumé complet  de  tout  son  système.  Cette  grammaire  n'est  point  encore 
tout  entière  entre  les  mains  du  public.  La  première  moitié  seulement  i 
paru;  mais  cette  moitié  suffit  pour  que  Ton  puisse  apprécier  le  système 
tout  entier,  et  l'apprécier  sans  injustice.  L'auteur,  s'écartant  de  la  mar- 
che ordinairement  suivie  dans  les  grammaires,  a  mis  avec  profusion  dans 
cette  première  partie  de  longues  phrases  hiéroglyphiques,  empruntées 
aux  monumens  de  toutes  les  époques ,  depuis  les  temps  les  pius  reculés 


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LES  BIÉR0GLTPHE8  ET  LA  LANGUE  ÉGYPTIENNE.      209 

jaiqo*aa  ni«  siècle  de  notre  ère;  et  toutes  ces  phrases  sont  accompagnées 
de  leur  traduction  complète.  Nous  pouvons  donc  juger  la  méthode  nou- 
velle par  ses  résultats ,  par  les  applications  qu'en  a  faites  l'auteur  lui- 
méine.  La  juger  ainsi  n'est  pas  difficile;  nous  savons  que  la  langue  copte 
était  la  langue  de  l'Egypte  aux  premiers  siècles  du  christianisme;  voilà 
notre  pierre  de  touche.  La  nouvelle  méthode  sera  bonne  dès  qu'elle  pourra 
lire  car  les  temples  d'Esné,  sur  ceux  de  Denderah ,  des  mots ,  des  phrases 
appartenant  à  la  langue  copte  qui  fut  contemporaine  de  ces  monumens. 
Tout  système  de  lecture  qui ,  essayé  sur  les  édifices  dont  nous  parlons , 
ne  reproduira  ni  les  mots,  ni  la  syntaxe  de  cette  langue ,  ne  pourra  pré- 
tendre à  aucune  confiance.  M.  ChampoUion  nous  l'a  dit  lui-même,  dans 
la  langue  copte  est  la  seule  démonstration  possible  de  la  bonté  d'une  mé- 
thode de  lecture  appliquée  aux  inscriptions  hiéroglyphiques;  Nous  par- 
tiroBS  de  ce  point. 

Autant  que  l'on  en  peut  juger,  M.  ChampoUion  a  fait  les  premiers 
essais  de  sa  méthode,  non  point  sur  les  monumens  de  l'époque  romaine, 
mab  sur  les  édifices  réputés  les  plus  anciens.  Trouvant  là,  par  ses  lec- 
tures, des  résultats  fort  différons  de  la  langue  copte,  il  s'est  expliqué  le 
peu  de  ressemblance  par  la  grande  antiquité  des  textes  qu'il  traduisait. 
«  Il  n'existe,  dit  «il  dans  l'introduction  de  sa  grammaire,  aucune  langue 
qui,  comparativement  étudiée  sous  le  rapport  orthographique,  à  deux 
épo^es  aussi  distanies  que  celles  qui  séparent  les  textes  appelés  coptes 
de  la  plupart  des  textes  égyptiens  hiéroglyphiques,  ne  présente  des  va- 
riations et  des  changemens  bien  plus  notables  encore.  x>  Mais  si  la  plupart 
des  lextes  hiéroglyphiques  sont  d'une  haute  antiquité,  il  reste  aussi  de 
nombreux  monumens  de  l'époque  romaine,  et  ceux-là  sont  contemporains 
de  la  langue  copte.  Il  est  donc  présumable  que  ces  différences  si  notables 
dues  à  l'action  des  siècles  vont  s'effacer  peu  à  peu  à  mesure  que  nous 
allons  arriver  à  des  monumens  plus  voisins  de  notre  époque ,  d'abord  aux 
édifices  construits  et  décorés  sous  la  domination  grecque  et  à  la  pierre 
de  Rosette  en  particulier,  puis  à  ceux  des  premiers  temps  du  christia- 
nisme, et  enfin  que  la  différence  sera  nulle,  ou  presque  nulle,  quand 
nous  arriverons  aux  décorations  hiéroglyphiques  exécutées  sous  Trajan, 
Septioie Sévère,  Caracalla,  Géta.Ehbien!  nullement.  Les  différences  no- 
tables que  reconnaît  M.  ChampoUion  demeurent  exactement  les  mêmes  à 
toutes  les  époques,  et  les  lectures  faites  sur  les  temples  d'Ësné,  couverts 
de  leurs  légendes  hiéroglyphiques  au  iii*  siècle  de  notre  ère,  diffèrent 
tout  autant  de  la  langue  copte,  contemporaine  de  ces  édifices,  que  les 
lectures  faites  sur  les  plus  anciennes  murailles  dcThèbes.  L'influence  des 
siècles  n'est  donc  pour  rien  dans  ces  différences.  La  conséquence  à  la-' 
quelle  on  serait  conduit  par  Tappllcation  de  la  méthode  nouvelle,  c'est 

TOME  TU.  14 


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910  UTI»  BBS  nSDX  MORMSa. 

qu'il  y  avait  ea  Egypte,  au  iii*  siède  de  l'ère  chrétienne ,  deux  langmi, 
différant  très  notablement  Tune  de  rautre,  tant  pour  les  mots  que  pour 
lasyntaxe,  dont  Tune,  absolnmeùt  inconnue  jusqu'à  nos  jours,  s'eah 
ployait  sur  ks  moaumenSy  tandis  que  l'autre,  la  langue  copte,  était i 
l'osage  de  la  population.  Mais  où  est  la  démonstration  de  FezisteDce 
d'une  langue  monumentale  différente  de  la  langue  copte ,  ailleurs  qae 
dans  la  certitude  de  la  méthode  qui  l'a  f^it  découvrir?  où  peut  être  h 
certitude  de  la  méthode  nouvelle,  ailleurs  que  dans  l'identité  des  résul- 
tats qu'elle  fournit  avec  la  langue  copte  que  nous  eonnaissons  ?  La  mè* 
tbode  ne  saurait  être  démontrée  par  la  chose  nouvelle  qu'elle  nous  fait 
connaître ,  en  même  temps  que  cette  chose  nouvelle  serait  démontrée  par 
la  méthode.  Je  me  hâte  de  dire  que  M.  Champollion,  tenant  les  yesx 
constamment  ixés  sur  les  monumens  pharaoniques,  n'a  point  été  cob- 
duit  comme  nous  à  voir  deux  langues  contemporaines;  il  a  vu  seulemeot 
deux  états  d'une  même  langue,  dont  l'un,  celui  que  nous  connaissoDS 
(l'égyptien  moderne,  la  langue  copte),  ne  différait  de  l'autre,  qn'il  ap- 
pelle l'égyptien  antique,  que  par  suite  de  l'action  des  siècles.  Mali 
la  conséquence  à  laquelle  nous  sommes  arrivés  est  forcée;  elle  ressort  de 
tous  les  exemples  cités  dans  la  grammaire  de  M.  Champolltoo. 

Comparons,  en  effet,  avec  la  langue  copte  les  traductions,  que  nous 
donne  l'auteur,  des  inscriptions  de  l'époque  romaine;  vous  allez  voir  «la 
diférence  n'est  pas  suffisante  pour  qu'il  faille  reconnaître  dans  ces  tra- 
ductions une  langue  tout-à-flàit  nouvelle.  Nous  rencontrons  d'abord  qb 
groupe  que  M.  Champollion  lit  eniety  et  qu'U  traduit  par  Dieu:  mais 
dans  les  livres  coptes,  Dieu  n'a  jamais  été  rendu  autrement  que  par  noirff. 
Un  autre  groupe  est  lu  par  M.  CbampoUioo  tfe  ou  etf,  et  rendu  par  le 
mot  père:  mais  pour  représenter  l'idée  père,  la  langue  copte  ne  conaatt 
pas  d'autre  mot  queidl.  Un  troisième  groupe,  connu  pour  représeoter 
l'idée  roi ,  est  lu  par  la  nouvelle  méthode  sohI  oo  sontea ,  tandis  qoe  la 
langue  copte  n'admet  pas  d'autre  expression  pour  ridée  roi  que  ovn», 
erro.  Un  quatrième  groupe  qui  répond  à  l'idée  fih ,  est  lu  par  M.  Cbam- 
poUoB  5t  ou  s«,  tandis  que  la  langue  copte  n'a  point  d'autre  met  que 
schiriy  schirê.  Sans  nous  arrêter  à  citer  des  mots  isolés,  ce  qui  nouseoo- 
djuirait  à  reprendre  en  détail  tous  les  groupes  lus  par  M.  Champolliooi 
citons  des  phrases  entières.  Sur  le  pronaos  d*Esoé,  dont,  comme  doos 
l'avons  dit ,  les  sculptures  portent  le  nom  de  Septime  Sévère ,  M.  €ham- 
polUon  lit  cette  phrase  :  Der  chet  enter  eiterpe  peu ,  qu'il  traduit  ainsi,  H 
aux  autres  dieux  de  ce  temple.  Â  l'^uxplk»  de  erpe ,  mot  réeUetneat 
oopte,  mais  qui  n'est  point  obtenu  au  moyen  de  la  nouvelle  méthode, 
puis<|u*il  répond  à  un  caractère  symbolique ,  rien  dans  cette  lecture  a'a 
le  moindre  rapport  avec  la  langue  que  l'on  pafl«it  e»]âgypte  «y  tempsde 


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LES  HliROGLTJPimS  BT  LA  LAHGDB  ÂGYPTIENNE.  2tl 

SepCtee-fiénrère  ;  pour  obtenir  la  traduction  ci-deisas ,  il  eAt  fallo ,  dans 
eeite  laogneyineitm  kenaute  eniepeUrpe.  Sor  le  même  pronaosM.  Oham- 
y<dlion  Ut  encore  :  pti  iMi^ri  tfe  ênnenier^ et  tradoit»  le  fiU  ehérif  Vaille 
eu  ftr%  des  étenx:  mais  pour  traduire  de  la  sorte,  il  faudrait  lire  en  lan- 
gue copte  9  pschere  emmerii  pscherpemmUe  ente  peiAi  êimeHOUiê,  Tous 
een  amtSyjMi,  otfai,  ife,  ênitr,  sont  complètement  étrangers  aux  vocabu- 
laires coptes  y  et  la  construction  de  la  phrase  n*a  pas  le  moindre  rapport 
«vec  la  syntase  égyptienne.  Noos  pourrions  citer  de  même  toutes  les 
autres  phrases  empruntées  aux  sculptures  des  temples  d'Esné,  celles  qui 
appartiennent  aux  temples  de  Deuderah;  chaque  citation  nous  obligerait 
à  répéter  les  observations  que  nous  venous  de  faire.  Que  Ton  examine 
dans  la  grammaire  elle-même  toutes  les  traductions  d'inscriptions  ^- 
^rlenant  à  l'époque  romaine ,  et  que  l'on  ne  s*en  laisse  point  imposer  par 
les  caractères  employés,  qui  sont  bien  réellement  des  caractères  coptes, 
on  verra  qu'elles  ne  contiennent  pas  un  seul  mot  copte,  pas  un  seul,  ob- 
tenu au  moyen  de  la  nouvelle  méthode;  et  que,  quand  il  se  rencontre ,  «e 
qui  est  rare,  quelque  mot  de  cette  langue  que  Ton  parlait  en  Egypte  au 
u«  siècle  de  notre  ère ,  il  répond  à  un  caractère  symbolique  sons  lequel 
M.  Champollion  place  le  nom  copte  de  l'idée  qu'il  est  supposé  représen- 
ter. L'examen  des  fcagmens  empruntés  à  Tinscription  de  Hosette  nous 
donne  absolument  les  mêmes  résultats.  Enfin ,  la  langue  copie  ne  se  r«- 
trouve  pas  sur  les  monumens  de  l'époque  pharaonique  plus  que«ur  ceux 
de  répoque  grecque  et  de  l'époque  romaine.  Où  donc  est  la  démonstra- 
tion que  devait  nous  fournir  la  langue  copte,  et  que  seule,  de  l'aveu  de 
M.  Champollion,  elle  pouvait  nous  fournir?  Nous  obtenons  par  les  .pro- 
cédés de  lecture  qui  nous  sont  proposés  une  langue  nouvelle,  qui,  loin 
de  pouvoir  démontrer  la  certitude  de  ces  procédés,  aurait  besoin  elie- 
«éme  d'être  démontrée.  Dés  cet  instant  la  nouvelle  méthode  est  jugée. 
Le  sens  d'un  grand  nombre  de  caractères  et  de  groupes  hiéroglyphi- 
ques a  pu  être  déterminé  d'une  manière  certaine,  indépendamment  de 
toute  leeture  :  c'est  là  ce  qui  a  égaré  M.  Champollion.  Profondément 
convaincu  à  prUtri  de  rexcelleoce  de  ses  procédés,  il  est  arrivé  à  étendre 
sur  le  mode  de  lecture  une  certitude  qui  ne  s'appliquait  qu'à  la  significa- 
tion. On  sait  la  prodigieuse  élasticité  de  l'art  des  étymologistes;  au  moyen 
de  c^t  art,  il  est  aisé  de  rattacher  bien  ou  mal  le  premier  mot  venu  à 
quelque  radical  ayant  à  peu  près  le  sens  dont  on  a  besoin;  et  cela  est 
d'autant  plus  facile,  que  la  langue  sur  laquelle  on  opère  est  plus  impar- 
faitement connue.  Eh  bien  !  c'est  dans  la  voie  des  étymologies  que  s'est 
engagé  M,  Champollion ,  pour  rattacher  sa  langue  nouvelle  à  la  langue 
copte;  c'est  par  des  rapports  étymologiques  qu'il  a  cru  masquer  les  diffé- 
rences profondes  que  nous  avons  signalées.  Ces  rapports  l'ont  séduit; 

14. 


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212  RBVDE  DBS  DEUX  MONDES. 

nous  le  coDcevooSy  il  est  Tautear  de  la  méthode  DoaveUe.  Mais  noos  qn 
examinons,  libres  des  préoccupa tioos  par  lesquelles  il  se  trourait  dominé, 
tous  ces  rapprochemeos,  quelque  ingénieux  qu^ils  soient,  ne  sauraient  oooi 
faire  illusion,  et  nous  rejetons  un  système  qui  ne  s'appuie  que  sur  dei 
subtilités  étymologiques. 

La  confiance  de  M.  ChampoUion  dans  la  sûreté  de  sa  théorie  Fa  entraîné 
graduellement  si  loin  de  la  langue  copte,  que ,  quand ,  pour  l'interprétt- 
tion  des  passages  purement  symboliques,  il  est  obligé  de  faire  à  cette 
langue  quelques  emprunts,  il  en  néglige  constamment  les  règles  les  pin 
simples.  Parcourez  sa  grammaire,  tous  y  trouverez  sans  cesse  Tartide 
pluriel  indéterminé  associé  aux  noms  de  nombres,  combinaison  quels 
syntaxe  copte  n'admet  pas  plus  que  la  nôtre.  Vous  rencontrerez  à  chaque 
page,  sous  un  symbole  qui  parait  exprimer  l'idée  de  totalité ,  le  mot  ail 
(  préféré,  je  ne  sais  pourquoi ,  au  mot  nim,  du  dialecte  thébalque,  et  au 
mot  ijtbfn,  du  dialecte  mempliitlque) ;  vous  trouverez,  dis-je,  ce  mot 
accolé  à  un  substantif  que  précède  un  article  simple  ou  un  article  posses- 
sif; vous  le  trouverez  également  employé  d'une  manière  abMlue ,  comme 
dans  cette  phrase:  gouverner  tout.  Or,  de  ces  deux  emplois  la  langue 
copte  ne  permet  pas  plus  Tun  que  l'autre.  Les  mots  jo,  tête,  rat,  pied, 
TOy  bouche,  ne  se  montrent  dans  la  grammaire  de  M.  ChampoUion  qu'avec 
les  articles  simples  ou  possessifs;  petrOy  ta  bouche,  netrat^  tes  pieds,  en- 
senjoy  leurs  tètes,  tandis  que  dans  les  livres  coptes  les  mêmes  mots  n'ad- 
mettent pas  autre  chose  que  des  terminaisons,  comme  rof,  sa  bouche, 
jos,  sa  tète,  raiou,  leurs  pieds.  Ajoutons  que  les  articles  possessiù  pt>. 
net,  ensen,  sont  complètement  étrangers  à  la  langue  copte.  Le  mot  eM, 
qui ,  dans  les  livres  coptes,  ne  se  rencontre  que  précédé  de  l'article  singu- 
lier masculin,  et  qui,  n'admettant  jamais  de  complément,  signifie  Vautn 
d'une  manière  absolue,  se  montre  constamment,  dans  la  CramfMin 
égyptienne,  au  nombre  pluriel  et  suivi  d'un  ou  plusieurs complémens. 
M.  ChampoUion  emploie  comme  verbe  le  mot  maif  qui  ne  peut  entrer 
que  dans  les  adjectifs  composés  du  genre  de  mainouty  aimant  Dieu,  et  il 
écrit  maif  y  qui  aime  lui ,  quand  il  faudrait  écrire  etmai  emmof.  Nous  pou- 
vons indiquer  encore  certains  mots  qu'il  compose,  tels  que  celui-ci:  se 
rem  oHro,  les  portiers;  ce  mot,  s'il  était  possible,  signifierait  ceuxqoi 
emportent  ou  qui  enlèvent  la  porte,  et  non  point  ceux  qui  l'ouvrent;  mail 
rem  ne  se  compose  jamais  avec  un  verbe  actif,  c'est  ref  que  l'on  emploie- 
rait dans  le  cas  présent,  et  l'on  dirait  :  ne  refouenro.  Ces  négligences,  et 
bien  d'autres  encore ,  qu'il  serait  trop  long  de  citer,  montrent  à  quel  point 
M.  ChampoUion  avait  perdu  de  vue  les  règles  de  la  langue  copte;  elles 
suffiraient,  quand  même  l'art  des  rapprochemens  étymologiques  dont  il 
a  fait  usage  serait  moins  trompeur^  elles  suffiraient  pour  faire  douter  da 


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LES  HIÉROGLYPHES  ET  LA  LANGUE  ÉGYPTIEMlfE.  213 

Il  réalité  des  rapports  qu'il  a  cru  apercevoir  entre  cette  langue  et  les  ré** 
soltats  de  ses  lectures. 

Assurément  les  théories  de  M.  Champollion  sont  fort  ingénieuses;  elles 
sont  séduisantes,  il  y  a  du  vrai  sans  doute ,  mais  nous  venons  de  voir 
qu'il  n'en  faut  pas  demander  la  démonstration  à  la  langue  copte ,  et  nous 
savons  que  dans  cette  langue  se  trouve  la  seule  démonstration  possible. 
Le  problème  du  déchiffrement  des  hiéroglyphes  n'est  donc  point  encore 
complètement  résolu,  comme  on  a  pu  le  croire.  D'heureux  détails  sont  • 
trouvés  y  ils  resteront;  mais  les  bases  de  la  solution  ne  sont  point  encore 
arrêtées.  11  faut  revenir  au  point  où  nous  avait  amenés  la  lecture  des 
noms  étrangers.  Cette  lecture  nous  a  fait  connaître  qu'il  existe  de  nom- 
breuses inscriptions  hiéroglyphiques  sculptées  à  l'époque  où  l'on  parlait, 
sur  les  bords  du  Nil ,  la  langue  copte ,  que  nous  possédons.  Trouver  le 
rapport  de  ces  écritures  sacrées  avec  le  langage  de  ceux  qui  les  ont  tra- 
cées, voilà  ce  que  nous  devons  encore  nous  proposer.  Il  est  cruel  de  ré» 
trograder  quand  on  se  croyait  près  du  but;  mais  nous  savons  au  moins 
aujourd'hui  que  le  but  ne  saurait  nous  échapper.  M.  Champollion  nous  a 
laissé  des  copies  exactes  des  légendes  hiéroglyphiques  de  toutes  les  épo- 
ques; les  riches  salles  du  musée  égyptien  renferment  assurément  tous  les 
élémens  nécessaires  pour  arriver  à  une  connaissance  complète  du  système 
graphique  des  anciens  Egyptiens.  Malheureusement  le  dépôt  des  manu- 
scrits coptes  ne  s'est  point  enrichi  de  même  par  le  voyage  de  M.  Cham- 
pollion; il  est  toujours  borné  à  une  soixantaine  de  volumes,  parmi  les- 
quels se  trouvent  un  grand  nombre  de  doubles;  ce  que  M.  Champollion 
n'a  pu  faire ,  faute  du  temps  nécessaire ,  il  serait  à  désirer  qu'on  le  fit 
aujourd'hui  II  existe,  comme  nous  l'avons  dit,  dans  les  divers  monas- 
tères de  l'Egypte ,  de  nombreux  manuscrits  qui ,  tout  en  nous  permettant 
de  rectiûer  et  de  compléter  la  grammaire  et  le  dictionnaire  coptes ,  et 
d'acquérir  ainsi  une  connaissance  aussi  exacte  que  possible  de  la  langue 
égyptienne,  seule  clé  des  hiéroglyphes,  nous  offriraient  assurément  des 
documeos  précieux  pour  l'histoire  politique  et  religieuse  de  l'Egypte  de- 
puis l'ère  chrétienne,  et  peut-être  pour  l'hisioire  antérieure ,  des  rensel- 
gnemens  importanssur  la  géographie,  sur  les  croyances ,  les  usages ,  les 
mœurs.  Les  résultats  d'un  voyage  de  recherches  ne  sont  point  incertains. 
La  vallée  du  Nil  présente  à  faire  une  ample  moisson  dans  les  trois  dialectes 
de  l'ancienue  langue  égyptienne;  moisson  que  le  temps  et  l'ignorance 
apfMiuvrissent  chaque  jour. 

D'  DciAani.f. 


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DE  L'ESPAGNE 


ET 


DE  SON  HISTOIRE. 


GOmiSSPONDAIIGB  ,  Mtflf OIABS  ET  ACTES  DIPLOMATIQUES 

OOECBBHAMT  LES  PRÉTBETION8  ET  L'AVÉNEMBflT  Wm  LA  Uàmom 

J>B  BOORBON  AU  TRÔNB  D*BSPAGNBy  AGCXUlPAAHéS 

D*UM  TEXTE  HISTORIQUE  ET  PRÉCÉDA  D*UME 

UfTRQOUCXlOIf  9  PAR  M.  JUfiMEI. 


On  éproave  une  émotion  également  vive  en  entrant  pour  la  pre- 
mière fois  au  parlement  d'Angleterre  et  aux  archives  des  affiadres 
étrangères  de  France.  Sous  les  voûtes  de  Saint-Ëtienne»  I*histoîre 
des  trois  royaumes  est  concentrée  tout  entière,  depuis  Haropdeo 
jusqu*à  O^Connell.  II  semble  qu*on  voie  passer  devant  soi,  >le  fceat 
chargé  des  soucis  du  pouvoir,  ces  générations  d^hommes  poiitiqiies 
qui  se  transmirent,  comme  un  dép6t  national,  Thabileté  par  laqatele 
-on  use  de  la  bonne  fortune  et  la  persévéranœ  qui  triomphe  de  b 
mauva'se.  En  Angleterre,  négociations  diplomatiques  et  intrigués 
de  cour,  prédications  de  la  chaire  et  déclamations  des  hustingsy 
tout  depuis  trois  siècles  aboutit  à  cette  petite  salle. 

La  France  manque  d*un  foyer  lumineux  où  soient  venus  conver- 
ger ainsi  les  rayons  épars  de  son  histoire.  Une  partie  s'en  faisait 
dans  les  cours  souveraines,  les  assemblées  du  clergé,  ou  les  états 
provinciaux,  une  autre  dans  les  salons  de  Versailles  ou  les  bou- 


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DB  L'ESrA«FfB  BT  K  SON  HISTOIRE»  215 

âmes  des  mallrefltoa.  CepeAdtat ,  Hnrscpe  ¥%m  vev^  ooMprendre  les 
annales  de  la  nioiiarchie,  non  d*apré6  les  œorres  académiques, 
mais  daas  leur  réalité  pratique  et  igaorée ,  lorsqoe  Ton  tient  à  saisir 
la  physioDOBAÎe  Tirante  de  Tandea  régime,  c'est  à  Thôtel  de  la  roe 
des  Capucines  que  Ton  doit  commencer  cette  étude  entraTée  jus- 
qu'ici par  une  réserTe  rarement  justifiée* 

Ce  fut  une  tradition  constante  pour  tous  les  princes  de  la  maison 
do  Bourbon,  qœ  le  gouTernemeat  se  résume  dans  la  direction  des 
affaires  étrangères,  et  que  le  roi  ne  peut  abandonner  la  conduite 
de  celles-ci,  sans  compromettre  le  son  de  sa  couronne ,  et  sa  sAreté 
personnelle.  Personne  n'ignore  que  Louis  XV  lui-même,  ce  roi  de 
sérail,  qui,  du  fond  du  Parc-aux-Cerfs,  lirra  le  Canada  et  la  marine 
française  à  1* Angleterre,  laissa  partager  la  Pologne,  et  Toyait  de 
sang-froid  Tenir  la  réTolution,  avait  une  diplomatie  secrète  fort 
active,  devant  laquelle  tremblèrent  le  duc  de  Choiseul  et  le  duc 
d' Aiguitton  ;  agence  mystérieuse  dont  le  comte  de  Broglie  fut  le 
chef,  Favier  le  publiciste,  et  qui  enrôla  dans  sa  franc-maçonnerie 
poUtîque  H.  de  Vergennes  et  le  chevalier  d*£on.  Conçoit-on  dès- 
lors  que  des  écrivains  aient  pu  se  croire  en  mesure  de  tracer  un  ta- 
bleau quelque  peu  sérieux  des  derniers  siècles,  sans  la  connaissance 
des  seuls  documens  qui  pussent  les  foire  sortir  des  banalités  histo- 
riques? 

Si  depws  quelques  années,  les  publications  successives  des  tra- 
vaux du  général  Grimoard,  de  Leroontey  et  de  Hazure ,  celle  des 
mémoires  du  due  de  Saint-Simon  surtout,  ont  répandu  quelques 
idées  moins  erronées,  rien  de  plus  inexact  encore  que  Timpres- 
sion  généralement  conservée  en  France  et  en  Europe,  du  gouver- 
nement de  Louis  XIV  (1).  Personne  nignore  sans  doute  que  ce 
grand  roi  gagna  des  bataiUes  grâce  aux  généraux  qui  conduisaient 


fl)  On  pourrait  citer  à  rappvl  de  ceUe  atsertion  vn  IWre  réeeument  pvblié  en  Angb- 
t»tt  ior  le  fi^jet  même  qnï  nous  occupe,  ptr  un  noble  écrivain  (BUtory  of  the  war  of 
ike  MuficeêMkm  m  9pain ,  by  lord  Habon,  London,  MBS  ).  nani  cet  onrmge,  remar* 
qnable  comme  oravre  liltéraire,  Taoteor  ne  lenble  s'être  S<iis^  d*»iic«B  dMfi^ngéf 
fradltionneU  contre  la  France,  qui  forment  le  fonds  de  Topinion  polltiqae  à  laquelle  tt 
■ppafUent.  H  4*élève,  par  exemple,  avec  violence  contre  la  paix  dUtrecht,  non  moins 
Ipipii  ieisimsnl  réelmée  par  les  JnKrêu  de  la  ftrawStj  Bf  eUgne  qne  par  les  nôtres,  et  que 
lc«  colUslom  de  la  régence  avec  U  coor  d*Bsp>gne  devaieM  Uenlêl  jâstlfier  amx  3Pe«s  def 
cÉbineU  les  plus  bosiiles  à  rétablissement  de  Ia  maison  de  Bonrbon  i  Madrid,  eomflieà 
I  \m  plitt  préveiras  eestn  Itetenslon  de  nnavcace  française. 


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216  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

ses  années,  i  Louvois  qui  les  organisait ,  à  Colbert  qui  çréparah 
le  nerf  de  la  guerre  :  mais  la  cause  principale  de  ses  succès  de- 
meure enveloppée  de  mystère.  On  attribue  à  la  force  ce  qui  appar- 
tient à  rhabileté,  à  la  fortune  ce  quHl  conviendrait  de  rapporter  i 
Tadresse.  L'idée  qui  lia  tous  les  plans  politiques  de  ce  long  règne, 
la  prévoyance  qui  les  conçut  un  demi-siècle  avant  leur  exécution  et 
qui  les  poursuivit  pied  à  pied,  la  souplesse  qui  tira  parti  des  évène- 
mens  y  la  corruption  qui  triompha  dçs  hommes,  tout  cela  échappe 
pour  ne  laisser  saisir  que  des  effets  sans  cause.  On  ignore  jusqaao 
nom  de  ces  nombreux  agens  auxquels  le  disciple  de  Mazarin  aimait 
à  conGer,  non  Téclatant  appareil,  mais  la  réalité  de  la  puissance 
politique.  On  dirait  que  le  public  juge  le  siècle  des  magnificences 
royales,  à  la  manière  de  ces  visiteurs  d'usines,  devant  lesqoek 
rindustrie  fait  couler  à  pleins  bords  la  lave  brûlante  ou  tisser  ses 
toiles  légères,  et  qui,  satisfaits  de  ces  brillantes  manifestations, 
n'ont  ni  curiosité  ni  loisir  pour  s'enquérir  des  forces  motrices  et  des 
procédés  de  la  science. 

Le  xvif  siècle  fut  l'époque  delà  grande  diplomatie,  delà  diploma- 
tie de  haut  style,  qui  unissait  à  la  connaissance  pratique  des  hommes 
la  vaste  science  léguée  par  làge  précédent.  Ce  fut  par  elle  qœ 
Louis  XIV,  jeune  encore,  éleva  la  puissance  française,  et  que  h 
Hollande  parvint  à  fonder  la  sienne.  Guillaume  m  fut  le  prunier 
diplomate  de  son  temps;  et  s'il  finit  par  abaisser  le  roi  de  France, 
c'est  que  celui-d,  après  avoir  perdu  M.  de  Lionne  et  les  hommes  for- 
més par  Mazarin,  n'avait  plus  guère,  pour  seconder  sa  vieillesse, 
que  des  ministres  étrangers  aux  traditions  de  Munster  et  des 
Pyrénées,  manquant  également  d'autorité  pour  résister  aux  haines 
de  l'Europe  et  aux  passions  de  leur  mattre. 

Toutes  les  entreprises  de  ce  monarque,  depuis  la  guerre  de  dévo- 
lution qui  commença  si  glorieusement  son  règne  jusqu'à  celle  de 
la  succession  d'Espagne  qui  le  termina  par  des  péripéties  si  diver- 
ses, toutes  ses  négociations,  depuis  le  congrès  d'Aix-la-Chapelle 
jusqu'à  celui  d*Utrecht,  étaient  contenues  en  germe  et  ménagées  à 
dessein  dans  l'acte  fameux  de  1659.  En  en  dressant  les  stipulations, 
qu'accompagnèrent  des  renonciations  équivoques  et  des  clauses 
mal  définies,  Mazarin  s'était  beaucoup  plus  occupé  d'ouvrir  des 
chances  à  l'avenir  que  de  garantir  la  sécurité  du  présent.  Mettre  la 
France  en  mesured*bériter  de  TEspagne,  soit  en  dépeçantsesposses-* 


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DE  l'bSPAGNE  et  DE  SON  HISTOIRE.  217 

rionsy  s(nt  en  recaeiflant  la  monarchie  tout  entière;  créer  au  roi 
très  chrétien  des  prétentions  que  la  force  saurait  bien  ériger  en 
droits;  lai  ménager  dans  tous  les  cabinets  de  l'Europe ,  depuis  la 
cour  du  roi  catholique  jusqu'à  celle  du  plus  mince  électeur,  un  pa- 
tronage qui  mit  à  sa  solde  les  princes  ou  leurs  ministres,  leurs  favo- 
ris ou  leurs  favorites,  tel  fut  le  legs  que  Tltalien  fit  à  la  France. 
Jamais  pensée  ne  fut  servie  par  un  corps  diplomatique  plus  intel- 
ligent et  plus  soumis,  plus  fanatiquement  dévoué  à  la  gloire  person- 
nelle du  souverain  et  à  Tagrandissement  de  Tétat.  Dans  son  sein  le 
secret  demeurait  inviolable  ;  chez  lui,  le  sentiment  de  la  force  n*ôtait 
rien  à  une  prudence  minutieuse  dans  les  détails  et  peu  scrupuleuse 
dans  les  moyens.  Ce  n'était  jamais  qu'après  avoir  préparé  le  terrain» 
sans  laisser  au  hasard  rien  de  ce  que  l'habileté  pouvait  lui  Ater, 
que  ce  gouvernement,  si  superbe  dans  ses  formes  et  pourtant  si  ré- 
servé dans  sa  conduite,  se  livrait  à  ces  actes  d'éclat  dont  il  avait 
d'avance  calculé  la  portée  et  mesuré  toutes  les  conséquences. 

Louis  XIV,  qui,  dans  sa  jeunesse,  avaiteuM.de  Lionne  pour 
endormir  l'Europe  sur  ses  projets,  trouva,  sur  ses  derniers 
jours,  M.  de  Torcy  pour  le  réconcilier  avec  elle.  En  1668,  le  che- 
valier de  Grémonville  avait  signé  à  Vienne  un  premier  traiié  de 
partage  de  la  monarchie  espagnole,  demeuré  secret  jusqu'à  nos 
jours  (1)  ;  en  1713,  Mesnager  négociait  à  Utrecht,  sur  des  bases 
sinon  semblables,  du  moins  analogues;  et  à  travers  tant  de  vicis- 
situdes et  de  calamités,  il  renouait  la  chaîne  long-temps  interrom- 
pue des  saines  traditions  politiques. 

Sous  la  régence ,  le  caractère  des  négociations  politiques  change 
avec  celui  des  évènemens.  Ce  ne  sont  plus  ces  vues  ambitieuses  el 
hautes,  ces  projets  persévérans  et  à  longue  échéance,  attributs 
d'un  pouvoir  sûr  de  lui-même.  Il  faut  acheter  des  appuis  au  dehors 
pour  résister  aux  ennemis  du  dedans;  on  est,  d'ailleurs,  en  face 
d'Alberoni,  boute-fou  dont  il  s'agit  d'éventer  plus  encore  que  de 
combattre  les  projets  téméraires  et  sans  suite.  L'intrigue  succède 
à  la  politique,  l'imbroglio  à  la  guerre  ;  on  assassine  les  courriers^ 
au  lieu  de  livrer  des  batailles;  à  Madrid  comme  à  Paris,  on  dépense 
à  soustraire  et  à  déchiffrer  les  dépêches,  les  soins  que  don  Louis  de 
Hard  et  Mazarin  consacraient  à  composer  les  leurs.  Cellamare 

(i)  DocomcBtpiiblléf  par  ]l.lllsDet,  tom.  II,  ptrt  3^  aeet  S; 


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1M8  RBTUI  BES  DBOX  MOmMtt. 

Gonspire  dans  le  iMMidoir  de  Sceam»  ateo  quelques  pédaM  et  qari- 
qiaes  getilikhoiliBes  endettés;  le  duc  de  SainuA^nan  riposte  êo 
Espagne  par  «ae  contre^xHispiratioii,  dont  le  priadpd  personnage 
est  la  nourrice  de  la  reine. 

Dubois,  supérietir  à  tout  ce  monde,  parce  qa*fl  est  mieui  as«s 
dans  sa  corri^tion ,  prend  sans  peine  le  premier  rôle  ;  il  lance  dans 
toutes  les  cours  des  nuées  de  gens  d*église  et  de  gens  de  lettres 
qui  servent  le  maître  et  le  ralet,  selon  leur  goût.  800,000,000  et  cinq 
années  d'angoisses  sont  dépensés  à  procurer  au  misérable  la 
barrette  de  cardinal.  Laûtau,  Tendn,  Rohan,  négocient  sncœ^ 
givement  à  Rome  Ce  grand  sacrilège;  des  ambassadeurs  spt- 
ciaux  vont  à  Vienne,  passent  et  repassent  les  Pyrénées,  pour  inté- 
resser le  roi  d*£spagne  et  Fempereur  à  la  plus  grande  affaire  de 
répoque;  Tun  d*eux,  usé  par  les  soucis  et  les  fetigues,  meurt  lu 
champ  d'honneur  comme  Roland  à  Ronceveaux  (1]  ;  George  II 
d'Angleterre  et  Jacques  DI  le  fomélique  se  rencontrent  dans  cette 
négociation ,  et  la  conquête  du  chapeau  occupe  la  diplomatie  de  h 
régence ,  autant  que  eeUe  de  la  Flandre  et  de  la  Franche-Comtéi 
arait  occupé  la  diplomatie  de  Louis  XIV. 

Celle  de  Louis  XV  se  distingua  par  son  incessante  activité  et  it 
perpétuelle  impuissance.  Il  n'y  avait  plus  dans  la  chancellerie  fran- 
çaise ni  bases  arrêtées,  ni  long  projets  d*avenir.  La  direction  des 
af&ires  appartint  successivement  à  tout  le  monde,  et  Von  essaya 
un  peu  de  tous  les  systèmes,  en  ne  retirant,  ainsi  que  cela  devait 
être,  de  ces  tentatives  contradictoires  que  de  constantes  hunsKa- 
tions  et  une  déconsidération  erobsante. 

On  rêve  un  instant  lanéantissenent  de  l'empire;  cette  idée  est 
embrassée  avec  ardeur ,  le  roi  de  Prusse  Tinspire  et  la  foraenti, 
prenant  en  pitié  Tincapacilé  politique  et  ïîmprévoyance  de  ses 
alhés^  Dans  ce  pêle-mêle  de  négociations,  lui  seid  suit  invariaUf- 
ment  ses  vues,  sachant  y  foire  coiicourir  les  événomens  et  les  koB- 
mes,  les  intrigues  des  cabinets  et  les  engooeraens  de  TopiaisB. 
Frédéric  n  renouvelle  i  son  profit  la  position  qu'au  début  de  sM 
règne  Thabileté  de  son  ministère  avait  faite  i  Louis  XIV,  il  poarasit 
contre  Tempire  les  projets  que  odui-ci  avait  formés  contre  rfispafnt* 


(t)  L*abbé  de  Mornay-MoDtcherreaU,  mort  dans  les  Pyràiées  en  lereauit  de  u  i 
aion  à  Viadrid. 


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DE  L'B^rAGW  ET  BB  80M  H890IRB.  S|^ 

]>»  Wtêmb  6*«perQ9ir  «epeadant  qu'elle  jo«e  gramèf^menl  va 
je«  dedope,  eiqii'ui  seid  iméfèt  esl  ea  actioa  daask  criae  oà  eHd" 
se  troave  si  gratukemeot  engagée;  elle  abaadoane  alors  ses  allia»* 
eea,  8*en  crée  d^autres  pour  les  quicter  ei  les  reprendre  encore,  Ra- 
pide et  mobile  dans  ses  impressions ,  loarmeatée  da  besoin  d*agir^ 
en  même  temps  qu*inci^ble  de  mesurer  les  conséquences  doses 
défltiarcbes ,  die  va  toujours  au-delà  du  but  et  découTre  de  plus  es 
plus  sa  faiblesse,  alors  qu'elle  affecte  à  tout  propos  de  Caire  parade 
de  sa  force*  Le  système  autrichien  est  substitué  à  Talliance  prus- 
sienne y  et  les  femmes,  alors  ofCcieUement  entrées  dans  lesafÛrea^ 
embrassent  la  nouvelle  combinaison  comme  un  caprice  de  cœur.  La 
France  s'engage  sans  but  et  sans  motif  dans  des  complications  aussi 
daqgereuses  qu'imprévues;  elle  prend  pour  elle  toutes  les  chargea 
en  se  désintéressant  à  Tavance  de  tous  les  bénéfices  éventuels.  Une 
gverre  phis  honteuse  eacore  par  la  légèreté  des  vues  qui  y  présidé* 
rent  que  par  les  humiliations  qu'elle  attira  sur  nos  armes,  est  sui- 
vie d'une  paix  désastreuse,  mais  nécessaire. 

Après  s'être  agité  sans  motif,  en  se  repose  sans  honneur.  On 
laisse  périr  une  grande  nation  sans  avoir  même  le  triste  mérite  de 
deviner  l'attentat  déjà  presque  consommé.  Le  prince  de  Roban  (1) 
en  soupçonne  bien  quelque  chose;  mais  le  duc  d'Aiguillon  lui  dé^ 
fend  même  d'arrêter  sa  pensée  sur  un  projet  si  peu  vraisemblable 
et  si  contraire  aux  assurancss  qu'il  reçoit  chaque  jour  du  comte  de 
M^rcy,  ambassadeur  de  Timpératrice.  Il  linvite  à  abandonner  un 
fil  qui  ne  pourrait  que  Tégarer,  et  à  ne  pas  donner  de  suite  à  des 
révéhitions  dont  le  seul  résultat  serait  d'inquiéter  inutilement  le 
roi.  Malheureuse  Pologne!  malheureuse  France  1 

Notre  diplomatie  se  relève  un  instant  par  la  probité  de  Louis  XVI 
et  le  talent  de  M.  de  Yergennes.  Les  négociations  qui  amei^ent  In 
conclusion  du  traité  de  1783,  après  la  guerre  d'Amérique»  boM 
dignes  des  bcms  temps  de  la  scienoe.  Les  intérêts  coloniaux  et  p<^ 


|()  nerrii^  cudiMU  de  Bokaa,  alofs  tiahftUAdew  à  ViMBt.  Vttiicv  HT  1*^^^^^ 
mtk^f  les  dénëgaUoAsJoarnaiières  du  duc  d^Aigaillon,  il  se  cnit  enfin  obligé  d*en  écrire 
ÉtiéiOemait  aa  roi.  ta  lettre  fut  remlae  à  Mme  tltfbarry,  ^dl  ta  lin  pttbliquedienlt  i  ViOk 
de  lis  utmptn.  On  ealMiftl  do  iirlsee  de  Xota»  oovrm  m  ptéfHÊk  i*  OannUiev^» 
llPMéi  4\iae  telle  auag»  cwftre  aa  lète ,  ae  Uml  dVn  auén«er  Teffitt  et  de  préparer  te 
ihl|rifc  de  l^tambaMadev.  On  sait  que  ce  fut  pour  vaincre  le  reiaenllment  dé  la  prineetae 
fMttlmKciÉ'tt^aBBApIdfiaMdahsUfittaleafbMdiicDlllér,  rtihOei  prélndei  d«  1^ 


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2M  BBTVB  1IB8  DHTX  MORDES. 

litîque&y  furent  largement  étudiés  et  garantis  par  on  ensemble  de 
dispositions  heureuses.  Si  Tinexpérience  en  matière  économique  et 
commerciale  6t  à  cette  époque  commettre  quelques  fautes ,  ce  fo- 
rent là  de  ces  erreurs  inséparables  d'une  première  éducation  et 
qui  ne  compromettent  pas  Tavenir. 

Quand  la  révolution  eut  commencé  à  gronder  sur  l'Europe,  la 
diplomatie  6t  silence.  Entre  parties  qui  se  considèrent  comme  en- 
nemies naturelles,  les  négociations  sont  impossibles.  La  paix  ne 
peut  avoir  à  leurs  yeux  que  le  caractère  d'un  armistice ,  et  le  droit 
des  gens  n*est  plus  que  le  droit  de  la  guerre.  Brissot  avait  déclaré 
du  haut  de  la  tribune  que  la  France  tenait  pour  ennemis  tous  les 
despotes,  pour  alliés  tous  les  peuples  libres  ou  aspirant  à  Tétre.  D 
fallait  dès-lors  rappeler  ses  ambassadeurs  d'auprès  de  tous  les  rois, 
pour  en  accréditer  auprès  des  clubs  et  des  sociétés  secrètes.  Aux 
manœuvres  propagandistes  furent  opposés  des  moyens  aussi  peu 
moraux  et  plus  impuissans  qu'elles.  On  se  flattait  alors  de  dominer 
une  révolution  en  achetant  ses  chefs;  jamais  les  hommes  ne  furent 
estimés  plus  cher  et  ne  valurent  moins,  car  jamais  ils  ne  furent 
plus  subordonnés  aux  idées,  dont  ils  étaient  les  instrumens  et  non 
les  promoteurs.  La  diplomatie  des  comités  de  la  convention,  qui  en 
fit  plus  qu'on  n'imagine ,  a  je  ne  sais  quoi  de  sombre  et  de  sauvage; 
celle  de  la  contre-révolution  est  d'une  fabuleuse  niaiserie. 

Lorsque  enfin  Tégoîsme  eut  ranimé  Tambition  en  triomphant  de 
la  terreur  des  uns  et  du  fanatisme  des  autres,  ceux-ci  aspirèrent  i 
la  paix  pour  jouir  de  leurs  conquêtes,  ceux-là  pour  s'en  faire  ad- 
juger quelque  portion  en  faisant  acte  d'empressement.  Alors  s'ou- 
vrirent les  conférences  de  Bftle,  et  l'on  vit  bientôt  des  mains  teintes 
du  sang  de  Louis  XVI  presser  celles  de  ministres  d'un  petit-fils  de 
Louis  XIV  et  du  roi  qui  avait  conduit  en  personne  la  première 
coalition  contre  la  France. 

En  1789  s'ouvre  pour  le  droit  et  la  science  diplomatiques  une  ère 
nouvelle,  sur  laquelle  les  publications  officielles  ne  peuvent  proje- 
ter encore  aucune  lumière.  Les  questions  européennes  ne  sont  pas 
résolues  d'une  manière  assez  complète  et  assez  définitive,  pour 
qu'il  n'y  eût  pas  imprudence,  de  la  part  du  pouvoir,  à  fournir  des 
armes  aux  passions  et  aux  intérêts  hostiles.  D'ailleurs,  tout  gou- 
vernement qui  se  respecte  doit,  à  ceux  qui  l'ont  servi,  la  protection 
du  silence  pour  leurs  derniers  jours.  Quand  des  vœux  ont  été  ex- 


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DE  L*£8PA61fR  ET  M  SON  mSTOIEE.  2Sf 

primés  pour  que  les  archives  des  affaires  étrangères  s*oiiyrissent 
aux  investigations  savantes,  quand  on  a  conçu  la  pensée  de  les 
faire  concourir  à  la  grande  collection  tûstorique  commencée  par 
M.Goizot  y  toutes  les  convenances  prescrivaient  donc  de  se  reporter 
à  une  période  dont  les  intérêts  fussent  complètement  en  dehors  de 
ceux  qui  s*agitent  aujourd'hui. 

Le  choix  qui  a  été  fait  est  sans  doute  le  plus  heureux,  peut-être 
même  le  seul  qui  se  pût  faire.  En  retraçant  brièvement  l'histoire 
de  la  diplomatie  moderne,  nous  venons  de  voir  qu'une  époque 
seule  s*y  présentait  avec  cette  harmonieuse  unité  de  vues  qui  per- 
met à  rhistorien  de  suivre  largement  le  cours  d'une  féconde  pensée. 
Ce  n'est  guère  que  sous  Louis  XTV  que  la  France,  jeune,  forte  et 
pleine  d*avenir,  s'est  trouvée  en  mesure  de  fiiire  de  la  politique 
selon  un  plan  arrêté,  en  y  rapportant,  pendant  un  demi-siècle, 
lottCes  ses  vues,  en  y  faisant  concourir  toutes  ses  démarches. 

Répétons-le  :  la  succession  d'Espagne  fut  l'idée-mère  de  la  poli- 
tique de  Louis  XIV,  celle  qui  lie  toutes  les  parties  de  son  règne. 
Cette  grande  affaire  fiit  pour  le  xvii*  siède  ce  qu'est  pour  notre 
&gelavenirderempire  ottoman.  Toutes  les  questions  n'acquéraient 
de  véritable  importance  qu'autant  qu'elles  se  rattachaient  à  ce 
grand  problème,  dont  la  menaçante  solution  resta  près  de  cinquante 
ans  suspendue  sur  l'Europe.  Cette  époque  est  féconde  en  ensei- 
gnemens  :  on  verra  ce  qu*en  présence  d'une  inévitable  catastrophe 
la  prudence  suggérait  aux  uns,  l'ambition  inspirait  aux  autres. 

Ce  n'était  pas  seulement  la  dynastie  qui  s'éteignait  en  Espagne, 
Tétat  Im-méme  semblait  prêt  à  descendre  dans  la  tombe.  Loub  XIV 
ne  mit  tant  de  prix  à  épouser  l'infante,  fille  atnée  de  Philippe  IV» 
que  parce  qu'il  convoitait  ce  grand  héritage;  et  s'il  donna  les  re- 
iHMiciations  exigées  comme  conditions  du  mariage,  ce  fut  en  les 
invalidant  et  en  protestant  à  Tavance  contre  elles.  La  naissance  d'un 
prince  qui  vécut  près  de  quarante  années  ajourna  ses  espérances 
et  les  craintes  de  l'Europe ,  sans  dissiper  un  seul  instant  ni  les  unes 
Biles  autres,  tant  semblait  irrévocable  l'arrêt  de  mort  que  ce  grand 
royaume  portait  au  front! 

Lassé  d'attendre ,  le  roi  de  Fratice ,  du  vivant  même  de  Charles  II , 
fit  valoir  par  les  armes  une  partie  de  ses  prétentions,  en  se  réser- 
Tant  de  ]es  exposer  plus  tard  tout  entières.  Des  traités  de  partage 
forent  passés  avec  les  principales  puissances  de  l'Europe,  et  ces 


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2SB  RETVB  l«8  »IUX  mOKtMB. 

traités  faspeat  le  principe  direct  ou  éloigné  de  tontes  les  guerres  ds 
ce  temps.  Cette  négociation  fioit  le  thème  de  toutes  les  inyestigaiîomi 
despublidstes;  il  en  sortit  une  guerre  qui  mit  en  contact,  sortooi 
les  chanps  de  bataille  de  l'Europe ,  toutes  les  illustrations  du  grand 
siède.  L'empire  et  la  France ,  la  Hollande  et  T Angleterre,  en  atten- 
daient rissue  avec  une  égale  perplexité;  et  pour  grandir  les  tristes  * 
scènes  qui  se  Jouaient  àTËscurial  autour  du  lit  du  monarque  moa^ 
rant,  derrière  les  confiesseurs  et  les  caméristes  on  découvrait  dans 
le  lointain  Thalie,  la  SicSé,  les  Pays-Bas,  les  royaumes  de  Colomb, 
de-Pizarre  et  de  Cortez,  attendant  qu'une  signature  disputée  à  ane 
main  défaillante  décidât  sur  quel  empire  le  soleil  ne  cesserait  ja-* 
mais  de  briller.  Unité  d*aetion,  universalité  désintérêts,  grandev 
et  nationalité  du  résuttac,  ce  sujet  offrait  donc  à  un  écrivain  fran- 
çais toutes  les  conditîoiiB  prescrites  par  les  rhéteurs  pour  deveair 
la  grande  éjwpée  dipéùmadque  des  temps  modernes,  si  Ton  veut  bieii 
me  passer  le  mot. 

tJne  telle  entreprise  était  nm  œuvre  de  sagacité  et  de  labeor 
comme  il  s*en  fait  peu  dans  un  temps  où  les  études  sérieuses  avor- 
teni  sons  les  ambitions  hÂtives,  et  où  (habitude  parait  prise  de 
suppléer  par  des  généralités  aux  faits  que  Ton  ignore.  Oa  ne  poin 
vait  penser  à  livrer  à  1  impression  deux  cents  volumes  in-461io  de 
correspondances  et  de  mémoires;  outre  qu^une  telle  pubKeation 
était  matériellement  impossible,  elle  eût  été  inutile,  car  eBe  neâl 
pas  vulgarisé  la  science  poKtique.  II  ne  s'agissait  pas  non  plus  d'é- 
crire un  livre,  comme  il  s*en  est  fait  déjà  de  fort  bons,  en  s'ap- 
puyant  sur  deis  documens  authentiques.  Ce  qu*il  importak,  c'éfiaît 
de  faire  connaître  tes  correspondances  eltes-némes,  siû<Hi  dans 
toute  leur  étendue ,  du  moins  dans  leur  esprit  et  dans  leovs  foi  mes, 
dams  ce  quelles  ont  de  phis  incNviduelv  H  foltait  mitieT  le  poblîc  k 
ces  préoccnpations  de  diaque  jour,  qui  font  de  la  vie  de  rboMNi 
d*état  une  existence  si  agitée  et  souvent  si  dramatRine. 

Montrer  comment  se  développe  une  pensée  fêeonde  servie  ptf 
d'kabfles  instrumens,  comment  Vesprit  de  conduite  fait  reoeoer  i 
chaque  heure  des  fils  que  les  évènemens  sembler  briser;  dégager 
la  politiqw  des  abstractions  pour  l'observer  soumise  k  foutes  las 
inSuenees  personneltes,  à  toutes  lee  variations  du  tempéraneat, 
de  l'humeur  et  du  caprice;  ftùre  voir^  énftn,  œ  que  la  vralewr  des 
lK»Mi6if  6t#  et^  i^oute  à  une  sintafMNi,  tel  detadt  être  le  rètullil 


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DE  ï/E^àmm  R  M  son  arroiRB.  ÎB 

d*im  trafaîl  dont  9  apparteatit  à  k  Fruoe  d*a¥Otr  VinitiatiTe.  Ce 
bot  ne  pouvait  être  atteint  qae  par  des  puMicaiions  originales,  en- 
cadrées dans  un  texte  destiné  à  les  réunir  sans  prétendre  les  com- 
ment^.  H  fallait  que  Fécrivain  s'effaçât  devant  les  iBualres  norts, 
représentés  après  deoi  siècles  dans  toute  la  vérilé  de  leurs  poissions 
et  de  leurs  paroles  1^  plus  secrètes;  et  povrum  le  t>uc  eût  été 
complètenient  «anqué,  si  Ton  n'avait  su  se  placer  asseï  haut  poar 
saisir  Tensemble  d'une  négociation  dont  chacun  des  acteurs  n'aper- 
cevait que  des  fftoes  isolées»  si  l'on  n'en  avait  coordonné  tontes  les 
parties,  en  conservant  à  diacune  leur  couleur  spéciale. 

Une  révélation  reçue  de  Madrid  nécessitait,  en  effet»  des  ouver- 
tures à  Vienne;  un  mot  échappé  i  Londres  modifiât  notre  attitude 
en  Hollande.  Tous  les  princes  allemands,  depuis  l'électeur  de 
Brandebourg  jusqu'au  plus  petit  évéque  rég^é  par  la  France  (1), 
toutes  les  puissances  du  second  ordre,  le  Portugal  que  Louis  XIY 
payait  pour  faire  la  guerre,  la  Suède  qu'il  payait  pour  rester  en 
paix,  s'engrenaient  comme  des  ressorts  accessoires  dans  le  Jeu 
d'une  mécanique  immense.  Les  correspondances  contemporaines 
doivent  donc  s'éclairer  l'une  par  l'autre  :  un  rapport  de  l'abbé  de 
Saint-Romain,  agent  secret  i  Lisbonne,  exfdiquera  une  dépêche  de 
l'archevêque  d'Embrun ,  ambassadeur  à  Madrid  ;  et  c'est  une  lettre 
de  M.  de  Gravel,  ministre  i  Ratisbonne,  de  M.  Gomont,  envoyé  à 
Cologne,  ou  de  M.  Millet,  plénipotentiaire  à  Berlin,  qui  édaircira 
des  soupçons  conçus  par  M.  de  Grémonville»  à  Yi^Mie,  ou  le  comte 
d'Estrades,  à  La  Haye. 

Le  soin  de  réunir  ces  documafis  précieux  et  de  les  éclairer  par 
une  haute  critique  revenait  de  droit  à  un  écrivain  qui  a  eu  le  bon 
goût  de  rester  fidèle  à  ses  premères  études,  alors  que  de  plus 
éclatantes  fortunes  pouvaient  l'inciter  à  les  abandonner.  Les  lettres 
profiteront  d'une  conduite  pleine  de  convenance,  si  ce  n'est  d'habi- 
leté, et  qui,  sans  compromettre  l'avenir  politique  de  M.  Mignet, 
s'fl  vent  un  jour  en  poursuivre  un,  lui  in^>ose  aujourd'hui,  comme 
BB  devoir  de  position,  de  graves  et  honorables  travaux. 

Sur  son  œuvre  de  jeunesse^  on  avait  pu  deviner  en  lui  plusieurs 


{!)  Vom  emploie  id  cette  expression  dans  le  sens  qn^elle  eut  eonsUmmeot 
Wtfs  H V,  pew  indiquer  tes  présens  et  les  sttbTentiopi  faits  p«r na  fvl,etfén 
luunblemeDt  la  permission  de  signaler  cette  lacune  an  DictionnaiM  éifAcsSimii 


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S2Ï  IIEYUB  DES  DEUX  MONDES. 

des  qualités  qui  constituent  l'historien-publicistey  rAIe  éminent  oà 
Tappréciation  de  la  pensée  s'unit  à  Tétude  des  honuoes»  et  qui  tieot 
par  un  bout  à  la  vie  philosophique»  en  pénétrant  par  l'autre  dans 
les  réalités  de  la  rie  usuelle.  Son  Histoire  de  la  révolution  franç^tm 
se  plaça  hors  ligne  par  un  style  ferme  et  réfléchi,  par  une  manière 
toujours  impartiale»  je  dirai  presque  impassible,  alors  même  qoe 
l'auteur  était  encore  impressionné  par  les  passions  et  les  préjugés 
de  l'homme  de  parti.  Ce  livre  signala  l'un  des  premiers  la  transitimi 
du  libéralisme  de  l'ère  critique  et  révolutionnaire  au  dogmatisme 
d'une  école  qui  cherche  à  se  rendre  raison  d'elle-même,  en  8*ap- 
puyant  sur  l'autorité  d'une  grande  idée  sociale. 

M.  Mignet  vit  avec  Seyes  toute  la  révolution  dans  la  suprématie 
politique  du  tiers-état,  et  dégageant  cette  idée  des  phases  sanglan- 
tes qu'elle  dut  traverser  pour  se  faire  jour,  il  la  présenta  comme 
un  droit  supérieur  à  tous  ceux  qui  disparurent  devant  elle. 

Ce  qui  fit  la  puissance  du  jeune  écrivain,  ce  qui  imprima  à  ses 
déductions  une  sorte  de  rigueur  mathématique,  était  pourtant 
recueil,  sinon  de  son  talent,  du  moins  de  sa  doctrine.  En  subor- 
donnant les  faits  aux  idées,  il  dut  s'exposer  à  en  altérer  quelquefoù 
le  caractère,  et  surtout  agrandir  l'importance  et  la  valeur  des  per- 
sonnes qu'il  contemplait  à  travers  l'œuvre  immense  où  elles  étaient 
engagées.  De  là  une  tendance  à  accepter  tous  les  é  vènemens,  comme 
s'engendrant  forcément  les  uns  les  autres,  à  chercher  dans  une 
pensée  générale  la  justification  des  foits  particuliers,  au  lieu  d'y 
voir  le  produit  spontané  des  passions  et  de  la  liberté  humaine. 

Je  crois  de  toute  mon  ame  à  la  philosophie  de  Thistoire,  parce 
que  je  crois  en  Dieu  et  en  la  Providence.  Je  sais  que  Tesprit  humain 
suit  une  irrésistible  impulsion  et  que  le  monde  intellectuel  a  «s 
lois,  comme  Funivers  physique.  Je  crois,  par  exemple,  qufl  ne  dé- 
pendait d'aucune  puissance  de  ravir  à  la  société  française  les  con- 
quêtes de  la  révolution  de  89,  et  qu'il  est  également  impossible 
d'empêcher  que  les  résultats  de  ce  grand  mouvement  ne  deviennent 
européens.  Mais  j'estime  que  les  faits  pouvaient  se  présenter  tout 
autrement,  et  qu'un  peu  plus  d'intelligence  chez  les  uns,  un  peu 
moins  de  corruption  chez  les  autres,  certains  accidens,  même  de 
circonstance  et  de  détail,  auraient  imprimé  un  tout  autre  coors, 
non  aux  idées  qui  viennent.de  Dieu»  mais  aux  évènemens  qui  vien- 
nent des  hommes. 


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DE  l'eSPAGNE  et  DE  SON  HISTOIRE.  22S 

Ce  qui  ressort  surtout  de  Thistoire  sérieusement  méditée»  c'est 
la  puissance  de  Tindividu,  non  quant  aux  résultats  définitifs,  mais 
quant  à  la  manière  dont  ces  résultats  sont  acquis  aux  nations.  Un 
bomme  de  plus  peut  leur  valoir  dix  ans  de  calamités  de  moins;  et 
la  proposition  contraire  est  aussi  malheureusement  vraie.  Je  ne 
sais,  par  exemple,  rien  de  mieux  que  Tétude  des  archives  des  af- 
faires étrangères  pour  montrer  combien  la  sphère  de  Faction  per- 
sonnelle est  large  encore,  bien  qu'elle  soit  circonscrite  dans  celle 
des  nécessités  sociales.  En  se  trouvant  plus  rapproché  des  réalités 
politiques»  M.  Mignet  aura  dû  modifier  une  disposition  qui  est  celle 
de  tous  les  esprits  supérieurs  au  début  de  la  vie.  Il  suffit  d'appré- 
cier la  haute  sagacité  de  l'écrivain  dans  les  argumens  et  le  texte 
historique,  où  sont  si  lumineusement  enchâssés  les  documens  of* 
jBdels,  et  surtout  dans  la  belle  introduction  qui  les  précède,  pour 
voir  que  ces  années  d'expérience  et  d'étude  ont  conduit  son  talent 
à  sa  plus  entière  maturité. 

Cependant  nous  aurons  à  signaler  bientôt,  en  appréciant  ce 
morceau  lui-même,  une  dissidence  qui  nous  paraît  tenir  à  un  cer- 
tain tour  d'esprit  que  M.  Mignet  a  conservé  de  sa  première  manière. 
Si,  comme  nous  le  croyons,  le  point  de  vue  selon  lequel  il  apprécie 
le  fait  le  plus  funeste,  selon  nous,  aux  destinées  de  l'Espagne,  la 
succession  féminine,  manque  de  vérité  politique,  il  faudra,  ce  me 
semble,  l'attribuer  au  besoin  de  justifier  les  phénomènes  histori- 
ques, par  cela  seul  qu'ils  se  produisent,  et  de  rationaliser  les  ac- 
ddens,  en  les  élevant  à  la  dignité  de  principes. 

Dans  ce  vaste  prologue,  si  beau  d'ordonnance  et  d'harmonie, 
d*nne  éloquence  sobre,  mais  pleine,  oii  l'on  voit  se  nouer  dans  le 
lointain  des  âges  le  drame  que  les  évènemens  vont  bientôt  trancher, 
M.  Mignet  s'est  attaché  à  mettre  en  regard  la  fortune  pâlissante  de 
rEspagne  et  celle  de  la  France,  qui  chaque  jour  s'élève  plus  forte 
et  plus  radieuse,  et  finit  par  absorber  sa  rivale  en  lui  imposant  sa 
dynastie.  C'est  la  lutte  de  deux  grands  peuples  également  favorisés 
du  ciel,  mais  auxquek  leurs  institutions  ont  préparé  des  destinées 
si  différentes. 

On  nous  permettra  de  traiter  ce  morceau  comme  une  œuvre  à 
part,  comme  l'une  des  conceptions  historiques  les  plus  remarqua- 
bles de  ce  temps;  nous  parcourrons  donc  rapidement  à  notre  tour 
la  route  que  M.  Mignet  a  si  largement  frayée,  nous  inspirant  sou- 

TOME  VII.  15 


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226  RETUB  DBS  DBUX  MOTIDBS. 

Tent  de  sa  pensée ,  prenant  aussi  quelquefois  nos  réserves  contre 
elle. 

Ce  qui  saisit  le  plus  vivement  le  voyageur  en  parcourant  la  Pé- 
ninsule ibérique,  c'est  la  stérilité  des  plus  beaux  dons  du  del.  Uo 
rempart  de  quatre-vingt-douze  lieues  la  circonscrit  et  la  protège, 
ne  lui  laissant  que  deux  étroites  ouvertures  sur  TEurope,  et  cette 
conflguration  qui  semblait,  plus  que  toute  autre  cause,  de?oir 
assurer  à  TEspagne  un  système  politique  dont  Tintérét  national  fût 
la  base,  ne  Ta  pas  empêché  d*user  sa  force  et  ses  ressources  dans 
les  querelles  continentales  les  plus  étrangères  à  ses  développemeas 
intérieurs.  Six  cent  cinquante-six  lieues  de  côtes  lui  ouvrent  d'ex- 
Cellcns  ports  sur  les  deux  mers;  et  loin  d'appeler  dans  son  sein  le 
commerce  du  monde,  ces  ports  ont  été  les  canaux  par  où  sa  force 
et  sa  richesse  se  sont  écoulées  vers  des  plages  aujourd'hui  perdues 
pour  elle.  Sur  son  sol  si  divers  d'aspect  et  d'élémens,  où  la  science 
se  complaît  à  trouver  comme  un  résumé  de  la  création  tout  en- 
tière (i),  les  productions  de  toutes  les  zones  se  touchent  et  se  con- 
fondent, et  nulle  contrée  n'offre  pourtant  un  tel  aspect  de  misère 
et  de  désolation  ;  les  arbres  y  manquent  comme  les  hommes,  les 
eaux  comme  les  moissons.  De  grands  fleuves,  qui  devraient  doter 
ce  pays  du  plus  beau  système  de  canalisation  du  monde,  y  portent 
la  ruine  et  la  stérilité,  torrens  impétueux  grossis  aux  pluies  de 
rhiver,  lits  infects  et  desséchés  sous  un  ardent  soleil. 

Cette  lenteur  à  s'engager  dans  les  voies  de  la  civilisation  moderne, 
cette  constante  misère  à  côté  de  tant  de  richesses,  tiendraient-elles 
à  un  défaut  inhérent,  à  la  constitution  physique  de  cette  contrée, 
à  la  barrière  qui  la  sépare  du  continent?  M.  Mignet  semble  le  croire. 
On  pourrait  répondre  que  si  son  isolément  a  nui  à  l'Espagne,  cest 
que  les  circonstances  politiques  où  elle  s'est  trouvée  engagée  l'ont 
empochée  d'en  recueillir  le  bénéfice,  et  que  les  mers  qui  entourent 
la  Grande-Bretagne  assurent  sa  sécurité  intérieure  et  sa  nationalité, 
sans  être  unobstade  à  aucun  de  «es  développemens.  Nous  pensons, 
pour  notre  compte,  qu'ici  tous  les  reproches  doivent  porter  sur  les 
institutions  et  sur  les  hommes,  qu'aucun  ne  peut  s'adresser  à  la 
nature,  ci  ce  n'est  peut-être  celui  d'une  trop  grande  fécondité. 


(I)  «.  Boryde  Sahit-Vloeeiit.  Sas  donnéetont  été  tUténlenint  reproMtet  pv  lidDi* 
«MAMiiiMU);  Meeiéhmi0  de  Upana  y  HmrnfoL  Madrid ,  ttt». 


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DE  L'ESPAGHB  BT  DB  8011  HISTOIRE.  SSHT 

Tout  accose,  en  ce  pays,  une  position  manquée,  quelque  chose 
â^exceptionnel  et  d'anormal.  Il  est  yis  bto  que  le  déiFeloppemenl 
Bâtard  de  la  société  n*a  pas  parcoam  au-delà  des  Pyrénées  ses 
phases  nécessaires.  Si  la  Rnssie  souffre  de  la  civilisation  en  serre- 
diaude  improvisée  par  Pierre-le^Sran  i  »  TEspagne  est  malade  ausd 
(Tun  vice  organique  caché  dans  les  profondeurs  de  son  histoire. 

Après  une  résistance  héroïque,  la  Péninsule  subit,  comme  le 
reste  du  monde,  le  joug  de  Rome.  Les  arts  et  les  mœurs  de  Tlialie 
t'acclimatèrent  vite  sous  son  beau  ciel,  et  ses  steppes  les  plus  sao* 
rages  attestent  encore,  par  d'imposantes  et  voluptueuse  nnnes, 
que  la  conquête  de  cette  contrée  fat  plus  complète  que  celle  des 
Gaules.  A  la  chute  de  Tempire,  FEspagne  chrétienne  et  romaine 
reçut  aussi  du  Nord  le  flot  régénérateur;  la  barbarie  y  épandil  le 
firoon  de  sa  force  fécondante,  et  Tempire  des  Goths  primait  alon 
odoi  des  Francs,  nos  rudes  ancêtres. 

Mais,  au  commencement  du  viir  siède,  un  feit  nouveau  se  pn^ 
duisit  qui  jeta  la  Péninsule  en  dehors  des  voies  suivies  par  les  au-* 
très  nations  européennes.  Les  Arabes  y  détruisirent  la  puissance 
des  Goths,  et,  sur  les  ruines  d'une  société  romano-germaine,  ih 
élevèrent  cette  civilisation  sarrazino,  mosaïque  brillante  et  légère 
dont  leur  architecture  semble  encore  la  vivante  image.  Cependant 
le  grand  cataclysme  sous  lequel  succomba  la  civilisation  chrétienne 
en  Afrique  et  en  Asie,  ne  devait  pas  ;*y  reproduire.  La  partie  la 
plus  énergique  de  la  population  s^enfnit  vers  le  nord,  jetant  dans 
lès  montagnes  des  Astnries,  de  TAragon  et  de  la  Navarre  les  bases 
de  royaumes  voués  dès  l'origine  à  une  guerre  incessante  et  impi'» 
toyable  :  croisade  entreprise  pour  recouvrer  les  tombeaux  de  ses 
pères,  et  dont  chaque  enfent  recevait  le  signe  avec  l'eau  de  son 
baptême. 

Pendant  que  les  autres  nations  se  mêlaient,  en  s'éfendant  hors 
de  leurs  frontières,  pour  réagir  ensuite  sur  elles-mêmes,  et  qve^ 
par  ses  transformations  successives^  le  régime  féodal  enfontaft  tour 
i  tour  l'aristocratie  des  barons,  la  démocratie  des  communes  et  la 
suprématie  des  rois;  pendant  que  les  conquêtes  de  Fagriculture,  de 
la  navigation  et  du  commerce,  hâtées  par  les  croisades  et  uneséciK 
rite  plus  générale,  imprimaient  un  mouvement  progressif  à  la  so^ 
ciété  française,  l'Espagne  restait  vouée  à  la  même  œuvre,  qu'ela 
suivait  avec  une  courageuse  et  patiente  obstination. 

15. 


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218  RBTUB  DBS  DEUX  MONDES. 

Durant  huit  siècles,  qui  virent,  selon  les  historiens  castillans, 
livrer  trois  mille  sii  cents  batailles  rangées,  ce  peuple  ne  se  délassi) 
de  sa  vie  armée  qu*en  répétant  en  chœur  les  chants  chevaleresques 
qui  grossissaient  chaque  jour  cette  vaste  épopée  cyclique.  La 
guerre  devint  pour  lui  quelque  chose  de  sacré  ;  il  la  fit  avec  une  foi 
forte  et  impitoyable,  et  la  destruction  des  Maures  prépara  ceHo 
des  Indiens. 

Son  expérience  sociale  n'augmenta  pas  plus  que  sa  sécurité  in- 
térieure. Au  lieu  de  s'étendre  sur  le  sol,  pour  le  féconder  par  k 
travail,  de  se  grouper,  comme  elle  le  fit  en  France,  autour  des 
demeures  féodales  et  des  abbayes ,  la  population  de  TEspagne  sa 
jeta  dans  de  grandes  villes,  les  seules  qui  pussent  efficacement 
résister  aux  attaques  des  armées  musulmanes.  De  là  cette  dispro- 
portion notable  entre  la  population  urbaine  et  celle  des  campa- 
gnes dont  les  désastreuses  conséquences  se  sont  étendues  jusqu'à 
nous.  Au  sein  de  cette  société  organisée  pour  une  guerre  éternelle, 
les  terres  étaient  sans  valeur,  parce  qu  elles  étaient  possédées  sans 
sécurité.  Aussi  furent-elles  distribuées  aux  chefs  militaires,  bien 
plus  comme  des  territoires  à  défendre  que  comme  une  source  de 
richesses  à  exploiter.  De  là  Tîmmense  étendue  de  ces  possessions 
qui  eussent  fait  de  l'aristocratie  espagnole  la  plus  colossale  du 
monde,  si  l'incurie  des  hommes  et  des  lois  ne  les  avait  rendues 
stériles. 

Le  régime  féodal  fit  peut-être  répandre  en  France  autant  de 
sang  qu'au-delà  des  Pyrénées  la  longue  croisade  contre  les  Mau- 
res; mais  les  victoires  territoriales  remportées  par  nos  rois  sur 
leurs  féudataires,  les  conquêtes  politiques  faites  par  les  commu- 
nes, avançaient  chaque  jour  l'œuvre  commencée,  et  la  société  mo- 
derne sortit  enfin  de  ces  couches, laborieuses.  La  puissante  uniié 
de  l'empire  de  Charlemagne  avait  créé  pour  Tavenir  des  titres  aux 
rois  de  France  leurs  successeurs;  en  Espagne  au  contraire,  aucun 
iien  ne  rattachait  les  diverses  dynasties  princières  à  un  même  centre 
de  suzeraineté  féodale.  Ces  dynasties,  d'ailleurs,  n'exerçaient 
qu'un  pouvoir  fort  limité,  autant  par  l'autorité  des  chefs  miliuires 
qui  marchaient  de  pair  avec  elles ,  que  par  la  turbulente  puissance 
de  ces  populeuses  cités,  où  l'insurrection  éclatait  sitôt  que  les 
Maures  quittaient  le  pied  des  remparts. 

Cependant,  lorsque  le  royaume  de  Grenade  eut  succombé  sooi 


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DE  L'eSPAGHB  et  BB  soif  HISTOIRE.  5B9 

les  armes  chrétiennes,  et  que  FEspagne  se  troara  réonie  s'^ns  le 
sceptre  de  Ferdinand  et  d*IsabeUe,  une  nouvelle  ère  s*oavrit  pour 
ce  pays,  qui  parut  rentrer  enfin  dans  le  mouvement  imprimé 
aux  autres  sociétés  contemporaines.  Le  pouvoir  royal  commença 
às*y  développer,  assez  fort  pour  créer  Funité  nationale,  trop  fai- 
ble pour  étoufler  le  goût  et  Thabitude  delà  liberté. Les  privilèges 
anarchiques  de  T Aragon,  qui  légitimaient  la  guerre  civile  et  Tim- 
posaient  comme  un  devoir,  les  institutions  aristocratiques  de  la  Cas- 
tille,  les  fueros  de  toutes  les  vflles,  subirent  Taction  de  la  royauté 
et  s*harmonièrent  avec  elle.  Le  justiia  d* Aragon  vit  s'abaisser 
ses  prérogatives,  égales,  sinon  supérieures,  à  celles  des  princes 
souverains;  l'exorbitante  influence  de  la  noblesse  propriétaire 
d*nne  grande  partie  du  sol  des  deux  Castilles  et  de  Léon  fut  atta- 
quée par  la  force  et  minée  par  Tadresse.  Ferdinand  eut  Thabileté 
de  se  fidre  élire,  avec  le  concours  de  Rome,  grand-maître  des 
trois  ordres  militaires,  et  de  rattacher  ainsi  ces  corps  puissans  à 
la  couronne.  En  s'appuyant  sur  les  vieilles  mœurs  et  les  institutions 
particulières  à  la  Péninsule,  il  usa  de  tout  sans  rien  détruire;  c'est 
ainsi  qu'il  fit  de  la  Sainte-Hermandad  un  moyen  de  police  et  un 
instrument  de  pouvoir  non  moins  énergique  que  ne  le  fut  en 
France  rétablissement  des  troupes  soldées. 

L'Espagne  rentrait  donc  enfin  dans  la  voie  générale  des  peuples, 
après  avoir  dépensé  sept  siècles  à  une  œuvre  glorieuse,  mais  sté- 
rile; elle  commençait  à  subir  les  influences  auxquelles  d'autres 
nations  devaient  des  destinées  déjà  plus  pacifiques  et  plus  prospè- 
res. Si  les  vues  patriotiques  de  Ferdinand  avaient  continué  d'être 
appliquées,  on  ne  saurait  douter  que  ce  beau  royaume,  au  lieu  de 
la  splendeur  factice  et  passagère  du  règne  suivant,  ne  se  fût 
Aevé  à  cette  puissance  forte  et  permanente  que  donne  la  mise  en 
œuvre  de  toutes  les  facultés  natives.  Un  étranger  vint  suspendre 
violemment  ce  travail  intérieur,  et  rejeter  l'Espagne  dans  la  po- 
sition exceptionnelle  dont  elle  commençait  à  sortir.  Le  Gantois 
Charles-Quint,  avec  son  cortège  de  ministres  belges  et  de  soldats 
allemands,  porta  à  la  nationalité  espagnole  un  coup  dont  elle  ne 
se  releva  plus.  Au  lieu  de  se  faire  l'instrument  de  la  grandeur 
naissante  du  royaume,  il  fit  du  royaume  l'instrument  de  sa  gran- 
deur personnelle,  et  le  roi  d'Espagne  disparut  devant  Tempereur. 

L'œuvre  de  Ferdinand  et  d'Isabelle  fut  dénaturée  par  leur  petit- 


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9BB  ^BTVS  ms  bevx  aoHDB. 

Ife.  AiirHM;4k  ffégleg y eKufaéraace  de  la  vie  populaire,  on  préCèrt 
Fatccindre  et  la  tarir  dans  sa  aomrce,  et,  selon  l'csage  de  teu  les 
despotisnies,  on  eoupa  Parbre  po«r  eueîHir  le  froit.  Lès  orastoses 
sMsemUées  des  corth  se  tarent  devant  les  armes  étrangères,  hs 
TÎDes  jouèrent  leurs  libertés  dans  des  luttes  inégaies.  PadiUa  dt 
Tolède,  Bravo  do  Ségovie,  Maldonflbda  de  Salamanqoe,  ponèteit 
sur  réchafaud  leur  noble  tête,  et  ce  sang  héroïque  cooia  cons» 
la  sève  d'un  tronc  frappé  dam  ses  racines  et  qpii  voit  bientôt  jptfr 
ei  tomber  sa  couronne  de  verdure. 

Le  mauvais  succès  de  l'insurrection  des  villes  et  Tédatsiite  vea» 
geawee  qui  en  fut  tirée,  frappèrent  au  coeur  le  génie  municipfd  alors 
quil  commença'tà  s'épanouir.  L'babileté  et  la  fortune  de  renpe* 
reur,  les  vice-royautés  d'Italie  et  d'Amérique,  les  commandemeat 
enRandreet  en  Allemagne,  étoufKèrent  en  même  temps  la  superht 
indépendance  de  Taristoeratie  espagnole.  Contens  du  privilège  dt 
se  couvrir  devant  leur  maître,  de  le  servir  à  sa  cour  et  dans  wm 
armées,  les  grands  ne  parurent  plus  dans  les  province»  dont  ib 
possédaient  la  presque  totalité  du  sol;  et  un  gouvernement  ombra- 
geux 6t  à  cet  égard  une  prescription  de  ce  qui  avait  cessé  d^ 
d*étre  dangereux  pour  lui.  Un  corps  aristocratique  sans  actioft 
dans  le  gouvernement  ne  peut  garder  ni  popularité  ni  imporiaaos 
politique.  Ses  richesses  sont  un  effet  sans  cause,  et  comme  une 
anomalie  que  lui  font  expier  le  mépris  du  pouvoir  et  la  haine  dei 
peuples.  Aussi  la  grandesse,  sans  racines  dans  la  nation,  fnt-^ 
prhnée  à  la  cour  des  princes  autrichiens  par  les  fevoris  du  pias 
bas  étage,  et  descendit  promptement  au  dernier  degré  défiai- 
puissance  et  du  rachitisme.  On  ne  lui  conserva  pas  mémo  ces  vaim 
simulacres  de  liberté,  dont  on  crut  devoir  amuser  la  vanité  des 
procureurs  des  villes,  dans  les  parades  solennelles  jouées  parla 
royauté  absolue. 

Ainsi  se  desséchaient  tons  les  germes  d*avem>  au  sein  de  11 
triste  Espagne.  Pendant  que  son  nom  dominait  les  deux  mondes, 
que  ses  flottes  en  couvraient  les  mers  et  qu*elle  versail  son  sa^ 
sur  tous  les  champs  de  bataille,  la  cause  nationale  y  sueoooibak 
aous  des  principes  d'autant  plus  désastreux ,  qu'ils  revotaient  d<9 
apparences  phis  briMmces.  Les  intérêts  de  l'empereur  en  Aliéna» 
gne,  en  Flandre,  en  ftaKe,  les  développemens  du  système oeloflil 
Mqnel  elle  s^abandonnait  avec  une^si  funeste^jenianee,  épiriaèrent 


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DB  L*j(aPAG9IB  AT  hR  ^Olf  BIffVOIRE.  M 

809  farcQ^,  el  pcurtéreitf  un^coup  «lortal  i  aonayioitlwna  61  à  «m 
iadttstrie  iiais8«iUe  ;  ri«  ne  se  fit  pew  eA)e,  quoique  tout  se  fil«tt 
flOQ  ooœ  ;  elle  ^taii  devctfitte  TaDoefisoire  des  nombreux  et  loiMàit 
domaioes  annexés  à  sa  coiiroMe«  Ce  fiM  aûisi  que  le  pays  qui,  par 
sa  coafigiiratioii  sé<Hi^a()]Mque,  semblait  le  mieux  garanti  oontre  lea 
iailueiices  éiraiigères,  les  subît  par  le  mauvais  effet  de  ses  institua 
tions politiques,  plus  complètementei plus  long-temps  qu'audua 
l^tre  n^aume  du  continent. 

Giarles-Quint  comprit  oependaut  la  fausseté  de  sa  position  et 
toute  rioanité  de  sa  gloire.  l\  expia  Vuae  au  monastère  de  Saint»» 
Ju&t,  et  rectifia  lautre  en  délivrant  enfin  TEspagne  de  rAutricb^ 
et  de  Tempire.  Son  fils  vécut  en  roi  péninsulaire,  «  enfermé  à  1  £»- 
curial  comme  dans  un  monastère;  »  il  saisit  une  occasion  heureuse 
de  conquérir  le  Portugal,  seide  possession  que  les  rois  catholiques 
dussent  envier,  car  elle  est  indispeasataJe  à  leur  sAreté  intérieures 
et  Lisbonne  est  un  point  fatal  par  où  VEurope.meoacera  toujours 
le  gouvernement  de  Madrid.  Mais  ce  prince  n'avait  été  débarrassé 
que  d'une  trop  faible  partie  de  Théritage  paternel;  il  f&dlut  lui  oon*- 
server  le  reste,  et  des  flots  de  sai^  ca^tUlan  ooulérent  dans  les 
Pajf 6-BaS|  peur  prévenir  un  démembrement'que  TEspagne  aurait  pu. 
saluer  comme  une  victoire.  Avec  Tétroitesse  •obstinée  de  son  esprit 
la  froide  exaltation  de  son  ame ,  il  se  jeta  dans  les  querelles  relit- 
gieuses  de  son  temps,  échoua  en  France  et  en  Angleterre  et  se  dé- 
fendit en  Espagne  en  faisant,  du  tribunal  de  1  inquisition,  la  machine 
de  compression  intellectudle  la  plus  ccdossale  que  put  concevoir 
l'esprit  humain.  La  Péninsule,  où  le  travail  féodal  avait  été  subite^ 
ment  arrêté  par  Tinvasion  sarrazine,  qui,  au  x\'  siècle,  commenr 
$ait  l'œuvre  nationale  de  son  organisation  politique,  lorsqu'elle  fiit 
si  brusquement  interrompue  par  Charles-Quint,  se  vit  donc  rejetée 
en  dehors  de  toutes  les  idées  européennes  par  la  main  de  plomb  de 
Philippe  II.  Pour  avoir  raison  du  protestantisme,  il  atteignit  Tesprit 
humain  en  sa  source  même,  préparant  ainsi  pour  la  venir  au 
dûgme  religieux ,  si  malheureusement  associé  à  son  pouvoir  desr 
poiique,  des  épreuves  plus  redoutables  que  cdles  qu'il  était  appe^ 
à  traverser  dans  le  reste  de  l'Europe. 

a  Philippe,  dit  M.  Mignet,  séquestra  la  royauté  dans  une  solitude 
abrutissante,  il  la  rendit  invisible,  sombre,  hébétée;  il  ne  lui  j|^ 
connaltire  les  év^oemefts  que  par  des  rapports^,  les  hommes  qqip 


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S3â  AEVUB  DES  DEUX  MONDES. 

par  des  défiances.  ïl  porta  si  loin  le  soupçon,  qui!  éleva  son  ffls 
dans  la  crainte  et  dans  Fisolement;  il  ne  lai  permettait  pas  de  s*eih 
tretenir  avec  sa  fille,  à  laquelle  seule  il  se  confiait,  et  qui  seule  sou- 
lageait sa  vieillesse  accablée  d*infirmités  et  de  revers.  Au  moment 
où  il  fallut  quitter  la  puissance  qu*il  avait  voulu  étendre  et  qii*3 
avait  craint  de  perdre,  il  rejeta  sur  la  Providence  son  propre  ou- 
vrage, rincapacité  de  son  successeur,  d 

Philippe  II  avait  imposé  la  stérilité  à  Tintelligence,  Philippe  ID 
atteignit  la  terre  elle-même.  Depuis  long-temps  huit  cent  mille 
juifs  chassés  d'Espagne  avaient  emporté  tous  les  germes  d'une 
industrie  naissante  ;  plus  d*un  million  de  Maures,  chassés  en  trois 
jours,  firent  alors  un  désert  de  la  partie  la  plus  fertile  du 
royaume. 

Sous  Phi  ippe  IV,  un  ministre  entreprenant  voulut  relever  sa  pi- 
trie  de  son  irrémédiable  déchéance  :  <r  il  ne  vit  pas  que  son  repos  était 
de  la  paralysie,  et  que  remettre  en  mouvement  ce  pays  malade, 
c'éta't  le  faire  tomber;  »  sa  chute  en  effet  fiit  profonde  :  la  Franœ 
et  la  Hollande  lui  enlevèrent  des  provinces,  TA nglc terre  des  colo- 
nies; le  Portugal  recouvra  et  maint  nt  son  indépendance;  la  ré- 
volte éclata  au  royaume  de  Naples  et  jusqu'au  sein  de  la  Catalo- 
gne. Le  sang  de  Charles-Quint  s'était  épuisé  comme  celui  de  Cllâ^ 
lemagne  ;  et  son  arrière-petit-fils  remit,  en  mourant,  sa  couronne 
à  un  être  dégradé  de  corps  et  d'esprit,  roi  idiot  d'une  monarchie 
décrépite. 

La  vie  de  Charles  II  se  consuma  dans  les  sales  intrigues  des  fic- 
tions étrangères,  pour  se  disputer  un  pays  dont  l'intérêt  n'était 
pas  plus  consulté  que  les  vœux.  Les  prétendans  arguaient,  non  de 
l'assentiment  national,  mais  de  la  volonté  du  roi  devenue  la  loi 
suprême,  ou  de  la  loi  fondamentale  en  matière  de  succession,  in- 
stitution funeste  à  laquelle  on  doit  remonter  comme  à  la  source 
principale  des  calamités  de  l'Espagne. 

M.  Mignet  professe  une  opinion  contraire ,  et  conmae  il  y  a  grand 
profit  à  tirer  des  erreurs  d'un  homme  d'esprit,  nous  donnons  ses 
raisons,  qui,  si  elles  ne  nous  ont  pas  convaincu,  pourront  en  con- 
vaincre d'autres. 

«  n  ne  restait  à  l'Espagne  que  sa  loi  de  succession  pour  la  tirer 
de  son  anéantissement.  H  fallait  que  le  continent  vint  de  nouveau 
à  son  aide^  et  que  l'esprit  européen,  s'y  introduisant  à  la  suite  d'une 


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DE  L*£8PAGNB  ET  DE  SO:f  HISTOIRE.  235 

dynastie  nouvelle,  ranimât  et  la  flt  sortir  de  rimmobilité  pénin- 
salaire  o&  elle  était  retombée....  Les  dynasties,  et  les  lois  de  suc- 
cession qai  président  à  leur  maintien  ou  à  leur  remplacement,  sont 
d'ordinaire  appropriées  aux  besoins  des  divers  pays.  La  loi  espa- 
gnole différait  de  la  loi  française ,  comme  l'intérêt  de  TEspagne  dif- 
férait de  rintérét  de  la  France;  elle  appelait  à  la  couronne  les 
femmes  qui  la  portaient  dans  d'autres  maisons  en  se  mariant.  Ces 
mariages  amenèrent  la  réunion  des  diverses  parties  de  la  Péninsule, 
et  lai  procurèrent  Taide  du  continent  par  Tavénement  de  princes 
étrangers  qui  lui  apportèrent  d*abor  J  les  forces  de  TEurope  pour 
la  faire  triompher  dans  ses  luttes  de  religion  et  de  race,  et  plus 
tard  ses  idées  pour  la  faire  sortir  de  l'immobilité  péninsulaire  où 
elle  devait  retomber....  La  France,  au  contraire,  en  admettant  les 
femmes  à  la  couronne,  eût  renoncé  à  sa  nationalité;  elle  pouvait 
entretenir  son  mouvement  par  les  chocs  non  interrompus  du  reste 
de  TEurope  et  opérer  sa  formation  par  sa  force  intérieure.  Aussi 
se  réserva-t-elle  des  moyens  particuliers  de  perpétuer  sa  dynastie. 
Elle  plaça  des  rejetons  royaux  dans  plusieurs  provinces  à  mesure 
qu'elle  les  conquit ,  afin  que  les  branches  pussent ,  au  besoin ,  rem- 
placer le  tronc.  La  loi  des  apanages  fut  la  conséquence  de  la  loi  sa- 
Uqne.  Le  pays  le  plus  remarquable  par  son  unité  le  fut  aussi  parla 
durée  de  sa  dynastie.  » 

Le  savant  historien  paraît  avoir  étudié  les  annales  de  l'Espagne 
sous  la  préoccupation  de  cette  idée  que  Tisolement  géographique 
de  ce  pays  était  pour  lui  le  principe  d*une  infériorité  constante  qui 
devait  être  corrigée  par  Teffet  de  ses  institutions.  Mais  cette  position 
péninsulaire  n'était-elle  pas,  au  contraire,  l'un  des  plus  grands 
bienfaits  dont  la  Providence  pût  doter  un  pays  si  heureuse- 
ment assis  sur  deux  mers,  et  les  malheurs  de  l'Espagne  ne  tien- 
draient-ils pas  h  ce  qu'il  lui  fut  presque  toujours  interdit  d'en  re- 
cueillir le  bénéfice? 

11  est  difficile,  ce  semble,  de  concQier  la  valeur  théorique  que 
Ton  attribue  à  la  succession  féminine  et  le  biftme  si  judicieusement 
déversé  sur  cette  perpétuelle  exploitation  de  l'Espagne  au  profit 
d'intérêts  étrangers.  Si  la  succession  des  femmes  hâta  l'union  des 
divers  royaumes  de  la  Péninsule,  elle  eut  aussi  pour  résultat  de  pré- 
venir toute  assimilation  entre  ses  élémens  constitutifs,  toute  agglo- 
mération vers  un  centre  principal.  En  France ,  la  conquête  terrilo* 


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fit  RETOB  tofr  »EDX  «OHOB». 

Ttalèrflnft  pftT  «MMer  r  absorptk»*  morde  ;  m  Ee^Mstie,  la  l'èiiiiiéi 
pM  irmriê^  d^ètâds  )itdépéiM}aft»les  nHfflaltfil  en  ftice  de  la  conroime 
èé  Castnte  «  IM»  une  anHude  ^éjgalM  et  de  comptet  îsotemetti.  Voyez 
eMore,  a«eomnenceniefitd«  xvnrsîède,  Ténergiqve  concours  que 
lesétatd  de  CastiRe  prêtaient  à  PMttpped* Anjou,  et  celui  quelet 
pi^orâices  dépendantes  de  l'ancienne  couronne  d* Aragon  accor- 
diftient  à  Farehiduc. 

'  lie  principe  qui  a  fondé  la  nattenalité  française  eât  concovnii 
fonder  aussi  la  nationaliié  péninsulaire.  L*efFet  de  ta  loi  salique  eAt 
éW  pliïs  lent  peut-être,  mais  certainement  il  e^t  été  plus  s4r.  Notre 
régime  des  apanages  n'était  pas  même  à  cet  égard  d*une  rigoureuse 
niécessité;  à  Textinction  des  branches  régnantes,  mieux  eôi  râla 
fecewrir,  an  besoin ,  à  la  succession  bfttarde  qui  onna  au  Portugd 
Ite  fondateur  de  hi  dynastie  d'Arîs,  et  son  chef  m^me  à  la  maison  de 
BragMce,  qued'engagerrEspagne  dans  un  système  qui  ne  lui  pr^ 
qu*me  force  ftictioe  en  échange  de  la  force  native  dont  eBe  fa  dè- 
ponillait. 

On  vient  de  dire  à  quel  abaissement  politique  la  dynastie  autri- 
ctnenne  avait  conduit  l'Espagne;  la  dynastie  française  ne  servit  guère 
mieux  ni  sa  prospérité ,  ni  sa  gloire. 

Le  plus  grand  malheur  qui  eût  pu  arriver  alors  à  la  Pénînsufee^ 
été  la  réalisation  du  mot  fameux  de  Louis  XÎV.  Ce  n'étaît  pasTrs- 
péFance  de  rattacJier  un  grand  royaume  au  mouvement  générafl  du 
«vende  qui  inspirait  an  monarque  français  le  v(eu  qu*fl  n*y  eth  plus 
de  Pyrénées.  Dans  sa  bouc^,  ce  désir  avait  une  portée  parement 
y^ikîqne.  Il  entendait  dire  seidement  (pi*Aranjuez  serait  une  dé- 
]^êiidance  de  Versailles  comme  Trianon ,  et  qu'il  y  régnerait  p« 
procureur.  S'il  ne  l'avait  pas  ainsi  compris,  Louis  XIV  n  eût  p« 
manette  de  s'en  tenir  au  traité  de  partage  de  1700  et  de  repousser 
krtestament. 

Quant  aux  bienfaits  dont  l'établissement  de  la  maison  deBourbott 
^plustardte  pa<^  de  famîHeont  pu  doter  FEspagne,  ils  sont  au 
tfOi«is  problématiques.  Après  Fhllfppe  V,  plus  occupé  de  ses  irttfi- 
gtiesen  France  et  des  prejeis  d'Aimé  femme  et  d'un  ministre  amht^ 
teux  dur  lltialie  qeie  des  inriérêts  vitanx  de  sa  patrie  adopifre,  srt 
aôcoessenrs  s'engagent  dansdes^oiAits  maritimes  souvent  sfans  hoi 
eifOlyoursaans  profit.  Si,  effif^ieederAngleterre,ranfance  franco- 
espagnole  était  onebevreuse  nécessité  pour  les  deux  pays,  la  corn» 


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DE  VmPàmB  BT  DB  SOU  HltTOIRB. 

«Bmiaiitéd»dyii»tien*mi  Alt  pas  le  principe,  car  eHe  retaortait  lii^ 
ianaturo  das  chaaas.  La  branche  des  Bourbons,  tra&i|riMitée  a»- 
delà  des  Pjréoées,  subit,  d'aiHeors,  promptement  rinfhienoe  db 
rinnnGOnlité  pèninaulaîre,  d*ane  manière  aussi  çomplèce  que  la  triste 
dynastie  qu'elle  aviût  remplacée.  Sous  des  règnes  obscurs,  IEb- 
p9gaè  ceiltkuia  de  courir  rapidem^it  vers  sa  décadence;  aides 
tentatives  sou¥ent  irréflécbies  de  réforme  eurent  Meu  dans  aoa 
organtoatkm  civile  et  •nancière,  dans  le  oours  du  xvnf  si^ 
de;  sa  ^  Macanasà  Jovellaaos,  de  Tintendant  Orr j  à  d*Aranda^ 
iieridsh-Blaaca  et  Olavide,  on  suit  le  progrès  ecHiataat  d'nneéoeie 
^oononiqoe  et  administrative  dans  le  sens  de  la  centralisation  aso- 
deme,  il  n'y  a  rien  là  qui  se  puisse  directement  rapporter  à  1*  in- 
fluence de  la  dynastie  française;  des  essais  analogue»  avaient  lieu  en 
jkitaidie  et  en  Toscane  pour  ne  pas  dire  en  Russie;  c'était  ccmime 
felmnÉcia  retentissement  des  idées  et  surtout  des  passions  contenu 
poraâKs.  Ces  novateurs,  {dus  théoriciens  qu'hommes  de  pratique  > 
^pn  la  royauté  ne  secondait  que  par  boutades  et  que  le  penjrie  r»- 
fwsoait  toujoars,  échouèrent  contre  les  intérêts  et  bien  plus  en^ 
corecontiïeles  m«iur8;le  mouvement  essayé  par  Charles  m  était 
sans  radaes  et  sans  avenir,  ses  ministres  le  oonçurenu  tpop  à  la  ma- 
mèpedeiosephclldans  les  Payais.  Tout  cela  était  pour  aboutir 
aux  turfâtttdeade  son  svccesseur,  qui  monta  sur  un  trène  qu'on 
disait  solide,  parce  cpi*aatour  de  lui  il  se  ftûs^t  un  profond  sikûice': 
■ois ce  silenee  Ait  imerrompu  par  un  coup  de  tonnerre,  et  de^ 
pnb  OB  jour  une  nue  orageuse  envdoppe  l'Espagne  et  son  avenir. 

La  succession  étranc^  n'a  donc  imposé  à  ce  pays  que  des  eth 
erifices  tout  aussi  inutiles  à  son  avancement  intellectuel  qaà  ses 
intérêts  nationaux.  Peut-être  en  Tappréciant  autrement,  ne  se  éè- 
ftige4-on  po»  assez  des  impressions  contemporaines,  et*paree  qu'on 
espère  ^rajourd'hui  la  r^énération  de  l'Espagne  d'un  retour  à  sa 
vieBlc  loi  de  aoocession  ftmialne,  est^on  disposé  à  transformer  en 
principe  de  progrès  ce  qui  n'est  qu'un  accident  heureux. 

Autant  que  persmme,  je  ferme  des  vœux  poar  la  consolidation 
dn  gouvernement  dont  le  sort  est  si  étroitement  lié  dans  la  Pénin^ 
aale  i  cehii  de  tous  les  hommes  de  quelque  poids,  par  leurs  lu-^^ 
Buèreaeu  leur  position  sociale,  gouvernement  auquel  il  manque 
beaucoup  sans  doute  en  force  et  en  dignité,  mais  qui,  dans  sa  chute» 
«ignaler ait  le  triomphe  de  la  démagogie  des  viOes  et  de  la  déma* 


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996  RËYUB  DES  DEUX  MONDES. 

gogie  des  campagnes,  deux  souverainetés  également  illégitimes 
parce  qu'elles  sont  sans  intelligence.  Hais  qu*est-il  besoin  de  rappe- 
ler que  si  le  trône  d'Isabelle  II  est  devenu  le  point  de  ralliement 
delà  grandesse  et  de  la  classe  moyenne,  des  hommes  de  Tindas- 
trie  et  de  la  partie  éclairée  du  clergé,  il  le  doit  moins  à  la  valeor 
de  son  titre  qu*à  Tobligation  où  fut  ce  gouvernement  de  s'appuyer 
sur  des  intérêts  jusqu'alors  impitoyablement  repoussés  et  pro»- 
crils?  11  n'y  aurait  sans  doute  aucun  avantage  pour  TEspagne  iœ 
qu'elle  fût  un  jour  gouvernée  par  tel  prince  étranger  qu  il  plai- 
rait au  caprice  d'une  jeune  reine  de  choisir,  et  cet  avenii'  Tinquiète' 
rait  à  bon  droit,  si,  avant  de  redouter  les  inconvéniens  possibles  et 
fort  éloignés  d  un  système  dynastique,  il  ne  lui  fallait  s^assurerles 
avantages  actuels  d*un  gouvernement  éclairé  et  libre. 

Ce  qu*on  attend,  en  effet ,  de  cet  universel  mouvement  dans  les 
hommes  et  dans  les  choses,  qui,  après  s'être  abrité  derrière  une 
intrigue  de  cour,  a  6ni  par  devenir  une  révolution,  c'est  rétablis- 
sement d'un  pouvoir  entièrement  nouveau ,  sinon  dans  ses  formes, 
du  moins  dans  ses  maximes,  qui  repousse  le  passé  de  l'Espagne 
comme  un  legs  stérile  et  funeste,  et  la  fasse  enCn  sortir  des  voiesoi 
en  poursuivant  richesse  et  gloire ,  elle  n'a  rencontré  que  misère  et 
corruption.  L'Espagne  a  pour  jamais  perdu  les  Amériques,  et  son 
gouvernement  vient  de  le  proclamer  pour  la  première  fois;  si  die 
conserve  encore  aux  Antilles  et  dans  la  mer  des  Indes  les  pins 
belles  colonies  du  monde  après  celles  de  l'Angleterre,  ces  établis- 
semens  ne  sont  plus  de  nature  à  la  détourner  d'un  système  pure- 
ment intérieur,  le  seul  qui  convienne  à  l'exploitation  de  son  magni- 
fique territoire,  à  la  réforme  de  ses  institutions  civiles  et  de  ses 
mœurs. 

Effacée  du  nombre  des  grandes  puissances  de  TEurope,  qu'elle 
s'en  fasse  oublier  pendant  un  siècle,  comme  ces  malades  qui  se 
retirent  loin  du  monde  pour  soigner  une  santé  débilitée  par  nn 
mauvais  régime,  ou  des  infirmités  de  jeunesse;  que  revenue  de 
théories  déjà  visiblement  en  baisse  dans  son  sein,  et  mise  par  nos 
armes,  s'il  le  faut,  à  Tabri  d'un  absolutisme  qui  ne  triompherait ui 
jour  que  pour  s'ab'mer  dans  l'anarchie,  elle  reporte  toutes  ses 
pensées  sur  elle-même,  n'étudiant  son  passé  que  pour  s'en  éloî- 
gner. 

Tout  gouvernement  qui  comprendra  l'Espagne,  s'attachera  d'à- 


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DE  L*ESPAGNB  ET  DE  SON  HISTOIRE.  2*^7 

bord  à  y  mettre  le  trayail  en  honneur,  à  y  faire  fleurir  la  mora- 
lité privée ,  étouffée  sous  un  formalisme  religieux  sans  intelligence 
et  sans  vie  ;  il  invoquera  le  concours  du  clergé  auquel  il  fera  une 
large  part  dans  cette  œuvre  de  régénération ,  en  lui  étant  toute 
possibilité  et  dès-lors  toute  tentation  d*exercer  désormais  au- 
enne  action  politique  ;  il  s*attacbera  à  détruire,  par  Fascendant  de 
rindustrie  et  de  Vesprit  de  propriété,  ces  habitudes  vagabondes  et 
guerrières  de  la  démocratie  rurale ,  retrempées  dans  la  longue 
lutte  de  la  Péninsule  contre  Napoléon,  et  que  Ferdinand  VU  a  si 
malheureusement  excitées  aux  plus  mauvais  jours  de  sa  puissance. 
En  changeant  le  vieux  système  d*administration ,  en  traçant  des 
routes  et  creusant  des  canaux  dans  de  vastes  solitudes,  il  réunira 
des  provinces  étrangères  les  unes  aux  autres,  il  confondra  de  plus 
en  plus  la  population  des  villes  et  celle  des  campagnes ,  que  leurs 
antécédens  historiques ,  autant  que  Tincurie  souvent  calculée  du 
pouvoir,  ont  constituées  dans  un  état  presque  permanent  d'hosti- 
lité; un  gouvernement  réparateur  mettrait,  en  un  mot,  TEspagne 
à  bois  neuf,  en  greffant  les  idées  européennes  sur  ce  sauvageon 
admirable  de  vigueur  et  de  puissance. 

n  n*en  est  pas  de  cette  contrée  comme  de  la  France.  Celle-ci  a 
pu  rester  Adèle  à  presque  toutes  ses  traditions  politiques  ;  celle-là 
est  malheureusement  condamnée  à  les  répudier.  Quelque  profonde 
qu'ait  été  la  révolution  de  89,  elle  n*a  guère  changé  les  rapports 
de  la  France  vis-à-vis  de  TEurope,  parce  que  sa  puissance  s*est 
développée  selon  des  conditions  naturelles  et  normales.  Nous  avons 
pu  ajouter  à  Tœuvre  de  nos  pères  sans  en  déplacer  les  fondemens. 
L'Espagne,  au  contraire,  refoulée  dans  les  voies  intellectuelles  par 
l'inquisition  et  l'absolutisme  claustral ,  dans  celles  de  la  politique 
et  de  l'industrie  par  le  système  colonial  et  l'éparpillement  de  ses 
forces,  entre  dans  une  ère  nouvelle,  n'ayant  àproflter  que  de 
ses  fautes ,  car  chez  aucune  nation  le  passé  ne  fut  aussi  coupable 
envers  l'avenir. 

Ce  contraste  entre  notre  gouvernement,  fort  de  l'harmonieuse 
unité  de  ses  parties,  et  un  pouvoir  gigantesque,  produit  des  cir- 
constances et  inhabile  à  les  dominer,  est  tracé  dans  l'introduction 
de  M.  Hignet  d'une  manière  large  et  lumineuse.  Cest  la  philosophie 
de  l'histoire  descendue  des  abstractions  pour  poser  le  plus  impor- 
tant problème  des  deux  derniers  siècles. 


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EBVUB  DBS  DBUX  MONDES* 

Les  deux  volumes  publiés  n*en  donueut  pas  la  8(dittion;ibBi 
vont  que  jusqu*ea  1668  et  s*arr6tent  à  la  paix  d'AixJa-ChapeUeqoi 
suivit  la  première  guerre  de  Flandre.  Près  d*un  demi-siècle  devait 
s*écouler  encore  avant  que  le  sort  de  l'Espagne  f&t  irrévocable- 
ment fixé.  Lorsque  ce  grand  monument  national  sera  achevé,  nou 
embrasserons 9  dans  son  ensemble,  une  négociation  dont  noas 
a*avoDs  pu  esquisser  que  las  prémices, 

Louis  DB  CâbmL 


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CHRONIQUE  DE  LA  QUINZAINE. 


êéjvfltl 


Les  afTaîres  d'Angleterre  continuent  d'olTrir  an  spectacle  chaque  jonr 
plus  intéressant  et  plus  varié.  Il  importe  de  suivre  avec  attention  jusqu'au 
déDouement  Faction  an  peu  lente,  mais  curieuse  et  compliquée,  da 
drame  politique  de  Westminster. 

Si  la  guerre  a  décidément  éclaté  entre  les  deux  assemblées  législa- 
tives, c'est  bien  la  chambre  des  lords  qui  a  voulu  cette  collision.  La 
chambre  des  lords  se  souvient  que  la  prud^jice  et  la  timidité  lui  ont  mal 
réussi  en  1832.  Aujourd'hui  qu'elle  n*aperç<>il  nul  danger  menaçant  & 
rhori7on ,  elle  s*av  se  de  courage  et  de  hardiesse.  Ce  nouveau  système, 
dont  rinertie  actuelle  de  l'esprit  public  semble  justifier  remploi,  est-il 
également  bien  calculé  poir  garantir  longuen.ent  Texistence  de  la  pairie? 
Yoilà  ce  quMl  s'agit  d'oxaminer. 

—  Plus  de  concessions!  se  sont  écriés  les  lords.  Nous  avons  été  jua- 
qo'à  présent  trop  prompts  à  reculer.  Nous  ne  céderons  plus  un  pouce  de 
terrain.  L*liabileté  consiste  à  défendre  les  muiodrea  positions  qui  gardent 
l'accès  de  la  place.— 

Les  conférences  s'entament  avec  les  communes  au  sujet  de  raccom- 
modement proposé  sur  le  bill  des  corporations  irlandaises.  Durant  les 
dernières  années,  dans  ces  sortes  de  coarérences,  la  courtoisie  avait 


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19. 


2&0  RETUE  DES  DEUX  MONDES. 

presque  triomphé  du  ▼  eil  usage.  On  avait  daigné  recevoir  les  communei 
sans  se  couvrir  et  debout.  C'était  une  impardonnable  Taiblesse.  Désormais 
on  s*assiera  comme  par  le  passé,  et  Ton  enfoncera  m(^me  davantage  son 
chapeau.  Si  vous  aviez  vu  peut  tant  les  nobles  lords  en  habit  de  ville, 
coidés  de  cet  étrange  chapeau  à  cornes,  qui  ne  ressemble  pas  mal  â 
celui  de  nos  ordonnateurs  des  pompes  funèbres,  vous  douteriez  que  ce 
retour  à  la  rigoureuse  étiquette  aristocratique  soit  un  moyen  fort  efficace 
pour  restaurer  la  dignité  de  la  pairie. 

Mais  voici  venir  une  occasion  plus  sérieuse  de  montrer  son  autorité.  Ce 
même  bill  des  corporations  irlandaises,  déjà  si  cruellement  maltraité 
par  leurs  seigneuries,  se  représente  enfin  devant  elles  timidement  réa- 
mendé par  les  communes.  La  séance  est  grave  et  solennelle.  Lord  Mel- 
bourne et  lord  Uolland  avaient  renouvelé  leurs  avertisscmens  énergiques. 
Voyant  quelle  aveugle  passion  entraînait  la  chambre,  lord  Grey  lui-même 
avait  rompu  un  silence  de  deux  ans.  Il  s'était  avancé  seul  entre  les  deux 
partis  prêls  à  en  venir  aux  mains,  et  avait  proposé  un  dernier  moyen  de 
conciliation.  Mais  ses  conseils,  pleins  de  sagesse,  ne  sont  plus  ceux  que 
Ton  écoute ,  ce  sont  les  ressenlimens  acharnés  ac  lord  Lyudliurst  qui  font 
la  lui.  C*est  rcx-chancclier  tory  qui  gouverne  malmenant  les  pairs  sons 
la  responsabilité  du  duc  de  Wellington,  leur  chef  nommai.  Lord  Lynd- 
hurst  ayant  déclaré  que  les  lords  ne  peuvent  se  désister  de  leurs  principes, 
une  formidable  mojorité  repousse  à  la  fois  et  les  amendemens  de  la  se- 
conde chambre ,  et  le  sous-amendement  plus  pacifique  encore  de  lord 
Grey. 

Ce  rejet  prononcé,  tout  espoir  d'arrangement  avait  dû  s'évanouir.  La 
conduite  ultérieure  des  communes  était  dictée  d'avance.  La  politique  les 
avait  poussées  à  trop  accorder  peut-être;  il  ne  leur  était  plus  permis  de 
rien  céder  honorablement.  Aussi  la  séance  dans  laquelle  lord  John  Russe! 
vient  demander  rajournement  à  trois  mois  du  bill  mutilé,  n*a-t-elle 
point  rintéiél  dramatique  de  celle  des  lords;  mais  le  langage  que  lient  le 
ministre  est  singulièrement  vigoureux  et  significatif,  o  II  compte  que  II 
pairie  ouvrira  les  yeux  et  se  rangera  prochainement  à  Tavis  des  commu- 
nes, autrement  il  désespérerait  du  salut  de  la  constitution  britannique; 
car  il  ne  concevrait  pas,  ajoute-t-il,  de  constilutidn  plus  impraticable 
que  celle  qui  autoriserait  Topposition  déterminée,  persévérante,  inflexi- 
ble ,  d'une  chambre  haute  paralysant  toutes  les  mesures  de  la  chambre 
élective  et  méconnaissant  l'opinion  générale  du  pays.»  Ce  sont  là  les 
propres  paroles  de  lord  John  Russel,  le  fils  du  duc  de  Bedford,  l'ao 
des  plus  illustres  rejetons  de  Taristocralie  anglaise ,  et  conséquem- 
ment  l'un  des  plus  intéressés  à  la  conservation  des  privilèges  de  cette 
aristocratie;  ce  sont  les  propres  paroles  du  même  ministre  qui  déclarait, 


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R£¥UE.  —  CHRONIQUE.  211 

il  y  a  moins  de  six  mois,  que  la  réforme  ne  devait  seulement  pas  songer 
aux  changemens  organiques. 

Ainsi  la  pairie  est  mise  en  demeure^  et  non  plus  uniquement  par  les 
radicaux  y  mais  par  les  wbigs  eux-mêmes.  II  faut  qu'elle  cède,  et  avant 
peu,  ou  le  maintien  de  la  constitution  devient  impossible,  c'est-à-dire 
qu'il  devient  indispensable  de  réformer  la  pairie.  Cédera- t-elle  cepen- 
dant? pourra-t-elle  céder?  Engagée  comme  elle  est  dans  le  chemin  diffi- 
cile où  l'a  jetée  lord  Lyndhurst ,  pourra-t-elle  revenir  sur  ses  pas?  Vrai- 
ment, pour  une  petite  satisfaction  qu'il  a  donnée  à  leur  orgueil ,  ce  n'est 
pas  encore  ce  dernier  vote  des  lords  qui  a  beaucoup  assuré  leur  avenir, 
non  plus  que  cette  dignité  dont  ils  sont  si  jaloux. 

La  chambre  des  communes,  qui  continue  d*étre  patiente  et  de  ne  se 
point  décourager,  vient  de  consacrer  encore  une  fois  le  principe  d'appro- 
priation du  bill  des  dîmes  irlandaises.  De  ce  que  la  majorité  réformiste, 
qui  Ta  voté,  s'est  trouvée  moins  nombreuse  qu'elle  ne  l'est  d'ordinaire, 
il  ne  faut  point  conclure  qu'elle  se  soit  af/aiblie  ou  divisée.  Il  s'agit  ici 
d'nne  question  à  part ,  d'une  question  religieuse,  non  point  d'une  question 
de  liberté  politique.  Il  y  a  en  Angleterre,  et  surtout  au  parlement,  nom- 
bre de  consciences  libérales  qui  n'ont  pas  secoué  le  joug  du  préjugé  pro- 
testant. Pour  elles,  retrancher  le  moindre  denier  du  revenu  de  l'absurde 
église  anglicane  importée  en  Irlande,  ce  serait  une  sorte  de  sacrilège. 
Cest  déjà  beaucoup,  et  on  ne  devait  pas  l'espérer,  que  dans  une  cham- 
bre élue  sous  la  double  influence  du  clergé  et  des  tories,  il  se  soit  rencon- 
tré plus  de  trois  cents  membres  résolus  à  établir  la  tolérance  et  l'égalité 
religieuses,  et  qui,  à  force  de  persévérance,  aient  su  rendre  ces  principes 
presque  universellement  populaires.  Si  les  lords  eussent  été  raisonnables  et 
habiles,  ils  se  fussent  néanmoins  bornés  à  concentrer  leur  résistance  sur  le 
terrain  de  ce  bill  des  dîmes  irlandaises.  Au  moins  cette  position  était  te- 
nable .  Ils  avaient  de  leur  côté  une  imposante  minorité  dans  les  communes. 
Mais  leur  opposition ,  aveugle,  violente,  systématique,  ne  profitera  qu'à 
leurs  adversaires.  Avec  le  simple  refus  d'abolition  de  la  dlme,  O'Con- 
nell  eût  sans  doute  agité  l'Irlande  plus  vivement  cette  année  que  les  précé- 
dentes !  il  ne  l'eût  pas  unie  et  soulevée  comme  un  seul  homme,  ainsi  qu'il 
va  faire  armé  d'un  rejet  du  bill  des  corporations.  La  lettre  qu'il  vient 
d'adresser  à  ses  compatriotes,  et  qui  leur  recommande  le  rétablissement 
de  l'association  catholique  sur  une  base  élargie  et  plus  solide ,  aura  cer- 
tainement des  résultats  aussi  prompts  qu'efficaces.  Que  Ton  calcule  l'ac- 
tion de  ce  puissant  levier  que  ne  retiendra  plus ,  mais  que  soutiendra  et 
fortifiera  la  main  du  gouvernement  lui-même. 

Les  whigs  ont  été  bien  inspirés,  le  jour  où  ils  se  sont  raUié  le  grand 
agitateur,  et  les  tories^  au  contraire,  sont  bien  imprudens  et  maladroits 

TOHS  TIL  16 


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lEiâ  aSTVB  DBS  DBUX  MORDIS. 

4e  routragsr  et  de  le  pousser  à  bout  chaque  joiir.  0*CoBiien  ét^t  le  n- 
dical  dont  Taristocratie  avait  le  moins  à  redouter.  Ce  n'est  pas  «oi^ptt- 
meot  un  avocat  opiaiâtre  du  h9lUU  et  du  suffrage  universel.  Teutterriblc 
nÎTelenr  qu'en  Fait  fait ,  il  n*â  guère  du  tribun  que  la  parole  rive  etptr- 
Csts  grossière.  Au  fond  c*est  un  homme  d'état  réritable  et  plus  propre 
pfiQt-ètre  à  fonder  qu'à  détruire.  Qui  sait  toucher  et  mettre  ea  moen- 
meat  comme  lui  les  ressorts  nécessaires  au  goaveniement  d^irae  nalieB 
ou  d'un  parti  ?  Il  a  compris  que  Titistant  n*est  pas  venu  de  gouverner  pir 
le  menu  peuple,  en  dehors  du  pouvoir  éledoral  ;  il  s'adresse  donc  asx 
éleeteurSy  à  la  ehisse  rao^^une,  aux  ridies,  de  même  qu'au  peuple, 
et  voici  que  sans  rien  perdre  de  sa  soweraiiM  autorité  sur  le  pays», 
il  range  sons  sa  bannière  le  marehand  ,  le  bourgeois  et  ie  lord.  Ce  ii*est 
pas  d'aujourd'hui  d'ailleurs  qu'il  nourrit  le  projet  de  cetto  invincible 
agrégation  :  sàr  qu'il  était  des  masses,  après  la  dernière  sessieo,  il 
avait  lait  un  appel  pressant  à  la  noblesse  irlandaise  et  favait  en  partie 
déjà  attachée  à  sa  cause.  Il  n'est  pas  de  moyen  qu'il  néglige;  Uodts  qoe 
dans  les  meeiingtt  publics,  il  entretient  l'ardeur  des  multitudes  et  soo- 
tiettt  leur  enthousiasme ,  la  presse  répand  partout  ses  prodamations  et 
ses  manifestes.  Et  il  n'a  pas  eu  assez  de  œs  milliers  de  voix  «es  feorHes 
locales  publiées  sous  soo  inspiration.  H  lui  a  folki  une  tribune  plus  haute 
d'où  il  parlât  ou  fit  parler  selon  ses  vues  à  la  Grande^retagoe  tout  en- 
tière. C'est  ainsi  qu'il  a  fonilé  et  qu'il  conduit  la  Serae  de  Dnbiin ,  qui 
plaide  aujourd'hui  dignement  et  largement  pour  toutes  les  libertés  de 
l'Irlande.  Si  étroite  que  soit  son  alliance  avec  les  wfaigs ,  CTConnell  ae 
s'est  pour  tant  pas  séparé  des  radicaux;  il  n'est  pas  moins  libéral  qu'eux;  il 
est  seulement  meilleur  politique ,  il  comprend  mieux  lesteniporisationset 
lesmésagemeuMque  l'intérêt  de  la  liberté  Im-méme  eiige.  A  vrai  dire,  le 
parti  radical  pur  n'est  pas  sans  pouvoir  ffans  le  pays,  mais  il  n'est  nulle- 
ment appelé,  quant  à  présent,  à  mener  seul  la  marche  des  réformes.  Un  ^t 
remarquable  et  qui  vaiait  bien  la  peine  d'être  constaté,  quoique  notre 
presse  n'en  ait  pas  dit  un  mot ,  c'est  la  retraite  récente  de  M.  Harvey,  l'on 
des  oignes  distingués  de  ce  parti  à  la  chambre  des  communes.  Bl .  Hartef 
y  représentait  Sovihutnic ,  le  faubourg  le  plus  populeux  de  Londres.  La 
lettre  publique  qui  contient  sa  démission  est  fort  curieuse  et  mérite  la 
ifcture.  Il  se  plaint  amèrement  de  ce  que  ses  commettans  lui  aient  rogné 
son  mandat.  Ils  lui  ont,  dit-il,  interdit  le  droit  de  presser  l'administratleo 
et  de  l'atuqnerau  besoin ,  selon  qu'il  le  jugeait  nécessaire.  Ccst  pourquoi 
il  abdique  ce  pouvoir  législatif  qu'on  ne  lui  laisse  plus  Kbre ,  et  il  rentre 
dans  la  vie  privée.  Certes  ce  n'est  pas  là  un  symptôme  qui  annonce  que 
Topimon  se  défie  des  whigs  Et  en  effet,  leur  attitude  VTS*à-vis  de  ta  pai* 
rie  JQStiiepleiûeflieDi  la  coofiaaee  que  montre  ea  eux  TAngleterre. 


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ftBVI».  —  GHftOllIQDB.  Slf 

Le  parlemoit  a  entamé  la  diacussioii  du  bill  qui  prétend  réfonacr  le 
temporel  de  I*égli8e  anKiicane.  On  conçoit  que  régliie  elle-même  taoe* 
tionoe  les  principes  de  celte  mesure  débonnaire,  et  qn'elleati  la  magot* 
Bimilé  de  Tappuyer.  La  douloureuse  réforme,  en  effet,  pour  le  clergé» 
que  celle  qui  laisse  è  Tarcbevéque  de  Cantorbéry  un  traitement  de  15,060 
lîffes  sterling,  et,  proportionnel iemeot,  des  revenus  analogues  aut 
éréques  inférieurs  dans  la  biérarcbie  ! 

Mistress  Norton  n'a  pas  quitté  Londres  pour  Paris,  ainsi  qu'on  l'avaH 
assuré.  Il  était  au  contraire  question ,  la  semaine  passée,  d'une  fête  bril* 
Isole  que  le  duc  de  Devonshire  devait  lui  donner  en  manière  de  ré- 
paration d'bonneur.  C'est  dommage  que  celte  générosité  ait  tout  l'air  de 
demeurer  un  bruit  de  salon.  Il  eût  suffl  d'une  mazurque  dansée  à  De^ 
^mahire^ousê  par  sa  grâce  avec  mistress  Norton,  pour  réhabiliter  par* 
toutail.ears  la  petite-fllle  de  Sberidan.  Mais  tout  ami  qu'il  soit  du  minis<^ 
1ère  Melbourne,  le  noble  duc  aura  réfléchi  que  le  monde  eicluslfda 
Wêtt'EiÊd  se  compose  de  dix  tories  contre  un  whig.  Il  n'aura  pas  eu  It 
coorage  de  compromettre  si  gravement  sa  haute  autorité  fashiooable. 

En  Espagne ,  la  guerre  civile  s'est  un  peu  ranimée,  devançant  le  rérefl 
prochain  de  la  guerre  parlementaire.  Il  ne  parait  pas  toutefois  que  le 
retour  de  Cordova  à  l'armée  ail  amené  jusqu'à  présent  la  réussite  des 
savantes  t  ombinaisons  stratégiques  qu'il  annonçait.  Loin  de  là,  ont  dit 
quelques  correspondances,  l'une  des  colonnes  de  Ylllaréal  se  serait  portée 
sur  les  Asturies  à  travers  les  Anglais  et  les  chrisHnos.  Cette  évolution 
Aït-elle  rét^lle,  le  gouvernement  de  Madrid  n'aurait  pas  à  s'en  effrayer 
beaucoup.  Ce  ne  serait  encore  là  probablement  qu'une  de  ces  trouées  té-> 
méraires,  mais  sans  résultat,  qui  exercent  depuis  trois  ans  l'agilité  des 
troupes  carlistes. 

La  nouvelle  du  désastre  de  Sauta -Anna  n'est  plus  douteuse.  Voilà 
le  Mexique  sans  président  et  son  armée  sans  géuéral.  Ce  double  échec 
pourra  faciliter  promptement  le  triomphe  de  l'insurrection  de  Houston. 
Le  Texas  se  précipiterait  vite  alors  daus  les  bras  des  Èiats-lJuis,  dont 
rhypocrite  convoitise  oe  cherche  depuis  long-teuips  qu'un  prétexte 
beonéte  pour  s'emparer  de  cette  riche  province.  L'esclavage  est  chez 
elle  en  suprême  honneur;  n'est-ce  pas  là  un  titre  sufGsant  et  qui  la  rend 
digne  d'être  agrégée  d'emblée  à  la  grande  république  fédérative?  Ainsi 
l'admission  du  Texas,  une  fois  votée  par  le  congrès,  l'Union  cesserait 
même  d'être  également  partagée  entre  les  états  à  esclaves  et  les  états  qui 
interdisent  le  trafic  de  la  race  noire.  Les  premiers  gagneraient  la  majo- 
rité; ils  seraient  quatorze  contre  treize.  L'honorable  conquête  qu'aurait 
ùûte  la  terre-modèle  des  pays  et  des  hommes  libres! 

16. 


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su  RBTUB    DBS  DBI7X 

Notre  session  législative  a  été  définitivement  close  cette  semaine.  Li 
chambre  des  pairs  avait  été  le  seul  rouage  de  la  machine  oonstitutioQ- 
nelle  qui  edt  fonctionné  durant  la  quinzaine.  On  a  remarqué,  sinon  lei 
rapides  débats  de  ses  dernières  séances,  au  moins  quelques-uns  des  dis- 
cours prononcés  par  difTérens  pairs,  itf.  Gautier  a  déploré  vivement  ft- 
bligation  qui  contraint  la  chambre  de  voter  sans  discussion  et  à  la  bite, 
chaque  année,  le  monceau  des  budgets  accumulés.  Peut-être,  en  edct, 
serait-il  convenable  que  la  pairie  pût  les  vérifier  à  loisir.  En  tout  tu, 
elle  doit  comprendre  qu*il  ne  s'agit  pour  elle  que  de  les  enregistrer  pare- 
ment et  simplement.  Nous  imaginons  que  l'exemple  de  FAngleterre  doit 
faire  autorité  en  matière  de  gouvernement  représentatif.  Eh  bienl  ca 
Angleterre,  les  lords  ont  aussi  le  droit  d-amender  les  lois  de  finance; 
mais,  de  fait,  jamais  ils  n'en  usent.  S'ils  s'avisaient  d*eu  renvoyer  ooei 
la  seconde  chambre  avec  un  seul  chiffre  altéré,  leur  amendement  serait 
soudain  foulé  aux  fûeds  par  les  communes.  C'est  pourquoi ,  tandis  qu'elics 
votaient  dernièrement  les  résolutions  du  chancelier  de  Téchiquier,  teo- 
dant  à  diminuer  le  droit  du  timbre  des  journaux,  chacun  se  disait: 
a  Enfin ,  voilà  un  bill  contre  lequel  ne  pourra  rien  la  méchante  volonté  de 
la  pairie,  b  Le  discours  semi-diplomatique  et  semi-carliste  de  M.  de 
Noailles  n'a  guère  paru  qu'un  pâle  et  lointain  reflet  de  celui  de  M.  le  doc 
de  Fitz-Jamcs  à  la  chambre  des  députés.  On  se  serait  peut-être  ég^é 
davantage  aux  dépens  de  M.  Bigot  de  Morogues,  à  propos  de  sa  boutade 
obscurantiste,  si  elle  n'eût  été  suggérée  par  des  circonstances  qui  ne 
donnaient  nulle  envie  de  rire.  Le  vote  du  budget  de  la  guerre  n*a  pis, 
bien  entendu,  soulevé  sérieusement  de  nouveau  la  question  d'Alger.  Il 
n'a  été  qu'une  occasion  de  prouver  encore  que  le  gouvernement  compreod 
bien  la  volonté  du  pays,  en  voulant  lui-même  résolument  le  maintien  et 
la  protection  armée  de  notre  colonie.  Il  n'est  plus  désormais  permis  d'ea 
douter;  Alger  sera  une  France  africaine,  qui  n'aura  qu'à  grandir  et  à 
prospérer  sous  le  regard  de  la  mère- patrie. 

La  liste  des  nouveaux  fonctionnaires,  publiée  mercredi,  a  semblé,» 
premier  aspect ,  quelque  peu  bigarrée.  Les  uns  y  ont  trouvé  de  la  gancbe; 
les  autres,  du  centre  gauche  ;  ceux-ci,  de  la  doctrine  ;  ceux-là,  une  légère 
nuance  de  légitimisme.  Nous  ne  serions  point,  pour  notre  part ,  disposés 
à  blâmer  beaucoup  ces  sortes  de  mélanges.  A  moins  qu'il  ne  s'agisse  de 
noms  tout-àfait  dévoués  au  gouvernement  déchu,  il  n'est  pas  d'un  mauvais 
exemple  que,  dans  le  choix  de  ses  délégués,  l'administration  consulte  les  hi- 
mières  des  candidats  plutôt  que  leuropiuion.  L'admission  aux  emplois  des 
capacités  diverses,  indépendamment  de  leur  manière  de  penser,  pourrait 
aider  aussi  à  l'accomplissement  si  souhaitable  de  la  réconc.Iiation  générale 
des  partis.  Parmi  les  nominations  nouvelles,  quelques-unes  ne  sont  qoe 


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REVUE.  —  CHRONIQUE.  245 

des  actes  de  justice  et  de  réparatioo.  Le  choix  le  plus  remarquable, 
celui  de  M.  Oufoure,  montre  qu*il  D*y  a  plus  d'exclusion  inflexible ,  pas 
même  contre  Fextréme  gauche.  C'est  en  effet  de  ce  côté  de  la  chambre 
qu'est  parti  M.  Dufaure  pour  arriver  au  conseil-d'éiat  M.  Dufaure, 
ancien  signataire  du  compte-rendu ,  est  l'un  des  hommes  parlemen- 
taires dont  l'influence  a  été  le  plus  laborieusement  acquise  ;  son  débit 
est  terne,  son  argumentation  serrée;  il  résume  une  discussion  avec  une 
vigueur  et  une  clarté  remarquables ,  et  enlève  un  vote  de  la  chambre, 
non  pas  par  un  de  ces  coups  de  tonnerre ,  une  de  ces  éloquentes  sorties 
familières  à  M*  Berryer  ou  à  M.  Dupin,  maison  échauffant  graduelle- 
ment son  auditoire;  on  croit  toujours  en  entendant  M.  Dufaure  n'avoir 
jamais  le  courage  de  l'écouter  jusqu'au  bout,  et  il  est  difficile  de  ne  pas 
partager  à  la  Gn  un  avis  si  bien  déduit.  La  nomination  de  M.  Dufaure  et 
celle  de  M.  Félix  Real,  sont  deux  loyales  satisfactions  données  aux  opi- 
nions de  la  gauche  modérée.  Il  faut  espérer  que  l'on  ne  se  bornera  pas  à  des 
témoignages  d'estime  envers  les  hommes,  et  que  la  presse  aura  bientôt 
à  constater  d'autres  améliorations  qu'on  est  endroit  d'attendre  et  d'exiger. 
Nul  mouvement  ne  se  fera  dans  la  diplomatie.  M.  Guizot  n'a  pas 
plus  sollicité  l'ambassade  de  Londres  qu'on  n'a  songé  à  la  lui  offrir  :  le 
poste  d'ailleurs  n'est  point  vacant.  Le  général  Sébastiani  n'a  pas  la 
moindre  envie  de  l'abandonner,  et  il  ne  s'agit  pas  davantage  de  l'en  re- 
tirer. Sa  santé,  aujourd'hui  rétablie,  le  rend,  dit-on,  très  su  flsant  près 
du  cabinet  de  Saint-James.  Il  est  du  moins  certain  que  notre  ambas- 
sadeur, qui  vivait  dans  une  profonde  retraite  l'an  passé,  a  fait  grande 
figure  durant  toute  la  présente  saison:  il  a  ouvert  ses  salons  au  monde 
fashionable,  et  donné  des  féics  à  Manchester-Square,  qui  ont  rivalisé  avec 
les  plus  splendides  routs  du  West-End. 


—  Un  journal  annonce  qu'un  de  nos  collaborateurs ,  M.  Sainte-Beuve, 
est  sur  les  rangs  pour  la  place  vacante  à  la  bibliothèque  de  Saintc-Geue- 
Tiève.  Ce  bruit  n'a  aucun  fondement. 

—  Les  poésies  de  M.  Jean  Rcboul  se  recommandent  elles-mêmes  in- 
dépendamment de  l'intérêt  qu'excite  leur  auteur.  Un  talent  incontestable 
s'y  produit.  Le  vers  est  partout  élégant,  correct,  harmonieux,  bien 
coupé.  L*auteur  sait  tous  les  secrets  de  la  nouvelle  école;  il  les  sait  trop 
bien  peat-ôtre.  Nous  lui  voudrions  moins  de  savoir-faire  et  plus  d'origi- 


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MA  REVW  (Mi  BBDX  MâHBBS. 

nalfté.  rimagliie  qiTil  eût  gafné  à  noios  étndier  let  dkierws 
46  MM.  Hago  et  Lamartine.  Il  fût  demearé  davanta^  loi-meme,  m 
e*eAt  été  pour  lai  toat  profit;  car,  Il  faut  bien  le  dire,  dftos  cette trea* 
laine  de  movt^anx  lyriqeei  qQ'il  nous  donne,  il  n*y  a  rien  ftbsolnment  du 
boulanger  de  Nîmes.  Nous  ne  reconnaissons  pas  à  un  seul  passage  le  paèie 
ouvrier,  le  poète  du  peuple,  et  c'était  le  poète  du  peuple,  le  poète  oé^ 
¥rier  surtout  que  nous  étions  curieux  de  voir.  Noos  regrettons  sincèr^- 
ment  que  M.  Reboni  n'ait  pas  tiré  de  sa  position  tout  le  parti  qu'il  fNMi- 
vaît.  Plus  il  eût  été  simple,  plus  il  nous  eût  dit  son  humble  condition  et 
la  lotte  de  sa  mute  contre  le  labeur  de  sa  vie ,  plus  il  se  fdt  élevé ,  plasfl 
eût  grandi ,  pins  il  eût  en  de  chance  de  se  faire  un  grand  nom  à  pirt, 
rival  peut-être  de  œui  de  Bnrns  et  de  Hogg.  Mais  avec  rmstrameflt 
poétique  quil  possède,  M.  Heboul  ne  se  doit  point  décourager.  Qui 
s'inspire  de  sa  situation  !  qn'H  nous  dise  uniquement  ses  propres  émiK 
tlons,  et  non  point  celte  des  autres.  Qui  sait?  Ne  pourrait-il  pasabn 
devenir  quelqae  cbose  comme  le  Bnrns  de  la  France?  Noos  ne  loi  sooliii- 
Cerions  pas,  qaant  à  nous,  d'antre  gloire. 

-—  M.  Jules  de  Saint-Félix  vient  de  publier  un  roman  sous  le  titre  db 
Clèopûtre.  Qu'on  se  rassure ,  ce  roman  n'est  pas  une  réimpression  de  cela 
de  la  Galprenède.  Les  Komafns  de  M.  de  Saint-Félix  ne  portent  point  te 
justaucorps  de  buffle ,  les  manchettes  brodées  et  la  longue  épée  des  raf- 
finés de  la  cour  de  Louis  XHI;  son€aton  n'est  point  galant,  sonBratos 
n'est  point  dameret.  Sa  Cléopatre  n'a  jamais  mis  le  pied  à  Thotel  Ram- 
bouillet; il  hri  faut  les  portiques  de  marbre  et  les  écoles  d'Alexandrie;  H 
lui  faut  pour  amant  ce  gros  soldat  qui  péchait  des  poissons  tout  cuits  et 
mangeait  un  sanglier  à  son  repas.  Ce  roman  de  M.  Saint-Félix  est  vrai- 
ment une  étude  curieuse  et  qui  mérite  d'être  lue  avec  quelque  attention. 
JLes  erreurs  de  détail  ne  manquent  point,  mais  l'ensemble  est  original  et 
vrai,  le  style  a  de  l'ampleur  et  de  la  solennité. 

—  Les  livres  qui  ont  la  bonne  fortune  d'une  nouvelle  édition ,  sont  rares 
aujourd'hui.  Le  Chemin  de  Traverse,  de  M.Jules  Janin,  est  du  petit  doiD' 
bre  de  ces  livres  que  le  public  adopte.  La  troisième  édition  vient  de  pa- 
raître entièrement  refondue.  Nous  consacrerons  prochainement  un  article 
à  l'auteur  du  Càemin  de  Traverse. 

—  La  quatrième  livraison  de  Richelieu,  Mazarin,  la  Fronde  ef  le  Règ»^ 
de  Louis  XtV,  par  M.  Gapefigue,  parait  diez  le  libraire  I>ofey.  0!* 
éaxL  volumes  vont  jusqu'à  la  mort  de  Maxarin.  1}ne  grande  curiosii^ 


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RCTOS.  —  CBRONIQUB.  S47 

Mfadie  à  celte  pablîcation ,  qnl  contient  :  1*  fliistofre  municipale  de 
Ptris  daraiit  la  fronde,  d'après  les  documens  de  Hnôlel-de- rilte; 
9* fliistoire provinciale  et  parlementaire  de  cette  époqiTesi  dramatique, 
et  par  conséquent  la  fronde  à  Lyon ,  Marseille,  Toulouse,  Rouen,  etc...; 
STInstoire  des  métiers,  confréries,  associations  industrielles,  des  pam- 
phlets et  de  la  littérature  frondeuse;  4^  Tbistoire  diplomatique  des  traités 
deMnnster,  Westplialie  et  des  Pyrénées,  d*après  les  pièces  et  documens 
inédits. 

— (^  Simon  de  George  Sand ,  que  nous  avions  donné  dans  la  Kevue,  a 
reparu  en  un  volume,  il  y  a  quelques  jours,  et  il  est  déjà  à  sa  seconde  éili- 
tion.  Ainsi  un  premier  succès  se  trouve  confirmé  par  une  nouvelle  sanc- 
tion de  Topinion  publique,  qui ,  toujours  impartiale  et  juste,  répond  à  sa 
manière  aux  absurdes  pamphlets  de  la  presse  anglaise,  si  paternellement 
et  si  amoureusement  introduits  par  la  Hevue  Britannique  dans  le  monde 
partsien.  Ce  fait  est  important  à  constater,  car  il  accuse  un  progrès  réel 
et  incontestable  dans  cette  grande  masse  du  public,  qui  lit  sans  préven- 
tion et  juge  arec  équité.  La  donnée  de  Simon^  que  tous  nos  lecteurs  con- 
naissent, est  simple;  l'auteur  s*est  placé  entre  les  réalités  les  plus  commu- 
nes de  la  vie  provinciale  et  les  haol es  régions  de  la  poésie  intérieure  et  de 
rhoanenr  fdéal.  Nous  avons  tous  connu  maître  Parquet,  le  vieil  avocat  de 
province;  nous  avons  dîné  avec  lui ,  nous  avons  ri  de  sa  bonne  et  franche 
gitpté,  et  si  nous  aA'ionsun  procès  dans  son  département,  rous  ne  vou- 
drions pas  confier  à  d'autres  mains  qu*aux  siennes  la  direction  de  nos 
afTarres.  Fiamma  n'est  pas  précisément  de  sa  famille;  mais  elle  s*y  est 
sans  peine  acclimatée;  et,  trop  fiere  pour  être  vaine,  elle  n'a  jamais  fait 
sentir  è  ces  bonnes  gens  qu'elle  n'était  pas  des  leurs.  Superbe ,  indépen- 
dante, dédaigneuse  des  préjugés  et  des  lois  sociales,  et  quelque  peu 
parente,  j'imagine,  de  la  Sylvia  de  Jarqties^  elle  est,  comme  elle,  fille 
delà  montagne  ;  le  soleil  du  Midi  a  échanffé  son  ame  et  bronzé  sa  peau. 
Maftre  Parqnet,  c'est  la  vie  positive,  même  un  peu  trop  matérielle; 
Fiamma,  c'est  l'idéal ,  c'est  la  poésie,  la  contemplation,  le  détachement 
mondain .  Mais  commentées  deux  âmes  étrangères,  filles  de  patries  si  éloi- 
gnées, se  sont-elles  rencontrées?  et  connnent  à  la  première  rencontre 
ncse  sont-elles  pas  à  jamais  séparées?  Parqnet  a  un  neveo ,  ce  neveu 
aime  Fiamma,  il  en  est  aimé;  Simon  est  donc  le  lien  des  deux  natures; 
c'est  par  lui  qu'elles  communiquent  et  qu'elles  s'entendent.  Avocat, 
comme  son  oncle,  il  songe  à  l'avenir,  il  a  besoin  d'une  carrière  et  feiiil- 
fette  le  HitVelin  dps  Lot<.  Voilà  Phomme  extérieur;  mais  Thomme  inté- 
rieur liabite  ailleurs  que  dans  l'étude;  ses  insli  cts  sont  poétiques  :  Il 
aime  la  solitude ,  il  s'y  délasse ,  il  la  cherché;  c'etit  là  quMl  a  trouvé 


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S4S  RBVUB  DES  DEUX  MONDES. 

Fiamma.  Ces  deux  âmes  sœurs  se  sont  bientôt  reconnues ,  elles  ne  yenlest 
plus  se  séparer;  mais  si  l'idéal  les  unit,  le  positif  les  divise.  De  là  des  com- 
bats, des  larmes ,  des  doutes ,  une  longue  attente  ;  mais  les  nobles  insUodi 
re(nporient ,  la  victoire  leur  reste. 


COMMERCE  DE  L'ILE  DE  CUBA. 


Un  économiste  distingué,  M.  Ramond  de  la  Sagra,  auteur  d'une  his- 
toire de  rile  de  Cuba,  vient  de  livrer  à  la  publicité  de  nouveaux  doco- 
meus  statistiques  sur  cette  Ile  (1) ,  dont  il  a  le  premier  fait  connaître  tOQlc 
l'importance.  Nous  lui  empruntons  les  résultats  suivans,  qui  démontre- 
ront mieux  que  tous  les  raisonnemens  l'intérêt  qu'ont  les  métropoles 
elles-mêmes  aux  développemens  industriels  et  commerciaux  de  leon 
colonies. 

La  prospérité  croissante  du  commerce  de  l'tle  de  Cuba  n'est  pas  doe 
seulement  au  développement  de  son  industrie  agricole,  mais  bien  phis 
encore  à  l'ensemble  des  mesures  protectrices  et  des  réformes  introduites 
dans  l'administration  de  la  douane. 

Une  révision  des  tarifs  était  le  premier  besoin  du  commerce.  Le  gon- 
vernement  local ,  loin  d'y  chercher  le  moyen  d'augmenter  les  recettes  do 
fisc,  se  montra  uniquement  préoccupé  du  désir  d'accroître  l'activité 
commerciale,  et,  par  suite,  la  prospérité  du  pays. 

C'est  en  partant  de  cette  base  qu'il  s'efforça  d'appeler  dans  les  ports 
de  rile  la  concurrence  des  divers  pavillons  étrangers,  qui  assuraient  no 
débouché  aux  récoltes,  tout  en  conservant ,  d'ailleurs ,  au  pavillon e^- 
gnol  les  facilités  d'écouler  ses  approvisionnemens  particuliers. 

Dans  les  premières  années  de  l'époque  que  j'examine,  dit  l'auteur,  le 
nombre  et  l'activité  des  corsaires,  sous  le  pavillon  des  nouve^iux  étati 
indépendans  de  l'ancienne  Amérique  espagnole,  avaient  tellement  pan- 

(i)  Brève  idea  de  la  adminutraeion  del  eommhvîo  y  de  las  tentas  ffostôt  de 
Jb  ista  de  Cuhm,  durante  les  annos  de  iS»6  a  i8i4 ,  par  D.  BjtinoQ  de  laSasf*- 
Parif,  i836.   . 


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EEVUE.  —  CHRONIQUE.  Si9 

lysé  les  commanications  maritimes  entre  la  métropole  et  Ftle  de  Cuba , 
qae  le  gonvememeot  de  Madrid  se  vit  forcé  d'accorder  des  licences  poar 
rinirod  action  des  produits  espagnols  sous  pavillon  étranger.  Cette  mesure 
eût  été  un  véritable  arrêt  de  mort  pour  le  pavillon  espagnol ,  si  lo  gouver- 
nement local  de  Tlle  de  Cuba  n'eût  mis  en  œuvre  toutes  ses  ressources  pour 
en  atténuer  les  inoonvéniens ,  soit  au  moyen  d'escortes  respectables  qui^ 
pendant  les  années  1827,  1828  et  1829,  protégèrent  les  bâtimens  espa- 
gnols, soit  en  réduisant  à  3  pour  100  pour  le  pavillon  espagnol  le  droit 
d'entrée ,  que  le  pavillon  étranger  acquittait  sur  le  pied  de  24  et  de  30 
pour  100  y  et  même  de  60  pour  100  lorsqu'il  s'agissait  de  protéger  le  pla- 
cement des  farines  espagnoles. 

L'impulsion  donnée  à  la  navigation  nationale  par  ces  mesures  fut  telle, 
qu'elle  commença  par  affecter  les  ressources  du  trésor. 

En  1826,  les  importations  nationales  directes  étaient  descendues  à  la 

somme  de  ...  , 409,353  pesos. 

Et  les  exportations  ne  dépassaient  pas 500,000 

Dans  la  même  année,  l'importation  générale  n'excé- 
dait pas 2,858,793  p.  f. 

-   £d  1828,  cette  importation  s'éleva  à #  .  .  •    4,523,302 

En  1829,  elle  fut  d'environ ^  5,000,000 

Le  pavillon  national,  si  rare  en  1826,  introduisit  en  1830,  en  produits 
e^Mignols  de  la  Péninsule,  une  valeur  de.  •....••  .    3,224,268  p.  t 
Et  exporta  pour  TE^pagne  une  valeur  à  peu  près  égale. 

Le  pavillon  étranger^  à  la  même  époque,  n'introduisit  plus,  en  produits 

et  la  Péninsule,  que  pour  emtiron  .  •  .  •  • •    1,500,000  p.  f. 

en  opérant  un  retour  d'un  peu  plus  de.  ...  • 750,000 

Les  progrès  de  l'industrie  nationale  continuèrent.  En  1833,  le  com- 
meree  espagnol,  sous  pavillon  espagnol,  introduisit  pour  une  valeur 
de 3,134,071  p.  f. 

La  navigation  étrangère,  en  produits  nationaux,  se 
trouva  réduite  à  une  introduction  de  •  é  ....••.•  «        51,710 
et  à  une  exportation  de  ••......  • •        10,561 

En  1834,  l'importation  sous  pavillon  espagnol  fut  de.  •    3,407,094  p.  f. 

Celle  provenant  de  la  métropole,  sous  pavillon  étran- 
ger, de.  ... •  .  5,393 

U  faut  avouer  que,  parmi  les  mesures  citées  par  l'auteur  oomme  ayant 


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2!M  EETUK  ABS  IMSUX  MONUES. 

contribué  à  la  profl|iérité  réceote  de  la  Hafane ,  il  en  est  qui  témoii^Mat 
encore  bien  plus  de  l'ignorance  profonde  de  Tamcienne  administratki 
que  des  progrès  de  la  nouTelle»  telles  que  Texisience  d'anciens  droiuii 
83  lj2  pour  100  pour  rimportation  et  de  17  pour  106  sur  l'eairaciiia 
des  sucres;  telles  encore  les  entraves  lisealea  mises  aux  transactioiis  <ii 
commeroe  intérieur  de  l'Ile  ou  à  la  {réqueniaiioD  des  perla ,  autres  qsi 
ceux  de  la  Havane  et  de  Saiot- Yago ,  ièrinés  au  eomnaerce  extérksr 
jusqu'en  1826. 

Parmi  les  améliorât  ions  qu'il  signale  se  trouve  comprise  la  rédnctiai 
du  droit  sur  les  sucres  à  la  sortie ,  qui ,  de  17  peur  106,  sur  une  èvalni- 
tion  de  16  réaux  l'ârrobe,  n'est  plus  que  de  3  réaux  (i  titre  d'impit 
municipal)  sous  pavillon  espagnol ,  et  de  4  réaux  sobs  pavillon  étrav^er. 
La  valeur  ofGrielle,  servant  à  la  perception  de  cet  impOt,  a  été  réduite 
de  16  réaux  successivement  à  12,  à  8  et  à  7,  alors  que  le  prix  véoai 
est  moBtéde  8  réaux  l'arrobe  à  16  réaux  (1)  et  au-delà.  On  a  égalenrot 
exempté  de  tout  droit  de  tonnage  le&bàtimens  entrant  etsorta^  sur  kH; 
la  réduction  au  droit  de  tonnage  est  de  20  réaux  à  12  réaux  par  tonneaa 
de  marchandises,  en  faveur  du  pavillon  étranger.  Une  prime  de  2  pesoi 
est  accordée  par  sortie  d'un  tonoeau  de  mélasse  sous  pavillon  étraogec 

D'heureuses  réformes  opérées  dans  les  di0èrentes  braocbea  de  l'ad- 
nistration  concoururent,  avec  les  modifications  apportées  au  système  dei 
douanes,  à  produire  une  augmentation  de  recettes,  telle  que,  de  1825 à 
Mi<i,lepfltncipBl  revenu  puUies*élevade3,826^ô&2  p.Là      4,2B4,S28p.f. 

En  i82f7,  il  était-de. 5,255,860 

Ainsi,  en  deux  années  seulement,  il  y  avait  une  aug- 
mentation de I,629,aû8 

D'autres  branches  de  revenu  donnèrent  également  de  notables  aogas»- 
tationa,  en  aorte  qu'en  trois  années,  de  1826è  1828,  l'augmentation  totali 
des  recettes  sur  celles  de  1825  fut  de 6,957,832 p. f. 

La  progression  ne  s'est  point  arrêtée  là. 

le  moavement  général  da  commerce  maritime  fut. 

En  1826,  de 28,735,522  p.  L 

En  4827,  de  ... • 31,639,047 

En  1828,  de 32,649,285 

(i)  En  i835,  le  sucre  de  la  Havane  s*ett  élevé  jusqu'au  prix  de  9  donrof  (aoit 
lo  francs  rairobe]  en  sucre  dit  qmefraJo,  c*esi  à-dire  moitié  terré  et  meitièbral. 
n  faut  m  chercher  U  rtisott  daas  les  d'unies  que  le  bill  d*éaianei^tioa  a  fut  i 
flir  ks  produits  .iUtéci«ar».d«f  f Imlaiions  bftlanDJqma^ 


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REm.  —  CHMiif«a»  mt 

Les  années  1820  et  1830  se  tinrent  à  peu  près  à  ce  ni* 
Teau  ;  1831  et  1832  éprouvèrent  quelques  réductions  ; 
1833  remonta  au  niveau  de  1830. 

Bn  1834,  le  mouvemeot  commereial  s'est  élevé  à.  .  .  33,051,255  p.  f. 
Dans  ces  dernières  années,  dit  Tauteur,  le  comaidree  maritime  de  l'île 
doit  ôtxe  estimé  sur  le  pied  d'une  importation  de.  .  .  ,    19,000,000  p.  f» 

et  d'une  eiportation  de 14,000,000 

dont  la  vatear  réelle  est  de  plus  de  20  millions,  ainsi  qu'il  l'observe, 
puisque  celte  évaluation  Qst  celle  du  tarif  officiel,  inférieur  aujourd'hui 
pour  le  socre  de  beaucoup  plus  ée  moitié  à  la  valeur  vénale  de  celte 
4enré«. 

Son  résumé  des  exportations  de  1834  entre  dans  le  détail  ci-après  : 

Sucre,  —    8,408,231  arrobes. 

Café,    —    l,8n,315  (en  1833,  2,500,000  arrobes )• 

Miel ,    —       104,213  boucanis, 
ions  parler  des  antres  produits  dont  rexportation  eroissante  est  prouvé» 
par  Teiemple  ci'^après  : 

Tabac  en  feuilles  exporté  en  1828 70,000  arrobes; 

en  1830 160,000 

Quant  an  tabac  travaillé  (cigares  et  râpé),  Texportslion  s'est acccrue^ 
de  1828  à  1834,  de  210,000  livres  à  616,020  livres;  ce  qui  pron^ 
qu'abstraction  faite  de  l'énorme  consommation  locale  de  ce  produit,  la 
culture  en  a  triplé  dans  l'espace  de  six  années. 

Sous  le  régime  de  la  ferme,  et  à  l'époque  la  plus  florissante  de  ce  ré- 
gime, la  fabrique  de  la  Havane  n'exporta  jamais  plus  de  110,000  arrobes 
par  an  de  tabac  en  poudre  ou  en  feuilles. 

Cette  riche  culture  est  susceptible  d'un  accroissement  incalculable 
(le  septième  seulement  de  l'Ile  de  Cuba  est  en  culture] ,  en  l'associant  à  un 
sage  système  de  colouisatiou  blanche,  si  nécessaire  aujourd'hui  à  l'Ile  de 
Cuba  pour  sa  sécurité  présente  et  sa  prospérité  future.  C'est  an  gouver» 
nemeot  de  couvrir  ce  système  de  sa  protection  diF«cte  et^'une  coopéra- 
tion efficace.  Il  en  résultera  de  grandes  améliorations  dans  l'état  de 
Fagriculture ,  et  ce  résultat  peut  seul  résoudre  les  questions  aussi  con- 
troversées que  mal  posées  de  la  culture  confiée  à  une  population  libre. 


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S32  EETIS  HBS  DEUX  aOHDBS. 


REVENUS  ET  DÉPENSES  PUBLIQUES. 

Eq  1825,  le  revenu  de  Vt\e  s^élevait  à  la  somme  de.  .    5,729,198 p. f. 
Ed  1826,  après  les  réformes  de  son  tarif  et  de  ses 

autres  impôts,  à  celle  de 7,097,986 

En  1827,  ce  revenu  s*élèva  è 8,460,974 

En  1828,      —      —      —  à.  ...  • 9,086,407 

En  1829,      —      —      —  à 9,142,612 

Le  revenu  des  années  suivantes  s'est  toajours  maintenu 

à  peu  près  sur  le  pied  de 9,000,000 

L'intendance  de  la  Havane  proprement  dite  et  la  sub- 

déiégation  de  Matauzas  entrent  dans  celte  somme 

pour »  •  •  •    7,000,000p.f. 

Ce  résultat  fut  obtenu  par  une  simplification  et  une  réduction  des  ta- 
rifs qui  augmentèrent  l'importance  du  mouvement  commercial  et  de  k 
tonsommation  intérieure.  On  a  déjà  vu  quel  accroissement  avait  pris  il 
production  du  tabac  Cet  accroissement  date  de  l'époque  de  la  suppressioa 
des  impôts  qui  grevaient  spécialement  cette  culture» 

Don  Ramonde  laSagra  rappelle  ici  les  proportions  des  diverses  aooroes 
de  revenu  public  de  Cuba,  telles  qu'il  les  avait  déjà  établies  dans  son  grand 
ouvrage  statistique  : 

67  2|3  p.  100.    Fournis  par  le  commerce  maritime,  c'esU 
à-dire  les  tarife  de  douane  et  les  droits 
de  navigation; 
24  1(2      —      Contributions  territoriales; 
2  2|3      —      Retenues  sur  le  traitement  des  fonc- 
tionnaires; 
t  2(3      —      Retenues  exercées  sur  les  rentes  et  re- 
venus ecclésiastiques; 
8  1|2      —      Droits  divers. 

TOTAt .  .     100 

En  1834,  les  droits  d'entrée  donnèrent 4,405,314  p.  f. 

Les  droits  de  sortie 692,974 

En  partant  de  la  base  des  valeurs  officielles ,  l'importation  se 
trouve  ainsi  chargée,  sur  toutes  provenances,  d'un  droit  moyen  d'en- 
▼iroo , u  p.  100 

Et  l'exportation  d'un  droit  moyen  de 4  7(10    — 


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EBTDB,  —  CBaONIQUI.  255 

Dans  rhistoire  statistique  de  1*lle  de  Cuba,  écrite  en  1831,  l'auteur  es- 
timait le  produit  net  de  Tagriculture  et  de  l'industrie  locale  è  la  somme 

de 32,808,622  p.  f.; 

supportant  un  impôt  de  5  p.  100. 

Aujourd'hui  que  les  produits  annuels  se  sont  accrus  et  que  l'impôt  a 
éprouvé  des  réductions,  le  fardeau  fiscal  ne  peut  être  estimé  au-dessus 
de  3  p.  100. 

L'auteur  avait  également  calculé  en  1831  que  la  consommation  de  l'Ile 
de  Coba ,  tant  en  prodoits  locaux  qu'en  produits  étrangers  à  sou  sol,  pou- 
vait s*étever  à  une  valeur  de.   •  .  • 53,326,406  p.  f. 

L'auteur  fait  ici  un  Calcul  d*oà  il  condut  que  Fimpôt  général  ne  s'élève 
pas  au-delà  du  sixième  de  la  valeur  des  consommations;  mais,  d'un  autre 
côté,  il  parait  que  dans  ce  calcul  ne  figurent,  bien  qu'étant  à  la  cliarge 
delà  colonie,  ni  les  frais  d'eutretien  du  clergé,  ni  les  frais  de  la  corres- 
pondance maritime  (celle-ci  doit  rapiiorter),  ni  les  produits  delà  loterie, 
ni  les  taxes  municipales,  ni  certaines  charges  attachées  à  certaines  pro- 
priétés. 

De  1825  à  la  moitié  de  1828,  les  caisses  de  la  Havane  fournirent  à  l'en- 
tretien de  Tescadre  près  de  4,000,000  p.  f .,  et  en  outre  remirent  à  la 
Péninsule  plus  de  2,500,000  p.  f.  :  on  se  trouvait  alors  menacé  d'une  dé- 
pense annuelle  de  près  de  10,000,000  p.  f. 

Pour  y  faire  face  sans  recourir  à  de  nouveaux  impôts,  on  fit  de 
grandes  réformes  administratives,  et  on  réduisit  les  frais  de  perception  à 
305,053  p.  f.,  c'est-à-dire  à  3  3i4  pour  100  du  total  des  contributions. 
En  1829,  l'entrée  en  caisse  de  la  Havane  fut  de.  .  .  .    7,115,788  p.  f. 

Mais  l'escadre  absorba  près  de 1,500,000 

Les  traites  de  la  métropole  plus  de 500,000 

La  solde  des  troupes 2,136,714 

Enfin  les  frais  de  la  légation  des  États-Unis,  habituellement  défrayée 
par  le  trésor  de  Cuba,  et  les  dépenses  des  autres  intendances  portèrent 
le  total  de  la  dépense  à 9,140,550  p.  f. 

Dont  le  service  de  terre  absorba.  •  .  40  pour  100 

L'escadre 17  li4 

L'administration  civile  et  autres  dé- 
penses locales 11  ll4 

L'auteur  ne  spécifie  pas  remploi  du  surplus. 

En  1830,  les  dépenses  générales  de  l'Ile  s'élevèrent  à.  .    8,838,214  p.  f. 

Dont  l'escadre  et  la  garnison  absorbèrent.  • 5,385,826 

L'année  1830  termina  la  période  quinquennale  de  la  nouvelle  admi- 
i^stration,  qui  ne  put  réussir  à  faire  face  à  ses  dépenses  extraordinaires, 


68  1(2  poor  100 


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Google 


SSS  RBVUB  DES  DBVX  MOflDBS. 

qu'en  raifon  de  raogmeotailon  de  14,444,180  p.  f.  que  les  imp^  de 
mttt  période  produisirent  par  comparaison  avec  la  période  de  1821  à 
i9S&. 

Dans  les  années  suivantes,  la  réduction  des  forces  navales  et  des  troopes 
tfetCinées  auparavant  à  des  expéditions  en  terre  ferme  permit  d'appliquer 
«ae  partie  du  revenu  public  à  des  dépenses  locales  commandées  par  k$ 
besoins  du  pays. 

£o  1831,  le  trésor  de  File  remit  à  la  métropole 176,929  p.L 

En  1832 339,450 

En  1833 823,270 

Il  existe  en  outre  à  la  banque  d'escompte  une  réserve  de  1,300,000  p.  L 

L'intendance  de  la  Havane  n*a  rien  épargné  pour  développer  l'india- 
Irie  particulière,  et  son  concours  a  été  d'autant  plus  utile,  que  Ytipiit 
d^association  a  fait  peu  de  progrès  dans  Ttie  de  Cuba;  Tautorité  loctiea 
dierché  à  Tencou rager  par  des  avances. 

C'est  en  partant  de  ce  principe  que  l'intendance  de  la  Havane  a  favorisé 
rétablissement  de  paquebots  correspondant  avec  la  métropole,  a  secouru 
rintendance  de  Porto-RIco,  a  fondé  ia  banque  d'escompte,  eia  faitbeio- 
coup  d'autres  avances  selon  le  besoin  des  temps. 

Entre  les  dépenses  publiques,  l'auteur  cite  encore  et  la  fondation  (fan 
grand  nombre  d'écoles,  la  création  d'un  jardin  botanique,  les  prinef  et 
aecours  pour  la  culture  de  l'indigo  et  pour  l'extension  de  celle  do  cacao, 
l'élévation  du  vers  à  soie,  l'introduction  des  meilleurs  instrumens  aratoires 
et  machines  industrielles  connues  en  Europe,  la  création  d'un  jooroal 
destiné  à  la  propagationdes  découvertes  utiles,  celle  d'un  «mphiiMre 
d'anatomie,  d'un  cours  de  clinique,  celle  d'une  école  navale,  et  beaucoup 
d'autres  dépenses  faites  en  faveur  du  cabinet  d'histoire  naturelle  de  la 
nétropole;  la  reeonsiruction  de  l'aocienae  intendance,  la  eonsimctioe  des 
■Mgasins  de  la  douane,  celle  des  cafemes  de  Guanajay,  de  San  Aatooie, 
otBayamo;  la  vaste  caserne  de  Maianzas  et  l'hdpital  de  la  Charité  da 
même  lieu;  enfin  des  chemins  et  des  ponts  en  grand  nombre;  riotrodoc- 
tion  des  bateaux-dragues  dans  la  baie  de  la  Havane  et  le  port  de  Matao- 
Ms;  nne  conduite  d'eau  en  fer  destinée  à  fournir  aux  besoins  de  la  nil^ 
et  qui,  à  elle  seule,  mériterait  à  son  auteur  une  renommée  immortelie; 
il  faut  encore  ajouter  le  chemin  de  fer  qui  s'exécute  en  ce  moment,  da 
ehef-lieu  à  la  vallée  de  los  Guiiies.  o 

Nous  terminerons  cette  notice  en  donnant  un  tablean  comparatif  da 
«ommeroe  des  pOfts  dont  l'entrée  est  permise* 


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.— caaoïHQaB» 


2» 


[COMMBaCE  DES  PORTS  DONT  L'ENTREE  EST  PERMISB. 


'         NOMS  DES  PORTS. 

ZMPOBTATIOVS 

BXPOKTATIOV8. 

TOTAL 

tôt  PISUt  9. 

HabaoB . 

13,374,343 

1,151,851 

1,278,597 

195,515 

702,255 

32,191 

112,111 

42,845 

67,805 

9y609,«56 

1,997,852 

1,412,359 

83,573 

627,313 

15,921 

80,532 

81.838 

35,186 

S2,9»(,201 

3,149,703 

2,690,955 

279,088 

1,329,568 

48,112 

192,643 

124,683 

102,991 

Maianzas.  .  .  , 

1   Cuba 

Pac'to  Principe 

1   Trinidad •  •  .  . 

I   Baracoa 

'    Manzanîilo.  •••.•.•• 

1    Gibara 

Jagua 

IMPORTANCE  DU  COMMERCE  DE  CHAQUE  NATION 

COMMERÇANT  AVEC  L*1LB  OE  CUBA. 


PAVILLONS. 

RAPPORT 

avec 

LB  COMMKRCB  TOTAL. 

BAPPORT 

avw: 

oimitikiM. 

1    National 

États-Uois 

France.  .  .  .  • 

115 
1|3 
1|15 
1|9 
1114 
1|24 

1|6 
113 
1|18 
1|7 

lie 

1|10 

Angleterre 

1   Allemagne.. 

Pays  -  Bas 



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396  RB10B  HBS  DEUX  VOlfDBS. 

Chaque  individu  de  la  population  de  111e  exporte 

des  produits  de  Ttle  pour  une  valeur  de.  •  .  .    15  pesos.  0  réalo* 
H  reçoit  des  produits  étrangers  pour  une  valeur 

de. 22  S 

H  consomme  de  ceux-ci  pour 19  0 

'  Il  en  réexporte  pour S  S 

Et  il  consomme  des  deux  espèces  de  produits 

pour 73  0 

Ainsi  y  chez  une  population  qui  ne  dépasse  pas  de  beaucoup  sept  osot 
mille  âmes,  parmi  lesquelles  on  compte  trois  cent  mille  esclaves,  le  chiflire 
de  la  consommation  individuelle  doit  se  calculer  sur  le  pied  de  près  de 
400  francs;  on  peut  juger  par  là  combien  la  consommation  des  daseï 
aisées,  dans  les  diverses  colonieS|  doit  être  supérieure  à  celle  des  dasiei 
analogues  en  Europe. 


y.  BULOZ. 


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LE  MAROC. 


I. 


AQantpar  terre  de  Cadix  à  Gibraltar,  je  me  trouvais  Tannée 
dernière  à  Tarifa ,  petite  ville  plus  arabe  qu'espagnole ,  célèbre 
par  ses  voleurs,  vrais  Bédouins ,  et  par  ses  belles  femmes  aux 
yeux  bleus  et  aux  cheveux  blonds,  comme  les  Yalenciennes.  As- 
sise au  point  intermédiaire  et  le  plus  resserré  du  détroit,  eUe 
est  à  égale  distance  des  deux  mers  et  n'est  séparée  de  TAfriquo 
que  par  quelques  lieues.  C'est  la  ville  la  plus  méridionale  du  con- 
tinent européen.  Une  jetée  naturelle,  moitié  sable  et  moitié  roc, 
forme  un  promontoire  aigu  à  la  pointe  duquel  une  petite  tie 
drculaire  est  amarrée  par  un  pont;  sur  cette  île  est  bâti  le  châ- 
teau qui,  par  sa  position,  ressemble  un  peu  au  château  deVOEuf  à 
Naples.  Sentinelle  avancée  de  l'Europe,  Tarifa,  ville  autrefois  for- 
tifiée, est  là  comme  une  vedette  placée  en  observation  par  la  civi- 
lisation occidentale,  afin  de  surveiller  les  mouvemens  du  monde 
africain  ;  son  nom  rappelle  ce  Gusman-el-Bueno,  le  Junius  Brutus 
TOME  vu*  17 


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espagnol,  qui  aima  mieux  voir,  du  haut  des  remparts  conGés  i  sa 
garde,  son  jeune  flls  égorgé  sous  ses  yeux,  que  de  livrer  la  placée 
rinfidèle.  De  tels  noms  méritent  de  figurer  au  livre  d'or  de  l'ho- 
manité. 

J*étâis  là  me  promenant  sur  la  jetée,  par  une  belle  et  frakdif 
matinée  du  mois  de  mai  ;  le  soleil  illuminait  TQcéaa  et  teignait  (l*on 
violet  foncé  le  nuif  niique  tmplithéâtie  des  montagnes  d* Afrique. 
La  ville  de  Tanger  brilTail  au  pfed  comme  un  point  blanc.  Lèvent 
soufflait  de  Test  et  assez  frais  ;  la  mer  d*un  bleu  ravissant  était 
grosse  ;  le  détroit  bouillonnait  comme  un  large  fleuve  écumeoL 
Malgré  la  morgue  de  notre  patriotisme  occidental,  nous  ne  sau- 
rions, nous  autres  enfans  de  l'Europe,  aborder  froidement  une 
autre  partie  du  monde;  c'est  du  moins  ce  que  j'éprouvai,  quasd 
a  veille  j'avais  tout  d'un  coup  ,  et  au  sortir  d'un  bois  de  carrasm, 
découvert  pour  la  première  fois  la  côte  africaine. 

Le  cours  de  mon  voyage  ne  me  candhiisait  pas  en  Afrique,  mais 
de  là  elle  paraissait  si  belle  et  j'en  étais  si  près  que  je  fus  tenté.  Tan- 
dis que  je  dévorais  le  rivage  opposé  d*un  œ  1  de  convoitise,  j'aperçus 
un  faluchoy  espèce  de  felouque  à  voile  latine,  mouillé  au  pied  du  châ- 
teau. Cétait  le  courrier  espagnol  de  Tanger  ;  il  avait  touché  i 
Tarifa  pour  y  prendre  le  vice-consul  d'Espagne  qui  se  rendait  i 
son  poste,  et  il  levait  l'ancre  à  l'instant  même.  La  tentation  était 
trop  forte,  j'y  succombai,  et  me  voiià  voguant  veca  l'Afeiiiue. 
Deux  heures  après  j'étais  dans  la  baie  de  Tanger* 

Un  voyage  prémédité  perd  tout  le  charme  de  l'impiéYu;  on  s'y 
préparc  d'ordinaire  par  des  informaiions.  oirales  et  par  des  kcta- 
res;  cest  une  méthode  détestable^  et  qai  tue  la  spontanéité  des 
impressions;  même  avant  k  départ^  les  sens  sont  émott3sés;oB 
bien,  et  c'est  pis  encore,  le  spectacle  de  la  réalité  £ait  regretlcr 
les  rêves  brillans  de  la  fantaîeie.  Ici,  grâce  à  Bieu^  je  n'avais  i 
craindre  ni  désenchantement,  ni  mécompte  :  j'abordais  l'inconaD 
les  yeux  fermés;  j'ignorais  si  complètement  la  topographie  de  res- 
pire marocain,  que  j'avais  tenu  jusque-là  Tang^  pocur  un  préside 
espagnol,  comme  Ceuta.  Une  circon^ance  prolongea  mon  erreff 
jivqu'au  port  :  d'aussi  Imn  qne  je  pus  discerner  lesobjets  de  la  o6l«, 
je  vis  le  pavOIon  espagnol  flotter  sur  l'édifice  le  plus  apparent  de  h 
ville-;  onponvsnt  le  prendre  pcMir  un  signe  de  possession;  c'éliîtk 


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patviHondnoôBmild'Espagne,  qoîi^poiHiaita»  signal da courrier  et 
lui  souhaitait  la  bien- venue  :  usage  touchant  dont  on  ne  sentladou* 
ceur  qu*après  avoir  mis  le  pied  sur  ces  terres  barbares  ;  c'est  comme 
UB  Mrremem  de  main  ft-aterBel  sur  le  rivage  de  FeiîL  Une  jfbis  en 
rade  ledistingiiaî  le  oistsnie  arabe  des  marms  du  pwt,  et  nés  yeux 
oefluneauèrent  i  se  desdiler.  Use  altercation  survenue  entre  les 
gSBs  de  Féqoipage  et  quelques  HwreB  qui  étateoM  à  bord  du  /a- 
lucko  acbefa  de  me  tes  otfvnr^^asequapellaitsiirleprixdupas* 
sage,  et  les  Maures  avaîeiit  le  vwbe  si  haut,  malgré  leur  mauvais 
espagBcri,  Ms  IraitaîMH  les  cbrétiess  de  kulr^me^  et  d*ewéwtero8 
d'uae  Tx>ix  si  hardie  et  si  ralentissante ,  que  je  me  dis  à  paît  moi  : 
Ges^sa»^  sMt  évidemment  (Àm  eux.  Us  y  étaient  en  eÂfét ,  Ss  le 
siHtaiem,  et  pins  les  Espagnols  lonrmieiit  à  la  coMahatioa,  plus 
les  Usures  devenaieMt  arrogans.  Âmsi,  en  deux  heures  j'avafa  passé 
comme  par  enchantement  du  monde  européen  sm  «KMule  wien* 
taly  de  Tempire  de  Jésus-Christ  à  l'empire  de  Mahomet. 

La  transition  était  brusque,  et  je  contemplai  d'un  œil  émerveillé 
et  tout-à-fait  dépaysé  les  tatdeaux  du  rivage.  L'aspect  de  Tanger 
vu  de  la  mer  est  bien  celui  d'une  ville  moresque  telle  que  je  me  la 
refM*éseiitais.  'Des  UMaseas  blan^es  jetées  péle*mâle  sur  la  crête  et 
aox  flancs  d'une  ooUkie;  un  minaret  kûsaot  et  carré;  des  OMiraiBes 
crénelées  9  des  canons  de  £er  entre  les  créneaux ,  des  turbaM  par- 
dessus les  canons  ;  un  drapeau  rouge,  une  plage  aride,  une  mer 
superbe,  le  tableau  est  tout  fait.  Mais  quelque  diose  en  détruit 
l'originalité  :  ce  sent  les  palais  des  ooasub  européens  qui  écrasent 
de  leur  lui»  la  ville  afrieafaie  ;  celui  d'Espagne,  entre  autres,  a  l'air 
d'une  forteresse  et  domine  tout  ce  qui  l'eatoure. 

0  ne  me  fut  pas  iacSede  prendre  terre.  Nid  étranger  ne  peut 
mettre  le  pied  dans  Tonpire  de  Maroc,  sans  rautorisation  expresse 
du  sultan  ou  des  oAiciers  qui  le  représentent.  Or  cette  autorisa- 
tion se  faisait  attendre»  la  mer  était  grosse ,  je  souffrais  à  lM»rd, 
je  per^  patteace  :  sautant  de  force  du  faiuchQ  dans  le  canot, 
je  me  fia  conduire  à  terre  à  mes  risques  et  périls»  malgré  les  quinae 
ou  vingt  canons  braqués  sur  les  murulles  ;  ils  ne  tonnèrent 
point  contre  amI,  faute  de  discipMne  sans  doute,  et  aussi  de  ca- 
nonniers.  Entrant  dans  l'eau  jusqu'à  la  ceinture  pour  venir  à  ma 
rencontre,  un  marin  maure  de  six  pieds  de  haut  et  à  demi  nu,  me 
chargea  rigoureusement  sur  ses  épaules  pour  débarquer.  Allah 

17. 


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260  RETUB  hES   DEUX  MONDES. 

est  grand  et  Mahomet  est  son  prophète  !  Dieu  des  chrétieiiSy  proté- 
gez-moi I 

Je  fus  à  Tins  tant  environné  d*un  peuple  de  matelots  nus  ou  peu 
s'en  faut  y  qui  me  toisaient  de  la  tète  aux  pieds  d'un  air  farouche, 
échangeaient  entre  eux  des  vociférations  gutturales  peu  pro- 
pres à  me  rassurer.  Seul  sur  la  grève  infidèle ,  je  ne  savais  trop 
quelle  contenance  faire  au  milieu  de  ce  troupeau  sauvage  dont  le 
berger  me  contemplait  de  loin,  d'un  œil  tout  aussi  peu  hospitalier. 
Ce  berger  est  le  capitaine  du  port,  Raïs-eUMarsa ,  Tun  des  hauts  di- 
gnitaires de  la  ville  de  Tanger.  D  était  accroupi  à  l'écart  sur  une 
natte  de  jonc,  occupé  sans  doute  à  méditer  dans  sa  barbe  blanche 
sur  l'audacieuse  infraction  dont  je  venais  de  me  rendre  coupable 
contre  les  lois  de  l'empire  en  débarquant  sans  licence;  j'ai  su  de- 
puis qu'il  attendait  mon  cadeau. 

Car  on  a  beau  prier  et  lever  son  chapeau. 

On  n'entre  point  chez  lui  sans  graisser  le  marteau. 

Comme  j'étais  là  dans  l'expectative,  sans  trucheman  pour  me 
faire  entendre  et  sans  rien  comprendre  moi-même,  un  jeune  Juif 
vêtu  du  noir  soulam^  comme  ils  le  sont  tous,  perça  la  foule  et 
vint  droit  à  moi.  H  m'adressa  la  parole  en  français,  et  jamais  musi- 
que ne  fut  plus  douce  à  mon  oreille.  C'était  un  interprète  du  con- 
sulat de  France  ;  le  consul,  informé  de  mon  arrivée,  l'envoyait  pour 
me  recevoir ,  en  attendant  qu'il  vint  lui-même  avec  la  licence  do 
katd  ou  gouverneur.  Le  drogman  me  tira  des  mains  des  Philistins 
et  me  conduisit  dans  une  espèce  de  hangar  où  les  nouveaux  dé- 
barqués font  antichambre  ;  ce  hangar  est  à  c6té  de  la  douane,  dont 
le  chef,  Amîn  (1),  autre  grand  fonctionnaire  de  Tanger,  était  ac- 
croupi sur  sa  natte,  au  milieu  d'une  vingtaine  de  soldats  indolens; 
autant  de  longues  escopettes  de  sept  pieds  étaient  accrochées  i  la 
muraille  comme  à  un  râtelier.  La  vue  de  ce  corps-de-garde  me 
reporta  à  celui  que  M.  Decamps  avait  exposé  au  salon  l'année  pré- 
cédente, et  qui  dès-lors  m'avait  frappé  comme  par  pressentiaient. 


(f)  VÀndn  est  à  la  fois  administrateur  des  rentes,  intendant  des  finances,  pereeptesr 
des  Impôts,  payeur  provincial  et  directeur  des  douanes. 


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LE  MAROC.  3S1 

Le  chef  de  la  douane,  beau  yieiflard  septuagénaire,  portait  avec 
dignité  son  grand  haïk  blanc  et  son  turban  de  mousseline,  sur- 
monté de  la  calotte  rouge.  Je  remarquai  qu*il  fumait  seul  ;  Tusage 
de  la  pipe  est  loin  d'être  aussi  général  au  Maroc  que  chez  les  Turcs. 
Le  vieux  renard  me  lorgnait  du  coin  de  l'œil,  comme  s'il  eût  craint 
que  je  ne  dérobasse  à  sa  surveillance  quelque  trésor  précieux. 
Cependant  il  se  montra  plus  poli  que  ne  le  sont  nos  douanes  civili- 
sées; fl  ne  me  Gt  point  subir  de  visite,  et  procéda  comme  le  vieux 
botaniste  de  Goethe,  oculis  non  manibus.  L'inspection  du  reste  eût 
été  fecile  et  bientôt  faite  :  mon  mince  bagage  de  voyageur  m'avait 
précédé  par  mer  de  Cadix  à  Gibraltar,  et  je  m'étais  embarqué  à 
Tarifa  comme  je  m'y  trouvais,  c'est-à-dire  plus  qu'à  la  légère  et  la 
bourse  assez  plate.  La  perspective  d'être  volé  fait  qu  en  Espagne 
on  ne  porte  sur  soi ,  d'une  ville  à  l'autre,  que  tout  juste  ce  qu'il 
faut  d'argent  pour  le  voyage;  si  l'on  change  ses  plans  en  route,  en 
est  souvent  embarrassé. 

Notre  consul,  M.  Méchain,  qui  est  en  même  temps  chargé  d'affai- 
res, ne  tarda  pas  à  venir  me  joindre  sous  le  hangar  où  j'étais  pri- 
sonnier, et  me  tira  de  captivité.  Si  j'avais  attendu  pour  débarquer 
l'autorisation  du  kaîd ,  j'aurais  attendu  long-temps ,  car  il  était  à  la 
campagne  et  n'en  devait  revenir  que  le  soir.  Le  consul  m'introduisit 
dans  la  ville  sous  sa  propre  responsabilité.  Je  ne  saurais  assez  me 
louer  des  procédés  de  M.  Méchain.  Je  tombais  là  du  ciel ,  seul ,  assez 
mal  éqoipé,  et  peut-être  même  un  peu  suspect;  il  ne  m'en  fit  pas 
moins  bon  accueil,  et  durant  tout  mon  séjour  il  poussa  l'hospitalité 
aussi  loin  qu'elle  peut  aller.  Ma  bourse  épuisée,  et  elle  le  fut  bientôt 
sur  cette  terre  d'autant  plus  avide  qu'elle  est  plus  misérable,  il 
m'ouvrit  la  sienne,  sans  autre  garantie  que  l'honneur  d'un  inconnu , 
oiseau  de  passage  qu'il  voyait  pour  la  première  fois.  Les  voyageurs 
sentiront  le  prix  d'un  tel  service. 


Si  Tanger  n'est  plus  un  préside  européen ,  il  l'a  été  jusque  vers  la 
fin  du  XVII*  siècle ,  époque  où  il  fut  abandonné  par  les  Anglais ,  qui 
le  tenaient  des  Portugais.  Ds  eurent  soin,  en  se  retirant,  de  ruiner  le 
môle,  qui  depuis  n'a  jamais  été  relevé,  ce  qui  rend  le  mouillage  peu 
sûr  contre  les  vents  d'ouest.  Protégé  de  l'autre  côté  par  la  pointe 
de  Malabatte,  en  arabe  Aa«-e/-ilfefiar(capdu  phare),  il  l'est  beaucoup 


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9âi  RBTUE  DBS  MA  MONDES. 

pies  €6fltre  les  vents  moins  dangereux  de  Test.  A«  départ  desia- 
glaisy  Tanger  rentra  sohs  Tobéissance  des  sultans  du  Maroc,  et  7 
est  resté.  Cest  une  yille  de  neof  à  dix  mille  babitans,  dom  un  da» 
qméme  à  pen  près  est  composé  de  Juife.  Les  Joifs  n  y  sont  pas  ren- 
fermés,  comme  ailleurs,  dans  un  quartier  à  part;  ils  sont  libres  et 
Tirent  confondus  arec  la  population  maure.  Ds  ne  se  distâigaeiit 
d*elle  que  par  le  vêtement;  toutes  les  couleurs  vires  leur  saut 
interdites;  ils  sont  condamnés  au  notr,  en  signe  d*opprobre  etds 
servitude.  En  Espagne,  ils  étaient  condamnés  au  jaune;  ils  neit 
fait  que  changer  de  fivrée,  ils  n*ont  pas  changé  de  cofiditk>n;  et  li 
les  musulmans  ne  les  brûlent  pas,  ils  les  abreuvent  d'outrages. 

La  première  chose  que  je  vis  en  entrant  dans  la  ville  infidèle  M 
un  petit  Maure  de  neuf  à  dix  ans  qui  tirait  par  sa  barbe  Manches 
vieux  Juif  bien  humble  et  bien  résigné;  et  comme  le  fils  d'Isnél 
n'Atait  pas  assez  vite  ses  babouches  en  passant  devant  la  mosqoée, 
un  soldat  lui  alongea  un  coup  de  pied  sans  se  déranger  de  son  che- 
min, et  une  vieille  femme  souleva  son  voile  pour  liu  eracher  ta 
visage.  Le  pauvre  Hébreu  souffrait  tons  ces  mépris  sans  miinirare; 
la  moindre  velléité  de  résistance  pouvait  lui  coûter  la  vie  ;  on  Fav» 
rait  assommé  sous  le  bftton.  Il  s*échappa  à  travers  un  dédale  <k 
petites  rues  étroites  et  tortueuses,  et  mit  ainsi  fin  à  sa  perséculioa^ 
Encore  dut-il  s'estimer  heureux  de  s'en  être  tiré  à  si  bon  marcM; 
il  s'en  fallut  de  quelques  minutes  à  peine  qu'il  ne  tombfti  au  anlea 
d'une  procession  de  lemàoncha  ou  Hamdoucha,  et  alors  c'eût  été 
bien  pis  :  le  malheureux  courait  risque  d'être  massacré.  Les  lei»- 
doucha  suivent  la  loi  de  lemadscha;  ils  forment  une  secte  poa» 
santé  et  la  plus  redoutée  peut-être  de  tout  l'empire.  Le  ha* 
sard  me  servait  bien  en  me  les  faisant  rencontrer  dès  le  début, 
quoique  la  rencontre  ne  soit  jamais  sans  danger.  On  ne  peut  rien  is 
figurer  de  plus  sauvage.  Le  chef,  en  maure  mukaddeni,  était  «a 
grand  vieillard  enveloppé  tout  entier  dans  un  vaste  haïk.  11  mon- 
tait un  cheval  blanc  et  portait  un  étendard  à  la  main,  comme  les 
hermandades  espagnoles,  qui  n*ont  peut-être  pas  d'autre  origine;  3 
affectait  une  majestueuse  nnmobtlité ,  tandis  que  8e8  suivans,  à  pied 
et  demi-nus,  exécutaient  au  son  de  la  musette  [aguat)  et  du  tam- 
bour (ttbel  (1))  des  danses  ou  phitAt  des  trépignemens  de  possédés. 

M  Mtaeuetemeatleèiiiêfiéilttitrcmeiisdaiif  feroy&ii^  titUUkt 


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Rangés  an^oir  du  «nkaddeoi,  et  te  t4t0  C0ttrb4f  m  avant  ju«^ 
ga'aux  jambea  «if  9oa  cheval,  i}«  s'abandoAaaiaiU,  avac  une  furem* 
qui  alÛc  jos^n^au  vertige»  aux  mo^veiaew  les  plus  boarres,  et 
toal  leur  ooi?ps  se  tordait  en  ceAtorsioas  fo éoétiques*  Au  lieu  d^ 
kfi  ealmer,  la  auieique  ne  feiaait  que  les  exciter,  eo  piiécipitaut  la 
Qiasare,  et  le  peuple  les  aaioiaît  enecH-e  par  aes  oris. 

Dans  cet  état  ^'irritation,  les  lemdoucha  devienseul  féroces*  Os 
se  jettent  sur  les  animaux;  ils  les  déchirent  avec  les  dents  et  les 
^es,  et  les  aiangeat  ainsi  crus  et  sanglaos.  J'en  «  vu  dépecer 
ds  eette  manière  un  mouton  ;  oa  en  a  vu  dévorer  jusqu^à  des  àoea. 
Cestli  du  reste  lewr  spéeiafité  et  leur  auperstitiou  particulière.  U$ 
se  vantent  en  outre»  nouveaux  Psyles  et  61a  peut-être  des  ancieua, 
de  touckM^  iavpunéiaei^  &  to«s  les  poisons,  et  ils  jouent  sur  les  placent 
pabliques  avec  des  serpens.  A  défaut  d'animaux,  ils  se  ruent  queV 
qoefois  sur  les  Jiuifs,  pour  lesquels  ils  sont,  w  le  conçdt,  un  oki^ 
d'épouvante  ;  le  pevqde  d'Israël  se  cadie  en  tremblant,  à  la  pre^ 
mière  note  de  la  formidable  musette.  U  n'est  pas  prudent  non  plus 
poor  les  chrétiens  de  se  trouver  sur  le  passa|;c  de  ces  forcenés,  et 
ea  les  évke  soigneusement.  Leur  rage  est  quelquefois  telle  qu'op 
estoU^é  de  leur  f«re  une  baie  de  deux  rangs  de  soldats  pour  lee 
contenir.  H  parait  que  toute  cette  fureur  carnassière  est  jouée,  eC 
les  esprits  forts  parlent  dea  lemdoucha  cooune  d'une  secte  qui 
exploite  par  ces  simagrées  effroyables  la  crédulité  du  peuple. 
Quoi  qu'il  ea  scHt,  Ss  sont  en  grande  vénération;  et  pressée  autour 
du  mukaddem  toujours  impassible  et  muet,  la  population  lui  baisait 
reKgieuseaient  le  g^AOu.  n  faisait,  ce  jour-là,  son  entrée  &  Tanger; 
le  soir  il  y  eut  de  nouvelles  processions  aux  flambeaux  et  foro^ 
coups  de  fusils»  comme  aux  processions  espagnoles. 

Ces  sectes  ou  confréries  sont  nombreuses  m  Maroci  je  ne  sa%* 
fais  (fire  en  <pioi  eUes  diffèrent.  J'ai  vu  une  procession  d'Àimout^ 
sectataura  de  Sidi  Ben-Am;  ils  m'ont  paru  naoina  féroces  que 
les  lemdoucha,  et  on  dît  les  GUala  plus  doux  encore.  Les  Aîsaoua 
ont  un  vaste  sanctuaire  à  Fez;  c'est  la  maison  centrale  de  la 
communauté;  vers  le  mois  de  juillc^t»  ils  se  rendent  par  grandes 

tfipMli  $mkaié.  AiaatkMtaàHiûeflkM^,  lUIs  la  BWNite  MtNtanM  as  bomm 
ekaramita.  Peat-étre  les  orientalistes  lui  troaveroat-Us  qœlqaa  éljnMtogie  araba  qn» 
Hffoea»  Je  afiwiiiae  m  pamat  qna^laipfcteaet  lafflMtd  tawJbâarg  la  petit  amurtaii la 
■*ippeUe  haUa, 


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264  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

troupes  dans  la  province  méridionale  de  Sous;  ils  y  font  pro- 
vision de  serpensy  et  se  répandent  de  là  dans  toutes  les  parties 
de  Tempire.  Une  quatrième  secte,  celle  des  Ahmaicha,  a  des  attribats  i 
que  j'ignore,  et  les  Derkaoua  sont  des  espèces  de  déistes  qui  coq- 
rent  les  villes  et  les  campagnes,  habillés  en  arlequins.  La  déro- 
tion  des  Gdèles  se  traduit  en  offrandes  de  toute  espèce;  les  riches 
apportent  de  l'argent,  les  pauvres  des  dons  en  nature. 

A  cAté  de  ces  saintetés  collectives,  il  y  en  a  de  solitaires,  cesoat 
les  santons,  sorte  d'ermites  qui  vivent  au  désert  et  quelquefofa 
dans  les  villes,  mais  seuls  et  à  l'écart,  n  y  en  a  de  trois  espèces: les 
fous  ou  idiots,  qui  sont  en  grande  vénération  chez  les  Maures  el 
tenus  pour  saints  (1)  ;  les  fanatiques  de  bonne  foi,  et  les  imposteurs 
comme  partout.  Tout  leur  est  permis ,  et  ils  peuvent  se  passer  im- 
punément leurs  caprices.  Une  nouvelle  mariée,  s'en  revenant  de  h 
mosquée,  traversait  la  place  de  Tanger  ;  un  santon  s'approche  d'eDe 
et  s'en  empare;  le  mari,  spectateur  de  l'événement,  dut  se  tenir 
pour  très  honoré:  sa  femme  était  béatifiée.  Un  autre  santon  fît  son 
choix  dans  un  essaim  de  jeunes  filles  qui  revenaient  du  bain;i( 
tomba  par  hasard  sur  la  plus  belle,  et  très  flattée  de  la  préféreDoe, 
la  victime  si  brutalement  immolée  reçut  les  félicitations  de  ses 
compagnes  et  de  sa  famille.  Il  parait  qu'il  y  a  aussi  des  santons 
femelles  :  on  en  cite  une  qui  avait  dévoué  sa  beauté  au  service  des 
passans.  La  sainte  courtisane  tenait  son  mystique  boudoir  sor  b 
route  de  Saffi(2)I 

Je  rencontrais  tous  les  jours  à  Tanger  un  vieu'x  santon  (cdoi- 
là  était  imbécille] ,  qui  courait  les  rues  ses  babouches  à  la  main 
en  poussant  des  hurlemens  féroces;  ses  poumons  résistaient  i 
ce  métier  depuis  vingt  ans.  Attirée  par  ses  horribles  cris,  lapopo- 
lation  accourait,  les  femmes  surtout,  et  elles  baisaient  cette  main 
sale  et  décharnée  avec  une  piété  fervente.  Quand  elles  manquaient 
la  main,  elles  baisaient  la  robe.  Leur  action  avait  d'autant  plm 


(1)  La  même  superstition  s'attache  aux  crétins  du  Valais.  On  félicite  la  maison  oàl 
en  nait,  et  il  n'en  naît  que  trop;  cela  doit  lui  porter  bonheur.  11  y  a  quelque  clMsede 
touchant  dans  ce  préjugé  populaire ,  qui  prend  sous  sa  protecUon  les  êtres  maltraités  pv 
la  niture.  Ce  n'est  au  fond  que  de  la  charité.  '  l 

(t)  En  Justice  le  témoignage  d'une  sainte  compte  comme  celai  d'un  homme,  tandis^  |y 
pour  les  simples  morteUes,  11  en  fitut  six  à  sept  pour  faire  on  témoin. 


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LB  KÀROG.  265 

de  mérite  qu'elles  Texécataient  presque  au  péril  de  leur  vie,  car 
rkliot  faisait  le  moulinet  avec  un  long  bâton,  et  malheur  aux 
têtes  qu'il  atteignait  I  Cependant  il  frappait  de  préférence  les  robes 
noires,  c'estrà-dire  les  Juifs;  c'était  chez  cette  béte  fauve  une 
affaire  d'instinct.  Moi-même ,  un  jour,  je  faillis  être  frappé  en 
descendant  l'escalier  du  consulat  de  Suéde;  mais  le  coup  qui  ne 
m*était  pas  destiné,  ne  Gt  que  m'efDeurer  et  alla  droit  à  son 
adresse,  c*est-i-dire  sur  la  tête  d'un  enfant  d'Israël.  Je  ne  sais 
quel  blasphème  la  douleur  arracha  au  patient,  mais  je  le  vis  saisir 
et  tratner  devant  la  boutique  du  muhtesibj  chef  de  la  police;  pour 
lui  guérir  la  tête,  on  lui  administra  cinquante  coups  de  courroie 
sous  la  plante  des  pieds.  J'eus  le  regret  d'apprendre  trop  tard 
qu'avec  quelques  onces  (1) ,  j'aurais  pu  sauver  du  knout  le  pauvre 
Hébreu. 

Ce  santon  bâtonnier  est  le  même,  j'imagine,  qui  s'attaqua,  il  y  a 
environ  quinze  ans,  au  consul  de  France,  lequel  était  alors 
M.  Sourdeau  ;  terrassé  en  pleine  rue  d'un  coup  de  bâton  sur  la 
tête,  le  consul  demanda  satisfaction  à  Muley-Suleiman  qui  régnait 
encore,  et  exigea  que  le  coupable  lui  fût  livré  aGn  de  venger  sur 
lui  cet  outrage  au  droit  des  gens.  Le  sultan  répondit  au  consul 
par  une  lettre  restée  célèbre  dans  le  corps  consulaire;  en  voici  la 
traduction  : 

ff  Au  nom  de  Dieu  clément  et  miséricordieux.  D  n'y  a  ni  puis- 
sance, ni  force,  sinon  avec  Dieu  très  haut,  très  grand,  ameni 
Consul  de  la  nation  française,  Sourdeau  !  salut  à  qui  marche  dan? 
le  droit  sentier  I  Comme  tu  es  notre  hôte,  sous  notre  protection,  et 
consul  d*une  grande  nation  dans  notre  empire,  nous  ne  te  pou- 
vons souhaiter  que  la  plus  haute  considération  et  les  plus  sublimes 
honneurs.  Tu  comprendras,  par  là,  que  ce  qui  t'est  arrivé  nous  a 
paru  intolérable,  quand  bien  même  c'eût  été  par  la  faute  du  plus 
cher  de  nos  fils  et  amis.  Quoiqu'on  ne  puisse  faire  obstacle  aux 
décrets  de  la  divine  Providence,  il  ne  peut  nous  être  agréable 
qu*un  semblable  traitement  soit  fait,  même  au  plus  vil  des  hommes, 
pas  même  aux  bêtes;  et  certainement  nous  ne  manquerons  pas. 
Dieu  voulant,  d'en  faire  sévère  justice.  Toutefois,  vous  autres 

(f)  L'once  du  Maroc  est  une  mauvaise  petite  monnaie  d*argent,  mal  frappée  et  toute 
taUlftdée»  qui  vaut  35  centimes.  11  ne  jEaut  donc  pas  la  confondre  avec  Tonce  espagnole, 
qui  vaut  S4  Drancs. 


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mO  BBYUE  DBS  mKji  kOMDBS. 

fjhrédéàs,  Hf(m  atezle  coètir  evràf  à  k  p9A6,  et  t6«s  «les  M» 
^àUens  Mt  Injare»,  i  FeÉéiliple  dé  rotré  proj^èM  i(tte  Biet  lil 
èii  ^oilré,  ft^tt^,  fils  de  liane,  lelq«èi,  daA^  te  liVire  ^H  vMflip- 
poiia  an  noih  de  tHeti,  Votiâ  àMtoaAdé ,  si  qticl[}ii*ifn  v^as frâfpe 
ÈfOLT  tme  jôue,  de  pirésenler  ràutre.  Lui-lî^éftie,  que  Diai  bé&îae 
êtertieDeittdiit,  ne  se  défendit  point  quand  tes  Jnifis  tiàrem  pour  fc 
tner,  et  c'c*  ptmrqnoi  Wen  le  retira  à  !ni.  Dais  notre  livre,  9  M 
dH  pat  la  boncfae  ùt  Autre  pt'ophètè  que  nni  penpte  ne  se  rappiv- 
clrera  plus  des  rrais  croyans  dans  la  diaritèqne  ceta  ^ri  dbétt  : 
Motis  Sommes  chi^éHens  ;  et  cela  est  très  vrai,  poisqn*!!  y  a  pinA 
tfùx  des  prêtres  et  saints  honnnes  qni  ne  s'enflent  point  d'orgid. 
Kotre  prophète  nos(s  dit  encore  qu'il  est  trois  sortes  de  peMiflÉ» 
doint  il  ne  fknt  pàintfmpnter  à  crime  les  actions,  savoir  :  llftsené 
jusqu'à  ce  que  le  bon  sens  lui  revienne,  le  petit  enfant,  et  riiaimiiê 
qui  tlort.  Maintenant  cet  boÉime  qui  t*a  outragé  est  insensé  et  il 
ti*a  pas  de  jugement.  Cependant  nous  avons  décrété  que  jnsdoèle 
toit  feite  de  son  ttrtné.  Si  pourtant  tu  lui  pardonnes,  tu  fer» 
tMvre  dtiomme  magnanime  et  tu  seras  récompensé  par  le  très 
tiriséricordieux.  Mais  si  tù  veux  absolument  que  justice  te  soit 
Cïite  dans  ce  monde,  cela  sera  en  ton  pouvoir,  afin  que  personne 
^ans  notre  empire  ne  craigne  ni  injustice,  m  voies  de  fah;  «fec 
l'aide  de  Dieu,  etc.  Le  12  djumàdWl-Uam  1235  de  Fhégire  (28  flttrs 
1820).  » 

Que  pouvait  le  consul  après  un  sermon  si  adroitement  magiB- 
nime?  D  dut  se  rendre  à  la  clémence  sous  peine  de  perdre  le  ton 
chrétien  dans  Fesprit  du  barbare,  et  voilà  comment,  quinze  ans 
plus  tard,  le  même  bâton,  conduit  par  la  même  meSn,  m'eflMra 
la  tête  au  même  lieu. 

On  parle,  sur  toute  la  côte  de  Barbarie,  d'un  consti  angNs 
Ireaucoup  moins  endurant,  c'est  delui  de  Tripoli.  Un  corsaii^  tri- 
potitain  était  accusé  d'avoir  couru  sur  un  bâtiment  britanniqae; 
rédamé  par  le  cot^sul,  il  hfi  fàt  fivré  ;  en  vain  le  malhetireux  ôqpi- 
taine  affirmait-fl  qaH  s'était  trompé  de  paviBon  et  qu'il  avait  ré- 
paré son  erreur  atfssitôt  quH  l'aVait  reconnue  ;  en  vaSik  M  f^BODie 
et  ses  enfens  vttfrent-fis  se  jeter  aut  pieds  du  constd ,  l%ilèsUe 
Breton  fit  impitoyablement  pendre  le  coupable  à  la  vergue  de  son 
propre  navire.  Uactioa  est  durey  mais  peulrêtre  était-dle  nécei* 
saire  ;  ces  barbares  ne  connaissent  d'autre  frein  que  te 


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LE  MAROC.  'WT 

D  parak,  poor  en  revenir  à  Suleiman,  que 8*flaTaît  des  imfmm 
de  perMaaioo  sur  lee  oonsub,  il  n'en  avait  pas  de  moina  puissaw 
aor  levure  moitiéa.  Un  conaul  seirouvant  i  Fez  avec  sa  tenme,  qv 
était  jeniie  et  jolie;  le  sultan  leur  fit  en  personne  les  hmnenrs  do 
son  pakûs  avec  «me  courtoise  tout-i-fait  chevaleresque.  BientAt  on 
s'aperçut  que  madame  la  coasule  était  restée  en  arriére ,  elle  s*étidt 
sans  doute  oubliée  dans  quelque  appartement  du  harem;  mais  le 
èasard  voulut  que  sa  miyesté  marocaine  eût  disparu  en  oiéme  temps. 
Labs^K»  se  pr<dongea,  et  quelle  qu'en  fût  la  cause,  le  ooiqde 
égaré  reparut  ensemble  ;  la  belle  étrangère  avait  au  cou  un  riche 
oolier  de  perles.  Du  reste,  Suleîman  se  piquait  peu  d'orthodcoûe  eo 
feit  d'amour  ;  en  même  temps  qu'il  passait  des  colliers  au  oou  des 
chrélieunesy  il  rendait  hommage  à  la  beauté  des  filles  d'Israël.  D  se 
trouvait  i  Tanger  en  1821  ;  deux  jeunes  Hébreux  se  présentèrent 
devant  loi  pour  vider  un  différend  assez  bizarre  :  ils  étaient  amou» 
reux  de  la  même  femme ,  et  comme  elle  hésitait  entre  eux,  Isis 
deux  poursuivans  demandèrent  que  le  sultan  intervint  et  la  fixât 
dans  son  choix.  La  jeune  fiUe  en  litige  était  belle,  Suleiman  s'en 
aperçut;  il  passa  avec  elle  dans  un  appartement  voisin  sous  pré- 
texte de  l'examiner  {dus  i  son  aise ,  et  fit  dire  aux  rivaux  qui 
atteadaieiii  son  arr^  avec  anxiété,  que,  ne  voulant  pas  sacrifier 
Ton  des  deux  à  l'autre,  il  gardait  pour  lui  la  pomme  de  discorde. 

Plttsorthodoxes  que  le  monarque,les  santons  ne  pousseraient  pas 
^  loia  la  oonvoidse,  ils  craindraient  de  compromettre  leur  sainteté 
60  sacrifiant  aux  femmes  étrangères.  C'est  qu'aussi  leurs  faveurs 
sont  plus  précieuses  et  leurs  dons  trop  magnifiques  pour  être  pro- 
digués aux  filles  des  idolâtres .  Ce  ne  sont  pas  des  colliers  qu'ils 
doouent  en  échange  d'un  instant  d'ivresse,  c'est  la  clé  du  paradis 
et  des  brevets  de  béatitude,  n  est  vrai  qu'ils  donnent  aussi  des  coups 
de  bâton.  Biais  c'est  encore  là  une  grâce  particulière,  et  quand  le 
blton  sacré  tombe  sur  un  croyant,  le  croyani  baise  avec  grati- 
tude la  main  qm  a  daigné  frappe  r. 

Tous  les  santons  ne  eool  pas  fous  ou  vdi^ytueux,  la  majorité 
exerce  des  industries  moins  excentriques;  ils  font,  en  général,  le 
laétier  de  prophètes  et  d'inspirés  ;  leur  rèle  les  rapproche  beaucoup 
de  nos  meiges,  ou  sorciers  de  viUages.  Bs  ont  des  paroles  magiques 
pour  co^urer  les  esprits  malCsisans,  et  d'infaillibles  recettes  con^ 
tre  les  maladies  des  bestiaux  et  des  hommes.  On  vient  les  coa^ 


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368  EEVUE  DES  DEUX  UONDES. 

sulter  de  loin»  et  on  ne  vient  pas  les  mains  vides.  Tour  à  tour 
sur  le  trépied  ou  dans  l'écurie,  hier  ils  purgeaient  un  chameaa, 
aujourd'hui  ils  prophétisent  les  destinées  du  monde.  Dans  rin- 
tervalle  de  leurs  fonctions,  ils  prient,  jeûnent,  et  se  livrent  aui 
douceurs  de  la  vie  contemplative ,  sans  souci  du  lendemain.  Chose 
étrange I  leur  sainteté  est  héréditaire!  —on  a  vu  qu'ils  ne  foot 
pas  VŒU  de  célibat;  — elle  passe  du  père  aux  enfens  comme  m 
titre  de  noblesse;  le  flls  d'un  santon  est  santon,  comme  le  Ok  d*QB 
marquis  est  marquis;  c'est  le  trait  le  plus  curieux  de  cette  singu- 
lière institution.  Peut-être  n'est-ce  là  qu'une  application  du  prin- 
cipe des  castes  héréditaires  de  l'antique  Egypte.  Je  ne  sache  ries 
d'analogue  dans  les  coutumes  religieuses  de  l'Europe. 

La  demeure  des  santons  est  réputée  sainte  ;  un  drapeau  rouge 
la  signale  à  la  vénération  publique,  et  les  Juifs  doivent  passer 
devant,  pieds  nus,  conune  devant  les  mosquées.  Leur  mort  est 
regardée  comme  une  calamité  publique.  On  les  enterre  tantôt  ao 
bord  des  chemins,  tantôt  sur  les  montagnes,  et  dans  les  lieux 
retirés  et  solitaires;  leurs  tombeaux,  également  ombragés  d'un 
drapeau  rouge,  deviennent  des  lieux  de  pèlerinage  dont  l'approcbe 
est  interdite  aux  infidèles.  Ce  sont  aussi  des  lieux  d'asile  au  seuil 
desquels  expirent  toutes  les  lois  humaines,  et  qui  rendent  inviolable 
quiconque  s'y  réfugie.  Le  plus  audacieux  tyran  n'oserait  en  arra- 
cher un  criminel.  C'est  le  droit  d'asile  des  temples  de  la  Grèce  et 
des  églises  du  moyen-&ge.  Partout  l'homme  a  senti  le  besoin  d*é- 
chapper  à  la  tyrannie  de  Thomme;  poursuivi  par  la  sodété,  il  se 
réfugie  au  sein  de  Dieu. 

La  vénération  du  peuple  maure  pour  ses  santons  prouve  la  vira- 
cité  de  sa  foi  et  son  attachement  aux  croyances  religieuses.  Der- 
nier rameau  de  l'arbre  musulman,  et  le  plus  éloigné  du  centre,  0 
est  séparé  par  l'Afrique  entière  du  tombeau  de  son  prophète,  mais 
l'épouvantable  distance  et  les  innombrables  dangers  du  voyage  De 
l'empêchent  pas  de  faire,  lui  aussi,  son  pèlerinage  à  la  Mecque. 
Un  simple  coup  d'œil  jeté  sur  la  carte  peut  donner  une  idée  des 
fatigues  et  des  périls  de  cette  gigantesque  entreprise.  Chaque  an- 
née la  sainte  caravane  part  de  Fez  sous  la  conduite  de  Vernira" 
hodjahs,  espèce  de  dictateur  investi,  durant  tout  le  voyage,  d'une 
nutorité  absolue.  Elle  franchit  le  petit  Atlas  et  pénètre  dans  k* 


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LE  HAROC.  269 

désert  d'Angad;  laissant  sur  la  gauche  Alger,  Tunis  et  les  antres 
villes  de  la  c6te,  elle  marche  droit  sur  Tripoli  et  de  là  sur  TËgypte 
à  travers  ce  périlleux  désert  de  Barca,  peuplé  de  Bédouins  tou^- 
jours  prêts  à  dévaliser  les  pèlerins.  Enfin  la  caravane  passe  l'isthme, 
elle  entre  en  Arabie,  et,  après  un  voyage  de  près  de  deux  mille 
lieues,  elle  arrive  à  la  Mecque  pour  la  grande  fête  du  Korban. 
Chaque  pèlerin,  quels  que  soient  sa  fortune  et  son  rang,  prend  alors 
et  garde  le  reste  de  ses  jours  ce  titre  honorifique  de  hadji,  dont 
les  musulmans  sont  si  jaloux;  il  a  le  droit  aussi  de  porter  un  tur- 
ban particulier. 

Certes,  il  faut  une  foi  bien  forte  pour  arracher  à  leur  indolence 
naturelle  ces  tribus  paresseuses  et  les  emporter  ainsi  à  travers  la 
terre,  et  cela  pour  une  idée;  mais  toute  puissance  n'appartient- 
elle  pas  à  Fidée?  N'est-ce  pas  l'idée  qui  fait  les  miracles? 

Toutefois,  depuis  que  les  Wahabites,  espèce  de  Sociniens  maho- 
métans,  ont  pris  la  Mecque  et  pillé  ses  trésors,  le  pèlerinage  est 
moins  fréquenté;  les  Maures  qui  le  tentent  sont  de  jour  en  jour 
moins  nombreux,  et  si  quelque  révolution  ne  vient  pas  rendre  le 
tombeau  du  prophète  à  l'orthodoxie,  le  pèlerinage  finira  par  tomber 
tout-à-fait  en  désuétude. 

Quoique  le  centre  de  l'islamisme  soit  déjà  livré  à  l'incrédulité,  les 
extrémités  sont  encore  croyantes;  les  Maures  sont  dévots  jus- 
qu'au fanatisme.  Attisée  par  le  voisinage  et  par  de  vieilles  ran- 
cunes, la  haine  du  nom  chrétien  est  ardente  et  vivace  au  cœur  des 
Maures.  Tanger  est,  sous  ce  rapport,  une  ville  d'exception;  la 
présence  des  consuls  dont  elle  est  la  résidence,  a  accoutumé  les 
yeux  de  la  population  à  nos  habits  et  à  nos  usages.  H  y  a  plus  de 
vingt  ans  que  l'esclavage  des  chrétiens  est  aboli  dans  toute  l'éten- 
due de  l'empire. 

Indépendamment  des  consuls ,  on  compte  une  vingtaine  de  fa- 
milles européennes  établies  à  Tanger  à  Fombre  des  pavillons  con- 
sulaires, n  y  a  même  un  couvent  desservi  par  deux  franciscains 
espagnols,  lesquels  constituent  tout  le  clergé  chrétien  du  Maroc. 
Les  deux  moines  sont  d'humeur  fort  dissemblable,  l'un  est  un 
homme  du  siècle  qui  mène  joyeuse  vie  et  boit  comme  un  templier  ; 
l'autre  fuit  le  monde  et  vit  dans  la  solitude.  Il  s'est  construit  au 
milieu  du  cimetière  chrétien  une  petite  hutte  de  feuillage,  et  c'est 
dans  cette  Thébaïde  qu'il  passe  toutes  ses  journées  en  méditations 


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370  REVUE  ras  racx  mondes. 

et  ettpriàres.  Janais  les  cafmes  du  sert  wm  wémànm  dans  m 
missîM  commune  deuxctrtctères  plus  opposés.  B  os'a  pmrs  qie  les 
llaares  oui  plus  de  respea  pour  le  solîtaire;  les  dirons  aineot 
raieud  le  aMndaiflb 

La  première  chose  qw  frappe  Tceileiiropéen  dans  une  riDe  artbe, 
c'est  le  eosluise.  Celui  du  Maroc  est  piaoresque,  nais  skmph,  H(ê 
cela  il  diffère  de  edui  des  Algériens,  qui  est  rielie  et  somptseoL 
Les  Maures  oocidentaux  sont  restés  j^hs  près  de  ranSique  simpii- 
cité;  ils  ne  portent  sur  eux  ni  or  ni  pierres  précieuses.  La  pièce 
principîde  et  vraiment  origifiale  du  costume  marocain,  ceHeqsiloi 
imprime  son  caractère  particidier,  est  le  kaïk ,  longue  robe  de  iain 
blanche,  très  amj^,  qui  envelop^  tout  le  corps,  qui  ressenUe 
exactement  à  la  toge  romaine,  et  unit  comme  elle  la  grâce  à  la  mi- 
jesté.  Le  haïk  est  fait  d'une  étoffe  souple,  qui  suit  les  mouvemens 
sans  les  gêner,  et  donne  à  la  démarche  je  ne  sais  quoi  de  grave  e( 
de  posé  qui  sied  mieux ,  disent  les  Maures,  à  la  dignité  de  rhomme. 
Cette  toge  appartient  à  toutes  les  dasses,  depuis  le  sultan  jusqu'il 
dernier  manœuvre;  mais  coumie  die  est  assez  chère,  eHe  n*est  guère 
portée  que  par  les  gens  aisés,  et  annonce  une  certaine  fortune.  Ob 
porte  dessous  un  large  caleçon  blanc  et  un  caftan  serré  aux  flaics 
par  une  ceinture  de  soie.  La  chaussure  est  la  babouche  jaune  sa  la 
botte  de  même  couleur.  La  coiffure  est  le  turban. 

Le  vêtement  du  campagnard  et  du  citadin  pauvre  se  compose 
d'une  grosse  robe  de  toile  ou  de  laine,  qu'on  met  par  la  tète, 
comme  un  sac,  et  qui  descend  un  peu  plus  bas  que  le  genon.  Oo 
n*a  là-dessous  ni  cheuùse  ni  caleçon;  aussi  la  toilette  d'un  ifaore 
est-elle  bientte  faite.  Ce  sarrau  rustique  se  nomaie  dpéaM;'ûes^ 
d'un  usage  universel.  Les  Juifs  portent  le  soulam  moir,  agrafe  sur 
l'épaule,  et  vottt  nu4ête. 

Les  femmes  maures  portent  toutes  le  haïk,  les  riches  coaune 
les  pauvres;  elles  s'en  couvrent  la  tête  en  guise  de  vo3e,  de  na- 
nière  à  ne  laisser  hbres  que  les  yeux.  Vue  par  derrière,  cette  coif- 
fure rappelle  un  peu  celle  qu'on  prête  à  nos  antiques  druidesses. 
Quelques-unes  portent  un  large  chapeau  de  paille.  Souvent  les 
femmes  n  ont  pas  d'autre  vêtement  que  le  haïk  ;  et  comme  le  hA 
des  femmes  est  d'une  étoffe  plus  Gne  que  celui  des  hommes,  quoique 
ample  et  onduleux^  ce  costume  n'en  accuse  pas  moins  fort  souvent 


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éÊê  "tatnmB  k  yrm  dirG  ^mi  utirsyantes.  On  màt  que  rembcm- 
point  est  la  première  condition  de  la  beauté  norescpie;  les  plus 
grottes  soBt  les  phu  belh».  Pour  adie^^r  de  «e  défigurer^,  elles 
s'«arf«eloppeitt  les  jambes  de  ^tasMielettes  de  toile  affreuses  à  voir. 
Je  ne  :8a«rais  porter  ^e  des  ^feannes  que  j'ai  pu  rencontrer  dans 
les  rues  on  dans  les  ^champs.  Les  mystères  de  rintérieur  sont 
iaascessiUes  aux  Européens  eneore  pliw  qu^aux  enfans  da  pro^ 
{Hièle. 

La  diose  qui  frappe  le  plus^  après  le  costame,  c'est  le  sflence.  II 
est  tel  qu'on  se  croin^  au  rillage;  encore  le  yillage  a4^{l  sa  cloche, 
h  Tille  musufanane  n'en  a  poinu  De  deux  heures  en  deux  heures,  le 
nauétin  monte  sur  le  minaret  (soma);  il  arbore  un  étendard  blanc, 
et  appelle  le  peuple  à  la  prière  d'une  voix  monotone  et  tremblottante. 
On  ne  peut  rien  entendre  de  plus  triste  que  cette  voix  aérienne, 
surtout  la  nuit.  Tanger  n'a  qu'une  mosquée  un  peu  apparente,  qui 
est  sunncHitée  d^nn  haut  minaret  carré,  recouvert  de  briques 
T»tes,  qu'on  voit  reluire  au  soleil  comme  les  écailles  d'un  lézard 
gigantesque.  La  mosquée  n'a  pas  de  porte.  Les  croyans  y  pénètrent 
à  toute  heure  du  jour  et  de  la  nuit  en  laissant  leurs  babouches  à 
rentrée.  Je  n'ai  pas  remarqué  que  le  prêtre  portât  un  costume 
particulier;  n^see  qui  ne  m'a  point  échappé,  c'est  le  regard  dé- 
vorant qu'il  jetait  sur  moi  toutes  les  fois  que  je  passais  devant  sa 
mosquée;  ce  qui  l'indignait  le  plus,  c'était  de  me  voir  garder  mes 
bettes.  Quanta  s'introduire  dans  le  sanctuaire,  il  n'y  faut  pas  même 
songear;  im  chrétien  qui  entre  volontairement  dans  une  mosquée  est 
ausilAt  conduit  chez  le  kadi,  et  n'a  d'autre  alternative  que  Tab- 
jiralion-ottta  mort.  Là-deesus  la  loi  mahométane  est  si  rigide, 
que  c'est  jpur  une  laveur  toute  spéciale  que  les  ambassadeurs  ob- 
tisaBem  du  sultan  de  Constantiiiopie  de  visiter  une  fois  Sainte-So- 
phie. B  est  d*u«sge  d'en  ftÉre  la  dmnande  à  l'audience  de  réception. 
Le  peuple  turc  ne  voit  pas -sans  horreur  cette  profanation;  on  con- 
naît ee  trait  d'une  femme  qui  sauta  furieuse  à  la  face  de  l'am- 
bassadeur russe  et  le  SMffieta,  parce  qu'étant  dans  la  mosquée, 
il  avait,  sans  y  prendre  garde,  craché  par  terre.  AuHaroc,  ce 
israit  bien  pis,  et  il  n'y  a  pas  d'ambassadeur,  si  puissant  fût-il, 
qid  osât  flores  la  consigne.  D  fallait  voir  l'attitude  menaçante  des 
ftossaus  lotv^n  je  me  permeuais  seulement  d'approcher  du  seuil 
impé  pMT  aiiMx  votr  l'intérieur.  Je  ne  itérais  pas  resté  là  impu- 


\on 


»^ 


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Goc 


272  REVUE  BBS  DEUX  MOIfDES. 

nément,  et  Tanger  pourtant  est  de  tout  l'empire  la  ville  la  plus 
familiarisée  avec  la  vue  des  chrétiens. 

Tanger,  en  arabe  Tangia,  n'est  pas  une  belle  ville,  tant  8*en  faut. 
Les  maisons  sont  basses,  irréguliéres,  mal  bâties  et  totalement 
dénuées  d'architecture.  Elles  sont  toutes  taillées  sur  le  même  pa- 
tron :  c'est  une  grosse  masse  carrée,  sans  jour  extérieur,  avec 
une  terrasse  pour  toit,  le  tout  passé  à  la  chaux;  on  conçoit  que 
ces  grands  cubes  blancs  et  uniformes  ne  soient  pas  fort  gais  i 
voir  et  qu'ils  ne  jettent  pas  beaucoup  de  variété  dans  une  viBe. 
Les  maisons  se  ressemblent  à  l'intérieur ,  comme  elles  se  ressem- 
blent au  dehors;  elles  ont  toutes,  ainsi  qu'à  Pompm,  une  cour 
carrée  sur  laquelle  s'ouvrent  un  rez-de-chaussée  et  un  pronier 
étage,  soigneusement  clos  par  de  lourdes  portes  ferrées  et  ver- 
rouillées. Quelques-unes  de  ces  cours  sont  ombragées  de  vignes 
ou  de  figuiers. 

Les  rues,  ou  plutôt  les  sentiers  qui  serpentent  entre  ces  jalouses 
forteresses ,  sont  étroites ,  tortueuses ,  pleines  de  cailloux  et  d'im- 
mondices. Une  seule  rue  passable  et  assez  droite  traverse  toute 
la  ville  du  haut  en  bas,  et  descend  à  la  marine.  Cette  rue  est 
coupée  en  deux  par  une  place,  la  seule  de  Tanger,  et  bordée 
dans  sa  partie  supérieure  de  deux  rangs  de  boutiques.  La  phoe 
en  est  aussi  environnée  :  c'est  le  Palais-Royal  de  Tanger.  Hiis 
quelle  saleté  1  quelles  odeurs  I  La  boutique  maure  est  une  espèœ 
d'antre  noir  et  profond,  creusé  dans  le  mur,  sans  porte,  aYec 
une  fenêtre  à  hauteur  d'appui  où  la  marchandise  est  étalée,  et 
par  laquelle  on  sert  le  chaland  qui  reste  en  dehors.  Gravemeot 
accroupi  sous  Tauvent,  le  flegmatique  vendeur  attend  la  prati- 
que en  fumant  le  kif  ou  le  hachichia,  deux  plantes  qui  rempla- 
cent le  tabac  chez  les  Maures.  Toutes  les  boutiques  sont  tenues  par 
les  hommes  ;  les  femmes  ne  sont  pas  jugées  dignes  d'un  si  haut 
emploi.  Véritables  bétes  de  somme,  elles  portent  l'eau  et. le  bois; 
on  s'en  sert  aussi  pour  tourner  la  meule  des  moulins,  et  mémeoB 
en  voit  à  la  charrue,  attelées  à  côté  d'un  âne  ou  d'un  mulet,  et 
partageant  avec  eux  le  dur  labeur  et  les  coups  d'aiguiUon. 

Ce  qu'on  prend  souvent  pour  une  boutique. est  un  tribunal  ou  on 
bureau  public.  Les  hauts  fonctionnaires  siègent  accroupis  àlafenétre 
comme  le  boutiquier  :  c'est  là  que  le  keuii  rend  la  justice,  et  que  le 
muhiesib  fait  la  police.  On  amène  le  délinquant,  le  cas  est  exposé 


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LE  KÀROC.  273 

sans  phrases  9  et,  la  sentence  prononcée,  eUe  s'exécute  sur  place, 
irinstant  même,  sans  appel.  Dans  les  affaires  correctionnelles, 
les  riches  s*en  tirent  d'ordinaire  au  prix  d*une  amende.  Ne  pou- 
vant payer  de  leur  bourse,  les  pauvres  paient  de  leur  personne, 
le  knout  et  les  étrivières  sont  leur  partage;  suivant  la  gravité 
du  délit,  on  les  frappe  par  devant  ou  par  derrière;  linstru- 
ment  du  supplice  est  un  nerf  de  bœuf  appelé  asfil,  que  les  exécuteurs 
ont  coutume  de  porter  sur  T  épaule  comme  les  caporaux  autrichiens 
portent  la  baguette  de  noisetier  pendue  aubaudrier .  Dans  aucun  cas, 
on  ne  peut  infliger  au  patient  plus  de  neuf  cent  quatre-vingt-dix-neuf 
coups  ;  on  les  compte  sur  un  rosaire.  Si  c'est  un  voleur,  on  lui  coupe 
la  main.  Il  y  a,  du  reste,  au  Maroc  une  grande  variété  de  supplices  : 
tantôt  on  jette  le  condamné  en  Tair  de  manière  qu'en  retombant  il 
se  casse  un  bras ,  une  jambe  ou  la  tète ,  suivant  la  sentence ,  et  les 
exécuteurs  sont  si  bien  dressés ,  qu*ils  ne  manquent  jamais  leur 
coup;  tantôt  on  Tenterre  jusqu  au  cou ,  livrant  sa  tète  à  tous  les 
outrages  des  passans.  D'autres  fois  on  renferme  vivant  dans  un 
bœuf  mort,  ou  bien  on  l'attache  à  la  queue  d'une  mule  au  galop. 
Souvent  encore  on  lui  remplit  de  poudre  le  nez,  la  bouche  et  les 
oreilles,  puis  on  y  met  le  feu.  Le  pal,  Tauge,  la  mutilation  des 
membres,  le  croc,  sont  autant  de  genres  divers  de  cette  effroyable 
pénalité.  Mais  la  loi  par  excellence,  la  loi  deprédUection  est  toujours 
la  loi  du  talion  ;  on  ne  manque  jamais  de  rappliquer  toutes  les  fois 
qu'elle  est  applicable.  On  en  cite  un  exemple  récent  dont  l'idée 
seule  fait  frémir.  Un  charcutier,  convaincu  d*avoir  vendu  de  la 
chair  humaine  frite  à  Thuile,  fut  coupé  en  petits  morceaux;  et  jetés 
un  à  un  dans  une  chaudière  bouillante,  ces  affreux  lambeaux 
étaient  donnés  aux  chiens  à  la  vue  de  l'agonisant. 

Nul  homme  ne  pouvant  mettre  la  main  sur  une  personne  de  l'au- 
tre sexe,  il  y  a  une  exécutrice  des  hautes  œuvres  pour  les  fenunes; 
elle  se  nomme,  par  anti-phrase,  ahrifa,  c'est-à-dire  tolérante,  conune 
bs  Grecs  appelaient  les  furies,  Euménides,  bienveillantes.  L'Eumé- 
nide  africaine  arrête  les  femmes,  les  fouette,  les  décapite,  leur 
coupe  les  oreilles  ou  le  sein;  et  plus  elle  est  vieille  et  laide,  plus 
elle  se  platt  à  torturer  la  jeunesse  et  à  défigurer  la  beauté.  Les 
exécutions  féminines  se  font  en  secret. 

Le  hasard,  qui,  le  jour  de  mon  arrivée,  m'avait  fait  tomber  au 
milieu  d*une  procession  de  leipdoucha,  me  rendit  témoin,  le  jour 

TOME  VII.  18 


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^4  REVUE  D8S  MtJX  HOIfDES. 

atf^âBt  »  d*md  «ttè^ttikm  i  wmi.  &m  -Meifilult  tero  la  pirte  et 
nmrdié  ^em  ^fttr^yaftdiers  4tt  BME.  b  étaknit  cMriétrès 
cottniiê  coepaM66  d«  làse^n^e^é  pour  «roir  frwitré  le  sMVQrài 
de  «es  droits  de  4ofMriie ,  «t  wmnie  tels,  on  leur  tranclMtt  faltie 
tetitement  avec^OBiBWTais  ck)ateaudepoche^,  en  commengsMifar 
l&'ntiqiie.  Lesititrépides  montagnards  sabir em^ette  twiareMpooe 
apyec  un  stoidsnie  liëroîqHe  ;  ils  ne  proférerait  pas  nne  {dGÉtee^et 
]lMmrtnr€fnt  en  silenee.  Quand  les  lètes  furent  séparées  dvitnnic,  ai 
les  fitsaler  par  un  Inlf  en  signe  dignottinie,  «t  dans  cet  éiift^les 
ftnrem  accrochées  à  la  muraille  pour  servir  d'e&emple  à  la  ieale, 
idfisi  quecela  se  pratique  en  Italieet  dans  Jes  autres  eldorados  deii 
dvflisation  chrétienne.  L*eiécution  terminée,  les  botnrreanKa^^iiAih 
rent  à  toutes  jambes,  poursuivis  à  coups  depierres  par  le  peuple* 
Cest  toujours  ainsi  que  les  spectateurs  paient  leurs  places  à  cm 
horribles  tragédies.  Là  encore  je  trowve  Vorigined'im  usage  espi* 
gnol.  A  Grenade,  la  dernière  viUe  d'Europe  arrachée  à  rcmpN 
du  croissant,  le  bourreau  a  une  garde  à  sa  porte  et  ne  sort  jamii 
sans  escorte.  Ces  précautions  ne  prouvent-cdios  pas  que  les  Qwu^ 
ditts  sont  restés  Maures  sur  ce  point,  et  que  reacéouteiir  est  expcMé 
aux  mêmes  dangers  que  ses  collègues  d'au-^elà  dm  détroit? 

Quelque  barbare  que  soit  la  législation  maroeaine,  il  Aiut  dira 
eependant  que  la  vie  des  hommes  n*y  est  jamais  livrée  à  Tarbitrâîre 
des  autorités  subalternes;  on  réfère  au  sultan  de  toutes  les  ces* 
damnations  cnpitdes,  et  aucune  ne  peut  recevoir  d'exécution  sans 
son  ordre  exprès.  Il  est  vrai  que  cet  ordre  est  généralement  ftn^ 
mule  en  termes  vagues,  ambigus,  et  toujours  sujets  à  interpré' 
tation.  Cest  là  une  ruse  machiavélique;  le  isukan  obscurcit  à 
dessein  sa  pensée,  afin  de  pouvoir,  au  besom,  rejeter  «ur  la  té» 
d-un  kaïd  ou  d'un  bâcha  qu'il  veut  perdre,  la  responsabilité  d'^n 
ordre  mal  compris  parce  qu'il  a  été  mal  exprimé.  U  semble  qn'irii 
despote  aussi  absolu  que  le  chérif  des  chérife  ne  devrait  pas  avoir 
besoin  de  prétexte  pour  se  défaire  d*un  homme  ;  mais  il  est  toujours 
plus  prudent,  même  en  Afrique,  de  mettre  de  son  côté,  sinon  te 
droit,  du  mohis  les  apparences  du  droit,  et  de  couvrir  la  cupidité 
du  masque  de  la  justice  et  du  bten  publie. 

On  ne  dit  pas  que  le  sultan  actuel,  Muley-Afod-er-Rabman,  use 
volontiers* de  ces  moyens  perfides;  c'est  un  homme  doux,  d'un^es- 
priijudideox ,  d^un  «cMir  dr^t,  et  l'an  dés  «eiUeurs-souvwite 


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A»  éefdê  lûBi^mps»  ak  tenu  le  sceptre  daMaiM.  Avant  é'itf% 
iperew»  il  avail  éié  long-leaipa  bâcha  deMoggjdor  tt  a'éuôi  iiét 
r  daaa  «eagouYerBeneM.  Let  exécmiMa  capkalea  ft^ont  jattati 
étèaî  Tares»  et  l'empire  jouit  d'une  proapérité  natérieUe  qui  ravi- 
rait é'me  aos  plus  fougae«x  tribuas.  D  »*e«ARit  qoe  Sutekaan  (1), 
OMie  et  {urMéeeMeiir  d'Abd-er-RahaaaB^  qiMMqu'fl  bû  fftt  Ùm 
avpérieor  par  les  lumiàreaet  par  le  caractàre,  ait  joiii  d'an  règae 
aussi  prospère;  la  fin  de  sa  vie  fat  orageuse  et  eofaagjaiitée  par 
Mae  fennidable  iaswreetieades  Anazirgnesy  race  aberigèiie  qu^on 
désigae  i  tort  en  Europe  aous  le  double  mom  de  Berbires  et  de 
ScheUelLSy  et  dont  bous  aurons  r^ecadon  de  parler  uae  autre  léia. 
Puis(|ae  le  nom  de  Suleimanest  revenu  sur  ueCracheniii,  void 
au  aatre  trait  de  lui  qui  trouve  ici  aaturelieHieBt  sa  place.  SideimaD 
était  campé  au  pied  de  F  Atlas  dans  la  proviuee  de  Tedla;  c'était 
peadaut  la  tévdite  des  Amaiirgues,  en  1819  ou  20;  un  cbekk 
arabe  découvrit  qa*un  inconnu  s'introduisait ,  la  nuil»  dans  sa 
tente  et  déshonorait  son  lit.  Soupçonnant  que  le  ravisseur  de  son 
honnear  étak  un  chérif,  il  n'osa  le  châtier  lui-inéine;  il  porta 
{AttBte  au  sidtan  et  lui  confia  sa  veng^aace.  Suleiman  s'an  chargea; 
3  pénétra  sous  un  déguisenient  dans  la  tente  de  l'Arabe  outragé, 
surprit  l'adidtère  et  le  tua  de  sa  propre  main  dans  les  ténèbres» 
sans  savoir  qm  ee  pouvait  être.  On  reconnut,  au  joor,  que  c'était 
un  officier  de  la  gsffde^u-corps;  alors  le  sultan  se  prosterna  la 
lace  contre  terre,  rendant  grâce  à  Dieu  de  ce  qu'appelé,  par  lui, 
àpanir  un  aï  grand  attentat,  il  n'avait  pas  eu  le  malheur  de  frapper 
un  chérif  de  sa  famille  ou  même  son  propre  fils.  U  y  a  dans  ces 
actes  de  justice  instinctive  je  ne  sais  quelle  grandeur  sauvage  qui 
étonne  etquî  séduit.  Si  ces  formes  barbares  répugnent  à  nos  nusurs, 
i  nos  doctrines,  on  ne  peut  dire  que  dans  ce  cas,  cependant,  les 
lais  de  la  morale  éternelle  aient  été  vidées.  Guidé  par  sa  droiture 
naturelle,  le  barbare  ici  s'^ve  à  rhéroïsme. 


La  seule  partie  de  Tanger  qui  ait  du  caractère  est  le  château  ou 
Kassaba,  bâti  au  sommet  d'une  colline»  et  qui  domine  toute  la  ville. 


(f)  n  arait  usurpé  le  trtoe  svr  son  ncreii  en  bas  ftge,  exaetemeat  comme  Manfred  en 
«mH  i#  STec  Cooradin  ;  nAls  U  le  liU/eodit  à  sa  mort ,  tt  IWS. 

18. 


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376  REVUE  DES  DEUX  MOIfDBS. 

On  y  monte  par  un  rude  sentier  en  zig-zag  ^  et  une  des  portes 
donne  sur  la  campagne.  Ce  ch&teau  a  pu  être  fort  autrefois  ;  les 
bàtimens  sont  maintenant  tout-à-fait  délaissés  et  tombent  en  ruines. 
Mais  malgré  son  état  de  «dégradation ,  c'est  un  monument  d'ardû- 
tecture  moresque  iui^t^ssant  à  étudier.  On  aurait  de  la  peine  i  j 
reconnaître  un  plan,  il  y  règne  une  confusion  complète;  donjons, 
murs  et  parapets ,  tout  semble  avoir  été  bâti  au  hasard  ;  c*est  un 
grand  pèle-méle  où  Tœil  se  perd. 

On  pénètre  de  Tintérieur  par  un  couloir  oblique  et  obscur;  oa 
entre  dans  une  première  cour  ornée  de  colonnes  évidenmient  ro- 
maines,  et  sur  laquelle  s*ouvrent  plusieurs  appartemens  dans  le 
style  de  TAlhambra  de  Grenade ,  et  plus  exactement  de  FAkazar 
de  SévillOy  mais  bien  moins  spacieux  et  moins  ornés.  Les  plafonds, 
qui  sont  concaves  et  sculptés  en  bois  avec  une  délicatesse  extrême, 
sont  encore  charmans,  quoique  à  moitié  tombés.  Le  temps  aura 
bientôt  achevé  d'en  consumer  les  dorures.  Les  lambris  étaient 
tapissés  d'arabesques  peintes ,  mais  on  a  tout  passé  à  la  chaux.  Les 
arabesques  elles-mêmes  ont  beaucoup  souffert;  le  mur  est  lisse  en 
plus  d'un  endroit.  Les  portes,  qui  ont  été  sculptées  avec  le  même 
art  que  les  plafonds,  sont  vermoulues  et  hors  d'emploi;  du  reste, 
il  n'y  a  rien  à  fermer,  car  tous  ces  appartemens  sont  abandonnés 
aux  hirondelles  et  aux  palombes.  Quand  on  y  entre ,  elles  s'envo- 
lent par  nuées.  Les  cours  sont  pavées  de  dalles  de  pierre,  quel- 
ques-unes avec  assez  de  goût.  Je  n'ai  pas  besoin  de  dire  que  toutes 
les  portes  et  toutes  les  voûtes  sont  taillées  en  trois  quarts  de  cercle^ 
coupe  sacramentelle  de  Tare  moresque. 

Un  escalier  dégradé,  comme  tout  le  reste,  mène  aux  terrasses 
supérieures.  L'ascension  est  difficile,  mais  on  est  dédommagé  de 
sa  peine,  en  atteignant  le  faite,  par  Tair  pur  qu'on  y  respire  et  le 
vaste  horizon  qu'on  a  sous  les  yeux.  Ces  terrasses,  dont  quelques- 
unes  ne  sont  pas  sans  élégance,  ne  forment  point  une  plate-forme 
unie,  mais  sont  échelonnées  en  gradins  inégaux ,  et  séparées  par 
les  cours  intérieures.  Comme  j'étais  là  sautant  de  Tune  à  l'antre, 
une  de  ces  cours  m'arrêta.  Mon  regard  plongea  par  hasard  au  fond  ; 
un  spectacle  inattendu  l'y  retint.  Cette  cour,  quoique  fort  resserrée, 
était  plutôt  un  jardin  ;  il  y  av  ait  au  milieu  un  jet  d'eau  et  de  la  ver- 
dure tout  autour  :  à  l'un  des  angles,  un  vieil  Arabe,  accroupi  sur 
ses  talonS;  fumait  gravement  sa  pipe,  et  il  était  si  complètement 


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LE  MAROC.  277 

immobile  sous  son  grand  haïk,  qu'on  Taurait  pris  pour  une  statue; 
en  fece  était  une  femme  accroupie  comme  lui  sur  un  tapis  du  Dou- 
calla,  et  plongée  dans  la  même  immobilité.  Autant  que  j'en  pus  ju- 
ger à  vol  d'oiseau,  elle  était  jeune  et  fort  belle  selon  le  goût  maure, 
c'est-à-dire  fort  grasse.  Elle  ne  portait  pas  de  haïk,  mais  un  caftan 
bleu  brodé  en  or,  et  une  espèce  de  Yoile  de  soie  rejeté  en  arrière 
comme  celui  des  nonnes.  Ses  pieds  nus  étaient  chaussés  de  pantou- 
fles rouges,  et  il  me  parut  qu'elle  roulait  un  rosaire  entre  ses 
doigts.  D'autres  femmes  allaient  et  venaient  dans  l'intérieur;  c'é- 
taient sans  doute  des  servantes;  parmi  elles  était  une  négresse.  Les 
deux  statues  de  la  cour  se  regardaient  sans  parler  ;  et  perchée 
sur  une  pale  au  coin  de  la  terrasse,  une  cigogne  semblait  dormir 
au  soleil.  Un  lourd  donjon  carré  couronnait  le  tableau  de  sa  masse 
jaunâtre. 

L'immobilité  de  la  scène  était  telle  que  j'aurais  fort  bien  pu  pren- 
dre pour  une  toile  inanimée  la  réalité  vivante  que  j'avais  sous  les 
yeux.  J'aurais  voulu  que  le  téte-à-tête  s'animât  un  peu;  ce  n'était 
pas  la  peine  que  le  hasard  eût  soulevé  pour  moi  le  rideau  du 
harem,  si  je  n'en  devais  pas  voir  davantage.  Posé  là  comme  la  ci- 
gogne ma  voisine,  j'attendais  qu'il  se  passât  quelque  chose  et  qu'il 
plût  au  couple  silencieux  de  sortir  de  sa  quiétude  impassible.  Je  ne 
sais  combien  d'heures  j'aurais  attendu,  si  un  cri  rauque,  poussé 
derrière  moi,  ne  m'eût  fait  tourner  la  tête  :  le  soldat  noir  que  le 
kaîd  m'avait  donné  pour  me  servir  de  guide  et  d'escorte,  avait 
découvert  ma  profane  indiscrétion,  et  il  accourait  vers  moi  tout 
épouvanté ,  en  faisant  avec  la  main  le  geste  de  la  décollation.  Il  fallut 
bien  se  rendre  à  un  argument  si  plausible ,  d'autant  plus  que  le  cri 
du  nègre  avait  fait  envoler  la  cigogne,  et  le  bruit  des  grandes  ailes 
de  la  fugitive  avait  sans  doute  réveillé  le  couple  endormi.  Si ,  levant 
les  yeux,  ils  m'avaient  aperçu,  quel  coup  de  théâtre!  quel  scan- 
dale! quelle  admirable  occasion  de  rançonner  un  chrétien! 

L'Arabe  que  je  venais  de  surprendre  dans  le  mystère  de  son  in- 
térieur, était  un  prisonnier  d'état,  un  ancien  kaïd  d'Azamor,  en- 
fermé là  avec  ses  femmes  pour  crime  de  concussion.  On  lui  avait 
déjà  fait  suer  200,000  piastres;  il  en  a  encore  autant  à  rendre; 
après  quoi  on  l'enverra  peut-être,  comme  cela  s'est  vu,  balayer 
la  ville  qu'il  a  pillée.  Le  Maroc  est  le  règne  de  l'égalité  parfaite  : 
d'un  savetier  le  sultan  fait  un  bâcha  et  d'un  bâcha  un  savetier. 


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sens  REYUB  DE8  DEUX  HONDES. 

Excepté  le  donjon  oocopé  par  le  captif,  et  an  aatreqvi  «rtii 
prison  pour  les  femmes,  et  dont  mon  gnidfi  eut  grand  aom  de  ■• 
tenir  éloigné,  le  château  eat  inhabité  ;  les  cigognes  ea  ont  pris  ^im- 
session  ;  c  est  Toiseau  sacré  des  musulmans ,  et  les  tuer  est  un  a- 
crilége.  La  garnison  actuelle  se  compose  d'un  corps  de  garde  di 
trois  ou  quatre  soldats  qui  n*OKit  rien  à  faire  qu*à  dormir.  Quel- 
ques masures  groupées  autour  de  la  forteresse  en  ruine,  formsBt 
une  espèce  de  faubourg  qui  a  sa  mosquée  particulière.  L*herbl 
croit  dans  Tenceinte ,  comme  dans  la  eour  d*un  cloître  désert. 

Du  château  on  domine,  du  même  coup-d*oûl,  toute  la  ville;  je 
découvris  de  là  un  quartier  ou  le  hasard  ne  m*arait  pas  condvt 
et  qui  est  le  plus  misérable  de  Tanger.  U  n'y  a  pas  même  de  mai- 
sons ,  mais  des  huttes  de  roseaux  recouverts  de  boue  en  guise  ds 
ciment.  C'est  comme  un  village  ou  plutôt  un  adouar  au  milieu  ds 
la  cité.  Vue  ainsi  de  haut,  la  ville  est  pittorescpie;  le  rapprochement 
des  maisons  moresques  et  dos  palais  consulaires  forme  un  contraste 
piquant,  et  quand  les  pavillons  flottent  dans  Tair,  toutes  les  cou- 
leurs de  Tar&en-ciel  ondoient  au  soleil.  Les  œnauls  sont  fort  Jaloux 
de  leur  droit  de  bannière,  c*est  à  qui  éleveca  le  plua  haut  la  sienne^ 
et  les  deux  puissances  encore  aujourd'hui  tributaires  du  llaroc, 
la  Suède  et  le  Danemarck ,  ne  sont  pas  sur  ce  point  les  moins  sa»- 
ceptibles  et  les  moins  fastueuses.  La  mer  ajoute  à  la  beauté  da 
coup  d'œil;  cette  mer,  la  plus  belle,  la  plus  poétique  du  monde, 
est  le  détroit  de  Gibraltar.  Ce  n'est  déjà  plus  la  Méditerranée,  si 
ce  n'est  pas  encore  l'Océan  :  c'est  la  grâce  de  l'une,  son  auir  lioi- 
pide  et  argenté;  c'est  la  majesté  de  l'autre,  ses  longues  lames  et 
ses  grands  coups  de  vent.  La  c6te  d'Europe  est  inq>osanta;  Tanfii 
blanchit  au  pied  des  montagnes  d'Andalousie,  conmie  un  nuage 
vaporeux. 

La  vue  de  terre  a  aussi  ses  prestiges;  la  canquigne  de  Tanger 
est  riante,  sinon  grandiose.  Les  jardins  des  consuls^  sitnés  autaur 
et  très  près  de  la  ville,  l'environnent  d'une  ceinture  de  verdare 
fraîche  et  parfumée;  mais  la  végétation  n'est  guère  plus  africaine  sur 
cette  rive  que  sur  l'autre.  Je  n'y  ai  pas  vu  un  seul  palmier;  seule* 
ment  les  Gguiers  de  Barbarie ,  appelés  par  les  Maures  figuiers  des 
chrétiens,  karmaus-al-Ansaran,  prennent  un  développement  prodi* 
gieux;  il  y  en  a  un,  entre  autres,  dans  le  jardin  de  France,  dont 
le  tronc  est  énorme;  et  en  fait  d'arbres  exotiques,  le  jardin  de 


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tmbàa  possède  uà  ûkéfétnonim  âû  PttoVL  qêi  di>riv%  M  fikmé  matii^ 
rilé  et  prodeit  des  firuitu  Orè»  MtiéBteilx.  Vtà&ès^  get^ian,  attietiit, 
comme  ie  figuier  d*ItiAe)  de$  ^mënsieiis  {|<gaMe9ti[ires.  H  y  a  çà  et 
là  quelques  grosses  touffes  de  genêt ,  et  des  lauriers-roses  partout 
«É  i  ^  à'éé  i*eau.  On  se  s^é^  po^  Tinrigatioii  de  ht  noriû  [puiserandé), 
si  répandue  en  Eépagtie,  et  dbnt  Torigitie  est  maure  eotnme  le  nom, 
funtran*  Cest  ttft  de»  meilleurs  t^s  que  lés  Espagnols  «îènt  réçtid 
ée  leurs  pères  les  Arabes,  et  ils  Font  gardé  soignefùsement. 

A  qfuelques  tniiles  de  la  ville,  en  aSIMt  au  tàp  llalabatte,  est  une 
ruine  romMne  qu*on  appelle  le  vieux  Tanger,  mais  qui  n^'est  autre 
qu'une  ancienne  station  ou  M  eliantiér  de  griètes.  Les  Maures  en 
avaient  feit  une  batterie  qui  cominaildait  la  baie,  et  qvA  est  aujour- 
d'hui rédoite  à  un  canon  sans  affftt.  L'ancienne  Tîngis,  capitale  de 
la  Tingitane,  occupait  le  même  site  que  le  moderne  Tanger  ;  seule- 
ment le  sol  paraît  s'être  élevé,  soit  par  retttassement  dés  décom- 
bres, soit  par  Teffét  de  quelque  tremblement  de  terre.  On  y  décou- 
vre de  temps  en  temps  defs  àntiqititéél  romaines:  le  consul  d'Espa- 
gne venait  de  déterrer,  en  creusant  un  puits  derrière  la  grande 
ino^qpDée,  une  mosaïque  et  un  autel;  mais  r aveugle  pioche  des  ou- 
vriers avéte  tout  fnis  en  pièces. 

Ainsi  les  civilisatiolrô  îse  superposent,  et  la  terre  les  couvre  l'tme 
après  l'autre  de  son  frOid  li^cetd.  La  voix  du  Muedzin  résonne  aux 
lieux  oiù  fumait  Véttcens  des  Flaminles,  la  mosquée  du  prophète  à 
détrAné  l'autel  de  Jlipitèfr,  et  le  croissant  brille  à  te  même  soleil  où 
brillait  l'aigle  des  légions  rom»nés.  Là  où  les  galères  de  la  répu- 
Miqoe  venaient  aiguiser  leurs  roitra  nsès  par  la  victoire,  le  pécheur 
maure  vient  aitiarrer  son  frêle  canot  ;  et  descendu  de  la  colline,  le 
chamelier,  assis  sur  le  caiion  rouillé,  fait  retentir  la  plage  déserte  de 
aon  cri  rauque  et  discordant.  Toutefois  il  est  à  reînarquer  que  ces 
terres  barbares  n'ont  pas  d'originalité  historique:  labourées  par  la 
oonqdéte  et  dévouées  à  un  esclavage  éteriièl ,  elles  ti'ont  aucuns  sou- 
VMtrs  qtti  leur  soieift  propres  ;  leur  individualité  disparah  dans  l'au- 
réèle  éblouissante  dès  conqiiérâns;  hier  c'étaient  les  Romains; 
n^jdtird^liui  c'est  Mahotnet;  demain  qui  ^era-cè?  Trois  nations  à 
la  foiSKMit  l'ofiletdéjà  le  pied  silr  ee  ridie  ^érita^e  :  TEspagne 
csmpe  à  Geuta,  l'Angleterre  à  Gibr^Itlir,  Alger  colifihe  aU  Maroc. 
Quel  que  soit  le  choix  de  la  Providence,  à  qtkektu'une  des  trois  rir 
Trtn  qu*«Ae  CMMe  son  m^àêtA  Biàptétm,  l'aVetrir  dé  ces  peuples 


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280  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

ii*est  pas  douteux;  ils  sont  promis  à  TEurope,  ils  lui  appartiennent 
fatalement  par  le  droit  de  Fintelligence;  la  civilisation  occidentale 
doit  les  entraîner  tôt  ou  tard  dans  son  irrésistible  tourbillon. 

Je  redescendis  du  ch&teau  par  le  même  sentier  raide  et  tortueux 
qui  m*y  avait  conduit^  et  je  rencontrai  sur  ma  route  plusieurs  fem- 
mes chargées  de  lourdes  cruches  d*eau  et  de  fagots  secs.  Elles 
gravissaient  péniblement  la  c6te,  et  quand  elles  étaient  jeunes  et 
jolies,  elles  ne  manquaient  jamais  de  me  le  laisser  voir  en  soulevant 
un  coin  de  leur  voile.  Arrivé  au  bas  de  la  colline  et  rentré  dans  le 
cœur  de  la  ville ,  je  fus  attiré  dans  une  rue  voisine  par  un  grand 
bruit  de  tambour  et  de  musette.  Je  pensais  trouver  là  des  Aïsaoua: 
c*était  une  noce  ;  les  parens  et  amis  de  la  mariée  lui  donnaient  Tau- 
bade,  et  comme  il  faut  toujours  du  sang  à  ces  sauvages  y  ils  venaient 
d*immoler  un  bœuf  à  sa  porte.  Les  gens  de  la  fête  trépignaient  dans 
le  sang  en  poussant  des  hurlemens  de  joie  à  faire  fuir  tous  les  Joi6 
à  la  ronde.  Sans  Fescorte  de  mon  soldat  nègre,  qui  devait  répondre 
de  moi  au  kaïd,  je  n*aurais  pas  été  moi-même  très  rassuré.  Encore 
fallut-il  tourner  la  noce,  car  la  rue  était  étroite,  le  bœuf  inunolé 
gisait  sur  le  carreau,  et  je  n'aurais  pu  passer  sans  mettre  le  pied 
dans  une  mare  de  sang.  Toutes  ces  cérémonies  sacramentelles, 
toutes  ces  allégresses  de  circonstances  sont  tarifées  et  se  paient  i 
beaux  deniers  comptans;  les  formalités  matrimoniales  sont  les  plus 
chères.  De  là  sans  doute  ce  proverbe  indigène  que  les  chrétiens 
dissipent  leur  argent  dans  les  procès,  les  Juifs  dans  les  fêtes  reli- 
gieuses, et  les  Maures  dans  les  fiançailles.  Un  autre  usage,  auquel 
on  ne  manque  jamais,  c*est  de  faire  constater  authentiquement  la 
virginité  de  l'épouse,  et  même  d'en  donner  des  preuves  publiques; 
si  le  fait  est  douteux,  le  mari  a  le  droit  de  renvoyer  sa  femme  à  ses 
parens  ;  le  mariage  est  rompu. 

lin  peu  plus  loin  je  tombai  dans  un  nouveau  rassemblement,  mais 
celui-là  n*avait  rien  d*inquiétant;  je  me  trouvais  devant  la  maison 
du  kaïd,  lequel  donnait  audience,  accroupi  sous  son  vestibule.  D  y 
avait  foule  à  sa  porte;  chacun  passait  à  son  tour;  tous  attendaient 
patiemment.  On  voit  que  rien  n*est  plus  simple  que  les  autorités 
marocaines  :  le  muhtesib  et  le  kadi  siègent  sous  l'auvent  d'une 
boutique,  le  kaid  au  seuil  de  sa  maison. 

Le  kaid^ou  bâcha  (  bossa),  car  c'est  la  mémejdigoité  sous  un  autre 


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LE  HAROO.  28f 

nom,  est  éla  par  le  sultan  et  le  représente  directement.  C'est  un 
{M'éfet;  investi  de  l'autorité  executive ,  il  n*a  rien  à  voir  dans  les 
affaires  civiles  :  les  peuples  les  plus  barbares  ont  un  instinct  na- 
turel qui  les  conduit  à  cette  grande  loi  de  la  séparation  des  pou- 
Toirs,  qur  est  le  fondement  et  la  sauve-garde  de  toute  justice.  Le 
kaïd  préside  à  la  sûreté  publique  et  commande  les  troupes  de  son 
gouvernement.  Il  forme  à  lui  seul  une  espèce' de  tribunal  à  la  fois 
politique,  criminel,  municipal  et  militaire;  et  comme  il  n'y  a  pas 
d'autre  code  écrit  que  le  Koran  et  les  commentaires  fort  élastiques 
de  Malek-Ben-Anès  (1),  l'arbitraire  le  plus  absolu  dicte  ses  sen- 
tences. C'est  bien  ici  que  le  caractère  du  magistrat  et  ses  lumières 
naturelles  influent  sur  ses  arrêts  ;  non-seulement  il  prononce  sur  le 
fût,  mais  sur  la  peine  ;  bien  plus,  il  fait  la  loi,  c'est-à-dire  qu'il  est  à 
la  fois  législateur,  juge  et  jury.  Malgré  tant  de  confusion,  tant  d'ar- 
bitraire, U  règne  dans  les  villes  maures  une  sécurité  qui  étonne  : 
toute  la  nuit  des  patrouilles  de  soldats  font  la  ronde,  sous  les  ordres 
d'un  officier,  kaïd-ed-daur,  commandant  de  la  ronde;  ils  veillent  à 
la  sûreté  des  rues,  et,  pour  quelques  onces,  Us  gardent  les  boutiques 
sous  leur  propre  responsabilité. 

Quoique  je  fusse  entré  dans  sa  ville  sans  sa  permission  et  que 
j'eusse  enfreint  les  lois  de  l'empire^  le  kaïd  ne  paraissait  pas  s'en 
souvenir;  quand  nous  nous  rencontrions,  il  répondait  à  mon  coup 
de  chapeau  européen  en  portant  la  main  sur  son  coeur,  et  au  lieu 
du  simple  salama  (salut)  qu*on  donne  aux  chrétiens,  il  me  donnait 
gracieusement  le  salem  alikom  (la  paix  soit  avec  vous).  C'était  de 
sa  part  une  distinction  particulière;  il  fallait  qu'il  espér&t  de  moi, 
au  départ,  un  bien  beau  cadeau.  Avant  d'être  gouverneur,  cet 
homme  avait  été  condamné,  je  ne  sais  pour  quel  délit,  à  la  baston- 
nade, et  la  sentence  fut  exécutée,  à  Tanger  même,  par  un  sol- 
dat qui  est  aujourd'hui  soldat  d'Espagne  (2).  Il  ne  lui  avait  pas 
gardé  rancune  le  moins  du  monde,  et  ne  lui  avait  jamais  témoigné, 

(f)  LecodedeKalekconlient,  en  quarante  chapitres,  tonte  la  Jnrispradenee  canons 
qne  et  eodéslastique,  laquelle  s'applique  à  tout.  U  existe  aussi  en  matière  civile  et  conv- 
merdale  une  espèce  de  bulletin  des  lois  ;  c'est  un  recueil  de  préceptes  et  un  formulaire 
pour  les  écritures  publiques.  L*auteur  de  cette  compilation  est  Mohamed-Ben-Ardùn. 

(3)  Chaque  consul  a  à  sa  solde  un  soldat  qu'il  reçoit  des  mains  du  gouvernement  en 
signe  de  protection  et  qui  ne  le  quitte  Jamais.  Il  l'accompagne  partout,  soit  à  cheval,  soit 
à  pied ,  et  couche  sur  une  natte  à  la  porte  du  consulat.  Ces  soldats  finissent  par  s'atta* 
cher  «u  consuli  et  leur  sont  quelquefois  dévoués. 


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fn  RETUE  tm  MUX  MONDES. 

l^aM^  4«'€]|e  renfi  phiosophe;  U  wêmBwmp  4e  dé  qvi  fall  tf  if 
fiûlcbu  UD  kaid  Uil  4*w  knïd  lui  suidai,  ai  oetia  perfiétoeUe  iantr 
hUM  est  1100  I^oQa  pat  maneote  d^inpi^Milé  ei  da  madératiot. 

Le  iraÀteiQeiU  Sxe  du  katd  est  d'wimmk  liM  fruos  par  iBoii 
(90  piaatf ea),  et  ik  dok  an  trésor  «q  tanbul  annuel  da  dmible  oi 
triple*  Tout  estloewdé  sur  eeprioe^pe,  d*a&  il  réaiAe  que  lomfiBaip 
tiaeQaire  est  w  oeocmswiaoaire  publie.  Quand  im  kaMi  a  bwo  pri^ 
variqué  et  furesanré  }€tfEig-teo^  le  peuple,  le  sultasa  le  deaiisai H 
confisque  toat  ;  nous  eo  avons  ¥u  vm  exemple  dans  le  kald  d'AOL*- 
mor.  AAa  de  prévenir  les  sonpçons»  les  gottvernenrs  les  pins  »- 
ches  afSeotent  une  grande  «mplksité;  jî»  aKclienl  la  pauvreté^ 
comine  on  affiche  aWenfs  Fopalenee,  Le  kaïd  de  Tanger liabite  m» 
des  maisons  les  plus  siaiples  de  la  vîUe;  fl  a  nn  petit  jardin  i  io 
inîUe  des  murs,  et  il  y  va  toi^nrs  secd,  monié  snr  un  bîdai»  st 
neoon^pacné  d*un  soldat  A  pied,  avaoqui  il  fisk  la  conversation  ien^ 
la  long  du  chemin.  Cesl  quand  je  le  renfcontraîs  ainsi  qn'3  m 
gr^îfiait  du  tmlçm  «rfilpam. 

Ce  soir-là  il  y  eut  une  procession  aux  ftambeanv.  Le  malin  ftr 
vais  vu  un  holooanste  matrimonial;  le  soir  ee  fot  un  baptême,  je 
veux  dire  une  circonciaiQn.  On  portait  Venfont  à  la  mosquée  afec 
une  pompe  eiiraoï^kiaire  et  un  vacarme  effroyable.  La  ftisffltde 
était  si  bien  nourrie,  q«*0A  pouvait  se  eroirei  une  altai^ie  de  Bé- 
douins; e'étmt  un  fdu  de  file  nan^imerrompu;  et  je  croie  qu*i  est 
de  la  prudence,  non^^eulement  pour  les  Juifs,  mais  même  ponrhp 
chrétieni,  d'éviter  pareille  rencontre  s  rien  ne  'aetait  pins  br 
oie  à  un  de  ces  fanatiques  que  de  vous  lâcher  un  oeiip  de  f ns3  dans 
Tombre. 

Au  pied  des  murs  de  Tanger^  du  cAté  de  la  eampagne,  et  ik 
porte  même  de  la  ville,  net  une  place  tonte  «reniée  de  mafeaioivit 
fosses  profondes  et  eifcnknres  nii  Ton  eonaefve  le  blé»  ainsi  que 
cela  se  pratique  en  Calabre  et  ailleurs.  Le  sol  résonne  et  même 
iiuelqueftâs  s^nnfanee  sens  le  pied  des  cberanx,  m  eoaMneonae 
se  hâte  pas  de  refermer  les  trous,  en  risque  de  s'nMmer,  la  nuit, 
dans  les  entrailles  de  la  terre.  C'est  sur  cette  place  que  se  tient 
deux  fois  la  semaine,  le  lundi  et  le  jeudi,  le  mafché  on  Mmk.  Cest 
tm  xx>up-d'œil  pittoresque  qui  mérite  qu*t>n  s^y  arrête.  On  ne  veni 
rien  là  de  bien  précieux,  mais  on  y  vend  de  ton!»  etlon  penl  y  pcen- 


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LE  UkfiÔC. 

étn  ttM  ttâM  jMte  itlte  <iePfndfi9tr{0  et  tle  la  cirffisatkm  hnfigèn^* 
B  f  règBê  motos  de  eosfaskyftqm^on  ne  pourrait  croire;  les  diyer- 
M»  denrées  sont  rangées  par  ordre,  et  Ton  circule  d*nn  point  à 
Taiicre  sans  trop  de  difficnlté.  Des  soldats,  armés  de  fnsils  on  de 
bftta»s>  Toat  de  gronpe  en  groape,  et  un  officier  spécial  préside  la 
cérémoaie.  Tout  individu  qui  enfreint  les  ordonnances  de  la  police 
est  chftdé  sur  place,  de  même  que  ceux  qui  ttompent  sur  les  poids 
el  mesures  ou  sur  la  qualité  et  le  prix  des  marchandises.  Cette  jus* 
tke  écoMmîqoe  a  ses  avantages  si  elle  a  ses  abus ,  et  c*est  la  seule 
qm  conyienne  à  ces  peuples  barbares  ;  leur  abjection  est  si  grande» 
qu*fls  n*en  comprendraient  pas  d*autre. 

La  place  du  marché  est  deaninée  par  une  colline  au  sommet  de 
kqoeHe  est  une  mosquée  otfverte  et  sans  toft,  c*est-à-dif e  quatre 
mors  blancs.  Cest  là  qu'on  célèbre  la  fftte  du  mouton.  Au  mois  de 
mai  de  dMque  année ,  on  égorge  un  mouton  devant  la  mosquée  ; 
u»  des  assistans,  cehri  d'ordinaire  qui  a  les  meflleures  jambes» 
iterge  sur  son  cou  ranimai  saignant,  mais  virant  encore,  et  se  met 
à  courir  avec  son  fardeau  du  côté  de  la  ville;  il  y  entre ,  courant 
toujours»  et  s'3  arrive  à  la  grande  mosquée  avant  que  l'animal  mori- 
bond ait  rendu  le  dernier  soupir ,  c*est  un  signe  que  Tannée  sera 
féconde  et  les  récentes  abondantes  ;  si  au  contraire  Tanimal  meurt 
en  reute^  c'est  un  présage  de  stérilité,  et  Ton  voit  aussitôt  la  po- 
pulation pousser  des  cris  et  des  gémissemens  sur  les  calamités  an- 
BOQcees* 

Non  lom  de  la  mosquée  ouverte  est  le  tombeau  d'un  santon» 
ombragé  de  son  drapeau  roi^.  Comme  j'étais  là  me  promenant 
à  fenlour,  je  vis  un  Maure  gravir  la  eoHîne  à  toutes  jambes  et 
s'élancer  d'un  bond  vers  le  sanctuaire;  il  j  entra,  car  tout  sanc- 
tmre  est  ouvert,  aucun  n'a  de  porte  ;  une  fois  dedans,  il  s'ac- 
crovpît  tranquillement  sunr  lea  talons  tout  près  de  rentrée,  de 
manière  à  jouir  de  la  vue  ettérieure  el  à  être  vu  du  dehors. 
Cé«ait  un  assassin  qui  venait  de  tuer  son  homme  en  plein  marché  et 
quîétiAaceouru  se  mettre  sous  la  sainte  profeetiott  dudroit  d'asHe. 
Une  fois  là  il  était  inviolable,  et  mrik  forée  humaine»  pas  même,  je 
crois»  l'fn^m  suprême»  ne  pouvait  l'arracher  du  saint  lieu.  Les  sol- 
dats arrivèrent»  mais  trop  tard ,  le  fugitif  était  à  l'abri  de  leurs  pour* 
1$  quoiqu'ils  pussent  le  toucher  en  étendant  seuleawnt  la  m^a» 

I  un  n'aurait  eu  la  témérité  de  la  porter  sur  M;  ttti  qu'H  étail 


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iSlk  RETUB  DBS  DEUX  MONDES. 

là,  sa  personne  était  sacrée;  on  n  aurait  même  pas  osé  le  murer 
comme  le  grec  Pausanias.  Certes,  jamais  constable  anglais  ne  s'ho- 
milia  plus  religieusement  devant  le  texte  de  la  loi.  Cependant  les 
soldats  ne  l&chèrent  pas  leur  proie;  ils  s'accroupirent  à  quelques 
pas  du  tombeau,  et  y  restèrent  en  observation,  tout  en  foisant  la 
conversation  avec  le  prisonnier.  En  le  tenant  là  bloqué  indéfini- 
ment, ils  espéraient  le  réduire  par  la  famine  et  le  forcer  à  sortir 
de  sa  retraite.  Mais  il  n*était  pas  près  de  se  rendre;  et  soit  d'une 
façon,  soit  d'une  autre,  il  aura  bien  fini  par  se  tirer  d'affaire.  Quel- 
ques onces  reçues,  n'importe  de  quelles  mains,  suffisent  pour  endor- 
mir les  Argus.  Du  reste,  j'ignore  la  fin  de  la  pièce,  étant  parti  avant 
le  dénouement.  Le  meurtrier  n'était  point  un  assassin  vulgaire;  il 
avait  frappé,  il  est  vrai,  mais  par  vengeance  et  pour  satisfaire  à 
une  de  ces  inimitiés  héréditaires  si  vivaces  encore  parmi  les  Arabes, 
et  qui  ne  s'éteignent  que  dans  le  sang  du  dernier  survivant. 

Mais  le  Sauk  m'appelait;  je  redescendis  la  colline,  qui  était  cou- 
verte de  chameaux  agenouillés  dans  la  poussière  et  de  chevaux 
entravés,  qui  attendaient  la  fin  du  marché  pour  regagner  leurs 
pâturages.  Ds  étaient  venus  chargés  d'une  marchandise,  et  de- 
vaient s'en  retourner  chargés  d'une  autre,  car  le  commerce  se 
fait  le  plus  souvent  par  échanges,  selon  l'antique  loi  patriarcale. 
Pourtant  il  y  a  du  numéraire,  mais  \en  petite  quantité,  et  on  le 
cache  afin  de  ne  pas  éveiller  la  convoitise  des  gouverneurs.  Un 
homme  avait  fait  reblanchir  le  mur  de  son  jardin  :  cr  II  faut  que 
tu  sois  bien  riche,  »  lui  dit  le  kaïd  en  lorgnant  déjà  l'héritage  de 
Naboth.  Qu'eùt-ce  été  si  Naboth  eût  laissé  voir  des  pataquès  (1)1 

Cet  amphithéâtre  oriental  avait  un  grand  caractère  et  dominait 
la  foule  qui  ondoyait  et  bruissait  au  pied  de  la  colline.  Quelques 
chevaux  portaient  des  selles  écartâtes  à  larges  étriers,  tout-à-bit 
semblables  à  celles  dont  on  use  encore  en  Andalalousie  et  labou- 
raient la  terre  dans  l'attente  du  cavalier;  les  chameaux  atten- 
daient plus  patiemment  leur  charge  en  remuant  leur  long  cou 
pelé.  Des  tentes  dressées  çà  et  là  ajoutaient  à  l'effet  ;  l'ensemUe 
donnait  tout-à-fait  l'idée  d'une  halte  au  désert. 


(i)  La  pataque  marocaine  est  une  monnaie  d'or  qui  vaut  à  peu  près  10  francs.  Le  mol 
français  n'est  qu'une  corruption  du  mot  arabe,  bou-taka,  qui  veut  dire  père  de  la  force. 
On  l'appelle  aussi  bu-fkL 


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LE  MAROC.  285 

Toutefois,  le  marché  m'intéressait  moins  en  lui-^éme  que  par 
les  scènes  populaires  dont  il  devenait  Toccasion,  et  les  saltimbanques 
dont  il  était  le  rendez-vous.  D*un  côté  tournait  un  carrousel  à 
bascule,  où  les  petits  Maures  faisaient  la  culbute  avec  des  éclats  de 
rire  perçans;  plus  loin,  deux  b&tonniers,  noirs  et  nus,  se  donnaient 
de  grands  coups  de  b&ton  sans  se  toucher,  et  en  faisant  des  con- 
torsions épouvantables.  Ailleurs,  c'étaient  des  lutteurs  du  Riff,  qui 
me  rappelaient  ceux  d'Interlacken,  autant  que  la  Barbarie  peut  rap- 
peler la  Suisse.  Mais  le  spectacle  le  plus  original  et  le  plus  vraiment 
africain  était  celui  d'un  sectateur  de  Sidi  Ben-Aïsa,  dont  le  corps  était 
tout  chamarré  de  serpens,  et  qui  dansait  tantôt  sur  un  pied ,  tantôt 
sur  l'autre,  au  son  de  la  musette  et  du  tambourin.  D  chantait,  pour 
s'animer,  une  cantilène  sauvage  et  monotone,  qui  ressemblait  au 
grognement  prolongé  d'une  béte  féroce.  Le  danseur  d'ailleurs 
n'avait  pas  mal  Tair  de  ce  qu'annonçait  son  cri;  l'homme  et  la  voix 
étaient  en  harmonie.  Il  portait  au  cou  un  énorme  serpent,  et  le  for- 
midable collier  se  repliait  sur  lui-même  et  lançait  à  la  foule  des 
sifOemens  aigus.  Le  Psyle  caressait  son  reptile  avec  amour,  le  bai- 
sait, le  mettait  dans  sa  bouche;  et,  pour  une  once  que  je  lui  jetai, 
fl  se  mit  à  le  dépecer  avec  les  dents,  en  passant,  en  une  seconde, 
de  la  tendresse  à  la  férodté.  Son  œil  était  rouge,  et  le  sang  décou- 
lant de  ses  lèvres,  il  les  essuyait  avec  les  autres  serpens,  victimes 
dévouées  à  la  même  fin. 

Parmi  les  spectateurs  se  trouvait  une  folle  absolument  nue  qui 
erre  ainsi  dans  les  rues  de  Tanger,  depuis  je  ne  sais  combien  d'an- 
nées. Elle  parait,  du  reste,  d'humeur  fort  douce,  plutôt  mélan- 
colique que  furieuse;  n'était  sa  nudité,  on  la  prendrait  pour tine 
promeneuse  ordinaire.  Le  soleil  a  donné  à  sa  peau  une  couleur 
brique  foncée,  et  cette  masse  de  chair  ambulante  était  hideuse  à 
voir.  J'ai  oublié  de  demander  si  on  la  tient  aussi  pour  une  sainte. 
Les  Moresques  et  les  Juives  passaient  près  d'elle  sans  être  le  moins 
du  monde  décontenancées,  même  en  présence  des  hommes.  D  est 
vrai  qu'une  pareille  nudité  est  plus  propre  à  étouffer  qu'à  inspirer 
les  pensées  équivoques.  Je  remarquai  que  le  beau  sexe  était 
presque  aussi  nombreux  au  marché  que  l'autre.  C'est  que  les 
femmes  ne  sont  point  à  l'index  du  Sauk  comme  des  boutiques  ;  on 
ne  les  juge  pas  indignes  de  vendre  en  plein  air,  et  elles  paraissent 
s'en  acquitter  tout  aussi  bien  que  leurs  maris. 


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9H  RETUB  Mft  MEra  «01IDB8. 

fievxavtréf  speolatrioes^  aussi  mwites  fse  to  Mleelphuaf- 
fr«Mes  àToir,  c^éuient  les  deux  lAtescMipéts  la  rsiUe;  txéwnmm 
sanglantes  aux  crocs  de  la  nuraîlle ,  eBes  domimâent  le  marché,  et 
planaient  sur  la  muMlvdey  destinées  i  iapriaier  la  terreur  tes 
r«Be  du  peuple  assemblé.  Leur  crAne^  ras  et  nu,  brMhnt  au  soleii, 
d^  presque  i  demi  dessédié ,  et  leur  loofpae  mèche  de  dieraJot 
noirs  pendait  le  kmg  de  la  ■MU'aille  et  flott«^  au  veut.  Quelqtes 
groupes  se  succédaient  sous  ces  épouvantables  tr<q>liées;  ib 
se  les  montraieut  du  doigt  eu  devisant  longuement;  le  Juif  q« 
m'aocompagnaît  en  qualité  d'interprète  ne  me  traduisait  qu*irapar- 
ftîtement  leurs  conmentaîres,  attendu  qu'il  savait  également  mal 
le  français  et  FespagnoL  J*en  oemprcnafis  autant  p«*  les  gestes  que 
par  la  traduction. 

Au«desstts  de  Ibl  phree  duSunk,  et  on  penchant  supérieur  de  k 
ceUîney  est  le  dmeci^re  maure*  Rien  de  pins  simple  :  pas  une  in- 
scription y  pas  un  ornement.  Nulle  part  la  mort  n'a  de  temple  plus 
austère.  De  petks  murs  d'un  on  deux  pieds  de  haut  marquent 
seub  les  divisions  du  funèbre  empire,  et  les  longues  herbes  y 
croissent  en  liberté.  H  est  tout  ouvert  comme  les  mosquées  et  le 
tombeau  des  santons;  nuBe  clôture  ne  doit  séparer  rhomnede 
Bien,  ni  les  morts  des  vivans.  Tous  les  vendredis, — c'est  le<fim»> 
che  des  Maures,  — les  femmes  sortent  de  la  vâle,  et,  gravissant  len- 
tement la  colline,  dies  vont  visiter  les  tombeaux.  Enveloppées  da 
grand  baik  blanc,  eltes  errent  en  sBenœ  au  milieu  de  la  verdure 
tumdaîre  ;  on  les  prendrait  elles-mêmes  pour  les  ombres  qa'eBes 
viennent  pleurer  ou  consoler.  Les  hommes  respectent  ose  péhvi- 
nages  du  sépulcre,  et  ils  se  tiennent  tout  le  jour  éloignés  du  champ 
funéraire.  C'est  peut-être  la  seide  heure  de  liberté  dont  jouisseot 
les  Moresques ,  et  c*est  à  la  mort  <^'ettes  la  doivent.  Le  moment  est 
bon  peur  les  voir,  cardlesnese  cachent  pas  des  dirétiens  quaid 
elles  sont  sûres  de  n'être  pus  aperçues  des  Manres. 

Le  cimetière  cfaréden  est  un  peu  pins  bas  et  afttenant  au  jar^ 
de  Suède.  Nous  avens  vu  qu'il  avnit,  lui  aussi,  son  pèlerin  dans  te 
mélancolique  moine  de  saint  François. 

Le  cimetière  àeê  Mfs  est  de  Fautre  eftié  de  la  plaee,  au  pied 
iléme  detamuraiBe^entre  la  porte  du  Sauk  et  la  petite  porte  ëw 
des  Tanneurs,  qui  mène  à  la  plage.  Bus  skn^  enoom  <pie  câi 


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des  moBulmanSy  il  est  oayert  comme  le  lear  et  exposé  A  tons  leurs 
outrages.  Les  femmes  maures  ne  manquent  jamais  de  se  détourner 
en  passant  aOn  de  Tenir  souiller  les  tombes  des  mécréans.  C'est  chez 
elles  une  affaire  de  dévotion  et  presque  un  article  de  foi.  Ainsi  le 
fanatisme  poursuit  jusque  dans  son  dernier  asfle  le  peuple  infor- 
tuné dlswêl.  A  qwlqnedirtanos  du  cimutièra^  ifierstlarmer,  il  y  a 
de  beapx  maaiiCs  de  nsrduffeicoapé»  de  g^néfô».  de  cbèwefeuille  et 
de  hauts  aloès.  Tout  ce  c6té  de  la  ville  est  très  pittoresque,  et  il  a 
de  brusques  échappées  sur  la  baie  bleue  et  tranquille ,  et  sur  le 
détroit  toujours  bouilbataiiC 

Quoique  bien  barbare  encore  par  les  croyances  et  par  les  mœurs , 
Tanger  est  cependant  déjà  altéré  dans  son  originalité  primitive; 
on  y  sent  le  contact  des  Européens,  et  je  désirais  voir,  sans  m'en- 
foncer  dans  les  terres,  une  ville  arabe  qui  eût  mieux  conservé 
son  individualité  et  son  cachet  natif.  On  m'indiqua  Tetouan,  qui 
n'est  qu'à  douze  lieues  de  Tanger,  et  qui  est  une  des  villes  impor- 
tantes de  l'empire,  par  son  étendue,  sa  population,  son  commerce 
et  sa  position  Tosins^de  ki  Méib/evfaaè«,.  i  ptoiMlé  de  Gibraltar. 
Mes  préparatifs  furent  bientôt  faits.  Le  consul  demanda  et  obtint 
pour  moi  du  kaïd  un  soldat  pour  m'accompagner,  —  c'est  le  passe- 
port du  pays,  —  et  il  fit  rédiger  par  son  taUb  (érudit)  une  belle 
lettre  arabe  pour  recommander  au  bâcha  de  Tetouan  YiUustre  et 
savant  voyageur  français.  L'épttre  fut  pliée  en  long,  suivant  les  lois 
de  rétjqoette  iadisine»  et  année  au  centre  et  aux  deux  extrémtés 
du  sceiatt  consulaire.  Ainsi  confecttoiméc»  la  dépéobe  n'avait  suàre 
vmoa-  d'ua  pied,  forme  pluftinposaote  que  coniroode.  Nos  poches 
europAennes  ne  sont  paiS  taillées  pour  cda» 

Qiieli|nes  jeunes  gens  de» consulats  m'avaient  risniTindf  iétse  da 
«Ofagn;  nou8parrtnesi|Mlte. 


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SOCIALISTES 

MODERNES. 


I. 
IU28  SXiIISni8»8iniM)liaQBDS« 


Tant  que  le  saint-simonisme  est  demeuré  debout  avec  ses  pré« 
tentions  exclusives  et  ses  allures  étranges,  nul  bon  esprit,  en  dehors 
du  noyau  des  adeptes,  n*a  pu  avoir  ni  le  désir,  ni  la  pensée  de 
s'occuper  à  fond  de  ses  théories.  Alors  toute  louange  eût  été  prise 
en  mauvaise  part;  touje  critique  se  serait  trouvée  en  concurrence 
avec  les  réquisitoires  du  parquet.  L'église  nouvelle  était  d'ailleurs  si 
fière  d'elle-même,  elle  se  présentait  avec  un  tel  aplomb,  eOeanit 
une  foi  si  robuste  dans  son  excellence,  une  si  parfaite  naïveté  à  8*ad- 
mirer,  qu'on  n'osait  pas  se  commettre  au  sein  de  ce  monde  de  fée- 
ries, encore  moins  verser  des  paroles  de  désenchantement  sur  ces 
jeunes  et  ardentes  convictions.  Ensuite,  comment  aurait-on  posé 
les  termes  du  débat?  sur  quel  terrain  aurait-on  porté  TexamentSi 
l'on  niait  ou  si  Ton  marchandait  la  prémisse  saint-simonienne,  on 
était  récusé;  on  restait  désarmé  si*on  l'admettait.  La  discussion 
devenait  ainsi  une  hnpasse. 


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SOaAUSTBS  H0DBRIIB8.  289 

Un  antre  obstade  existait.  La  religion  fonctionnait  sans  doute; 
elle  ayait  ses  prêtres ,  elle  avait  ses  temples;  mais  sa  loi  lui  man- 
quait. Le  Moïse  de  cette  révélation  n'avait  pas  écrit  ses  tables.  Il 
avouait  lai-méme  que  la  grande  inconnue  du  problème  sodal  n'était 
pas  dégagée»  ne  pouvait  pas  se  dégager  encore.  H  se  disait  Messie 
sans  doute  y  mais  Messie  incomplet,  obligé  de  chercher,  en  dehors 
de  lui ,  ce  qui  manquait  à  sa  formule  synthétique  de  l'humanité. 
Avec  lui  et  comme  lui,  ses  néophytes  usaient  leurs  veilles  à  ce  tra- 
vail d*élaboration  mystérieuse  et  de  gestation  préparatoire.  Lors 
donc  qu'on  voyait  ces  hommes  si  jeunes,  si  éclairés  pour  la  plupart, 
presque  tous  si  consciencieux,  s'unir,  se  grouper  pour  la  décou- 
verte des  grandes  vérités  morales,  philosophiques  et  religieuses; 
s*embarquer  sur  l'océan  orageux  du  doute,  dans  l'espoir  d'aborder 
un  jour  à  un  monde  nouveau;  quand  on  les  voyait  mettre  en  com- 
mun leurs  pensées  en  même  temps  que  leurs  biens,  poursuivre  au 
travers  d'un  frottement  de  tous  les  jours  et  de  toutes  les  heures 
l'étincelle  qui  devait  éclairer  cette  nuit  de  théories  confuses,  on 
attendait,  on  espérait,  on  observait.  On  savait  que,  dans  leurs 
suprteies  collèges,  ces  palingénésistes  échangeaient  entre  eux  une 
monnaie  d'un  titre  plus  élevé  que  le  billon  qu'ils  jetaient  à  la  foule; 
on  doutait  toujours,  et  avec  quelque  raison ,  que  tant  d'efforts,  tant 
d'énergie,  tant  de  dévouement,  tant  d'inspirations  originales  et 
aventureuses  vinssent  aboutir  seulement  à  des  résultats  négatifs* 
On  se  taisait,  on  devait  se  taire. 

Aujourd'hui  ces  divers  moûfa  de  réserve  n'existent  plus,  au 
même  degré  du  moins.  D'un  côté,  la  phase  active  et  militante  du 
saint-simonisme  s'est  changée  en  une  propagande  sourde  et  mysté- 
rieuse. La  religion  n'offusque  plus  l'œil  du  profane  par  une  bizarre 
mise  en  scène;  elle  n'éveille  plus  ses  craintes  par  des  aphorismes 
mquiétans.  On  ne  la  voit  plus  promener  dans  la  ville  son  travestis- 
sement puéril;  elle  s'est  retirée  de  la  politique  courante,  et  quoique 
isolément  infiltrée  dans  la  presse,  elle  n'y  a  plus  d  organe  excen- 
trique et  spécial;  elle  peut  enfin,  comme  les  autres  questions  de 
morale  et  de  philosophie,  être  prise  au  point  de  vue  spéculatif,  sans 
que  nos  préjugés  si  tenaces,  et  nos  intérêts  plus  tenaces  encore,  y 
trouvent  le  moindre  prétexte  à  s'effaroucher.  D'un  autre  côté,  le 
saint-simonisme  a  dit  aujourd'hui  à  peu  près  ce  qu'il  pouvait  dire, 
hii  ce  qu'il  pouvait  faire,  formulé  ce  qu'il  pouvait  formuler.  Sa 

TOHB  VII.  19 


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;8yDiliè8e  est  complète-en  eeitiCi>s*qtt''élie^<tmp6g^^80Mia»tPto 
-deaforee»niiee»'eii  «ommiui  »^tntt>il>e^vt<wielté/ilam  Bm  ttetrtèm 
denltttiyesy  à  la  tinrite  de  TmpwisMHioel  Tenue» ^é  théories  (yiél  l" 
A)i  iioarelie  poav«it  procUmier  ont  éiè  |M^edm}éeSy^4e84lRe#%a^  1^ 
tàmani  y  leg-ootres  tiîridement;  IMei^r'^tt  élè;^fl>feq»  s&rnivm  w»  IF 
îyenir»  d?wifr maniAre  ode  pour ^la  tfWwwie* Ae»€OPri<feë ■  moéènm\  ' 
4aiv  in'eiii6eiit*eUe9  «ien ,  ees^kéerîes ,  dHnraiMiflleineRt  applkeUk, 
€i)es  aurom  du  iioinS)  et  o^^eetian'erand^féeito  ^^mmmé^êiim 
sommeil  la  propriété  et  Bhérilafle  ,:poiMeoteoiûiattiaqoéeà  jiB^il 
cejmr.  Béformaâaeans  doale^iiiHeoideidnttriiertA  asi»âir4en 
<lriiit8)defreloasvaiir  les  divovs  éléiunside  t^oeibiié4NHdaiflei'4Stt 
deu  despotes  de  la  riehesse  tendrontà  sefofldr^eti^se^eoaAiset 
av^eeleiravaîly. piYOtpcobabiejdo'iaaraaHHitm  è^^emr* 

:  Ile8t:daas;notre  oonvictionipiie  tessint  isimuMSUit  sMra  ili^ 
iprofitaUe  et  ipbis  fécond  coornie  mnaoeiqne^^Qoaniiotiippeli  Ûk 
rallié  pfltt  de  Jsynipathiese»deliorgdesa>petite>ep>èi  o  àmééafktf^ 
on  reyanche  ila  ofifiray  é  bien^des)pnyiié9es^uis'é^emproa»>ae 
aaarche  calme  etJentovers  dos'eavahissemeosïOitérievrs.iVifiNMi 
WFviceJefdiis  téel>qa*ftattreiMki;tIliaito«t  critiqué  aaroo^vefv^im 
ttient^arecsopériorité  ;>mais  il  ^eot  «ootvé  tmpoissaA^ir'lfOvm 
mid  bomM  et  œmpiète  fermole  dVnr9ani8e[tion..l9o«9ipon&ni9iDS^ 
quer  ce  fait  ayant  d*eiitrer  dans  son  histoire.  NonsrtdésirioBS'te- 
Uir  aussi  que  rfaeureaottteUe»étailsbionteboisie^fio«r  oiisoiansotk 
ses  travaux.  On  doit  aux  morts  la  Yéfiié^ai>entièro. 

I.  —  SAWT.«HION. 

e  Levevyoïis,  JHMosieurle^iomie^TOMiaTBz  doograMleaJbeBiÉi 
Caire.  »  C'est  arec  ces  Biotsx|«0'safiGnsÉitéveiller,  àidia»«ept «m, 
SaintHSimoDy  issu,'S*il  faut  renicsoice^ide  Cfaavlemagae/otiiMm» 
iaUemont  poitteur  d'un  des  pins  beawx  noms  de  notre  hîslain. 
Nulle  viene  Sat,  eneffèt,  plus  tourmentée  queodteidttolMFposdmBt 
de  la  religion  nonreHe.  «Soldat  de  rindépendance  améneame,!! 
serrit  sous  Washinfl^on  et  passa  colonel  à  yingt^^rois  ans.  rii 
f  guerre,  en  eUe-méme,  ûe  m^intéressait  pas,  dit-il, mais  le  sesl 
e  but  de  la  guerre  m- intéressait  rivement,  et  cet  intérêt  m*en  ftiaà 
<t>sap{iorter  les  travaux  sans  répugnance.. ..«..•  Ma  Tooation  n'étiit 
aqpoiat  d!ésreaoldat;  fêtais  porté  1  un  genve  d'.actfrité  Uendiif^ 


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( 


«OCUUSnS  VOIlERHBfl*  201 

«UQB&i#e&4^piiiauilire>coiilraire.  Etudier  la-marcha  de  Tesprit  hu- 
m  mtm,  pour  irjyailUr  ensuite  au  perfectiounement  de  la  civilisa- 
9  tiûa,  tel  fat  le  but  que  je.rae  propoeaL  j» 

Lajé¥Qtation.feaaçMaft  trouTaSaintrSimou-en  Espagne.  Se  re- 
KHm;  à.£asi8».etf  iidln^.à  se  tenir  à  l'écart  des  affaires  politiques»  il 
tourna  son  acrifitA.yers  desâpécnlalions  et  trafiqua  sur  lerdomai^ 
nés  nationaux  »  en  compagnie  d*nn  Prussien ,  le  comte  de  Rœdem» 
Saiai^âimoaxlédare  dans  son.aHto4)iogjrapkie^  et  .s&yie  justifie  ce 
d0e»^*il  m  désîraitt.pas  la.foDiune  ooaime  but^  mais  seulement 
conmiemofen^a  Fonder  una^rande  école  sdentifiq^e  et  un  grand 
9 .  étaMisiieinf  nt  industriel  y  voilà  quelle  iut  mon  ambition»  »  écritriL 
luirftttma  - 

Sa.preanéreiaaiOciati(Mi.ue.fiit:  ni  loague  ni  heureuse.  Ea  1797» 
iLae^eticades  a£Eûre8».|iapi)enanÉ  ppur  ja  part  que.l^MyOOO  livres* 
Lfr.refltev  qu*il  laissa- asi. comte,  de  Rœderii,  fut  perdue  Dès<4ors. 
Stiint4Sîmoik.s*interdit -toute,  autre  entreprise  du^  même- genre;  La 
Période- cemmerdale  de^sa  vierélaitrcktte;  il  abordait  la  période. 
aciamifii|Be.  et. expérimentale,  lapIusTude»  la  plus  opiniAire  de. 
toulesy xelle  où  le  Christ  nouveau  devsni  ceindre  lacouronne  d'ér 
pîn«8..Pottr  s'initier  aux  irudimens  de  la  science,  il  se  fit  écolier  àla 
ouBitee^des^ands  «eigneujBS^  eu  attirant  les  proCasseurs^chez  lui, , 
an  liao.  d'aller  chez  eux..  Logé  d'abord  en  facedo  TEcole  Polytech* 
niqMe,  il  reçut  i.  sa-table  des  physiciens,  pour, ajqprendre  la  physi** 
^pe,,  des  astroDomes.pour  appcendre .Fastromiuie  ;  il  sema  çà  et  là, 
dans  toatk  corps-enseignaat,  des  piàces*d'or  qu'on  oubliait  de  lui 
rendre.  Qpandil  eut^cquisxle  la^oiteiMsaz.de  notions  mathéma- 
tiques, il  se  rabattit  sur  les  phy6iologi3tes,  et  déménagea  pour  s!é- 
taidk-près  de  l'Ecole  de.  Médecine»  Ainsi  il -étudia,  non  sans  queir 
que» frais,  mais  avectoutes  ses  aises,  d'une  part  la  science  des. 
ctmgê  Jwttts,  d'autre  part  la.sdenoe.dea  corpsranimés. . 

L'expérience  qui  suivit  fut  ceHe  de&  voyages.  SaînirSimoa  par- 
courut r Angleterreet  V  Allemagne,  ne  renoontrantdaBs  la  première 
aucune  idée  capitale  et  neuve,  surprenant  Fautre  au  milieu  de  sa 
{(hnosophie  mystique ,  état  d'enfance  de  la  science  générale.  H  ne 
rapporta  rien  de  cette  expérience,  si  ce  n'est  la  preuve  personnel- 
lement acquise  d*une  situation  arriérée  et  confuse.  Cest  à  Tépoque 
de  cette. tourna  européenne  qU'iLfaut  rattacher  la  visite  étrange 
qfefiaintrâimon  fit  àli"*  de  Staftl»  et  sa  proposition  plus  éteange 

19. 


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292  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

encore.  De  passage  à  Genève ,  le  philosophe  demanda  la  fevenr 
d*étre  reçu  à  Coppet  ;  et  à  peine  entré  :  —  cr  Madame,  dit-fl  à  laba- 
<r  ronne,  vous  êtes  la  femme  la  plus  extraordinaire  du  monde, 
(T  comme  j*en  suis  Thomme  le  plus  extraordinaire  :  à  nous  deux 
cr  nous  ferions  sans  doute  un  enfant  encore  plus  extraordinaire.»— 
M"*  de  Staël  eut  l'esprit  assez  bien  fait  pour  prendre  la  chose  en 
bonne  part.  Elle  en  rit. 

Au  retour  de  ce  pèlerinage,  Saint-Simon  réalisa  sa demièreet  déci- 
sive expérience;  il  épousa  M"«  de  Champgrand,  aujourd*hui  M^^de 
Bawr.  a  Je  voulais  user  du  mariage,  dit-il  lui-même,  comme  d*an 
or  moyen  pour  étudier  les  savans,  chose  qui  me  paraissait  nécessaire 
<r  pour  Texécution  de  mon  entreprise  ;  car  pour  améliorer  Torgani- 
<r  sation  du  système  scientifique,  il  ne  suffit  pas  de  bien  connattre 
<r  la  situation  du  savoir  humain:  il  faut  encore  saisir  Teffet  qnela 
<x  culture  de  la  science  produit  sur  ceux  qui  s'y  livrent;  il  faut  ap- 
9  précier  Tinfluence  que  cette  occupation  exerce  sur  leurs  passions, 
<r  sur  leur  esprit,  sur  Tensemble  de  leur  moral  et  sur  ses  différentes 
e  parties.  »  Cette  étude  fut  la  plus  coûteuse  de  celles  que  Saint-Si- 
mon avait  réalisées  jusque-là.  En  bals,  en  dtners,  en  soirées  d'expé- 
rimentation ,  il  dévora  toute  la  somme  qui  lui  restait  de  sa  liquida- 
tion avec  M.  de  Rœdern.  Ce  fut  une  sorte  de  va-tout  seigneurial,  qui 
dura  douze  mois.  Calme  au  milieu  de  ce  bruit,  jugeant  les  autres 
sans  en  être  jugé,  pratiquant  tout,  le  mal  et  le  bien,  le  jeu,  l'orgie, 
l'entretien  décent,  la  discussion  élevée,  pour  avoir  l'expérience  de 
toutes  les  choses  et  de  toutes  les  positions;  gastronome,  débauché, 
prodigue,  mais  par  système  plutôt  que  par  instinct,  Saint-Simon 
vécut  en  un  an  cinquante  années  ;  il  courut  dans  la  vie  au  lieu  d'y 
marcher,  afin  d'acquérir  avant  le  temps  la  science  du  vieillard ;fl 
usa  et  abusa  de  tout  pour  pouvoir  faire,  un  jour,  tout  entrer  dans 
ses  calculs;  il  s'inocula  les  maladies  du  siècle,  afin  d'en  fixer  plos 
tard  la  physiologie  complète.  C'était  là  une  vie  purement  expé- 
rimentale :  la  juger  sur  l'étalon  des  autres  eût  été  folie. 

a  Si  je  vois  un  homme,  disait-il,  qui  n'est  pas  lancé  dans  la  carrière  de 
la  science  générale  fréquenter  les  maisons  de  jeu  et  de  débauche,  ne  pas 
fuir  avec  la  plus  scrupuleuse  attention  la  société  des  personnes  d'une  im- 
moralité reconnue,  je  dirai  :  Voilà  un  homme  qui  se  perd;  il  n'est  pas 
heureusement  né;  les  habitudes  qu'il  contracte  l'aviliront  à  ses  propres 
yeux  et  le  rendront  par  conséquent  souverainement  méprisable.  Mais  si 


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SOCIALISTES  MOBBMBS.  295 

cet  homme  est  dans  la  direction  de  la  philosophie  théorique;  si  le  bot  de 
ses  recherches  est  de  recti6er  la  ligne  de  démarcation  qui  doit  séparer 
les  actions  et  les  classer  en  bonnes  et  mauvaises;  s'il  s'efforce  de  trouver  les 
moyens  de  guérir  ces  maladies  de  l'intelligence  humaine  qui  nous  portent 
à  suivre  des  routes  qui  nous  éloignent  du  bonheur  Je  dirai  :  Cet  homme 
parcourt  la  carrière  du  vice  dans  une  direction  qui  le  conduira  nécessai- 
rement à  la  plus  haute  vertu.  » 

Vertu  ou  vice,  Saint-Shnon  s*y  ruina  complètonent,  et  alors,  an 
lieu  de  pouvoir  héberger  et  nourrir  la  science ,  ce  fiit  au  tour  de  la 
sdence  de  l'héberger  et  de  le  nourrir.  Elle  s'y  prit  moins  magnifi- 
quement que  lui,  car  elle  destinait  le'philosophe  à  une  dernière  ex- 
périence, celle  du  besoin  et  de  la  misère.  Pressentant  cette  phase 
décroissante,  Saint-Simon  avait  déjà  jeté  le  plan  d'une  rémunération 
populaire  pour  les  savans  et  les  hommes  de  génie,  dans  ses  Lettres 
d'un  habitant  de  Genève  à  ses  contemporains,  morceau  bizarre  et  neuf 
qui  trahissait  le  tour  de  ses  idées,  a  Ouvrez,  disait-il,  ouvrez  une 
tf  souscription  devant  le  tombeau  deNewton,  souscrivez  tous  indis- 
e  tinctement  pour  la  somme  que  vous  voudrez.  —  Que  chaque 
e  souscripteur  nomme  trois  mathématidens,  trois  physiciens,  trois 
a  chimistes,  trois  physiologistes,  trois  littérateurs,  trois  peintres, 
or  trois  musiciens. —  Renouvelez  tous  les  ans  la  souscription;  parta- 
<r  gez  le  produit  de  la  souscription  entre  les  trois  mathématiciens, 
a  les  trois  physiciens,  etc.,  qui  auront  obtenu  le  plus  de  voix. — Les 
«  hommes  de  génie  jouiront  alors  d'une  récompense  digne  d'eux  et 
e  de  vous.  » 

Tel  était  le  thème.  Le  développant  dans  une  série  de  lettres, 
Saint-Simon  partageait  Vhumanité  en  trois  grandes  catégories, 
cherchant  à  prouver  à  toutes,  et  avec  des  argumens  appropriés  à 
chacune,  Texcellence  de  sa  méthode  de  rénounération;  puis  il  éta- 
blissait la  formule  suivante:  le  pouvoir  spirituel  entre  les  mains  des 
sarans;  le  pouvoir  temporel  entre  les  mains  des  propriétaires;  le 
pouvoir  de  noqumer  les  individus  appelés  à  remplir  les  fonctions  de 
grands  chefs  de  l'humanité  entre  les  mains  de  tout  le  monde  :  pour 
salaire  aux  gouvernans,  la  considération.  —  Tout  ceci,  on  le  voit^ 
a  peu  de  valeur;  c*est  du  Platon  et  du  Bernardin  à  l'état  d'amal- 
game; c*est  un  rêve  après  mille  rêves,  une  innocente  utopie  qui  se 
termine  par  une  sorte  de  prosopopée,  épilogue  du  morceau  :  a  Rome 
a  renoncera  à  la  prétention  d'être  le  chef-lieu  de  mon  église;  le 


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391  REYUE  DES  DEUX  MONDES. 

«  pape,  les  cardinaux,  Tes  évéques  et  les  prêtres  cesseront  de  par* 
€  1er  en  non  nom ,  etc....  j»  Le  seul  farit  qni  résulte  de  cet  opnscalé, 
c*est  la  tendance  théosophique  dû  réformateur,  déjà  fortement  ac- 
cusée. Cette  tendance  se  caractérisa  mieux  par  la  suite,  lorsque 
8^  travaux  de  philosophie  et  d*économie  industrielle  semblëreDt 
appeler  la  religion  conmie  leur  dernier  corollaire. 

Mais  d*autres  ouvrages  devaient  jalonner  cette  route*  Le  prCTiier 
fut  une  réponse  à  un  programme  de  Napoléon.  Napoléon  avait  dit  à 
riiistîtut?  (T  Rendez^moi  compte  dôs  progrès  de  la  science  depid» 
a  i9S9  ;  dites-moi  quel  est  son  état  naturel  et  quels  sont  les  moyens 
«r  à^^mptoyer  pour  lui  faire  faire  des  progrès.  i>  A  cette  question 
ainsi  posée,  Saint-Simon  avait  répondu  d*abord  par  son  Introduc- 
tion aux  travaux  scientifiques  du  xix«  siècle,  vaste  étude  qu*il  se  sen* 
tit  lut-mémB  incapable  d'aborder,  et  qu'il  réduisit  à  des  propor- 
tions phis  académiques  dans  ses  Lettres  au  htrean  des  Longitudes. 
L&,  comme  on  le  pense,  il  n*accepta  le  programme  de  l'Institut  qoe 
comme  prétexte  et  comme  cadre.  Au  Keu  d'y  recevoir  rimpulsion, 
il'la  donnait  ;  au  lieu  de  régler  le  passé,  il  arrangeait  l'avenir  ;  il  ftî- 
saR  de  la  prophétie  quand  on  lui  demandait  de  la  statistique.  La 
pensée  fondamentale  de  ce  travail,  c'était  toujours  de  pousser  les 
stvans  vers  une  œuvre  de  réorganisation.  Il  y  était  dit  :  or  Depuis  le 
«r  xv«  siècle  jusqu'à  ce  jour,  Finstitution  qui  unissait  les  nations  ea- 
«Topéennes ,  qui  mettait  un  frein  à  l'ambition  des  peuples  et  des 
a  rois,  s'est  successivement  affaiblie  ;  elle  est  complètement  détruite 
a  aujourd'hui,  et  une  guerre  générale,  une  guerre  effroyable,  une 
<r  guerre  qui  s'avance  comme  devant  dévorer  toute  la  population 
o^européenne,  existe  déjà  depuis  vingt  ans  et  a  moissonné  plusieurs 
«r  milKons  d'hommes.  Vous  seuls  pouvez  réorganiser  la  société  eu- 
a  ropéenne.  Le  temps  presse,  le  sang  coule  ;  hâtez- vous  de  pronon- 
or'cer.  j>  Comme  gage  d*tmion  et  de  progrès,  Saint-Simon  concluait 
eu  demandant  une  sorte  de  magistrature  inteltectuette,  magistra- 
ture d'où  est  issue ,  comme  dérivation  logique ,  la  Mérarchie  des 
capacités,  base  de  la  famille  saint-simonienne. 

Ce  travail  n'est  pas  le  seul  qu'ait  laissé  Saint-Simon  sur  ces  ma- 
tières philosophiques.  Les  Lettres  sur  C Encyclopédie,  \ès  Mémoires 
9ur  la  Gravitation  et  sur  la  Science  de  l'homme,  se  rapportent  i  cette 
époque  et  à  cette  série  d'études. 

Jhândant  que  lé  rèformatear  poursuivait  ainsi  tme  tâche  péiâfle 


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etmcomprise/dégraildsévèiiémeTis^Iîtiqties  agitaient  la  France 
et  l'Europe.  La  Restauration  venait  d'arriver,  et  avec  elle  un  re- 
tour vers  les  noms  d'une  importance  historique.  Saint-Simon, 
,  pauvre  alors,  vivant  de  secoure,  et  simple  copiste  au  Mont-de- 
Piété,  à  raison  de  mille  francs  par-  an,  eût  sans  doute  été  admis 
aux  faveurs  de  la  cour  nouvelle,  si  la  direction  étrange  de  ses 
idées  n*eAt  éloigné  de  lui  toutes  les  offres  et  toutes  le»  avances.  On 
ne  fit  rien;  on  ne  pouvait  rien  faire  pour  un  norateur  pareil;  il 
resta  conf»lèteaient  oublié.  Aussi ,  i  peu  d'années  de  iè ,  en  1819, 
fit-il  paraître  une  brochure  sous  le  titre  <le  :  Parabole,  dans  laquelle 
le  bout  d'oreille  du  grand  seigneur  méconnu  perce  sous  Tenvetoppe 
de  l'économiste  radical.  Rien  de  plus  hardi,  de  plus  bizarre,  et  de 
plus  vrai  au  fond  que  ce  pamphlet,  expression  d'une  rancune  plutôt 
que  d*un  système. 

«  Nous  supposons,  y  est-il  dit,  que  la  France  perde  subitement  ses 
cinquante  premiers  physiciens,  ses  cinquante  premiers  peintres,  ses 
ciaqoaQte  premiers  poètes,  etc.,  etc.  {suit  la  nomewlainre) ,  en  tout, 
les  trois  mille  premiers  sa  vans,  artistes  et  artisans  de  France. 

c  Comme  ces  hommes  sont  les  Français  les  plus  essentiellement  pro- 
ducteurs, ceux  qui  donnent  les  prodoits  les  plus  imposans,  ceux  qui  di- 
rigent les  travaux  les  plus  utiles  à  la  nation,  et  qui  la  rendent  productive 
dans  les  beaux-arts  et  dans  les  arts  et  métiers,  ils  sont  réellement  la 
fleur  de  la  société  française;  ils  sont  de  tous  les  Français  les  plus  utiles  à 
leur  pays,  ceux  qui  lui  procurent  le  plus  de  gloire,  qui  hâtent  le  plus  sa 
civilisation  et  sa  prospérité.  Il  faudrait  à  la  France  au  moins  une  géné- 
ration entière  pour  repousser  ce  malheur;  car  les  hommes  qui  se  dis- 
tinguent daiBS  les  travaux  d*nne  utilité  positive,  sont  de  véritables  ano- 
malies, et  la  nature  n'est  pas  pr^i^ue  d'anomalies,  surtout  de  cette 
'espèce. 

c  Passons  à  une  autre  stippôsitton.  Admetlons  que  la  France  conserve 
lOQS  les  hommes  de  génie  qu'elle  fiossède  dans  les  sciences,  dans  les 
beanx'^rts,  et  dans  les  Itrtset  métiers;  nais  qu'elle  ait  le  malheur  de 
perdre  le  même  jour.  Monsieur»  frère  du  roi,  monseigneur  le  duc  d-An- 
gouléme,  monseigneur  le  duc  de  Berry,  monseigneur  le  duc  d*Orléans» 
monseigneur  le  duc  de  Bourbon,  madame  la  duchesse  d*Aagouléme» 
madame  la  duchesse  de  Berry,  madame  la  duchesse  d'Orléans,  madame 
la  duchesse  de  Bourbon  et  mademoiselle  de  Gondé. 

a  Qu'elle  perde  en  môme  temps  tous  les  grands  officiers  de  la  Cou- 
tonne,  tous  iBs  ministres  d*état,  tous  les  mattres  des  requêtes,  tons  les 
maréchaux,  tous  lesca!Minattx,>archeTèqaes,  évéques,  grands-tittiiW 


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296  RSYUB  DBS  DEUX  MONDES. 

et  chanoines,  tous  les  préfets  et  sous-préfets,  tous  les  employés  dans  les 
ministères,  tous  les  juges,  et  en  sus  de  cela,  les  dix  mille  propriétaires  les 
plus  riches  parmi  ceux  qui  vivent  noblement. 

a  Cet  accident  affligerait  certainement  les  Français,  parce  qu'ils  sont 
bons,  parce  qu'ils  ne  sauraient  voir  avec  indifférence  la  disparition  subite 
d'un  aussi  grand  nombre  de  leurs  compatriotes.  Mais  cette  perte  de 
trente  mille  individus,  réputés  les  plus  importans  de  l'état,  ne  leur  cau- 
serait de  chagrins  que  sous  un  rapport  purement  sentimental,  car  iln'eo 
résulterait  aucun  mal  pour  l'état. 

<r  D'abord  par  la  raison  qu'il  serait  très  facile  de  remplir  les  places  qui 
seraient  devenues  vacantes.  Il  existe  un  grand  nombre  de  Français  en 
état  d*exercer  les  fonctions  de  frère  du  roi  aussi  bien  que  Monsieur;  beau- 
coup sout  capables  d'occuper  les  places  des  princes  tout  aussi  convenable- 
ment que  monseigneur  le  duc  d'Augoulôme ,  monseigneur  le  duc  d'Or- 
léans, etc. 

a  Les  antichambres  du  château  sont  pleines  de  courtisans,  prêts  i 
occuper  les  places  des  grands-officiers  de  la  couronne  ;  l'armée  possède 
une  grande  quantité  de  militaires  aussi  bons  capitaines  que  nos  maré- 
chaux actuels.  Que  de  commis  valent  nos  ministres  d'état!  Que  d'admi- 
nistrateurs plus  en  état  de  bien  gérer  les  affaires  des  départemens  que  les 
préfets  et  sous-préfets  présentement  en  activité!  Qu^  d'avocats  aussi 
bons  jurisconsultes  que  nos  juges!  Que  de  curés  aussi  capables  que  nos 
cardinaux,  que  nos  archevêques,  que  nos  évêques,  que  nos  grands- 
vicaires  et  que  nos  chanoines!  Quant  aux  dix  mille  propriétaires,  leurs 
héritiers  n*auraient  besoin  d'aucun  apprentissage  pour  faire  les  hooneun 
de  leurs  salons  aussi  bien  qu'eux,  d 

Cette  moquerie,  si  douce  et  si  Gne,  fut  prise  en  mauvaise  part. 
Les  grands  noms  mis  en  scène,  et  trouvés  si  légers  de  poids  auprès 
des  noms  industriels  et  scientifiques,  ne  passèrent  pas  condamna- 
tion immédiate ,  et  voulurent  qu'un  procès  criminel  décidât  de  leur 
importance  sociale.  Ce  fut  étrange  de  voir  alors  le  comte  de  Saint- 
Simon,  le  petit-fils  du  grand-seigneur  de  la  cour  de  Louis  XIV, 
venir  se  défendre,  devant  des  juges,  d'avoir  avancé  que  la  mort  du 
comte  d*Artois  et  celle  du  duc  d'Angouléme  feraient  moins  de  vide 
en  France  que  celle  d'un  grand  manufacturier.  Singulier  procès 
dont  un  acquittement  ne  fit  qu'accroître  le  scandale! 

Du  reste,  cette  Parabole  que  nous  venons  de  citer  ne  fut  aux 
yeux  de  Saint-Simon  qu*une  boutade  spirituelle,  dont  ses  disciples 
ont  toujours  contesté  T à-propos  et  la  valeur.  Il  acheva,  vers  ce 
temps,  des  travaux  plus  graves  et  plus  complets  :  La  Réorganisa-- 


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SOCIALISTES  MODERNES.  297 

lion  de  la  société  européenne  y  l'Industrie,  COrgamsaleur,  te  Politique, 
le  Système  Industriely  le  Catéchisme  des  industriels.  La  publication  de 
ces  divers  ouvrages,  d*un  débit  difficile,  n*eut  lieu  qu'à  la  suite 
de  démarches  humiliantes  et  longues.  Méconnu  alors,  Saint-Si- 
mon se  voyait,  presque  toujours  obligé,  d*aller  quêter,  de  porte  en 
porte,  TaumAne  d*un  éditeur.  Ces  peines  ne  furent  pas  les  seules. 
Plus  d'une  fois  Tunique  héritier  d*un  des  plus  beaux  noms  de 
France  se  vit  réduit  à  Tordinaire  du  pain  et  de  Veau  ;  plus  d'une 
fois  il  se  passa  de  feu  Thiver  pour  arriver,  à  Falde  de  privations 
personnelles,  aux  honneurs  d*une  coûteuse  et  ingrate  publicité. 
Toutes  ces  douleurs,  leMessie  nouveau  les  avait  prévues,  il  ne  recula 
devant  aucune  d'elles.  Un  jour  pourtant,  un  seul  jour,  la  tristesse 
le  vainquit;  l'homme  écrasa  le  dieu.  Saignant  sur  sa  croix,  il  de- 
manda grâce  ;  et  comme  pas  un  ami  ne  se  trouvait  là  pour  le  percer 
d'une  lance,  il  se  rendit  ce  service  à  lui-même  avec  l'arme  plus  mo- 
derne du  pistolet.  Les  têtes  puissantes  résistent  mieux,  à  ce  qu'il 
parait,  que  les  têtes  vulgaires.  Saint-Simon  survécut  au  suicide.  La 
balle  n'avait  atteint  aucune  des  parties  organiques,  il  en  fut  quitté 
pour  la  perte  d'un  œil.  S'il  était  mort  de  son  fait,  son  autorité  à 
venir  en  restait  singulièrement  compromise.  D'ailleurs  le  complé- 
ment de  sa  doctrine  eût  manqué  à  ses  apôtres  ;  le  Nouveau  Christia- 
nisme  n'existait  pas.  Le  Messie  en  revint  donc,  valétudinaire  et  dé- 
figuré. 

On^  vu  Saint-Simon  débuter  par  l'expérimentation  personnelle 
pour  arriver  à  la  publication  par  la  voie  de  la  presse,  et  d'homme 
du  monde  devenir  ainsi  polémiste.  Voici  maintenant  qu'il  quitte 
l'une  et  l'autre  méthode  pour  le  rûle  d'évangéliste  et  de  prophète. 
n  déserte  la  pratique  de  la  vie,  la  tribune  de  la  publicité  pour  les 
prédications  delà  chaire,  a  En  attaquant  le  système  religieux  du 
4rinoyen-ftge,  disait-il  à  M.  Olinde  Rodrigues  avant  de  mourir,  on 
tt  n'a  réellement  prouvé  qu'une  chose  :  c'est  qu'il  n'est  plus  en  har- 
ff  monie  avec  les  progrès  des  sciences  positives;  mais  on  a  tort  d'en 
a  conclure  que  le  système  religieux  devait  disparaître  en  entier  ;U 
a  doit  seulement  se  mettre  d'accord  avec  les  progrès  des  sciences.  » 
Puis  il  ajoutait  par  une  sorte  de  retour  vers  la  réalité:  crLa  der- 
cr<nière  partie  de  nos  travaux  sera  peut^tre  mal  comprise.  » 

Cette  dernière  partie  des  travaux  de  Saint-Simon,  c'est  le  Nou- 
^au  Ckrittianisme. 


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298-  HEYUB  1>B$  DEVX  MONDES. 

On  a  taat  jpa^é  de  ce  morceau  »  on  Ta  exalté  avec  une  affectation 
si  épiqpç  ^  ^ii^ffi  p9n^  setoWe  utile  de  ramener  les  choses  dans  le 
y];i^^  Lapenaée4^^?4p(-SÛQ»QV^»  AV^  ^^V)  évangile  contemporain, 
n^eattnisaill^^,  ni  nçuy^.^11  3*agit  toiyour^  d*un  plan  de  réforme 
reUçieuse ,  bia^ée  su^p  cet  argument  à  Tus^ge  des  schismatiques  de 
toutes  les  époques,  d^uis  Ar^is  jusqu'à  M.  Vabbé  Chàtel^  en  pas- 
sant p^  Luther  :  qii^^,  le  chnatji^isme;a.été  détourné  de  ses  voies, 
et.  que  la  profanation  esV  aujourd'hui  flagrante  dans  toutes  les 
églises.  L'auteur,  ap^ès  quarante  autres,,  coiini;nence  par  établir  la 
grande  scission  entre  la  parole  divine  et  la  parole  humaine ,  entre 
les  révélations  et  les  commentaires»  entre  le  texte  et  la  glose;  puis, 
ces  prémissefs  posées»  il  se  réçume  en  concluant  que  le  christianisme, 
progressif  de  sa  nature,  n'aurait  pas  dû  s'immobiliser  dans  des 
emraves  canoniques;  et  qu'au  contraire,  recevant  autant  d'impul- 
sion .qu'il  en  donnait^  agissant  sur  le  siècle,  comme  le  siècle  agis- 
sait sur  lui ,  il  aurait  dû  se  mçdifier  suivant  les  mœurs ,  suivant 
les  pays,  suivant  les  peuples,  suivant  les  âges,  et  ne  conserver 
d'éternel  que  cet  adage  évidenunent  divin  :  cr  Aimez-vous  les  uns 
les  autres,  d  Le  Christ  n'avait  pas  dit  autrement. 

Quand  il  arrive  à  la  démonstration,  Saint -Sin^on  rencontre 
pourtant  sa  nouvelle  et  belle  formule,  celle  qu'on  aurait  compro- 
mise en  expériences  maladroites,  si  elle  n'était  pas  une  vérité 
hors  d'atteinte.  De  l'adage  :  a  aimez-vous  les  uns  les  autres,  »  il 
tire  le  principe  suivant  :  <r  la  religion  doit  diriger  la  société  vers 
<r  le  grand  but  de  l'amélioration  la,  plus  rapide  possible  du  sort  de 
c(  la  classe  la  plus  nombreuse  et  la  plus  pauvre.  »  Tout  est  là 
selon  le  maîu*^.  Unité  reli^eusé^  infaillibilité  sacerdotale,  durée 
du  culte,  sa  moralité,  son  inQuençe,  tout, est  là.  C'est  le  nouveau 
christianisme  en  trois  lignes.  S'agit -il  en  effet  de  trouver  les 
prêtres  du  culte  régénéré?  H  v^  ss^isdire  que  les  prêtres  seront 
forcément  et  naturcjllememt  les  hommes  les  plus  capables  de  con- 
tribuer, par  leurs  travaux,  à  Taccroissement  du  bien-être  de  la 
classe  la  plus  nombreuse  et  la  plus  pauvre.  Seulement  il  reste  à 
régler  le  choix  et  Téchelle  ^iiérarchigue  des  hommes  les  plus  capa- 
bles. Sur  ce  point  ^  Sa^nt-Simon  n'avajit  rien  ûxé,  rien  prévu  ;  il  po- 
sait sa  religion  à  l'état  purement  spéculatif.  Dans  la  pratique, 
l'organisation  hiérarchique  d^  plus  capables  a  été  u](ie  difficulté 
presque  insoluble.  Saint-Simon  tournait  la  difficulté  sans  l'aborder; 


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SOCIALISTES  HODERNES.  «299 

3  faisait  de  la  poésie  et  nondeJalogiqiiey^qiiaodilchaatait  unèpise 
anj^  puissans»  aux  philosophes,  auxsaTUs,  j«x  artisteaeniloat 
,çemre  ^  pour  qu'ils  se  nissent  à  la  ftète  4u  cuke  régéoévAyipoiir 
qu'ils  le  readisseot  m^eslueux  et  beau,  pour  ipi'ilsle  reUv^ssoDi 
aiLmçyen  de  tous  les  prestiges  et  4e  toutes  Us  m^gnifioeaces.  Galte 
théorie  péchait  par  les4eux  hases,  car  il  fallait  toat  à  la  foia^ne 
les  privilégiés  du  génie  voulusseatconinmider, -et quelastaotres 
se  réaigoassent  à  obéir* 

Si  cette  4>cganîsatioB  indécise  et  ¥4porease  laissa  beaucoup  i  dé- 
sirer*  enreyanche,  toute  la,  partie  critique  du  Nauveaw  Christ* 
n'ume  est  un  travail  d'une  étude  profonde  et  d'un  beau  caracttee. 
S*attaquant  d'abord  au  cathdicisme,  Saint-Simon  accuse  «le  pupe 
et  .son  égli^  d^hérésiesur  troischefo  :  l»  l-^nseignement  hideux 
des  laïques  ;  2»  la  mauvaise  direction  donnée  aux  études  des  sén* 
naristes,  et,, par  suite,  Tignoranceet  Tinc^padté  religieuse  des 
desservans  du  culte  ;  3^  l'autorisation  occulte^  ou  patente  acoer* 
dée  i  deux. institutions  diamétraleaient  <9pposées  à  l'esprit  da 
ehristianisme ,  celles  de  Tinquisition^t  des  jésuites  :  trois  erreui s, 
trois  hérésies  capitales  du  catholicisme,  deetructiiEeB  duifnaoipe 
fondamental  de  la  révélation  chrétienne  :  «aimez^vous  les  ugs 
les  autres;  »  trois  4>bstacles;dirimansià  l'améliovatian  du  sort  de 
la  classe  la  plus  nombreuse^  et  la  plust  pauvM. 

Site  psqpe  esthérétique ,  Lntherne  l'est  pas  moins  j  Luther,  mx 
jeux  de  Saint-Simon,  esthérétique  au  premier  chef,  pour  av^lr 
xjuand  il  était  mattre  de  sa  formule ,  quand  il  avait  table  pase  de- 
Tant  lui ,  proclamé  une  morale  très  inférieure  a  celle  qui  peut  oon- 
yenir  aux  chrétiens  dans  Tétat  actuel  de  leur  civilisaden  ;  il  l'esten- 
core  pour  ^n'avoir  pas,  comme  Jésus  le  disait,  organisé  l'espèee 
humaine  dans  rintérét  de  la  classe  la^phis  nombreuse  <  et  la  {dus 
.  pauvre.  Au  second  chef ,(  Luther  est  hérétique^pour  avoir  êé^ifHé 
un  mauvais  culte,  pour  n'avoir  point'appelé,>à  Taidede  sa  réforme, 
tous  les  arts  qui  charment  la  vie ,  la  poésie ,  la*  musique  y  la  scv^ 
lure;  pour  avioir  prosaïsé  les  sentimens  chrétiens;  pour  s'éM 
privé  de  lillusion  sensuelle ,  de  Téinotion  scénique ,  qne  le  cathoK- 
eisme  avait  si  bien  mises  en  cenvre^  En  fin ,  Luther  est  hérétique  au 
troisième  chef,  parce  qu'il  ordonne  de  lire  et  de  ne  lire  que  la  Bible» 
lecture  exclusive,  immorale  souvent,  féconde  en  révélations  sur 
les  turpitudes  humaines ,  nommant  de  ces  vices  dont  rexistencd 


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300  âSTUB  DES  DEUX  MONDES. 

même  devrait  être  ignorée;  lecture  trop  métaphysique  d^aillearsy 
et  qui  n*e8t  pas  une  des  causes  les  moins  actives  du  dévergondage 
nébuleux  des  philosophies  allemandes.  Donc,  sur  ces  trois  cheEs, 
Luther  est  hérétique  conmie  le  pape  Ta  été  sur  d*autres  chefis.  Lan 
et  Tautre  ont  dévié  du  grand  axiome  religieux ,  du  but  essentiel  de 
toute  loi  et  de  tout  dogme  :  Tamélioration  de  Fexistence  morale  et 
physique  de  la  classe  la  plus  nombreuse  et  la  plus  pauvre. 

Pour  rétablir  le  christianisme  dans  ses  voies ,  il  fallait ,  toujours 
suivant  Saint-Simon ,  lui  restituer  un  côté  matérialiste  dont  Tabsenoe 
le  frappe  de  stérilité  dans  son  action  sociale.  Le  mot  de  Jésus- 
Christ  :  Mon  royaume  nest  pas  de  ce  monde ,  mal  compris  et  plus 
mal  pratiqué»  avait  établi,  dans  la  religion  ancienne,  une  lutte 
éternelle  et  indéfinie  entre  la  matière  et  rintelligeoce ,  le  corps  et 
Tesprit.  Cette  lutte  devait  cesser  ;  le  culte  nouveau  devait  être  on 
feit  à  la  fois  social  et  religieux. 

Tel  est  le  Nouveau  ChrManisme,  dans  lequel  Fauteur  a  mérité 
qu'on  dit  de  lui  ce  qu'il  disait  de  Luther:  /(  a  bien  critiqué ,  mai» 
pauvrement  doctrine.  De  cet  opuscule  ont  découlé,  pour  les  disciples 
de  Saint-Simon ,  d'abord  les  deux  ou  trois  épigraphes  de  la  foi 
nouvelle,  puis  l'appel  aux  capacités  pour  qu'elles  eussent  à  concou- 
rir au  grand  œuvre  de  la  rénovation  religieuse  et  sociale  ;  puis 
encore  cet  apostolat,  tout  de  persuasion  et  d'amour,  cette  nouvelle 
communion  de  martyrs  à  laquelle  il  n'a  manqué  que  des  bourreau 
plus  farouches  ;  enfin  le  principe  vieux,  mais  oublié,  de  l'aflectioa 
fraternelle  entre  les  hommes,  base  de  la  nouvelle  organisation  so- 
ciale qui  remplacera  la  force  militaire  par  l'union  pacifique,  qui 
dissoudra  l'armée  pour  enrégimenter  les  travailleurs. 

—  Jésus-Christ  a  préparé  la  fraternité  universelle ,  dirent  les 
successeurs  du  prophète  ;  Saint-Simon  la  réalise.  L'église  vraiment 
universelle  va  paraître  :  le  règne  de  César  cesse.  L'église  universelle 
gouverne  le  temporel  conmie  le  spirituel,  le  for  extérieur  comme  le 
for  intérieur.  La  science  est  sainte,  l'industrie  est  sainte.  Des  prêtres, 
des  savans,  des  industriels,  voilà  toute  la  société.  Les  chefs  des  prê- 
tres, les  chefs  des  savans,  les  chefs  des  industriels,  voilà  tout  le 
gouvernement.  Et  tout  bien  est  bien  d'église,  et  toute  profession  est 
une  fonction  religieuse,  un  grade  dans  la  hiérarchie  sociale.— A 

CHACUN  SELON  SA  CAPAUTÉ  ;  A  CHAQUE  CAPACrrÉ  SELON  SES  OEUVRES.-' 

A  c6té  du  texte  de  Saint-Simon,  telle  est  la  glose  saint-simonienne. 


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SOaÀLISTES  KODERIfES.  SOI 

Quand  Saint-Simon  eut  écrit  son  Nouveau  Christianisme,  sa  santé 
alla  dépérissant  chaque  jour.  Réduit  à  vivre  d^emprunts,  en  proie 
au  besoin  et  criblé  de  dettes  ^  il  n'en  conservait  pas  moins  un  calme 
et  une  sérénité  impassibles.  En  1825,  le  mal  redoubla;  pendant 
deux  mois  il  ne  vécut  que  d'eau  et  de  bouillon.  Le  corps  s'en  al- 
lait, mais  la  tête  n*avait  rien  perdu  de  son  activité.  Malgré  ses 
souffrances,  Saint-Simon  s'occupait  alors  de  la  fondation  d'un 
journal  qui  continuât  ses  doctrines ,  et  préchant  son  œuvre,  la  sui- 
vit dans  ses  développemens.  Ce  journal  était  le  Producteur  que  le 
moribond  n'eut  pas  même  la  joie  de  saluer  comme  le  vieillard  du 
cantique.  Le  19  mai ,  il  mourut  dans  les  bras  de  quelques  disciples  : 
H.  Auguste  Comte,  son  Benjamin,  son  vase  d'élection,  qui  depuis 
renia  le  maître,  et  M.  Olinde  Rodrigues,  qui  glorifia  Saint-Simon 
avec  MM.  Bazard  et  Enfantin,  puis  avec  M.  Enfantin  seul,  pour  se 
retirer  dans  sa  tente  au  jour  de  la  rupture. 

Cette  mort  de  Saint-Smon  serait  demeurée  sous  le  voile,  si ,  plus 
tard,  les  disciples  alors  présens  n'en  eussent  révélé  les  détails. 
Leur  pieuse  affection  n'a  pas,  on  doit  le  croire,  rapetissé  le  héros. 
Peut-être  même  a-tron  eu  le  soin  de  le  draper  pour  mourir.  N'im- 
porte ,  il  faut  raconter  ici  comme  ils  racontent  ;  le  moment  suprême 
a  des  solennités  qui  désarment  le  doute.  Saint-Simon  sentait  la  vie 
le  fuir,  il  rassembla  autour  de  son  lit  les  confidens  de  ses  pensées, 
et  leur  dit  : 

«  Depuis  douze  jours ,  je  m'occupe,  mes  amis,  delà  combinaison  la  plus 
capable  de  faire  réussir  notre  entreprise  (  le  Producteur  )  ;  depuis  trois 
heures,  malgré  mes  souffrances,  je  cherche  à  vous  faire  le  résumé  de  ma 
pensée.  Vous  arrivez  à  une  époque  où  des  efforts  bien  combinés  parvien- 
dront à  un  immense  résultat La  poire  est  mûre;  vous  pouvez  la 

cueillir La  dernière  partie  de  mes  travaux,  le  Nouveau  Christianisme» 

ne  sera  pas  immédiatement  comprise.  On  a  cru  que  tout  système  reli- 
gieux devait  disparaître,  parce  qu*on  avait  réussi  à  prouver  la  caducité 
du  système  catholique.  On  s'est  trompé  :  la  religion  ne  peut  disparaître 

du  monde;  elle  ne  fait  que  se  transformer Rodrigues,  ne  l'oubliez 

pas!  et  souvenez- vous  que,  pour  faire  de  grandes  choses,  il  faut  être 

passionné Toute  ma  vie  se  résume  dans  une  seule  pensée  :  assurer  à 

tous  les  hommes  le  plus  libre  développement  de  leurs  facultés,  b 

D  se  fit  alors  quelques  minutes  de  silence,  après  lesquelles 
ragonisant  ajouta  ; 


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RfiTtnK  mn*  oeui.*'iriii0B8* 

i^'^ftgnttte^hcil  heures 'iipr es* notre  Meoudo  piAfNeiitlOD  y  -le^pitttMes 
traTriiUeors^«era  eoBstHué  :  r«fieoir  ffs^  à  noos;'» 

Ces  motsridits ,  'û  porta  la  main  à  sa  tête,  etmointit. 

Ainsi, ' pour  Té8amer''^alm-Sinion,  îl 'ftnt  le  Toir  soastrdb 
aspects  ssfllans  et  bien  distincts  :  comme  «xpérimentateiir/ixniime 
publiôiste/  comme  réformateur  religieux. 

Comme  expérimentatear,  11  partit  de  ce  feit,  qnefersealmoyeirtte 
pousser  la  philosophie  dans  des  Toies  progressires  ^étàit  de  s» 
livrer  à  des  expériences  successives  et  personnelles.  Cfaerdiam, 
combinant  des  actions  étranges  etinouies ,  ou  de  nourefles  séries 
d'actions  ^il  s^abandonna  sciemment  à  "beaucoup  d* épreuves  folles; 
il  fat  extravagant  selon '  le  ~monde ,  'bizarre ,  immoral  ;  mal 'femé; 
choses  qui  lui  importaient  peu ,  car  il  tévait  une  mortittènouteDe. 
Voiciix>mment  il  définir  lui-même  cette  phase  expérimentale  : 

a  lo  Mener,  pendant  tout  le  cours  de  la  vigueur  de  Tàge,  la  vie  la  plas 
originale  et  la  plus  active  possible. 

a  2^  Prendre  connaissance ,  avec  soin ,  de  toutesies  théories  et  de  toutes 
les  pratiqes. 

et  3«  «Parcourir  toutes  les  classes  de  la  taolété ,  se  plaeer  penanoeiie» 
ment  ^ans  les  positions  weîlksi  tes  fiasidifttreiiteB,''el'ni«ae«réeriées 
relationsqui n'aient  point axitté. 

a  40  Eoftn  ^  employer*  sa  vieUltee  à  céaomer  .las  -abservalkos  sar'>lii 
effets  de  ses  actions  pour  les  autres  et  pour  soi,  et  à  établir  deafinoqfMS 
sur  ces  résumés.  j> 

Dans 4a  seconde  phase  de  sa  vie,  Saint-Simon  résuma,  comme 
puUiciste^  les  impressions  xfa*ik  avait  ^icquises  dans  sa  vie  expéri- 
mentale; il  cherchai  les  rendre  profitables  et  praticpies  pour  le 
monde  industriel,  sctentifiqne  et  politique;  11  essaya,  par  lambeaux, 
son  système  de  doctrine  et  d'application  générales ,  dont  la  syn- 
thèse ne  devait  se  trouver  que  plus  tard  dans  le  Nouvem  Chmia- 
nisme,  attique  de  son  monument. 

Enfin ,  comme  révélateur  rel'gieux,  il  couronna  ses  travanx  an- 
térieurs, travaux  incomplets  et  préparatoires,  par  la  théorie 
d*une  socialisation  chrétienne;  il  donna  la  formule  qui  résumait, 
suivant  lui,  le  seul  principe  révélé  du  christianisme,  le  seul  artidc 
de  foi  qui  fût  d'inspiration  divine  :  <r  La  religion  doit  diriger  la 
or  société  Ters  le  grand  but  de  l'amélioration  la  plus  rapide  pas- 
a  sible  du  sort  de  la  classe  la  plus  nombreuse  et  la  plus  pauvre;  1 


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sqntmgft^dii  pauwfrdo  frateinkA,  d^msiem  ^  d'iufem,  qti  vaut, 
à.aUe  s^ula,  ioiU^iOrCod»'  4e;iDgrak;  masuBe  aakce,  dwaat  hk** 
qncJle  Yjenmnl MS^amartir  etra^-Aleioëar  toi  giaad^  et  baïUieMi  m^-^ 
bilM4lea.fûciélé8  maderiiM,  TégMleaia^  la  hai»e^  riaotomeai,  1» 
daula^  ledécourasunant»  Ia>Biaiivakft  Cm  ;  dog«i6  déji  {Mresaeati 
par.  le  pbilosq>be  danr les  JUures'd^êifkbaUiënè  iU  Gmèveel  daaa  ht: 
PwpfiboU;  iBieBxaopiMé4>toalagd  par  laAhwyowitgiiDii  rfg  to  ^octAér 
etu:0péettne^  et  par  isaa  autres  ominraga^  d^économie  iaduMMIe^ 
mais  articulé  senlawant4.yn»  maaiAre  formelle  et  prioiee  dane  le* 
NomwKtm  CértrtmwîMWf  »ce  ieeiaiaeiit.de<fiaiiit<rSiiBOiib 

IL —«lEIlIB&E  ÉPOQUE. 

L^  ProdneWor. 

jLe  Producteur,  on  vient  de  le  Yok,  fut  fondé  aur  le  lit  de  mori 
de  Smnt-Siinon.  Légataire  plus  spécial  de.  la  pensée  du  maître» 
M.  Olinde  Rodrig^es-chercha.à  s*aatûcier  quelques  esprits  sympa^ 
thiquctf  à  la  doctrine  nouyelle;  il  trouva  alors ,  et  successivement^ 
MHi.  Bazard  (qui  signât  SaintrAmand),  Enfantin,  Cerdety  Bur 
chez,  et  d'autres  encore»  qui  ne  suivirent  pas  ou  laissèrent  ensuite- 
à  mi-chemin  Tœuvre  de  propagande  saint-simonienne.  Le  Produc- 
teur, ne  pouvait  pas,  ne  devait  pas  être  une  chaire  exclusive  pour 
la  religion  encore  dans  ses  langes.  Les  disciples  que  SaintrSimon 
avait  laissés  n'étaient  ni  assez  nombreux,  niassez  riches  pour  poiK 
voir  repousser  une  rédaction  et  une  organisation  étrangères.. Une  ^ 
sodété  en  commandite  se  forma  pour  la.  fondation  d'une  feuille^ 
destinée,  en  grande^partie^à  des  articles  de  technologie  et  de  «ta* 
tistique  industrielles.  L'intention  des  principaux  eoopérateurs  était  ' 
bien  de  fonder  une  école;  mais  le  plus  grand  nombre  se  bornailjà 
exprimer  des  sentimens  individuels  et  des  opinions  isolées. 

Cétait  d'aflleurs  à  une  époque  où  Ton  avait  à  se. défendre  sur- 
on  autre  terrain  que  sur  cehti. des  idées  spéculatives.  Comme  la 
réaction  d'absolutisme  marchait  alors  dans  une  phase  d'ascension 
et  de  triomphe,  la  résistance  des  sentimens^t  des.  intérêts  contre 
dea  empiètemens  scandaleux  s'organisait  à  l'jombre  du  hbér séisme; 
Cette  formule,  dont.on^  reconnu  plus  tard  le  vague  et  l'impuis^ 
sance,  régnait, alors  M  passionBait  les  esprits..L!un.dea  chefs  fo^ 
turs  du  aaintr^îmamaniey^oebii  qui  devait  prêter  à  la  doetriae 


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S04  REVUE  BES  DEUX  HOlfDES. 

TappUi  d'une  dialectique  vraiment  puissante,  M.  Bazard,  était  loi- 
môme  un  chef  de  carbonari,  échappé  comme  par  miracle  i  cette 
échauffburée  de  Colmar  et  de  Béfort,  où  Lafayette  joua  si  bravement 
8Si  tête.  Les  forces  vives  de  la  France  étaient  alors  tendues  de  ce  côté. 

Placés  de  la  sorte  entre  deux  camps  acharnés,  les  disciples  de 
Saint-Simon  auraient  été  fort  mal  venus  à  faire  entendre  une  ph 
role  toute  pacifique.  Enseigner  alors  le  dogme  du  maître ,  prêcher 
l'autorité  à  une  époque  où  Ton  abusait  de  l'autorité,  parler  d^nn 
christianisme  nouveau  à  des  populations  que  fotiguaient  les  prétm, 
déployer  le  drapeau  d'un  schisme  en  face  des  susceptibilités  ortho- 
doxes du  moment,  c'eût  été  se  vouer  à  une  prédication  stérile  et 
dangereuse.  Le  Producteur  tournarécueil.  H  réserva  pour  des  temps 
meilleurs  la  doctrine  sociale  et  religieuse,  et  ne  s'occupa  que  da 
développement  industriel  et  scientifique  de  l'humanité,  d'après  h 
théorie  de  Saint-Simon.  Des  plumes  vigoureuses  et  exercées,  des 
talens  pleins  de  jeunesse  et  de  verve,  des  hommes  d'élite,  parmi 
lesquels  nous  ne  citerons  que  M.  Carrel,  restèrent  alors  associés, 
pour  la  rédaction  de  la  feuille,  au  petit  noyau  des  saints-simoniens 
primitifs  ;  et  le  succès  qu'elle  obtint  parmi  les  esprits  sérieux,  ré- 
sulta en  grande  partie  de  ce  concours  d'intelligences  élevées. 

Bientôt  pourtant,  un  changement  survenu  dans  le  format  et 
dans  le  mode  de  publicité  ramena  le  Producteur  à  son  unité  origi- 
naire. De  journal  hebdomadaire  il  devint  recueil  mensuel.  Ceoi 
qui  ravaient  fondé,  puis  transformé,  le  soutinrent  pendant  quelque 
temps  encore,  après  quoi  il  s'éclipsa  un  beau  jour,  faute  de 
5,000  francs  annuels  pour  le  continuer.  Les  apôtres  n  étaient  pas 
opulens,  et  les  mains  qui  jusque-là  avaient  feit  les  avances,  étaieot 
lasses  de  donner.  Le  Producteur  mourut. 

Dans  sa  courte  existence,  bien  qu'empêché  par  des  craintes  de 
saisies  judiciaires,  il  avait  posé,  en  fece  du  gouvernement  le  plus 
ombrageux,  une  foule  de  questions  hardies  et  radicales.  Il  avait 
parlé  de  l'affranchissement  de  l'industrie,  quand  régnaient,  dans 
toute  leur  gloire,  les  théories  de  M.  de  Mayrinhac  et  les  tarifs  de 
M.  deSaint-Cricq;  il  avait  convié  et  excité  à  une  œuvre  d'orga- 
nisation nouvelle  les  savans ,  les  artistes,  les  financiers ,  ces  puis- 
sances indépendantes  que  l'on  craignait  tant  alors.  Le  Producteur 
avait  fedt  plus  encore  :  il  avait  prêché  l'union  et  l'oubli  à  l'opinion 
dominante,  et  hasardé  des  mots  de  réforme  sociale,  précoces  et 


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SOCIALISTES  MODERNES.  305 

aiidacieux.  Cétait  beaucoup  que  de  se  déclarer  neutre  en  temps  de 
guerre,  que  de  se  mettre  entre  deux  armées  qui  se  battaient,  au 
risque  de  se  voir  frappé  par  Tune  et  par  Vautre,  et  avec  la  certi- 
tude d'être  impuissant  à  les  pacifier.  Ce  dévouement  opiniâtre,  cette 
patience  à  éclairer  les  questions  de  Tordre  industriel,  que  dénatu- 
raient alors  les  desservans  de  la  statistique;  cette  persévérance 
désintéressée  dans  une  œuvre  calomniée  et  méconnue,  tout  cela 
caractérise  et  honore  les  jeunes  philosophes  pour  qui  le  Producteur 
fut  une  espèce  de  prologue  àTapostolat.  La  tâche  solitaire  qu1Is 
poursuivaient  avec  une  obstination  consciencieuse  était  d'autant 
plus  méritoire,  que  Téclectisme  doctrinaire  remplissait  alors  le 
monde  de  ses  mérites,  et  qu'à  côté  de  leur  feuille,  pauvre  et  mo- 
deste, débutant  comme  le  maître  avait  fini,  par  Tindigence  et  un 
ai^l  à  des  bourses  profanes,  rayonnait  un  journal  semi-périodi- 
que, organe  de  cette  philosophie  transitoire  qui  vulgarisait  tout  sans 
contrôle,  quelquefois  sans  discernement;  philosophie  de  beau  style 
et  de  belles  formes,  qui  n'eut  guère  que  des  vertus  négatives,  même 
au  jour  où  elle  prévalut. 

ffl.  —  DEUXIÈME  ÉPOQUE. 

Enseignement  de  la  me  Taranne.  —  Ezpoiîtion  de  la  Dootrîne. 

Quand  le  Producteur  tut  mort,  on  put  croire  que  le  saint-simo- 
nisme  avait  fini  en  même  temps  que  lui.  La  presse  philosophique 
le  crut;  elle  sonna,  avec  le  zèle  et  la  grâce  d'une  rivale,  les  funé- 
railles de  la  doctrine  nouvelle.  Mais  il  en  est  de  la  parole  répandue 
dans  le  monde  comme  de  ces  semences  que  le  vent  promène  d'une 
zone  à  l'autre,  qui  traversent  les  mers  dans  le  bec  de  Toiseau,  et 
vont  germer  loin  de  l'arbre  qui  les  vit  mûrir.  La  publicité  du  Pro- 
ducteur avait  eu  un  rayonnement  borné,  mais  choisi  :  un  petit 
nombre  de  lecteurs  attentifs  s'était  mis  peu  à  peu  dans  le  courant 
d'idées  de  la  doctrine,  et  avait  senti  à  son  unisson.  Des  sympathies 
réelles  étaient  acquises  aux  principes  ;  le  désir  de  voir  les  hommes, 
de  les  connaître,  d'apprendre  de  leur  bouche  le  complément  de  la 
philosophie  saint-simonienne ,  tourmentait  quelques  têtes  plus  en- 
thousiastes que  les  autres.  On  s'écrivit,  on  se  visita, j[>n  s'aboucha; 
des  correspondances  s'organisèrent;  des  réunions  eurent  lieu;  des 
centres  de  propagation  se  formèrent  sur  divers  points.  On  pro* 
TOME  vu.  SO 


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30ft,  REyoB  DBS  f^mpL  xamsAi 

céda  mém^  dè«-lar6  à  un  syatàme  d'afgliatîMi^  mvio^alMaini 
br^uees^  Quoique. les  ap^ites  euaseni  éié  oblî^  de  fenoweriJbi 
presse ,  coiQfl^e  infkieiiee  périodique,  ils  s^ea  «ervireul  p«riaAnN^ 
railteiiee,  poiv  prâcher  leurs  idtes  daas  des  brochwe»  er  d«M. 
di^  livres,  Ces  ouvrages  n'éiiii^t  poini  wx^piv»:  compte!  de  It^ 
phj]i<»âaphie  de  Saini-Sîioon ,  mais^uJeiiient  de»  théoMS  indostiists. 
oujM^ien|ifiques>  dé^eloppte  diaprés  la.  méthode  ^.^eklfiiMi^ 
rium  de  la  doctrine^ 

Bi^ntÀt  anAsi^»  en^igi)9»(ep4i0ral  s'owrii4ai»B  une  aalle^rae; 
Taraoi»^»  et  M.  jBas^cd  j  poiHrswril,  dans  une  longw  suîfte  de^oi» 
férenioes^  LEjcpmt'tan  ^ompiH^ide  luifoi  9ai9Utsimoniemi€M.Akms}imi 
iojtàatîoQi»  aUèremcbaqw  jour  eiiai«giReQisuit;J*éQol6^ere(ma. 
surtout  parmi  les  hommea  qiiîvse  paient  le  moius  à»  rèyenis, 
permi  les  élèves  de  TÉcole  Polytechnique,  ce  sanctuaire  deasaor 
ces  positives.  C'est  à  cette  date  qu'il  ifojiii  rappoiDler  les  afifiliaiioM) 
de  MM.  Garnot^  Miabel  Chevalier,  FourueU,  Pugied,  Bacraok^ 
Charles  Duveyrier,  Talabot»  et  quelques  autres^qui,  av^o  MMi  Bu* 
zardy  Enfantin  et  Rodrigues,  premier  trinAme  saiat^siaKMiieny 
composèrent  le  noyau  de  philosophes  et  de  prôtres  qui  devaient 
plus  tard  constituer,  ce  que  l'on  nomma  le  grand  collège. 

L'enseignement  de  la  rue  Taranne  fit  faire  un  grand  pas  à  la 
doctrine.  Les  matières  se  trituraient  en  commun  entre  MM,  Bazard 
et  Enfantin;  ce  dériver  pr^e^sant  toujpui*^  Fautre^  éveiUiuit  les 
qupsfjp^sjuxi^  à  UQ^,  et  les  livrapt  < ensuite  i  la^  déduction  in»'- 
Yonsf^f  à  la  sagacité  didactique,  «de  son^coilégiie.  Après  aroir  ptr^ 
co^U  et  réglé  dans  le  Produolteur  la  sâri^  di^a  £»it8  indu^triisla,  kti 
esprits  jn^pulsifs  de  Técole  expliquèrent,  dana  i'£^paMiîM  orafe, 
les  autres  phénomènes  de  Vactivité  bumaimp  et  direntr  la  loi  qui- 
devait  féconder  son  avenif^  Ce  n'était  plus  alor^une  démoiisitraiîeB< 
étriquée  et  partielle;  c'était^lasçiencei générale qui,all»| dérouler 
ses  magnificences^ 

La  première,  partie  de  cette  EjçposiUon  de  ladoi^ne  n^  conte- 
nait que  fort  peu  d'indications  or^^aniqnes.  La  critiqpey  dûmkuà. 
le  reste  ;  elle  s*y  était  fait.une  large  part.  Céuit  le  view imBd» m 
présence  du  pouveau  ;  Vun^sur  la  sellette,  Tautr^sur  un  fouteuil  dt 
juge.  Dans  uq  dé^at  ainsi  ppsé,  on  devine  quel  deyaitéf  rye^  vaioeo^ 

r£j77p.si/îpn  commence  par  déplorer  la|^t|uatjapi  doiiloureuw 
dans,laq\iel}ejieirouy^Ja  /société  ^uropéeni^  ]^  hitte  ai  Fi 


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mCIÂlf STES  MODEKIVES.  'SO? 

Igoiibiiie  soiit  pattoiit^  la  o6bésîon  efla  concordene  soûtniille  patt. 
Tons  les^Jens^seTélàchent;  le  regret  et  la  crainte,' la  déflance  et 
ia hakte; le  charlatanisine'et laruse apparaissent  aussi  bien ^ans 
TwrTdatioftsgénérrfcstpietlans les  rapports  individuels. Ce  désoi^ 
•tffe,  cette  anarchie,  se  retrouvent  dans  la  politique  qui  nous  divise 
•an  nom  du  pouvoir  et  dcf  la  liberté  ;  dans  les  sciences  que  rien  ne 
ïeetttredles,  quf  marchent  ^disjointes  et  nu  hasard;  dans  Findus- 
trie  que  ronge  la  lèpre  de  la  concurrence;  dans  les  beaux  arts tpii 
languissent,  privés  d'inspirations  vastes  et  fécondes. 

^^QnMàdV Erpontion  a  amsi  caractérisé ,  à  son  point  de' rue,  les 
^sociétés  modernes,  elle  convie Thumanité  à  une  autre  nature  de 
rapports  ;  die  indique  aux  mortels  divisés  or  urilien  d*affection,  de 
^'doctrine  etd'activité^tpii  doit  les  unir,  les  foire  marcher  «n  paix, 
^avec  ordre,  avec  amour,  vers  une  commune  destinée,  et 
a  donner  à  la  société, au  glèbe  lui^^méme,  au  monde  tout  entier , 
xr  un  caractère  d'union,  de  sagesse  et  de  beauté,  jd 

l^ur  arriver  à  la  démonstration  de  ce  feit,  TExpontûm' procède 
par  la  méthode  historique  relie  ouvre  le  livre  des  tradition^'ei 
fiait  voir -comment  rfaumanité  a  marché  vers  Saint-Simon  parles 
périodes  d'-égoîsme  et  d^^béisnie;  elle  formule  et  fonde  son  sys* 
tème  annaliste  sur  la  science  de  Tespècc  humaine  ;  elle  y  trouve  la 
justification  d'une  tendance  irrésistible  vers  Tassociation  unîveF- 
seHe,  puis  elle  cherche  à  deviner  quel  sera  le  père  de  cette*  race 
-  ftitiire,  BHede  Fassodatton ,  quMe  sera  la^viUe  inittatidoe  iki  geiif«e 
humain  ,•  la  Ville  du  progrès  TOodcme,  comme  l'ont  été,  aux  temps 
anciens, 'iémsalem,  la^Kome  impérriklett^'la^Bome  chrétienne. 

'Passant  àrTautres  intérêts,  rBjrpowfian  constate  par«(ueMibus 
du*foit  r  homme  a  été  jusqtfiti,  toujours  et  partout ,  exploité  par 
Phomme  :  tfHe  proclame  le  droit  nouveau  :  «  A  chacun  suivant  sa 
tf  capacité;  à  Chaque  capacité  suivant  ses  ceuvres;  »  droit  qui  «est 
appelé  à  détrèner  les  privilèges  de  la  conquête  et  de  la  naissance. 
Personne  désormais  n'aura  recours  à  la' force,  caria  force  n'est 
utile  que  pour  imposer  un  abus.  D'où  il  suivra  que  l'ancienne  or- 
ganisation, militaire  et  oisive,  fera  place  à  l'organisation  active  et 
padliqtte  des  travidleurs,  classés  selon  la  hiérarchie. 

De  cet  appel  aux  travailleurs  conviés  à  un  droit  nouveau,  l'Ex- 
posiiien  arrive  à  Texamen  de  la  loi  constitutive  de  la  propriété,  ici 
la  doctrine  tranche  dans  le  vif  de  la  richesse  actuelle  :  Jésus  a 

20. 


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308  EEVUB  DES  DEUX  MONDES. 

ïit  :  a  Plus  d'esclavage!  »  Saint-Simon  s*écrie  :  a  Has  d*lièri- 
ff  tagel  o  Après  quoi  conune  la  nature ,  qui  &uche  des  honmies 
chaque  jour,  exige  un  système  quelconque  de  successibilité,  tEx- 
position  y  pourvoit  et  adjuge  aux  chefs  de  la  doctrine  le  letoor 
de  tous  biens,  devenus  ainsi  à  la  fois  communs  et  mainHoortt- 
bles,  à  la  charge  seule,  pour  le  suprême  collège,  de  faire  èlevw  les 
enfans  dans  une  direction  professionnelle,  de  les  doter,  de  les 
surveiller,  de  leur  tenir  lieu  de  père  et  d'héritage. 

Des  vues  de  législation  assez  étranges,  des  critiques  générales 
ou  minutieuses  sur  Tétat  actuel  des  sciences  humaines ,  complètent 
cette  première  partie  de  l' Exposition.  La  seconde  partie  est  [dos 
sérieuse,  plus  travaillée,  plus  vaste:  elle  aborde,  quoique  toujours 
sous  des  termes  mystérieux  et  emphatiques,  les  problèmes  de 
l'organisation  future.  C'est  là  que  M.  Bazard  écrivit  et  écrivit  seul 
les  prolégomènes  de  la  doctrine  qui  allait  passer  à  l'état  de  refi- 
gion.  Le  dogme,  la  morale,  le  culte,  s'y  trouvent  sinon  formulés 
nettement,  du  moins  indiqués  de  telle  sorte,  que  plus  tard  cet  écrit 
put  fournir  une  longue  série  de  thèmes  aux  enseignemens  da 
Globe  f  aux  prédications  de  la  salle  Taitbout,  et  aux  orageux  dé- 
bats de  la  famille  de  la  rue  Monsigny .  Quand  M.  Bazard  mettait  ea 
ordre  ce  beau  et  lumineux  travail,  si  nourri  de  faits  et  d'études,  il 
ne  se  doutait  pas  que  le  texte  en  serait  plus  tard  invoqué  contre  lui, 
et  qu'au  bout  de  cette  longue  traite,  épuisé  autant  qu'épouvanté 
du  chemin  parcouru,  il  trouverait  son  collègue  Enfantin  qui  lui 
crierait  :  or  Marche  I  »  quand  il  eût,  lui,  fait  si  volontiers  une  halte. 

C'est,  du  reste,  ici  le  moment,  à  la  veille  de  la  transformatioii 
retentissante  que  va  subir  le  saint-simonisme,  de  résumer  sa  foi, 
telle  qu'elle  résulte  de  l'Exposition  et  des  œuvres  qui  en  sont  la 
glose.  U  faut  seulement  laisser  à  l'écart,  comme  réservées,  les 
questions  qui,  dans  la  suite,  soulevèrent  des  tempêtes. 

Commençons  p^r  la  tète  du  système  :  Dieu.  Voici  le  Dieu  saint- 
simonien  dans  une  première  définition  : 

a  Dieu  est  un.  Dieu  est  tout  ce  qui  est;  tout  est  eu  lui,  tout  est  par  lai; 
tout  est  lui.  Dieu ,  l'être  infini ,  universel ,  exprimé  dans  son  unité  virante 
et  active,  c*est  l'amour  infini,  universel,  qui  se  manifeste  à  nous  sons 
deux  aspects  principaux,  comme  esprit  et  comme  matière,  ou,  ce  qui 
n'est  que  l'expression  variée  de  ce  double  aspect ,  comme  intelligence  et 
comme  force,  comme  sagesse  et  comme  beauté»  L'homme,  représeau- 


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SOCULISTBS  MODERNES.  309 

tioD  finie  de  Fétre  iofiol  ^  est ,  comme  loi,  dans  60d  unité  active ,  amonr; 
et  dans  les  modes ,  dans  les  aspects  de  sa  manifestation  ^  esprit  et  matière, 
iotelligence  et  force ,  sagesse  et  beauté,  b 

Plus  tard  M.  Enfantin,  pour  aider  les  mémoires  paresseuses, 
abrégea  cette  longue  et  nuageuse  définition.  Voici  la  sienne  : 

«  Dieu  est  tout  ce  qui  est  ;  tout  est  en  lui ,  tout  est  par  lui. 
c  Nul  de  nous  n'est  hors  de  lui ,  mais  aucun  de  nous  n'est  en  lui. 
c  Chacun  de  nous  rit  de  sa  vie ,  et  tous  nous  communions  en  lui ,  car  il 
est  tout  ce  qui  est.» 

Après  le  Dieu  y  lé  Messie. 

Saint-Simon  était  ce  Messie.  Il  ne  relevait  que  de  sa  nrisnon  di- 
Tine.  Comme  Jésus,  il  avait  été  envoyé  pour  annoncer  au  monde 
une  doctrine  bien  plus  complète,  bien  plus  sympathique  que  le 
christianione.  Écoutez  : 

c  Le  monde  attendait  un  sauveur.^....  Saint-Simon  a  paru, 
c  Moïse,  Orphée,  Numa,  ont  organisé  les  travaux  matériels. 
t  Jésus-Christ  a  organisé  les  travaux  spirituels, 
c  Saint-Simon  a  organisé  les  travaux  religieux, 
c  Donc  Saint-Simon  a  résumé  Moïse  et  Jésus-Christ. 
«Moïse  serait  dans  l'avenir  le  chef  du  culte,  Jésus-Christ  le  chef  du 
dogme  ;  Saint-Simon  serait  le  chef  de  la  religion ,  le  pape.  » 

Pour  édaircir  tant  soit  peu  ce  mythe,  cette  fusion  du  travail 
matériel  et  du  travail  spirituel,  absorbés  l'un  et  l'autre  dans  le 
travail  religieux,  U  faut  avoir  la  clé  de  ce  que  l'on  a  nommé,  dans 
Técole,  le  dualisme  catholique,  le  combat  de  l'esprit  contre  la 
chair,  de  Tintelligence  contre  la  matière.  Au  lieu  d'adopter  cette 
division  consacrée  jusqu* alors,  le  saint^imonisme  s'annonça  comme 
devant  l'annuler,  l'heure  étant  venue.  Ces  deux  principes,  dé- 
mens d'une  lutte  éternelle ,  an  lieu  de  se  combattre  allaient  désor- 
mais se  OHiibiner ,  recevoir  une  impulsion  unitaire,  se  sanctifier 
lun  et  l'autre,  et  l'un  par  Vautre.  Avant  notre  époque,  cette  cause 
de  conflit,  introduite  dans  les  diverses  reliions  régnantes,  les 
avait  rendues,  disait  Técole,  vicieuses  et  incomplètes.  Le  prindpe 
du  bien  et  du  mal  proclamé  par  la  Genèse,  les  dieuxbons  ou  mauvais 
du  paganisme  grec  et  du  fétichisme  hindou,  avaient  amené  ce  dua- 
lisme interminable,  cet  antagonisme  dogmatique  qui  se  résumait 
pour  Fhumanité  en  révolte  des  sens  contre  la  raison,  révolte  fu- 
neste, qui  tenait  l'ame  et  le  corps  dans  un  état  d*irritation  et  d'hos- 


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■JSM  MmiB  BB8  BBirX  «OlIDES. 

•tilité  oonMtBteSy  et  qniy  passant  de  l'ordre  idéal  dans  Fordie 
«positif,  réagissait  sur  les  lois,  sur  les  mœurs,  snr  les  habitodei, 
sur  rorganisation  sociale  et  politique;  créant  ainsi,  d'une part^ks  j 
t haines  entre  individus,  dé  l'aimre  les  guerres  entre  nations. 

Donc  il  faBait,  pour^^se  Thumanié  arritfttâ  la  oompUtéb»-  \ 
monie  de  ses  forces,  que  la  chair  et  la  matière  fassent  réhalNitéei. 
Il  fallait  Mre  justice,  dans  une  loi  nouvelle,  de  toutes  les  abomi-  ^ 
nations  et  de  toutes  les  erreurs  île  la  loi  ancienne;  des  suppBoi  i 
volontaires  du  fakir  hindou,  comme  des  macérations  et  des  jeûaei 
du  cénobite  chrétien.  Les  devises  catholiques:  e'Ifortifiei-feQs; 
a  abslenez-YOus,»  devises  négatives  et  vie3Ues,  deraîent  sereli* 
Ter  devant  c^e^â  :'«  fiaoctîiee-inous  dans  le  travail  et  daas'b  ^ 
a  plaisir.  » 

Ce  dualisme,  admis  une  fois  comme  élément  et  eomnefonw, 
avait  dû  se  glisser  jadis  et  suinter,  par  miHe  fiisiires  inpetoep-  i 
tibles,  de  la  base  au  sommet  de  Thamanté,  a^ialHaer  daas^les 
mœurs  et  dans  les  institutions,  dans  les  peuples  et  dans  les  goafe^ 
nemens.  Ainsi  la  distineiion  entre  la  chair  et  l'esprit  avait  conduit 
à  reconnaître  deux  directions,  l'une  temporelle,  l'autre  spiritodk, 
à  proclamer  deux  maîtres,  un  empereur  et  un  pape ,  chacun  arec 
sa  hiérarchie  et  ses  attributions  distinctes.  Les  paroles  :  <  Ifon 
a  royaume  n^est' pas  de  ccnonde.  ---Rendez  à  César  ce  qme^i 
9  César^etàDieuee  quiest  àDieu,  j»  avaient  étalArpour  le  diris- 
lîanisroe  cette  préansse  orageuse,  dont  la  eonséffuenoe  apparais- 
sait *d»s  unet|Kuerre  de  dii^tiifitcenta  «as,  entre  letemrporèlecle 
spirituel. 

Le  samt^^iBonisne'tt'iMimettàlt  pas  ce  thièl;  il  n'admettait  fos 
que  Ihimanité  dût  *écre  ainsi  à  tout  jamais  écartelée ,  tirée  àdrcîte 
par  la  chair ,  tirée  à  gauche  pai^Vesprit,  ne  safchant  que  croire  on 
de  ses  instincts  ou  de  ses  idées  ;  il  n^ admettait  pas  ces  deux  forces 
rivales  s'annulant  dans  le  choc,  ces  deux  glaives  toujours  prêts  à 
ae  croiser  ;  ces  deux  prmdpes  obligés  de  vivre  ensemble  et  de  lot- 
1er  toujours.  Le  prêtre  de  Saint-Simon  devait  reMer ,  d'après  son 
expression,  la  chair  et  l'esprit,  et  sanctifier  l'un  par  l'autre. 

Cette  sanctification,  cette  réhabilitation  de  la  chair  n'était  for- 
mulée toutefois  dans  l'œuvre  de  M.'Bazard  que  d'une  manière  im- 
plicite ;  mais  M.  Enfantin  sut  la  dégager  du  fond  même  de  la  déinoih 
stration  et  se  servir  de  cette  arme  contre  celui  qui  l'avait  forgée. 


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aocuusTKs  uovwmt  S|4 

Huod  phis  tard  la  controverse  se  fut  engagée^  enlre  saînt-si- 
loniens,  sur  les  questions  de  morale,  on  argua»  pour  battre  les 
iisâjdeas,  de  cette  partie  du  dogme,  qui  n'avait  eu  d*abord,ec 
[«■s  la  pensée  même  de  rapAtre ,. qu'une  sigmfication  politique. 

Ce  qu'on  voulait  en  effet,  vers  ce  temps,  avant  que  la  Camille  de 
a  rue  Monsigny  eAt  été  fondée ,  c'était  la  constitution  de  l'autorité, 
a  la  règle  de  la  hiérarchie.  On  entendait  prouver  Futilité  d'un  cu- 
m),  la  puissance  d'une  fusion  entre  deux  pouvoirs  jusqu'alors 
tiraillés  et  distincts.  On  voulait  dire  :  a  H  n*y  a  plus  un  empereur 
r  et  on  pape  ;  il  y  a  un  Père.  »  On  méditait  un  régime  qu'à  défaut 
d'autre  nom  on  peut  appeler  théocratique. 

Cette  théocratie  ou  association ,  comme  on  voudra,  divisait  l'hu- 
nanitéen  trois  classes  ;  savans,  artistes  et  industriels  ;  hiérarchi- 
quement soumis  aux  premiers  industriels,  aux  premiers  savans» 
aoxpremierd  artistes.  Ces  chefs  devaient  administrer  les  intérêts 
matériels  et  intellectuels  delà  société  saiiit-simonienne,  dans  les 
voies  et  selon  Tesprit  de  la  formule  du  maître  :  a  l'amélioration  du 
«  son  moral ,  physique  et  intelIect^el  de  la  classe  la  plus  nombreuse 
a  et  la  plus  paavre.  »  Ds  devaient  le  faire  suivant  le  mode  de  répar- 
tition fixé  par  la  deuxième  formule  :  a  à  chacun  suivant  sa  capa- 
<r  cité;  à  chaque  capacité  suivant  ses  œuvres,  d 

Ainsi  par  la  foi  nouvelle  et  i  l'aide  de  ses  organes,  la  cité,  comme 
le  département,  comme  l'état,  comme  l'humanité,  marchait  vers  un 
but  unique  j  but  immense  et  fécond  !  Hais  par  quelles  lois  allait-on 
tendre  vers  cette  ère  d'harmonie  universelle  et  de  sublimes  ma- 
gnificences? Quelle  allait  être  la  règle  fixe  et  reconnue  des  nouveaux 
rapports  de  l'humanité?  Le  droit  romain  et  français  périssant  en  up 
jour,  qu'allaiton  consacrer  à  sa  place?  Aux  époques  critiques, 
comme  le  sont  toutes  celles  que  le  mondé  a  traversées  jusqu'ici,  Thu- 
manité  pouvait  et  devait  se  contenter  de  lois  mortes  ;  mais  une  épo- 
que organique,  l'époque  saint-simonienne  appelait  la  loi  vivante. 

«Uloi  vivAXrg  (i),—  c'e^j^M^Ba^iarA^  g«rl9rr*1M  fe  trottFc  qu'aux 
époqoef  organiques;  et  ^Xon  la  loi»  c'eç),  rhûf;oq^{  tovlo^ra  ell^  A  un 
nom^et  ce  no^n  est  ce^ui  de^on  auteur.  Et  d'aji>ior,4çeUe  q^l  di)ipine  toutes 
les  autfQs,  celle  qui  a  fondé,  la  société,  c'est,  selon  l^.tem{(S.|  ou  la  Ipi  de 
Numa,  ou  {a  loi  de  Moïse,  ou  celle  duXhrist,  cqmmf^  .dwis  l'avenir,  ce 

(<)  tj^iitifn,  tome  n. 


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512  RETUE  DES  DEUX  MONDES. 

sera  celle  de  Saint-Simon.  Bien  loin  alors  que  la  société  s'efforce  de 
mettre  dans  Tombre  le  législateur  suprême  dont  Tamour  prophétique hd 
a  donné  naissance,  elle  s'empare  de  son  nom ,  elle  Fincame  en  elle;  c'est 
par  ce  nom  qu'elle  est,  et  c'est  en  lui  qu'elle  se  glorifie  d'être.  Touto 
les  lois  qui,  dans  la  suite  des  temps,  se  produisent  comme  l'interpréu- 
tion,  le  développement  ou  le  perfectionnement  de  la  loi  révélatrice,  de- 
viennent également  inséparables  de  leurs  auteurs. 

«C'est  toujours  le  législateur  qu'on  aime;  c'est  à  lui  qu'on  obéit 

Dans  l'avenir,  toute  loi  est  la  déclaration  par  laquelle  celui  qui  préside 
à  une  fonction ,  à  un  ordre  quelconque  de  relations  sociales,  fait  connaitrr 
sa  volonté  à  ses  inférieurs,  en  sanctionnant  ses  prescriptions  par  de; 
peines  ou  par  des  récompenses.  » 

Voilà doncle  prêtre,  non-seulement  chef  spirituel  et  temporel, 
mais  législateur  et  juge.  Il  sera  plus  encore.  H  sera  le  manutentear 
et  le  distributeur  de  la  fortune  sociale  :  il  la  recevra  par  voie  d'hé- 
ritage, pour  la  rendre  à  chacun  et  à  tous  en  instrumens  de  travafl. 
Ainsi  tout  sera  concentré  dans  les  mêmes  mains;  action  impolsiTe, 
action  coërcitive;  tout  marchera  dans  une  pensée  et  vers  un  bol 
uniques.  Il  y  aura  des  millions  de  bras,  il  n'y  aura  qu'une  tête,  l'o 
honmie  résumera  rhumanité.  Toute  lumière  viendra  converger  en 
cet  homme  pour  rayonner  ensuite,  hors  de  lui,  plus  vive,  plus  fé- 
conde, plus  pure.  Cet  homme,  ce  pontife,  ce  sera  le  plus  fort  Je 
plus  sympathique,  le  plus  généralisateur  de  tous  les  êtres  vivans; 
il  embrassera  dans  son  amour  et  l'amour  du  prêtre  de  la  science  et 
l'amour  du  prêtre  de  Tindustrie;  il  reliera  socialement  les  théori- 
ciens et  les  praticiens.  C'est  lui,  la  loi  vivante,  qui,  d'un  coap<<l*cul 
et  par  une  sorte  d'intuition,  se  posera  à  sa  place  et  réglera  ensdie 
l'échelle  des  vocations  et  des  aptitudes,  la  hiérarchie  des  capacités, 
et  le  tarif  des  salaires;  c'est  lui  qui  sera  l'angle  lumineux  de  U 
création  nouvelle,  qui,  abreuvé  de  l'amour  de  tous,  s'épandraen 
tocrens  d'amour  ;  c'est  lui  qui  donnera  de  l'unité  au  travail  général 
par  la  direction  harmonique  de  tous  les  travaux. 

Telle  fut  la  préface  du  saint-8imonisme;tel  fut  son  easeigoe- 
ment  public  avant  l'heure  de  la  pratique.  Ces  travaux  préparatoires 
portaient  l'empreinte  d'une  conviction  lentement  acquise.  Obscurs 
souvent,  parfois  déclamatoires,  ils  se  présentaient,  enyehppié 
d'études  si  fortes  et  si  vastes,  qu'ib  devaient  provoquer  de  la  part 
des  critiques  une  attitude  d'estime  et  de  réserve.  La  chose  se  passait 
d'ailleurs  dans  on  petit  oerde  d'esprits  élevés,  sans  retenlisseineot 


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S0CUU8TE8  MODERNES.      .  313 

extérienr^  sans  édat,  sans  scandale.  Vers  le  milieu  de  1830,  ce 
Ibéâtre  parut  trop  étroit  aux  saint-simoniens.  Leur  pièce  était  trc^ 
belle,  pour  qu*Os  se  résignassent  à  la  jouer  toujours  entre  deux 
paravens  et  devant  des  amis.  Il  leur  fallait  une  scène  plus  vaste  et 
plus  orageuse  :  Os  avaient  soif  des  bravos,  peut-être  même  des  sif- 
flets de  la  foule  :  ils  voulaient  se  produire,  attirer  à  eux,  convertir, 
grandir  en  puissance,  se  faire  aimer,  réunir  toutes  les  pensées  en 
une  pensée  commune  ;  enseigner  au  monde  Tamour,  Tharmonie  et 
la  paix.  Ce  fut  alors  que  Técole  devint  une  famille,  puis  une  église. 

IV.  —  TROISIÈME  ÉPOQUE. 

I/Orgaaisatear.  — >  FanûUe  de  1a  me  MonsIgBy.  —  Le  Globe.  *- 
P^édieatioas  piiblM|«ef . 

Le  premier  retour  à  une  propagande  ouverte  fut  la  fondation 
d'un  organe  spécial  du  saint-simonisme.  L*  Organisateur  parut  avec 
une  périodicité  hebdomadaire,  et  cette  fois  rien  d'étranger  à  l'école 
n'eut  accès  dans  la  feuiUe.  L'Organisateur  fut  une  chaire  purement 
saint-simonienne. 

La  fondation  de  la  hiérarchie  remonte  aussi  à  la  même  époque. 
Dans  l'ordre  des  dates,  H.  OUnde  Rodrigues,  le  disciple  direct  de 
Saint-Simon,  aurait  dû  être  le  premier  pontife  de  la  religion.  Hais  la 
loi  hiérarchique  n'admettait  ni  droit  d'héritage,  ni  priorité  d'avéne- 
ment  ;  die  ne  saluait,  ne  reconnaissait,  n*acclamaii  que  la  capacité. 
MM.  Enfantin  et  Bazard  se  posèrent  donc,  en  leur  qualité  de  plus 
sympadiiques  et  de  plus  capables,  comme  les  chefs  de  la  doctrine. 
On  les  accepta  comme  tels.  En  effet,  nul  n'avait  qualité  pour  mar- 
chander leur  couronne  :  la  date  de  leur  initiation,  leurs  travaux 
longs  et  gratuits,  leurs  belles  et  savantes  facultés,  tout  les  portait 
à  ce  poste,  à  l'exclusion  d'autres  prétendans. 

On  a  beaucoup  disserté ,  dans  le  temps,  sur  le  mérite  comparatif 
de  MM.  Bazard  et  Enfantin  ;  on  a  cherché,  en  eux,  quelles  étaient 
les  facultés  analogues ,  quelles  étaient  les  facultés  dissemblables. 
Pour  notre  part,  il  nous  a  semblé  que  la  nature  de  leur  organisation 
excluait,  chez  ces  deux  hommes,  la  pensée  d'un  long  accouplement, 
d'une  solidarité  durable.  M.  Bazard,  élevé  à  l'école  de  nos  luttes 
politiques,  ayant  souffert  par  elles  et  pour  elles,  aimait  encore, 
malgré  lui  et  à  son  insu,  la  cause  révolutionnaire  qu'il  avait  défen-* 


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^Si4  METtrE  *MS  Mt/X^MMES. 

'}énéyyag^mnapB.  iPlus  d^M  fois ,  fMir  Jttgêr  fe  Aàïrfe 

<aieiHie,'il  se  mit  âo^pOkit-de  vue'durinoridé^fofàfte  dontfl  «èt^ 

ia louange etdMt il nédotiteit  le  sarrf^e.'Bbn togideii  d'aites, 

peDsenrinftttfgaMe,  vulgHfisaVfttir  habile  tH^ttine  peu  le  sotit,1tli- 

~lMrdtii>iiyait,  atfr^tmHhémedtmné;  m^  Tenfénmitdeft- 

duictieMr6tdeâét^3l<yppemef!s:  n^dnrà  épuîsiittes 

'  beeognedparHélies^tde  détaQ;  D-seTepo^iCYbhMitSers  qumlchi 

^étaient>ft«ies,«deMandamdti  loisir  pour  en  einbrasserd'avitresyptr 

fetigne  pen^^nrey'peiitMfttre^anssi  partage  aàaù. 

M.  Enfantin  était  d'une  nature  tout-à-fait  opposée  à  odlni 
S*étanttenuconsMnmieHtàl^6cartde*la  politique  courante,  fli) 
avait  rattaché  aucun  souvenir  de  0ympatbie*ou  de  haine;  ilaMitait, 
neutre  et  indifférent ,  à  se^péripéties^les-plus  éclatantes;  il  nesoi- 
geait  au  monde  que  pour  l'attirer  à  ses  convictions,  et  non  pour  s  oc- 
cuper des  siennes;  fl  ne  tenait  à  lui  que  par  les  points  d'ttta- 
:<ehe  arecravenir  saint^imonien:*8a'téte  était  en  travaflcoaMt 
^de  transformations  expérimentales.  On  eût  dit  on  fiiboratdke 
d'idées,  utieiM^ge  d'ei  elles  sortaient  br utes'pour  passer  au  lui- 
noir  de  M.  Bazard.  L'un  était  plus  manipulateur,  Vautre  pfattCki- 
iBiste.Ge)«ii^i^crit«it'miettxqu'iliiepaÂrit;cdm-4à  pariaitnieox 
qu'il  »'écriT«dt.^.  Bàfàntin  trouvait  la^pensée,  M.  Bazard  k  for- 
mulait. 

Si  l'on  voulait  tapproftmifirMeepan^me,  il  serait' fMk  ><fti 
• 'foire  résdltx^  ce  regret,' 'que  ces  deux  esprits  émimns  ae  srfetf 
pas  demeurés  --dans  ^un  poste  où  ils^  s'aidaient,  eè  3s  se  m- 
|>éraie«it  Tan  l^mre.  M.^EhfaAth  hansetaut  M;  Bâtard  thiq» 
-jour,  à  toute  heure,  pour  qu^à  uni  théorème 'démontré  soccédâi 
^on  tfaéorèfme  nouveau;  le-pr^oquant  à  des  hardiesses  lecc»- 
eives  et 'infinies ;" lui  disant  sans  tesse  cren  avant,  «qatHd ce- 
lui-ci voulait  attendre  et  voir;' M.  *Enfamni,  'frappant  cottp'W 
coup,  sann^éserve^et  cfansr  iwensofe ,  étaîtla  pereonaMteittondi 
monde- wmtiBati,  ^yressé  d'awiter,  pressé  de -jouir,  prc«é* 
•régner,  pressé  de  s'installer  dans  une  place  prise.  M.  Batri» 
cherchant  des  biais,  critiquant  beaucoup  et  doorrinant  peu,  Wtf 
l'organe  d'un  procédé  transitoire,  une  voix  de  condKatîen  eow 
l'ordre  nouveau  et  l'ordre  ancien.  M.  Enfentin  se  tenait  §w  h 
*Toie  de  l'taiagîaation  fet  de  la  théorie,  M.  BataM  sur  cdte * 
ia  logique  et  de  la  pratique;  l'un  devait sf adresser  auaentte*^» 


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sogii.isTKg  Mûiniivuu .  Silir 

rame»,  à  la  raiaon.  Que  M.  Bazacd.so*  retirât»  dt.H.  Eafintân,,, 
livré  à  Iai-inéni«|  devenait.. trop  hardi  et  trop  expérimentateur;. 
if»  M.  Enfantin  fit  le  premier  sa  reU'aite  >  et  11.  Basard  restait 
sana  force  dénwt  set  doutes  et  ses  hésitations  :  ce  n*était  plus  un 
dKf  d'émise,  mais  seulement  un  philosophe  dans  la  plus  belto 
acception  de  ce  mot. 

Oiehfues  germes  de  ditision  que  couvassent  ces  deux  esprits 
sf  anomaux  y  au  jour  de  l'organisation  de  la  hiérarchie,  ils  senn 
blaieot  ne  foire  qu*une  tête  et  un  cœur.  On  fonda  le  collège  dans 
lecpiel  entrèrent  les  initiés  de  la  première  et  de  la  deuxième 
époque,  les  hommes  du  Producteur  et  ceux  de  F  Organisateur. 
Has  tard,  le  siège  de  la  doctrine  fut  transféré  rue  Monsigny, 
où,  i  quelques  mois  de  là,  devait  se  grouper  et  s^installer  la 
famille. 

Ceci  se  passait  à  la  veille  de  la  révolution  de  juillet.  Quand* 
la  victoire  eut  émandpé  les  idées  et  les  affiches,  les  saintrsimo-* 
meos  en  profitèrent  pour  se  donner  une  publicité  de  rues.  Ua 
élraage placard,  signé  Basard-Eafaniin,  vint  se  coller  hardiment 
sur  les  murs  de  Paris,  à  côté  d'une  proclamalion  de  Lafoyette 
et- d'un  appel  à  la  branche  d'Orléaas;  Le  peuple  en  rit^  mais 
ladnusbre  des  députés ,  qui  était  alors  en  train  de  s'effrayer  dé 
tett,  porta  graveiaent  l'affoire  à  sa  barre.  MM.  Dtipiit  et  Mauguin 
signalèrent,  do  haut  de  la  tribune,  une  secte  qui  prêchait  la  com- 
mnnaaté  des  biens  et  la  communauté  des  femmes;  imputations 
anxqaelles  MM.  Fazard  et  Ehfanlin  crurent  devoir  répondre  le, 
1*  octobre  1830.  Voici  comment  ils  le  foisaient  dans  une  bro- 
chure adressée  à  la  chambre  des  députés.  Aux  formes,  aux  pré- 
tentions assoE  modérées  de  cet  écrit,  il  est  facile  de  voir  qu'il» 
prévenait  plutôt  de  l'impulsion  de  M.  Bazard  que  de  celle  de  son 
coBègue. 

c  Oui,  sans  doute,  les  saînt-simoniens  professent  sur  Tavenir  de  la  pro* 
Ffiélé  et  sor  i'aveoir  desJèmmes ,  des  idées  qui  leur  sont  pacticulières  et 
9nJS  rattachent  à  des  vues  toutes  particulières  Jiusii  et  toutes  nouvelles^, 
iOT  U  religion^  sur  ie  pouvoir,  sur  la.liberté,  et  enfin  sur  tous  les  grands  i 
Problèmes  qui  8*agitentai:yoord\)ui  dans  toute  l'Europe  d*une  nuinlère 
sidésordonnée<etsi  violente;  mais  il  s'en  faut  de  beaucoup  que  ces  idées» 
«>ient  celles  qu'on  leur  attribue. 

^l^  Sf stèipft.de  coffunupauté .  des  bieDS.s'entend«  univeneUemenl  du 


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316  unns  des  deux  moiidbs. 

pattage  égal  entre  tons  les  membres  de  la  société,  aoit  da  fonds hû- 
môme  de  la  production ,  soit  da  frait  du  travail  de  tous. 

a  Les  saiot-simouiens  repoussent  ce  partage  égal  de  la  propriété,  qoi 
constituerait  à  leurs  yeux  une  violence  plus  grande,  une  injustice  plus 
révoltante  que  le  partage  inégal  qui  s'est  effectué  primitivement  par  la 
force  des  armes,  par  la  couquête. 

ff  Car  ils  croient  à  rinégalité  naturelle  des  hommes,  et  regardent  cette 
inégalité  comme  la  base  même  de  l'association,  comme  la  condition  in- 
dispensable de  l'ordre  social. 

a  Us  repoussent  le  système  de  la  communauté  des  biens ,  car  cette  com- 
munauté serait  une  violation  manifeste  de  la  première  de  toutes  les  lois 
morales  qu'ils  ont  reçu  mission  d'enseigner,  et  qui  veut  qu'à  Faveoir 
chacun  soit  placé  selon  sa  capacité  et  rétribué  selon  ses  onivrcs. 

a  Mais  en  vertu  de  cette  loi,  ils  demandent  l'abolition  de  tous  les  pri- 
vilèges de  naissance,  sans  exception,  et  par  conséquent  fa de^trturttoiidf 
Vhéritagey  le  plus  grand  de  ces  privilèges,  celui  qui  les  comprend  tous 
aujourd'hui,  et  dont  l'effet  est  de  laisser  au  hasard  la  répartition  des 
privilèges  sociaux ,  parmi  le  petit  nombre  de  ceux  qui  veulent  y  préten- 
dre, et  de  condamner  la  classe  la  plus  nombreuse  à  la  dépravatioD»i 
l'ignorance,  à  la  misère. 

a  Us  demandent  que  tous  les  instrumens  du  travail,  les  terres  et  le 
capitaux  qui  forment  aujourd'hui  le  fonds  morcelé  des  propriétés  parti- 
culières ,  soient  exploités  par  association  et  hiérarchiquement  de  manière 
à  ce  que  la  tâche  de  chacun  soit  l'expression  de  sa  capacité ,  et  sa  richesse 
la  mesure  de  «es  œuvres. 

a  Les  saint-simoniens  ne  viennent  porter  atteinte  à  la  constitutioo  de 
la  propriété ,  qu'en  tant  qu'elle  consacre  pour  quelques-uns  le  privilège 
impie  de  l'oisiveté,  c'est-à-dire  de  vivre  du  travail  d'autnii;  qu'en  tint 
qu'elle  abandonne  au  hasard  de  la  naissance  le  classement  social  des  in- 
dividus. 

» 

«  Le  christianisme  a  tiré  les  femmes  de  la  servitude;  mais  il  les  a  con- 
damnées pourtant  à  la  subaltemitè,  et  partout,  dans  l'Europe  chrétieoae, 
nous  les  voyons  encore  frappées  d'interdiction  religieuse,  politique  et 
civile. 

<r  Les  saint-simoniens  viennent  annoncer  leur  affranchissement  défi- 
nitif, leur  complète  émancipation,  mais  sans  prétendre  pour  cela  abolir 
la  sainte  loi  du  mariage,  proclamée  par  le  christianisme;  ils  viennent,» 
contraire ,  pour  accomplir  cette  loi ,  pour  lui  donner  une  nouvelle  sanc- 
tion ,  pour  ajouter  à  la  puissance  et  à  l'inviolabilité  de  l'union  qu'elle 
consacre. 

a  Ils  demandent,  comme  les  chrétiens,  qu'un  seul  honmie  soit  vm  i 


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SOCIALISTES  MODERNES.  317 

ime  seule  femme;  mais  ils  enseignent  que  réponse  doit  devenir  l'égale  de 
l'époux,  et  qne,  selon  la  grâce  particulière  que  Dieu  a  dévolue  à  son 
sexe  9  elle  doit  lui  être  associée  dans  Texercice  de  la  triple  fonction  du 
temple  y  de  Tétat  et  de  la  famille;  de  manière  à  ce  que  Tindividu  social  » 
quijusqu*àce  jour,  a  été  Tbomme  seulement ,  soit  désormais  l'homme 
et  la  femme. 

ff  La  religion  de  Saint-Simon  ne  vient  que  pour  mettre  fin  à  ce  trafic 
hoDteuXy  à  cette  prostitution  légale ,  qui ,  sous  le  nom  de  mariage ,  con* 
sacre  si  fréquemment  aujourd'hui  Tunion  monstrueuse  du  dé?ouement 
et  de  régolsme,  des  lumières  et  de  l'ignorance ,  de  la  jeunesse  et  de  la  dé- 
crépitude. 

«(  Telles  sont  les  idées  les  plus  générales  des  Saint-Simoniens  sur  les 
chaogemens  qu'ils  appellent  dans  la  constitution  de  la  propriété  et  dans 
la  condition  sociale  des  femmes*  d 

Cette  profession  de  foi ,  assez  explicite,  est  l'acte  le  plus  net  et  le 
plus  précis  que  nous  ait  légué  le  saint-simonisroe.  Cet  acte  est  d'au- 
tant plus  précieux  qu'il  établit ,  à  cette  date ,  sur  quel  terrain  et 
dans  quelles  limites  les  deux  pontifes  entendaient  circonscrire  leurs 
débals  avec  le  monde  extérieur. 

Cependant  Téglise  était  constituée ,  et  qui  plus  est,  elle  prospé- 
rait. Des  apports  d'argent  avaient  eu  lieu  ;  les  membres  du  collège 
ayant  donné  Texemple,  on  commençait  à  pratiquer  la  mise  des 
biens  en  commun  après  l'avoir  professée.  C'est  dans  cette  période 
ascendante  que  le  saint-simonisme  crut  utile  d'avoir  de  nouveau 
une  feuille  à  sa  dévotion,  feuille  dans  laquelle  l'enseignement  oral 
serait  résumé ,  à  côté  de  la  prédication  écrite  et  quotidienne.  Le 
Globe  se  présenta  ;  le  Globe ,  si  fier  quand  le  Producteur  était  si 
hnmble,  le  Globe  s'offrit  par  l'intermédiaire  de  l'un  de  ses  proprié- 
^res,  M.  Pierre  Leroux,  homme  de  convictions  fermes  et  d'un 
talent  élevé,  penseur  profond ,  écrivain  sincère,  revenu  de  la  théo- 
rie républicaine  à  la  formule  du  saint-simonisme.  Un  acte  de  cession 
eut  lieu  le  18  janvier  1831,  et  les  jours  suivans  le  Globe  parut  avec 
le  sous-titre  de:  Journal  de  la  Doctrine  de  SainhSimon  y  laquelle 
«ait  résumée  en  première  page  : 

RELIGION. 

SCIENCE.  INDUSTRIE. 

ASSOCIATION  UNIVERSELLE. 


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3IA-  EETUB  DES  DBOX  ¥0IIDB8. 

a  Toutes  les  institations  sociales  doiveat  avoir  pour  bat  l'améliOTate 
morale  y  intellectuelle  et  physique  de  la  classe  la  plus  nombreuse  et  la  plas 
pauvre. 

a  Tous  les  privilèges  de  naissance  »  sans  exception ,  sont  abolis. 

a  A  chacun  seloa  sa  capacité,  à  chaque  capacité  selon  ses  œuvres. b 

Un  vaste  élan  de  prosélytisme  sui\it  rapparition  da  GMe  des 
SMôt^Smoniens.  Les  imaginatiotis  inquiètes  et  carienses,  les  têtes 
réveases  et  enthoasiastes  allèrent  vers  eux.  La  religion  recruta 
des  poètes  y  des  philosophes ,  des  artistes ,  des  industriels.  A  cette 
date  se  rapportent  une  foule  d*initiations,  celles  de  MM.  Rajoand 
Hoart,  Emile  Pereire,  M"""Bazard  et  Saint  Hilaire,  et  succesâ- 
vement,  à  quelque  distance  les  unes  des  autres,  celles  de  HILLan* 
bert,  Saint-Chéron,  Guéroult,  Charton,  Gazeaux,  Dugueit,  ei  plis 
tard  encore,  Stéphane  Flachat-Mony.  Nous  ne  citons  q^e  les  noms 
de  quelque  intérêt.  En  revancHe,  la  religion  fit  alors  une  perte, 
celle  de  M.  Eugène  Rbdrigues ,  enfant  chaste  et  naïf,  mort  trop 
vite  pour  sa  gloire,  th'éosophe  enthousiaste  qui  laissa  toute  soa 
ame  dans  ses  Lettres  à  Bums  sur  là  politique  et  la  religion.  Comme, 
vers  ce  temps,  les  initiés  étaient  devenus  trop  nombreux  pour  qa% 
pussent  tous  forcer  à  la  fois  les  portes  du  collège,  on  établit,  comme 
une  sorte  de  noviciat,  deux  collèges  préparatoires  du  troisik^el 
du  second  degré,  se  déversant  l'bn  dans  l*^utre,  et  formant  aioa" 
deux  pépinières  où  se  recrutait  le  grand  et  suprême  collège. 
Cette  ère  de  propagande  ascendante  se  résuma  par  la  -constitutioo 
définitive  de  la  famille,  et  par  son  installation  dans  la  rue  Monstgny. 
Ainsi  Tassociation  était  introduite  dans  la  vie  bourgeoise.  On  avait 
fifaidè  le  ménage  à  frais  communs,  la  fannille  en  grand  pour  le 
monde,  la  famOle  en  petit  pour  Saint^imon;  un  spécimen  de  Yhn- 
manité  future. 

Au  dehors  pourtant,  là  religion  feisait  du  bruit  et  presque  da 
scandale.  Diverses  voies  avaient  été  simultanément  ouvertes  à  Ta- 
postolàt.  Prédications,  missions,  brochures,  polémique  quotidienne,, 
tout  rayonnait  au  loin  dans  un  but  de  propagande.  Sous  la  direc- 
tion de  MM.  Hyppolite  Carnot  et  Dugicd  j  renseignement  avait  été 
ouvert  dans  quatre  locaux  différons  :  à  la  salle  Taitbout ,  à  l'Athé- 
née, dans  la  rue  Taranne  et  dans  la  me  Monsigny.  D'hebdoma- 
daires, les  prédkaÉH)ii».étaient  devenues  quotidinmea;  on  les  appro* 
priait  à  l'intelligence  dePanditQire^.oalesLfaidait.vulgaires  et  sim- 


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•j^ponr'jlM  uasiimB ,  pcvétiqaes  ei  Mimées  peur  le^  arfbtes ,  ré- 
vères et  iptèckts  pour  les  Mvans.  Be9  centres  d^organisaliM 
tfaieat  été  organisé»  par  les  soins  de^M^Bmii  Foumel  ëaniles 
doQzvarnwKssaiie»  de  Paris.  Enfin»  six  égKaes^déptftieiwelitales, 
iToolowe^  à  Moiilpdlier/i  Lyon,  à  Meiz,  à  Dijon;  s^éfaient'déjà 
iAes^enr  rapport  arecf  étabKssementmdirDpolitain. 

Doaon^dté)  le  4ï/o^4igissait  commeiiin  levier  incessant  snrtiM 
nassedef  Isnieiirs  que  la  nuriostté  eondnisait  parfois  à  l'examen ,  le 
sarcasme  i  la  réiexion^  >Au  nombre  des  choses  remarquables  qui 
panireat  dans  cette  feuille,  W'fyvt dtertine Économie  fHjlUifiueéù 
M.'EnflMatin^  qm  encmit  dans  les -queetions courantes,  et,  sans  les 
prendrei  au  point  de  vHe  exdo^f  et  absolu  de-Ia  doctrine,  les  résu- 
ttsit enooitibinaisons judicieuses et'pratiqnesJ Le  chef  saint-simo- 
iritn  descendit  nvême  alors  jusqu'à  proposer,  dans  l'organisation 
économique,  quelques  réformes  transitoires. 

Il€dnmiençait  par  poser  ce  principe  : 

ff  La  société  ne  se  compose  que  d'oisifs  et  de  travaitteurs;  \^  politique 
*Ht  SToir  ponr  but  Pamélioration  morale,  physique  et  inteîiectaelle  du 
Mrtder travailleurs,  et  la  déchéance  progressive  des  oisifs.  Les  moyens 
•Mit,  ipanfjanx'oisili,  la  âsMtuction'de'tous'les  privilèges  de  la  nefs- 
■R)ce,'«t>tipnat  aBz*lnrvaill«on,'le'claflwni8nt  sekiirles  capacités  et  la 
attntNMisirevkm  leastm^ras^^ 

CeciétaMi,lll.Enf9nfin'Oon9email<à  ne  pas  exiger  totitâ*un  coup 
la  réaKsMion  absolue  et  complète  de  cette  théorie.  Il  admettait  des 
procédés  <Ie  transition  ;  il  les  créait,  il  les  développait. 

ïami-les  rèfspmes  proposées  parle^t^hèf^sain^-simomen ,  4a  phis 
8éci8ive4lait  l>abolftion4e8  aucœssions  collatérales,  prolégomène 
^ent  de  Paboiitionide  r héritage.  La  succession  collatérale,  avec 
9^  fractioanemensi'wùlliples,  ^ivec  son  eortége  de  procès,  plus 
rainenx  encore  peur  laiseciécé  qvepour  les^individus ,  la  succession 
<'onatéralei  douce -degrés  surtout,  était  une  loi  civOe  d'un^inérite 
fort  contestable,  qu*oir  pouvait  modifier  sans  que  la  société  enfftt 
ébranlée  autrementqu'à  la  snrfece.Ily  ataltutiKté'et  convenance 
àdi^mter  si  cette  succession,  appliquée  en  toutou  en  partie  au  dé- 
^rtvement  de  TimpAt ,  ne  serait  pas'un  instrument  beaucoup  phis 
«cttf ,  beaucoup  plus  direct,  beaucoup  plus  fécond  qu'il  ne  Test  au- 
J^viti'hui  daas'sa  répartition  chanceuse;  à  discuter  encore  si  46 
''••pect  pour  les  privilèges  péouniaires  «de  la  fomiÛe  devait  s'étendre 


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3S0  RBYUB  D£8  NSUX  MONDES. 

si  loin  qae  Ton  dût  préférer,  à  Tintérét  de  toud,  l'intérêt  de  quel- 
ques parens  éloignés,  inconnus  au  défunt,  souvent  ses  eanemis, 
n'ayant  pas,  pour  combattre  des  désirs  impies  et  avides,  Taffec- 
tion  qui  fait  patienter  un  héritier  direct,  Tamour  filial  plus  fort 
qu'une  pensée  de  survivance.  Ce  retour  au  trésor  public  de  succes- 
sions fractionnées  les  aurait  empêchées ,  comme  elles  le  font,  d'^ 
jouter  quelques  cent  mille  francs  de  plus  à  Tépargne  d'un  oisif,  et 
les  aurait  rendues  profitables  à  tous  et  à  chacun  comme  réductiaft 
des  taxes,  n  est  vrai  que  le  drame  et  le  vaudeville  aoraiem  été 
privés  de  la  grande  péripétie  d'oncles  et  de  cousins  morts  dans  1^ 
Indes,  oubliés  et  millionnaires  ;  il  est  vrai  encore  que  la  sucoessioii 
Stephen  Gérard,  ce  leurre  qui  a  duré  dix  ans,  n'aurait  plus  la  h- 
culte  de  remuer  tous  les  Gérard  de  France,  au  nombre  de  deux 
cent  soixante-et-quinze.  Mais  les  Gérard  et  les  vaudevilles  se  se- 
raient résignés  avec  le  temps. 

C'était  donc  là,  selon  M.  Enfantin ,  une  perception  toute  finte, 
une  rentrée  facile  et  variable  seulement,  comme  le  chiffre  de  U 
mortalité  annuelle.  Que  si  l'on  trouvait  un  inconvénient  et  une  oc- 
casion d'abus  à  ce  que  le  gouvernement  héritât,  gérât,  admimstrâc, 
vendit  des  propriétés  main-mortables,  il  était  facile  d'imposer 
tel  droit  progressif  et  presque  équivalent  sur  les  successions,  ea 
les  frappant  d'une  manière  d'autant  plus  lourde  qu'elles  résulte- 
raient d'une  prétention  plus  lointaine.  La  conséquence  de  la  même 
réforme,  son  complément  obligé  devait  être  une  forte  augmentation 
de  droits  sur  l'héritage  au  premier  degré.  Entrer  dans  cette  thèse 
avec  M.  Enfantin,  c'est  toucher  une  plaie  vive,  c*est  froisser  bien 
des  espérances,  contrarier  bien  des  loisirs  àTavance  rêvés; mais  3 
n'en  reste  pas  moins  comme  un  fait  évident,  que  le  droit  sur  les  suc- 
cessions, si  énorme  qu'il  puisse  être,  sera  toujours  l'impôt  le  {dos 
juste  et  le  plus  rationnel ,  parce  qu'il  prend  la  fortune  là  oà  elle  est , 
au  moment  où  elle  change  de  mains,  oii  elle  se  déplace,  souvent 
pour  arracher  à  un  labeur  productif  des  hommes  qu'elle  voue  dé- 
sormais à  une  oisiveté  ou  partielle  ou  complète. 

Après  avoir  indiqué  ce  nouveau  mode  de  perception ,  M.  Enfm- 
tin  aime  à  en  suivre  les  résultats  et  à  en  indiquer  les  emplois  les  phs 
fructueux.  Grâce  à  Tabolition  des  successions  collatérales  et  i 
l'augmentation  des  droits  de  succession  en  ligne  directe ,  on  pou- 
vait supprimer,  d'après  lui,  l'impôt  sur  le  sel,  la  loterie  et  les  ooa- 


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SOCIALISTES  MODBBlfBS.  ^Sl 

tribntions  indirectes,  oa  bien  encore  employer  le  fonds  commun 
qui  proviendrait  de  cette  mesure  à  des  destinations  productives, 
comme  rétablissement  d*écoIes  publiques,  l'amélioration  des  voies 
de  transport,  l'embellissement  des  villes,  la  prc^agation  des  bons 
procédés  agricoles,  etc. 

Placée  sur  ce  terrain,  Téconomie  politique  du  Globe  rendit,  il 
font  savoir  l'avouer,  des  services  essentieb  à  la  cause  de  l'émanci- 
pation industrielle,  que  d'autres  écoles  avaient  déjà  chaudement 
et  utilement  poursuivie.  Les  débats  de  l'amortissement,  de  Tem- 
proot,  de  la  dette  publique,  de  l'impôt,  dont  la  presse  et  les  cham- 
bres étaient  alors  saisies,  trouvèrent  de  beaux  et  rudes  jouteurs 
dans  la  feuille  saint-simonienne.  K  toutes  les  solutions  qu'elle 
présentait  n'étaient  pas  acceptables  et  pratiques,  toutes  ses  criti- 
ques étaient  profondes  et  justes,  armées  de  chiffres  et  de  preuves. 
NoDe  part  la  mobilisation  de  la  propriété  et  l'institution  des  ban- 
ques ne  trouvèrent  des  promoteurs  plus  zélés.  Une  banque,  pour 
M.  Enfantin,  n'était  pas  une  caisse  d'escompte  triant  et  classant 
son  papier;  c'était  une  société  commanditaire  de  l'industrie,  char- 
gée de  distribuer  les  instrumens  du  travail,  de  la  manière  la  plus 
fevorable  aux  producteurs  et  à  la  production. 

A  c6té  du  chef  de  la  doctrine,  d'autres  polémistes,  d'autres  sa- 
vans  surveillaient  les  autres  thèses  politiques  et  industrielles. 
Déjà  H.  Stéphane  Flachat-Hony  poussait  l'industrie  vers  des  voies 
nouvelles  et  progressives.  Doué  d'une  patience  admirable  d'in- 
Testigation,  d'une  lucidité  onctueuse  et  impulsive,  il  éclairait  tout 
à  la  manière  de  Franklin,  en  s'élevant  de  la  recherche  des  faits 
aux  combinaisons  théoriques.  H.  ÉmUe  Pereire  préludait  aussi  à 
cette  réputation  que  le  National  lui  continua  :  le  premier,  il  ven- 
^t  la  statistique,  tant  de  fois  profanée;  il  en  refaisait  la  langue, 
3 en  réhabilitait  l'emploi;  il  lui  rendait  sa  conscience  de  chiffres  et 
«a  loyauté  de  déductions. 

D'autres  cerveaux  élaboraient  la  poésie,  l'éloquence  et  la  philo- 
wphie  saint-simoniennes.  M.  Barrault  évoquait  l'orientalisme  avec 
ses  formes  pompeuses  et  ses  vétemens  drapés.  M.  Michel  Chevalier 
donnait  sur  le  monde  en  périodes  si  sonores  et  si  belles  ;  il  lui  pre- 
ssait une  ère  si  pleine  de  gloires  et  de  magnificences  ;  il  lui  donnait 
^soleil si  beau,  des  moissons  si  dorées,  des  fruits  si  savoureux, 
^  populations  si  épanouies,  tant  de  canaux  et  tant  de  chemins  de 

TOMB  VII.  21 


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71»  ftKia. 

foi:,  taal.da  nohassM/ec  imuéîAnlMimw,  de 

teUfia^¥oIiipt(é%.  da  teUe»  hamnoiiiMi»  «^Me  las  ptu»tii 

i^eaieot  les  yeuai  el  ka  orftittM,^  fr*<iiMiiiMnit  dftMfriAvnsvdPc 

9e  kûssoieiit  becett  par  C8»geniftB*d»«dMMnat.ekdloiy.qn>'a>  nÉ» 

dit  détachés  des  mille  contes  de  '^ihi'lK'rnTiflni  Iiiii  phillMnphfiiniliki 

novalislAs  se  demeuraioin.  )f(ÀBl  <riià.«rTièM«  .li&l«  JLeaeoiiv  J<*mi 

ftajaaud,  Chérie» Buvey'rier^a&taqueieiit,  ée  hmk et I 

k^earde-éterusl  dans  lequel  raoleat  lee  milapbf B^pMs 

et  moderne,  Dieuet  rboHmie;.ilfi'ej|9liq^aieiilîHiiftet  Kuafie  per  h 

théorie  sâint^eimfiBieBiie  ;  ils  dweutaientJa  hiiide  laiegOfattBOylaJai 

de  k  hiérarchie  ;  ilsexplquaieiU  tbttOiaiiit&atADB'lMBlQve^ee  pat^ 

fectibilité  infinie,  sa  progressioii  lenle,.  maia  sike,  .wretiuiaieMr 

tCMijours  meiUemr.  Nobles  et  coneoians  travaux,,€|û  oai  e»  mKLÂê 

guoi  payer  ceux  qnî  les  abordent,  mrtmn  qnmri  iln  r rmfnBf  ineti 

pris-etoéfionnasl 

Cettepérioded*hannomeet,d!iiBioB  natqsa^  quoi  cpitoi^  aàL^ 
dire,  Tapogée  du  saint^simonisme*  Quand,  .au  premier  didnr»' 
ment  intéiieur,  Fanarchie  éclata  entre  ceux  qui  e^en  étaient  iA 
un  argumeot  contre  le  monde,,  quand  on.  .les  vil  a»lgavdàB|iir 
leur  doctrine  contre  les  faiblesses  vulgaires.;  locsqui*ea*i 
lafratûrnîlé  universelle  eut  brusquement  déchiré  son] 
il  y  eut,  parmi  les  profites ^  un  indéfinissable  mewrmnnnf  d'«fî- 
JÛDB  réactionnaire,  et  un  tenipetd'aaFAa  daa&le  paoeélyliwne  d"^ 
dce  supérieur.  €e  qui  survint  ensuite,  eft  kil  dn.progreeaMe-^ 
de  conquêtes,  résubait  de  i:élai^primitif  ;^*éaMtpffeefi«e  KaoeMiplii 
aeraent  d'une  loi  dynamiquet. 

V. — QDATRIÈHB  ÉPOQmS. 

'S^kisme.  —  tMiiionf  de  1a  Thmifle*  "Retraite  ée  HJémlHieat— 1«  — 
Le  lâlrre  newesu. 

Depuis  long-tenaps,  les  deux  tètes  qui  soignaient  k.méowiiare, 
-.au  la  même  couronne,  comme  on  voudra,  œs  deux  tèles 
tcavaiUéeB  de  pensées  divergentes.  M.  Baiard,  tout  en 
à  passer  de  Tétat  d*écoie  à  celui  d'égbse,  avait  arrâté,  daan  aan 
.plan,  de  s'abstenir  d'éclats  immédiats.  Il  voukit  que  les  tfaéoriis 
eussent  pénétré  dans  lesosprits  avaat  de  hasarder  la  pratiqBaJ 
'désitfaiteouTaiwceet non  enthousiasmer;  il  s'adreaseir  nwr  he»- 


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iOGtAUSTSS  HOMmiC».  3K. 

iiMn  de  .diaenssMi  et  d^exameiu  il.  EnfMUia  ne  se  ringaatl  pas  à 
œile  pr^Minakm  lente  et  chaooease.  De  toutes  les  façons  par 
lesquelles  on  agit  sur  les  organisations  hmnainesy  il  savait  qne'  la 
plus  promptoy  la^plu^dAcisivei  la^diia  triemphanto^  e*est  rengone- 
mant  Décomptait  sur  le  cosnr  phis  que  sur  resprit,  s«r  le  senti- 
ment plos^qne  sur  la  raison  ;  il  voulait  passionner  les  artistes  et  les . 
ppàlesk  Qoe  lui  iinportait  sa  petile  Eannlle,  à  lui  qui^vait  la  fanile 
onverselle,  à  lui  qui*  conpUit.  réaliser  de  son  vivant  une  supré* 
nmie  éclatante  et  complète,  une  royauté  politique  et  religieuse? 
Auasiy  dès qur'ilnt que Bazardne pouvait  plus,  ne  voulait phisse 
UMttre  è  son  pas»  il  résolutde  le  laisser  en -route  et  de  continuer  seuL 

Par  quels  moyens  il  resta  le  maître  dans  ce  <;onflit  d'autorité^ . 
cela  »*axpiique»  cela «e conçoit..  M.  Enfantin ,  demeuré  seul^. avait 
eaD0i:e:un  rôle  è  josier  ;  M;  Bazard  n*'en  avait  plus.  Poussé  jiMMjpy»- 
là  dans  des-  voies  hardies^  œ  dernier  n'avait  pas  même  la  décision 
nécessaire  pour  se  maintenir  au  pomt  où  on  Tavaitcondint.  Ueil 
reculé  sans  doute;  et  reculer  en  rase  campagne  quand  on  a  contre 
sei  le  nombre,  quand  on  n*a  pour  soi  que  son  audace,  c'est  être 
vaincu*  M.  Enfonlin  devait  donc  détrôner,  absorber  son  collègue  ; 
c'était  dans  Tordre. 

La  rupture  éclata  au  sujet  de  deux  questions  capitales,  Taffran^ 
cUssenoent  du  prolétaire  et  raffranchissemeat  de  la  femme.  L'af^ 
franchissement  du  prolétaire  pouvait  se  poursuivre  et  s'avouer  en 
faoe  de  runivers«  Seulement,  il  venait  s'acboppec  contre  l'article  291 
du  CkKle  pénal,  et,  comme  vers-ce  temps  les  sociétés populaires^fa- 
tiguaient  le  gouvernement  et  la  bourgeoisie,  il  était  possible  que  le 
parquet  prit  Taffranchissement  du  prolétaire  en  assez  mauvaise 
part.  M.  Bazard  recula  devant  cette  expérience  chanceuse.  Quant 
à  l'affranchissement  de  la  femme,  non-seulement  il  présentait  des 
dangers  plus  grands  encore,  mais,  en  outre,  il  froissait  M.  Baiard 
dans  une  corde  personnelle.  Soit  que  M,  Eafentin  laissât  à  la  mora* 
lité  future  une  latitude  peu  édifiante,  soit  qu'il  dit.  trop  ce^u'îl 
voulait  faire  ou  qu'il  ne  le  dit  point  assez,  toujours  est-il  que  son 
collègue  ne  voulut  pas  encourir  la  solidarité  d'un  scandale  proba- 
Ue.  Après  de  vives  discussions,  qui  prirent  un  caractère  récrinû-t 
natoire^  NL  Bazard  se  retira,  profondément  navré  de  te  lutte,  souf- 
firant-  dans  ses  aCEsctions,.  triste^  Messe*  au  coeur.,  devant  mo«rir 
àp6adBjooia4e.li» 

21. 


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5ik  REVUE  DBS  DEUX  MONDES* 

Alors  une  scission  eut  lieu.  La  hmiRe  de  la  rue  Monsigny  se  si- 
para  en  deux  camps ,  Tun  aux  couleurs  de  H.  Enfantin,  ayant  fin 
en  lui,  quoi  qu'il  advint  ;  l'autre  dévoué  à  M.  Bazard,  et  prêt  à  le 
suivre  dans  sa  retraite.  Le  19  et  21  novembre  1831  survmrent 
deux  réunions  générales  de  la  famille^  épisodes  caractéristiques 
dans  la  vie  saint-simonienne.  M.  Bazard  refusa  d'y  assister  ;fl  se 
résignait,  il  s'avouait  vaincu.  Dans  la  première  séance,  H.  En£antiii 
parla  d'abord.  H  développa  la  théorie  qui  le  divisait  de  M.  Bazard, 
l'appel  à  la  femme,  conviée  au  sacerdoce  en  même  temps  que 
l'homme,  et  à  titre  égal  ;  il  déclara  d'une  foçon  solennelle  que  A  k 
saint-sûnonisme  avait  combattu  énergiquement  et  rayé  de  son  évan- 
gile l'exploitation  de  l'homme  par  l'homme,  on  ne  pouvait  ni  ad- 
mettre ni  tolérer  davantage  l'exploitation  de  la  femme  par  rhomae. 
Le  christianisme,  suivan  lui ,  avait  émancipé  la  femme,  mais  l'aviit 
tenue  dans  la  subalternité  :  le  saint-simonisme  devait  affranchir  b 
femme,  et  la  poser  comme  l'égale  de  l'homme. 

a  L'homme  et  la  femme,  voilà  l'individu  social,  disait  M.  Eofantin; 
l'ordre  moral  nouveau  appelle  la  femme  à  une  vie  nouvelle  :  il  faut  que  la 
femme  nous  révèle  tout  ce  qu'elle  sent,  tout  ce  qu'elle  désire,  tout  ce 
qu'elle  veut  pour  Tavenir.  Tout  homme  qui  prétendrait  imposer  une  loi 
à  la  femme  n'est  pas  saint- simonien ,  et  la  seule  position  du  saint-simo- 
nien  à  l'égard  de  la  femme,  c'est  de  déclarer  son  incompétence  à  la 
juger,  j» 

Passant  de  là  à  la  théorie  du  couple-prétre,  de  l'individu  sodal, 
homme  et  femme,  M.  Enfantin  ajoutait  : 

<r  La  mission  du  prêtre  est  de  sentir  également  les  deux  natures,  de  ré- 
gulariser et  de  développer  les  appétits  sensuels  et  les  appétits  charnels» 
ainsi  que  sa  mission  est  encore  de  faciliter  l'union  des  êtres  à  afTections 
profondes  en  les  garantissant  de  la  violence  des  êtres  à  affections  vives,  et 
de  faciliter  également  Tunion  et  la  vie  des  êtres  à  affections  vives  en  les 
garantissant  du  méprb  des  êtres  à  affections  profondes.  » 

Et  plus  loin  : 

<r  Qu'elle  sera  belle  la  mission  du  prêtre-social,  homme  et  femme! 
qu'elle  sera  féconde!  Tantôt  il  calmera  les  ardeurs  inconsidérées  de  rin- 
telligence,  ou  modérera  les  appétits  déréglés  des  sens;  tantôt,  au  coo- 
traire,  il  réveillera  l'intelligence  apathique  ^u  réchauffera  les  sens  en- 
gourdis; car  il  àevTà  connaître  tout  le  charme  de  la  décence  et  de  h 
pudeur,  mais  aussi  toute  la  grâce  de  l'abandon  et  de  la  vohipté.  d 


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SOCIALISTES  MOMIHBS.  39S 

JoMpie-U  raaditoire,  bien  que  remué  par  des  sentimens  ânrers, 
arait  écouté  en  silence  ;  mais ,  à  cette  dernière  définition ,  M.  Pierre 
Leroux  ne  se  contint  plus  :  <r  Vous  exposez  U,  dit-il  à  M.  Enfantin, 
«  une  doctrine  que  le  collège  a  unanimement  repoussée;  je  suis 
<r  venu  ici  pour  tous  le  dire  ;  je  vais  me  retirer.  »  A  quoi  M.  Enfon- 
tin  répondit  :  «r  La  preuve  de  la  vérité  de  mes  paroles ,  tous  la 
<r  voyez.  Voilà  Thomme  (et  il  montrait  M.  Pierre  Leroux)  qui  repré- 
«r  sente  le  mieux  la  vertu,  telle  qu'elle  a  été  conçue  jusqu'à  présent; 
<r  et,  vous  le  voyez,  la  vertu  de  cet  homme  ne  peut  pas  comprendre 
(T  ce  qu'il  y  a  d*universel  dans  mes  paroles.  » 

Nous  le  croyons  certes  bien. 

La  discussion  continua  ainsi  dans  la  première  séance,  mêlée  de 
récriminations  et  de  paroles  très  vives,  et  suivie  de  la  retrrite  en 
masse  des  dissidens,  parmi  lesquels  figuraient  MM.  Leroux,  Ray- 
naud,  Cazeaux,  Pereire  et  autres.  Mais  dans  la  seconde  séance» 
M.  Enfantin  ne  souffrit  plus  le  débat.  Après  avoir  congédié  les  pro- 
testans  d'une  façon  assez  brutale,  il  s'adressa  aux  fidèles  qui  lui 
restaient,  et  leur  montra  le  fauteuil  de  H.  Bazard,  resté  vide  à  ses 
cAtés,  comme  le  symbole  de  l'appel  à  la  femme.  H.  Rodrigues  se 
leva  après  lui,  et  fit  un  autre  appel,  l'appel  à  l'argent,  dont  il  vou- 
lait installer  la  puissance  morale.  Ce  jour-là,  la  hiérarchie  se  modi- 
fia nne  fois  encore  :  H.  Enfantin  fut  déclaré,  par  M.  Olinde  Rodri- 
gues, l'homme  le  plus  moral  de  son  temps,  le  vrai  successeur  de 
Saint-Simon,  le  chef  suprême  de  la  religion  saint-simonienne;  puis, 
avec  le  même  sérieux,  M.  Olinde  Rodrigues  se  posa  lui-même  comme 
le  père  de  l'industrie  et  le  chef  du  culte  saint-simonien. 

L'aspect  de  la  religion  se  modifia  en  même  temps  que  la  hiérar- 
chie. On  laissa  de  côté  le  dogme,  travail  favori  de  Bazard,  pour  se 
tourner  vers  les  questions  de  culte  et  de  morale.  On  passa  de  la  spé- 
culation à  la  réalisation.  La  chair  fut  solennellement  réhabilitée  ;  on 
sanctifia  le  travail ,  on  sanctifia  la  table,  on  sanctifia  les  appétits  vo- 
luptueux, le  tout  en  se  servant  de  termes  assez  lestes,  car  on  atten- 
dait  que  la  femme  vint  donner  à  la  religion  le  code  de  la  délicatesse 
et  de  la  pudeur.  Cette  venue  de  la  femme,  cette  attente  d'un  Messie 
de  l'autre  sexe  fut  le  long  rêve  de  la  dernière  période  saint-simo- 
nienne. On  ne  pouvait  pas  marcher  sans  elle;  on  l'invoquait  chaque 
jour;  on  la  voyait  partout.  La  femme  manquant,  le  couple  sacerdotal 
demeurait  incomplet;  la  religion  cheminait  b<riteuse.  Aussi,  pour 


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REVUS  WÊê'umow  womwm 

déddei^  eeMe  rtnéklMi  nout^Hr» MqployÉ<^t-oflr4Ms tel itoyiMi 
Taideéês^fielrM  âgitsiMT  TîmligÎBMioli  «t  «iir  iavaMSi  L'bhM  4» 
183S  Alt  une  loniguefète  dms  la  r«e  Mbnsigny.  La  reKgteiMetsi»' 
TOMa  de  roèes,  eHe  se  saiietifa  à  la  fa«éa  du  pvneh  et  ««s  dai- 
sanleéi  hartlloliies  de  TordieaCre;  elle  oonvia  tout  Paria  i  aeafttt% 
bieâ  sAreque  Paris  ne  hii  nendrali  pas  ses  potilesses.  A  oes  ré—hat 
pailireiH'qvelqiiesfeiiiiiies^  élégantes^  jeunes,  graeîefises,  frakèsi^ 
joKes^  <{DÎ  dansaiedl  pimr  danser,  riaient  pour  rîre^  le  umt  A'wm^ 
fafon  mondaine»  et  sans  entrevoir  le  eAté  profondément  reGgicaa 
de  ces  danses  et  de  ces  riresi  La  religion  yonnsnoia^ea  demièrsa 
ressources,  sans  que  la  femme  répondit  è  son  appeL 

I^wC  soutenir  ee  hiM,  pour  solder  oes  bris,  pour  nMltre  l'ordi*^ 
naîre  de  kr  religion  sur  un  pied  qui^t  à  la  hauteur  des  profeCsnai-^ 
veaux»  il  Mlait  de  Targent^  beaucoup  d'ai|(ent.  LeGU^^  discrftai 
Çratia^  absorbait  une  senlne  MUuelle  fort  importante,  et  les  S(k 
ports  avaient  diounué  depuis  la  rupture.  MMl  Alexis  Petit,  H•«Fba^ 
neH  d'Eidital ,  OHiWerv  Rîgaud ,  Toché ,  Barrault»  et  BL  Enfinti» 
lui-même  fr*ét«ent  peué  peu  dépouillés  pour  la  religion.  En  crisM^ 
il  ne  restait  rien,  ou  il  restait' pieu  de  cllose  eli  numéraire;  ierpfé* 
priétés  qui  formaient  le  solde  du  fonds  txNmnun  n'ét»ent  paaftcBt* 
mefft  réalisables.  Le  budgl$t>  au  31  juillet  1631»  préiseuttiit  une  bl^ 
lanee  presque  parfeite  entre  Tactif  ^  le  passif:  les  dooa  en  a^gsn 
étaient  de  218»e00  francs;  lea  dépenses  feitea  de  âSO^eoe.  On  m 
senai  trouvé  en  déficit  si  une  somme  de  60Q,iMM  fraiioa  envîroa»  en 
titreadHnmeubles,  ne  fûtpas  démeuiréeliblt^. 

Voilà  qudle  était  la  «ituatioa  finanoiène  duaaint^sinlbnianie  quiid 
M.  OiîlMie  Rodrigues  lan^  son  appel  à  Vargent.  <r  Rotsdddv 
a  Aguado,  LafiBtDè,  dit-il»  n^ohtrien  entrepris  d^ausst  grand  iiaesÉ" 
crqto  je  viens  entreprendre;  Tomite  sont  veiius^  après  la  ^ueiT^* 
ff  donner  au  vaincu  le  tn^éditnéœssaire  pour 'satisfiure  le  vainque 
a  Leur  mission  périt  et  la  mietme  commence.-  On  eaoompta  A  It 
a  bourse  de  Paris»  de  Londres  et  de  Berlin»  Tavenir  peitâius  H 
a  fiaancier  de  Tassodatioki  des  travàflleurs.  l'entrepreadadeto^ 
<r  dèr  lé  crédit  saint-simonienk  bIM  acte  fut enofifet  paatfè par'dè- 
vattl^M«  LelH>n  »  qui  consCituaft  la  société t;oUeotiv<e  BeqanMi^Qlindi 
Rodrigue»  et  compagnie»  sour  rattoriaatkm  et  nveu.  Mda  ds) 
M.  Bnfianlini  Des  aoliona  et  dea  coupons  d'aotionr  fiÉrent  étowai 
csjpM  nbnnial  tlo  IMO  «panes»  et  a*  ûÊfitÊk  rM^  étmùrtmm 


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ftMaciéte  réaaRl  ma),  niftle^ré  les^Mks  powpoolivoa  qv'eUe  pré- 
saaftait  &«x  proaeoffs.  Un  patit  nembre  d'aetkms  se  -phça  dans  le 
eevole  VmM  des  partisaiis  de  la  deelffiiie;-nais  cetle^oMBsion  par- 
tieUe  fèf  plas  airisible  qu'utile»  eav  onAnsaH  une  afMre  d'argent  de 
ce  qm  arail  été  jusqu'alors  «ifkfire  de  déveuemenl.  Ceux  qui 
avaieni  tant  danné  au  samt-smenisnie  n'a¥aient  ))as  spéculé  sur 
leors  dons.  Le  mobile  changeait  :  on  s'adressât  à  la  cupidité  hu- 
maifie  ;  eHe  répondit  moins  que  le  désmtéressement. 

L'organisation  du  traraO  social  ne  ht  guère  plus  heureuse. 
M.  Stéphane  Flachat  était  demeuré  fidèle  à  la  fortune  de  M.  Eafim- 
tin ,  plutôt  par  affection  que  par  eonrietion.  B  espérait  toujours  que 
la  lumière  morale  luirait ,  d-un  jour  à4* autre,  au  sein  de  cetle  nuit 
de  doutes,  et  il  s'était  déroué,  en  attendant,  à  une  mission  qui  eAt 
réussi  par-lui,  si  elle  avait  eu  la  moindre  chance  de  réussite.  Quatre 
niUe  eurriers  avaient  été  afflKés  :  as  iravaillaiem  dans  des  maisons 
spéciales  pour  le  compte  de  la  communauté  religieuse.  Ces^easais 
avortèrem»  Ici  la  certitude  du  bieiFétre  matériel  rendait  les  ou- 
rriers  nonchalans;  là  des  divisions  intérieures  sa  glissaient  panni 
eux,  el  il  f^dlail  intervenir  pour  foire  respeeler  la  hiérarchie.  La 
masse  des  saintrsimomens  avait  augmenté  sans  doute  ;  l'i^ppel  aux 
prolétaires  avait  attiré  quelques  hommes  indigens;  oo  se  prête  1 
teus  les  essais  qumid  on  souffre.  Mais  pour  les  retenir,  pour  en 
augnenlerle  nombre,  U  eAt  foUu  que  l'améKoration  promise  se  réa- 
lisAt;  autrement  les  prolétaires  s*en  allaieat  «n  à  un.  La  seule  for- 
UHrfeintoKgiblo  pour  ces  ouvtiers,  c*était  détre  mieux.  Elle  leur 
BUUM|ua  bientôt.  Ainsi,  des  deux.parts,  c*étaft  un  tort  et  une  ineon- 
aéqueuce  davoir  déplacé  Taetion  saint-simonienne,  d'avoir  tenté 
une  réidfaation  qui  devait  échouer,  et  qui,  en  échouant,  laissait  le 
reole  de  la  doctrine  sous  la  prévention  d'impuissance. 

Cette  époque  fat  d'ailleurs  ftconde  en  disgrâces  de  tout  genae* 
A«  moment  où  la  salle  Taitbout  jetait  son  plus  vif  éclat  oratoire>  au 
fort  des  réconciliations  publiques  et  des  confessions  de  MUs  Julie 
Fanfemaut,  quand  la  mise  en  scène  la  plus  raffinée  donnait  à  ces 
rénnons  un  imprévu  ^fue  n*offrent  plus  nos  théâtres,  une  brusque 
mesure  de  police  vint  chasser  les  fidèles  du  temple,  et  les  mettre  à 
iadiserëtion  des  baïonnettes  municipales.  D'autrespoursuilea  ai- 
Mhanéeo  avaient  «Ken  dans  la  maison  de  la  rue  Monsiguy ,  0à  la 


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328  REVUE  DES  DEUX  MOIOIES. 

saisie  des  papiers  de  la  fomiDe  forma  la  base  de  plusieurs  'uâet- 
rogatoires  et  d'une  instruction  criminelle.  Ce  n'est  pas  tout  encore. 
Des  dissensions  étaient  surrenues  entre  M.  Enfantin  et  M.  Oiiiide 
Rodrignes,  au  sujet  de  la  question  morale.  H.  Rodrigues  accusât 
M.  Enfantin  de  promiscuité  religieuse,  et  disait  :  a  J*ai  affirmé  q» 
a  dans  la  fomiDe  saint-simonienne  tout  enfent  devait  pouTcnr  cot- 
er naître  son  père.  M.  Enfantin  a  exprimé  le  vœu  que  la  femme  fb 
a  seule  appelée  à  s'expliquer  sur  cette  grave  question.  »  Là-dessos 
il  se  sépara  en  appelant  les  fldèles  à  lui,  comme  au  seul  disci- 
ple et  à  rhéritier  direct  de  Saint-Simon.  La  brutalité  de  la  rupture, 
son  inopportunité  à  la  veille  de  persécutions  judiciaires,  laisskeiK 
sa  sortie  sans  contre-coup.  Seidement,  avec  lui,  s'en  aHèrent  ks 
dernières  ressources.  Sa  retraite  discréditait  l'emprunt  dont  Q  état 
le  titulaire  contractant;  et,  au  lieu  d'opérer  desplacemens  nouveau, 
il  Mut  rembourser,  çà  et  là,  sur  les  82,000  francs  d'actions  rét- 
lisées,  quelques  porteurs  de  coupons,  moins  résignés  et  plus  tv- 
bulens  que  les  autres.  Faute  de  fonds  suffisans,  le  Globe  rnoorot 
d'abord,  puis  les  ateliers  se  fermèrent;  enfin  la  femîDe  de  la  me 
Monsigny  fut  dissoute. 

Alors  une  dernière  transformation  eut  lieu.  A  Hénilmoiitant,  ai 
point  culminant  de  la  côte,  M.  Enfantin  avait  une  propriété  patri- 
moniale, qui  dominait  Paris,  une  vaste  maison  avec  jardin  d*ia 
demi-arpent.  II  résolut  d'en  faire  le  dernier  asile  de  la  famîBe,  si 
maison  de  refuge  contre  le  monde.  Là  on  pouvait  s'inspirer  dans 
le  recueillement  et  dans  la  retraite,  attendre  la  venue  de  la  Femoie- 
Messie ,  si  lente  à  répondre,  pratiquer  en  petit  l'association  conte» 
plative  et  partielle,  jusqu*à  ce  que  l'heure  eût  sonné  de  Tassocia- 
tion  universelle  et  laborieuse.  Quoiqu'il  fût  étrange,  après  une 
suite  de  prédications  contre  les  oisifs,  de  se  vouer  ainsi  i  la  vie 
stérile  de  l'anachorète,  cet  état  nouveau  et  purement  transiteôe 
avait  aussi  son  aspect  saintrsimonien.  Il  s'agissait  alors  d*abolir  h 
domesticité,  en  faisant  participer  les  plus  hauts  et  les  plus  fiers  i 
la  tâche  du  prolétariat;  il  s'agissait  de  former  à  une  discipline  de 
costume  et  à  une  vie  de  continence  quarante  jeunes  moUies  chex 
qui  la  vie  débordait;  il  s'agissait  d'éprouver  s'ils  soutiendraient 
jusqu'au  bout  la  gageure,  et  s'ils  seraient  aussi  forts  contre  les 
huées  de  la  foule  qu'ils  l'avaient  été  contre  les  sarcasmes  des  beanx 
esprits.  Dans  un  factum  net,  clair,  indsif,  intitulé  :  A  toos; 


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SOCIALISTES  MODERNES.  529 

M.  Enfantin  donnait  la  clé  de  cette  expérience  :  or  J*ai  voulu,  disait- 
ff  il  y  appeler  la  femme  et  le  prolétaire  à  une  destinée  nouvelle.  » 
Puis  U  expliquait  comment  sa  parole,  semée  dans  Paris,  y  continue- 
rait sa  germination  mystérieuse,  et  comment  il  n'y  aurait  bientôt 
plus  d'autre  politique  que  la  charte  d'avenir  qu'il  avait  fondée. 

A  Ménilmontant,  tout  s'organisa  ainsi  qu'il  l'avait  dit.  Quarante 
nouveaux  Horaves  se  cloîtrèrent  dans  ce  jardin,  le  bouleversèrent 
en  tous  les  sens,  taillèrent  les  arbres ,  bêchèrent  et  sablèrent,  ni- 
velèrent et  arrosèrent,  émondèrent,  échenillèrent ,  se  firent  indis- 
tinctement et  à  tour  de  rôle  chefs  d'office,  cuisiniers,  sommeliers» 
échansons.  On  organisa  le  travail  par  catégories  ;  on  fit  des  grou- 
pes de  pelleteun,  de  brouelteursy  de  remblayeursy  et  pour  que  la 
besogne  fût  moins  rude,  on  l'accompagna  d'hymnes  composés 
par  un  membre  de  la  communauté.  Plus  tard,  quand  le  public  eut 
ses  petites  entrées  dans  le  jardin,  on  lui  servit  des  concerts  de 
cette  musique  locale,  puis,  par  une  insigne  et  dernière  faveur,  on 
l'admit  au  spectacle  du  dtner  du  Père,  comme  à  celui  d'un  souve- 
rain. Tout  ceci  se  faisait  d'ailleurs  avec  les  formes  voulues  et  en 
costume.  L*uniforme  était  simple  et  coquet  :  justaucorps  bleu  à 
courtes  basques,  ceinture  de  cuir  verni,  casquette  rouge,  panta- 
lon de  coutil  blanc,  sautoir  autour  du  cou,  cheveux  à  Tinspiré, 
rejetés  et  lisséaen  arrière,  moustaches  et  barbe  à  l'orientale. 

Nous  ne  voulons  pas  accepter  au  sérieux  cette  phase  de  l'existence 
saint-simonienne.  La  prise  du  costume,  au  bruit  de  la  canonnade 
de  Saint-Méry ,  la  lutte  entre  la  famille  qui  appelait  les  visiteurs  et 
la  police  qui  faisait  croiser  devant  eux  la  baïonnette  ;  les  harangues 
en  plein  air;  les  syno